I – Mgr Bernard Fellay dans un entretien accordé au Nouvelliste du Valais, le 26 septembre – propos recueillis parVincent Pellegrini.
Mgr Fellay : (…) Pour le Concile Vatican II, Rome voudrait reprendre le protocole signé en 1988 par Mgr Lefebvre et par le cardinal Ratzinger. Ce protocole dit qu’une seule interprétation du Concile Vatican II est valable. Celle qui est faite à la lumière de la Tradition. Mais même si cela n’a pas été dit très explicitement, nous avons bien compris au cours de notre rencontre avec le pape qu’il nous considérait comme vieux jeu et que le concile c’est aussi un esprit que nous devons acquérir. Je suis d’accord avec la formule du concile interprété à la lumière de la Tradition mais je ne puis pas la signer dans le contexte actuel.
Le Nouvelliste :C’est parce que vous n’avez toujours pas la même appréciation du Concile Vatican II que Rome, que vous ne voulez pas signer une formule d’accord qui semble pourtant acceptable par vous ?
Mgr Fellay : C’est un problème de vision, d’état de la question. Le problème que nous sommes censés causer à l’Eglise n’est pas perçu de la même manière par Rome et par nous et c’est pourquoi nos solutions divergent profondément. Or, pour arriver à une solution il faut être d’accord sur l’état de la question. Nous sommes allés à Rome pour poser le problème correctement. En clair, nous ne sommes pas le problème. Car même si nous n’existions pas, la crise de l’Eglise serait tout aussi grave. Nous ne faisons en effet que réagir à la crise du monde catholique. Notre manière de voir le Concile Vatican II ne correspond pas à celle de Rome actuellement, c’est vrai. Et c’est pourquoi l’on ne peut pas rester dans des formules d’accord superficielles. Il faut aller au fond des choses. Nous n’aurions aucun problème à signer un accord superficiel, mais nous ne voulons pas d’une réconciliation simplement tactique qui ne conduirait à rien. Il faut que cet accord soit vrai, profond. Il ne servirait à rien de donner l’impression que tout est rentré dans l’ordre alors que rien n’est réglé. Dans la situation actuelle, un tel accord tromperait tout le monde. J’ai peur que le pape et la curie ne soient bloqués par la ligne progressiste. Cela expliquerait cette focalisation sur le seul Concile Vatican II. Je vous le répète, si Rome fait le moindre effort sérieux pour sortir de la crise, sans même parler de nous, le problème n’existera plus car l’ambiance et l’esprit auront changé.
(…)
Le Nouvelliste : Joseph Ratzinger travaille sur le dossier traditionaliste depuis plus de vingt ans. C’est un pourfendeur du relativisme contemporain et il est plutôt bien vu de vos milieux qui ont salué son élection. Il y a trois ans, il a même correspondu avec vous pour une reprise du dialogue sur des questions théologiques. Avez-vous l’impression que Benoît XVI est plus sensible à la tradition que son prédécesseur Jean-Paul II en ce qui concerne les questions liturgiques et doctrinales que vous posez ?
Mgr Fellay : Sans aucun doute. La doctrine a plus d’importance pour Benoît XVI que pour Jean-Paul II. Ce dernier accordait plus d’importance à la pastorale, au vécu, à la communion prise au sens de l’être avec. J’ai l’impression que pour Benoît XVI, la foi a un rôle plus important et je pense qu’on le verra dans la nouvelle structure de la curie ainsi que dans sa façon de gouverner l’Eglise. Il va mettre à nouveau la foi à la première place, au-dessus de la politique et de la secrétairerie d’Etat. Paradoxalement, cela rend nos rapports à la fois plus faciles et plus difficiles. D’un point de vue liturgique, Benoît XVI a une inclination marquée contre la nouvelle liturgie. Je pense qu’il va conduire une réforme liturgique, une nouvelle « nouvelle messe » à base de l’ancienne selon une formule dont il a usé il y a deux ans. L’on peut s’attendre en tout cas à une réforme de la réforme…
Le Nouvelliste : Evaluez-vous la rencontre du 29 août comme une porte entrouverte par Benoît XVI aux traditionalistes de la Fraternité saint Pie X et comme un signe d’espérance pour l’unité ?
Mgr Fellay : Ce n’est ni le premier ni le dernier pas, mais il va dans la bonne direction. D’un côté comme de l’autre, il va falloir cependant du temps même si Rome m’apparaît relativement pressée.
II – Le P. Luc-Thomas Somme, op., doyen de la Faculté de théologie de l’Institut catholique de Toulouse, dans La Nef d’octobre, – propos recueillis par Christophe Geffroy.
La Nef : Une réconciliation ne passe-t-elle pas nécessairement par un véritable débat doctrinal sur Vatican II ?
P. Somme : Certainement. Lorsque des chrétiens émettent une contestation d’ordre doctrinal, il ne faut pas éluder le débat, il faut se situer à cette hauteur-là : l’amour et la recherche de la vérité. La réponse ne peut pas être simplement disciplinaire, que ce soit pour résoudre le litige ou pour prétendre le classer sans suite. A cet égard, il est clair qu’un accord pragmatique à la hâte serait voué à l’échec. L’interprétation à donner au décret conciliaire sur la liberté religieuse, par exemple, doit être discutée. Les Dubia émis par la FSSPX, la Déclaration Dominus Jesus, peuvent aider à ce débat et les théologiens ont un rôle à jouer à cet égard. Mais le dialogue sera de sourds tant que le Concile Vatican II sera perçu comme une entité, une sorte d’hypostase, qui dispense de comprendre son histoire, son propos, la diversité des documents et de leur autorité. (…)
- Le texte intégral de cet entretien se trouve dans La Nef n° 164, octobre 2005 (B.P. 48 – 78810 Feucherolles)
Dans Le Figaro des 8–9 octobre, l’article de Sophie de Ravinel
Depuis l’élection de Benoît XVI, Mgr Bernard Fellay, chef de file des traditionalistes séparés de Rome, sent « comme un frisson qui traverse l’Eglise« , une envie de résoudre la crise « dont beaucoup sont désormais conscients« . Un mois après son audience avec le nouveau pape, il affirme néanmoins que » le risque d’arriver à une solution rapide trop superficielle est assez grand ». (…)
« Tel que je connais Benoît XVI, explique Mgr Fellay lors d’un passage à Paris, je ne l’imagine vraiment pas nous considérer comme schismatiques ». Le prélat suisse en veut pour preuve l’audience de la fin du mois d’août dans la résidence d’été du pape, « qui s’est déroulée dans un climat de bienveillance« .
Sur le conflit qui l’oppose à Rome, il considère le concile Vatican II à la fois comme une point d’achoppement « et de solution« . « Nous ne pouvons pas imaginer que Rome se dédise, concède-t-il, mais le pape doit énoncer des principes, poser des actes qui manifestent clairement un retour à la tradition ». « Le concile doit être pris à bras-le-corps, affirme-t-il , les textes sont datés« . En clair, il considère qu’ils ont correspondu à une époque aujourd’hui révolue à ses yeux. (…)