Après 20 ans d’épiscopat, que pensez-vous de l’état de l’Eglise ?
Jean-Paul II n’a rien fait pour reconstruire la Foi. La grande apostasie s’est amplifiée, la jeunesse est presque entièrement perdue dans l’impureté et dans les drogues. La liberté religieuse et les droits de l’Homme ont complètement détruit la royauté sociale du Christ. Nous vivons la grande apostasie dont parle saint Paul aux Thessaloniciens : « venerit discessio primum » (II Thess. 2,3).
Quelque chose a‑t-il changé dans la Fraternité ? Et si oui : quoi ?
De quelle société parlez-vous ? De la Fraternité Saint Pie X ? Bien sûr, la Fraternité a grandi, Dieu merci, passant de 150 à 450 prêtres ; le nombre de frères a doublé. Peu de nouveaux prieurés ; il vaut mieux consolider la vie en commun des prêtres ! Mais beaucoup de nouvelles missions, partout. Pas beaucoup de nouveaux pays, ce n’est pas nécessaire. Nous devons nous développer là où nous avons débuté. C’est suffisant.
Combien de pays avez-vous visités depuis votre sacre ?
À peu près tous les pays dans lesquels nos prêtres travaillent, sauf le Japon et la Corée. Combien cela fait-il ? Sans doute plus de 30 ou 40.
Qu’est-ce qui vous a impressionné chez les fidèles, quand vous voyagez pour confirmer ?
Le grand nombre de familles nombreuses, bien sûr. Parfois plus de 10 enfants – c’est merveilleux ! C’est l’effet de la Grâce du Saint Sacrifice de la messe. Et, cela va avec, les nombreuses écoles de garçons ou de filles ouvertes, des écoles primaires à proximité de nos prieurés dans beaucoup d’endroits. Une église, un prieuré, une école : c’est maintenant l’unité normale.
Qu’aurait-il pu se passer sans les sacres ?
Nous serions morts : des prêtres âgés, seulement des prêtres âgés, des Frères âgés, des Sœurs âgées, des séminaires vides et morts ; et pas de Fraternité Saint-Pierre ni tout le reste. La tradition serait morte. Les sacres d’évêques ont été un « acte sauveur » [en français dans le texte]. L”« opération survie » a été un succès complet, grâce à Dieu et grâce à l’acte héroïque de Mgr Lefebvre.
La situation avec Rome est-elle plus encourageante vingt ans après ?
Non, rien n’a changé. À part le motu proprio du 7 juillet 2007, qui est un miracle inattendu, et qui change radicalement la pratique du Saint-Siège vis-à-vis de la messe traditionnelle. Mais en pratique, peu de prêtres reviennent à la Tradition. Seuls de jeunes prêtres, quelques-uns parmi eux, sont intéressés. Mais pour ce qui est de la liberté religieuse, des droits de l’Homme, de l’intérêt que Rome porte à notre travail : rien n’a changé – induratio cordium ! Un endurcissement des cœurs, un aveuglement des esprits.
Que voudriez-vous dire à ceux qui prédisaient, en 1988, que la Fraternité Saint Pie X créait une Eglise parallèle ? L’histoire ne leur a‑t-elle pas donné tort ?
Je vous réponds : où est l’Eglise, mes chers ? Reconnaissez l’arbre à ses fruits. Là où sont les fruits, là est l’Eglise. Je ne veux pas dire que l’Eglise se réduit à la Fraternité, mais que son cœur est dans la Fraternité. La vraie Foi, l’enseignement vrai, les sacrements non abâtardis : tout cela est dans la Fraternité. Partout ailleurs, il y a un mélange plein de compromis à cause du libéralisme et de la faiblesse d’esprit. L’Eglise parallèle, c’est la néo-Eglise de Vatican II : son esprit, sa nouvelle religion ou non-religion.
Quel est le développement le plus important des vingt dernières années ? La mort de Monseigneur ? L’élection de Benoît XVI ? Le Motu Proprio ?
La réponse, c’est notre persévérance, notre existence. La continuation miraculeuse de la Tradition. Les sacres d’évêques étaient un simple moyen pour tendre à ce but. Non, la mort de Mgr Lefebvre, l’élection de Benoît XVI, et ce genre de choses, ne sont pas des événements d’importance. Vraiment, il ne s’est rien passé d’important depuis vingt ans, à part le miracle de la survie de la Tradition.
Beaucoup de catholiques qui s’étaient d’abord battus aux côtés de Monseigneur, il y a des années, sont maintenant enclins à unir leurs forces avec Rome qui semble plus conservatrice, en s’alliant à des instituts dont le statut canonique est plus « régulier » au sein de l’Eglise.
>Oui, il y a eu beaucoup de pertes. À cause du manque de principes, de l’infidélité au combat de la Fraternité, de la recherche de compromis, de l’aspiration à la paix, du désir d’une victoire avant le temps que Dieu à prévu. Ces pauvres gens (des prêtres, des religieux, des laïcs) sont des libéraux et des pragmatiques. Ils sont séduits par les sourires des gens du Vatican, je veux dire des prélats de la Curie. Ce sont des gens qui étaient fatigués du long, long combat pour la Foi : « Quarante ans, c’est assez ! ». Mais ce combat durera encore trente ans. Donc : ne cessez pas, ne cherchez pas de « réconciliation, », mais combattez !
Quel est votre souvenir le plus marquant de Monseigneur ?
Le 13 octobre 1969, quand il nous a accueilli au 106, route de Marly, à Fribourg, en Suisse, il était seul et recevait 9 séminaristes dans deux appartements qu’il louait aux Salésiens. Seul et âgé 63 ans, et commençant tout à zéro avec nous, pauvres jeunes gens ! C’était émouvant de voir comment il prenait soin de nous, nous donnant des conférences spirituelles, très simples, théologiques, à l’aide de saint Thomas d’Aquin et de son expérience de missionnaire. Un archevêque, ancien supérieur général d’une congrégation de 3.000 membres, ancien délégué Apostolique, et maintenant seul avec neuf jeunes gens à commencer quelque chose pour le bien du sacerdoce, quelque chose dont il ignorait le futur. Réalisez sa Foi !
Quel est le moment le plus marquant de votre séminaire ?
Fabuleux ! Mon premier contact avec la Somme de saint Thomas d’Aquin, durant les merveilleux cours du Père Thomas Mehrle, O.P., qui chaque semaine venait de Fribourg à Ecône pour nous enseigner le Christ et Dieu. Quel délice c’était d’entendre le Père Mehrle commenter la Somme, et nous étions là, à lire la Somme en latin, le merveilleux latin de saint Thomas. Combien d’heures de délices, chaque matin, de 8 heures et quart à 9 heures, à ma table dans ma chambre, avec la Somme à méditer et à apprendre ! Et maintenant encore je continue, je fais exactement la même chose !
Direz-vous que le combat pour la messe a complètement changé depuis les sacres ?
Absolument pas. Rien n’a changé ! La persécution contre les jeunes prêtres d’aujourd’hui qui retournent à la vieille messe est la même que la persécution contre les bons prêtres, des prêtres qui, il y a 40 ans, restaient fidèles à la messe de leur ordination. À quelques très rares exceptions, les évêques détestent la messe traditionnelle. Leur nouvelle religion s’oppose à la vraie messe, et la vraie messe détruit leur fausse religion, une religion sans sacrifice, sans expiation, sans satisfaction, sans justice divine, sans pénitence, sans renonciation à soi-même, sans ascétisme ; la religion du soi-disant « amour, amour, amour » qui n’est que des mots.
D’un autre côté, ne diriez-vous pas qu’aujourd’hui le combat pour la doctrine est devenu plus important ?
C’est le même combat : ratio cultus, ratio fides. La loi de la Foi est la loi de la liturgie, et la loi de la liturgie est la loi de la Foi : lex orandi, lex credendi ; lex credendi, lex orandi. La devise est vraie dans les deux sens. La messe traditionnelle est l’expression la plus magnifique de la royauté du Christ alors que regnavit a ligno Deus – Dieu a régné par le bois de la Croix. Le mystère de la Rédemption, comme expiation parfaite et surabondante des péchés, s’exprime dans la Messe traditionnelle. Au contraire, ce mystère est obscurci et estompé par la Nouvelle Messe.
En conséquence, le combat contre la liberté religieuse ne peut pas être séparé du combat pour la Messe. C’est vrai aussi du combat contre l’œcuménisme, parce que si le Christ est Dieu, Il est capable par Sa passion d’apporter expiation et satisfaction, pour tous les péchés ; de même, Lui seul a le droit de conformer les lois civiles à l’Evangile. Je ne vois pas de séparation entre le combat pour la messe, le combat pour l’esprit chrétien du sacrifice, et le combat pour la royauté sociale du Christ. Les modernistes ne voient pas de différence entre leur nouvelle messe, leur refus du mystère de la Rédemption, et leur dénégation de la royauté sociale de Jésus-Christ. Tout se tient.
À part Mgr Rifan, Rome n’a pas donné d’évêque traditionnel aux communautés Ecclesia Dei. Que cela signifie-t-il ? Cela ne justifie-t-il pas la décision de Monseigneur ?
Oui, bien sûr. À Rome (à quelques exceptions près), ils ne veulent pas d’évêques traditionnels ! Ils n’en veulent toujours pas. La Rome occupée ne peut pas se permettre d’avoir des évêques traditionnels dans l’Eglise. Ce serait la destruction de leur destruction ! Mgr Rifan a eu le cerveau bien lavé, avant d’être « réconcilié ». Il garde la sainte messe traditionnelle, mais ne se bat plus contre la nouvelle messe, la liberté religieuse, et ainsi de suite. Il a dû arrêter le combat.
Les communautés Ecclesia Dei ont dû accepter de ne jamais critiquer le Concile de Vatican II ni la nouvelle messe. Ils ont été réduits au silence et ont accepté de se taire. Tel a été le prix de leur « réconciliation ».
Mgr Lefebvre avait donc entièrement raison quand il disait que seuls des évêques entièrement catholiques et entièrement libres, libres de l’influence libérale de Rome, pouvaient travailler pour le bien de l’Eglise en attendant la conversion du Pape.
Quels sont, selon vous, les plus grands défis auxquels la Fraternité et les fidèles devront faire face dans les années à venir ?
D’abord, notre persévérance à refuser les erreurs du concile de Vatican II. Deuxièmement, la force de notre refus de toute « réconciliation » avec la Rome occupée. Troisièmement, le développement de nos écoles, nos collèges pour soutenir une éducation catholique et aider les familles. Quatrièmement, la résistance face à la persécution par les autorités civiles, et proclamer que le christianisme est l’unique source de la civilisation.
Quel regard pensez-vous que Monseigneur porterait sur la crise, vu l’état des choses en 2008 ?
Il dénoncerait non seulement le libéralisme – comme c’était le cas avec Paul VI – mais le modernisme, comme c’est le cas avec Benoît XVI : un vrai moderniste, avec la théorie complète du modernisme mis à jour ! C’est si grave que je ne peux pas exprimer mon horreur. Je me tais. Mgr Lefebvre, donc, crierait : « Hérétiques, vous pervertissez la Foi ! ».
Quel conseil donneriez-vous aux parents qui élèvent leurs enfants dans le monde d’aujourd’hui ?
Ne vous contentez pas d’avoir des enfants, beaucoup d’enfants, mais élevez-les, éduquez-les ! Ne vous contentez- pas de les nourrir, de leur donner à manger ! Et envoyez-les dans des écoles vraiment catholiques, où ils seront non seulement protégés de la corruption du monde, mais seront formés pour être des chrétiens.
Quel conseil donneriez-vous à des jeunes gens et des jeunes filles qui envisagent la vie religieuse ?
Ne l’« envisagez » pas, ne l’essayez pas non plus, mais entrez‑y avec détermination et persévérance ! Mon Dieu, combien de volontés faibles !
Quels sont les livres les plus essentiels, selon vous, pour les fidèles aujourd’hui ?
Pour tous, leur missel et leur catéchisme. Pour les jeunes gens, des livres sur la royauté sociale du Christ. Pour les jeunes filles, des livres de cuisine, de couture, et pour aménager la maison.
Que voyez-vous dans les 20 ans qui viennent ?
En Europe, des républiques islamiques en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas. Aux Etats-Unis, la banqueroute et la guerre civile. À Rome, l’apostasie organisée avec la religion juive. En nous, de l’héroïsme, de l’héroïsme chrétien. Dans la Fraternité, le sacre de nouveaux évêques, si ça s’avère nécessaire. Je me fais vieux. À Rome, un nouveau pape ? Vraiment, s’il doit être pis encore, il n’y en a pas besoin. S’il doit être un Petrus Romanus, alors là, oui. C’est mon espérance.