Entretien de l’abbé Schmidberger à Die Welt du 13 février 2012

À Rome, des signes de plus en plus nom­breux montrent qu’une une récon­ci­lia­tion com­plète avec la FSSPX pour­rait fina­le­ment abou­tir et qu’elle devrait bien­tôt avoir sa propre pré­la­ture per­son­nelle, qui est à peu près le sta­tut de l’Opus Dei. D’autres disent que les négo­cia­tions entre le Vatican et la Fraternité ont échoué. Pouvez-​vous cla­ri­fier cela ? 

Le 14 Septembre 2011, le car­di­nal Levada a pré­sen­té à Mgr Fellay, notre supé­rieur géné­ral, un « Préambule doc­tri­nal » dont l’ac­cep­ta­tion est la condi­tion pour une recon­nais­sance cano­nique de la FSSPX. Nous avons mené de vastes consul­ta­tions sur ce texte et en sommes venus à la conclu­sion qu’il n’est pas accep­table. Finalement, le 1er décembre, j’ai moi-​même por­té à Rome la réponse du supé­rieur géné­ral, et, à la demande romaine, il a four­ni une cla­ri­fi­ca­tion de cette réponse. Maintenant nous atten­dons avec impa­tience le résul­tat de la Congrégation pour la doc­trine de la foi.

Le pape a dit qu’il n’au­rait pas consen­ti à la levée de l’ex­com­mu­ni­ca­tion de vos quatre évêques s’il avait eu connais­sance des décla­ra­tions de Mgr WIlliamson. Qu’adviendra-​t-​il de Mgr Williamson après la récon­ci­lia­tion ?

Je ne suis pas pro­phète, mais je pense évi­dem­ment que, dans les négo­cia­tions à pro­pos de la struc­ture cano­nique de notre Fraternité, qui ne se tien­dront pas en une seule ses­sion, les par­ti­ci­pants par­le­ront aus­si de Mgr WIlliamson. Mais on peut cer­tai­ne­ment attendre qu’il obéi­ra aux ordres du supé­rieur général.

On dit de Mgr Lefebvre, le fon­da­teur de la Fraternité, qu’il « adhé­rait de tout cœur à la Rome éter­nelle ». Est-​ce qu’il ne se serait pas déjà lui-​même récon­ci­lié avec ce pape qui lui tend autant la main ?

Ce ne sont pas des choses faciles. Durant la visi­ta­tion de nos œuvres par le car­di­nal Gagnon en 1987, Mgr Lefebvre a écrit une lettre au car­di­nal pour pro­po­ser une str­cu­ture cano­nique à la Fraternité. Dans le même temps, il a clai­re­ment mon­tré que l’œ­cu­mé­nisme actuel, sous le sym­bole du rela­ti­visme reli­gieux, la liber­té reli­gieuse, fruit du sécu­la­risme contem­po­rain, et la col­lé­gia­li­té, qui para­lyse com­plè­te­ment la vie de l’Église, étaient inac­cep­tables pour nous. Hélas, encore aujourd’­hui, il demeure des diver­gences sur ce sujet avec le pape régnant.

Quels argu­ments rai­so­nables la Fraternité a‑t-​elle vrai­ment contre la liber­té reli­gieuse dont l’ap­pli­ca­tion joue aujourd’­hui un rôle clé pour la paix mondiale ?

La liber­té reli­gieuse n’est pas, en pre­mier lieu, une ques­tion pra­tique, mais une ques­tion de doc­trine. La condam­na­tion de la liber­té reli­gieuse par les papes n’a jamais impli­qué la volon­té de for­cer les autres à accep­ter la reli­gion catho­lique, mais elle implique que l’État, dans lequel la majo­ri­té de la popu­la­tion est catho­lique, doit recon­naître que la reli­gion catho­lique est la reli­gion révé­lée par Dieu. Dans le même temps, il peut très bien tolé­rer d’autres reli­gions et confes­sions et sanc­tion­ner cette tolé­rance même dans les lois civiles.

Bien sûr, dans notre époque plu­ra­liste, une telle tolé­rance devrait être lar­ge­ment en usage. Mais, dans le même temps, l’er­reur ne sera jamais un droit (natu­rel). À par­tir du moment où un homme est capable de recon­naître Dieu à la lumière de la rai­son et d’être conscient de la vraie reli­gion, alors c’est aus­si vrai pour les hommes d’État ; et c’est exac­te­ment ce que les papes, jus­qu’à Pie XII, ont main­te­nu en condam­nant la liber­té reli­gieuse. Tout le reste es, en fin de compte, de l’agnosticisme.

Les papes récents se sont tous enga­gés dans l’œ­cu­mé­nisme, comme une conso­li­da­tion des confes­sions, selon les mots du Christ « Qu’ils soient Un », comme il l’a prié (Jean 17, 21). Vous élevez-​vous contre cela ?

Chaque dimanche, les fidèles chantent : « Je crois en l’Église une sainte, catho­lique et apos­to­lique » ; la prière du Christ ne se réfère au fait qu’ils ont d’a­bord à deve­nir un. En réa­li­té, au cours de l’his­toire, des groupes ont rom­pu avec cette Église une , par exemple les Grecs au XIe siècle, et Luther et des dis­ciples, au XVIe siècle. Pour tous les chré­tiens sin­cères, c’est une grande dou­leur, aus­si prions-​nous pour le retour de ceux qui se sont sépa­rés de l’Église, de leur mai­son natale.

Jusqu’à aujourd’­huin chaque secte a affir­mé, avec une cer­taine arro­gance vis-​à-​vis de la majo­ri­té, qu’elle déte­nait la véri­té. Mgr Lefebvre était dif­fé­rent. Il a beau­coup souf­fert de la menace de la divi­sion et de l’é­tat d’ur­gence du sta­tut non-​résolu de la Fraternité. La Fraternité s’est-​elle habi­tuée à cette crise ou prend-​elle conscience du dan­ger qu’il y aurait à s’y habituer ?

Un cas d’ur­gence est un cas d’ur­gence, il est anor­mal et on aspire à la nor­ma­li­sa­tion. Mais com­ment pouvons-​nous arri­ver à un com­pro­mis avec les ren­contres d’Assise qui, impli­ci­te­ment (pas expli­ci­te­ment !) pro­clame que toutes les reli­gions sont des che­mins de salut ? Une urgence est une situa­tion d’ur­gence, il est anor­mal et s’ef­force vers la nor­ma­li­sa­tion. Bien sûr, nous souf­frons de la situa­tion actuelle, mais nous souf­frons mille fois plus à cause de ce rela­ti­visme reli­gieux conduit fina­le­ment à l’in­dif­fé­rence et l’a­théisme, et d’in­nom­brables âmes à la perdition

Le pape a mis en jeu sa répu­ta­tion (et l’u­ni­té de toute l’Église) il y a trois ans pour la récon­ci­lia­tion avec la Fraternité. Qu’est-​ce que la Fraternité offre pour se récon­ci­lier avec l’Église ?

Quand elle sera recon­nue cano­ni­que­ment, la Fraternité app­por­te­ra un grand potien­tiel reli­gieux et une grande force de foi à l’in­té­rieur de l’Église. Je vois quelques com­mu­nau­tés ecclé­sias­tiques qui ont choi­si la cause de l’u­ni­té par­faite de la doc­trine, la litur­gie et la spi­ri­tua­li­té, et d’en vivre. Nous appor­tons le grand tré­sor d’a­voir, dès le début, célé­bré l’an­cienne et magni­fique litur­gie, avec cha­risme de la foi et la sainteté.

En outre, la Fraternité sera un grand sou­tien pour le pape contre les chismes latents por­tés, un peu par­tout en Europe, par des forces cen­tri­fuges, voyez l’Autriche, par exemple. Récemment, un arche­vêque alle­mand m’a dit qu’il s’at­ten­dait à la sépa­ra­tion de com­mu­nau­tés entières. 

Ce n’é­tait pas ma ques­tion. Je vous rap­pelle que le pape a tout ris­qué pour la récon­ci­lia­tion, et je vou­drais savoir ce que bous seriez prêts à sacrifier.

Nous allons don­ner la rela­tive liber­té rqui nous a ser­vi pour l’ex­pan­sion mon­diale de notre œuvre et la mettre dans la main du pape. Pour le reste, il ne s’a­git pas d’un accord diplo­ma­tique mais du bien de l’Église et du salut des âmes. Le pro­blème dans l’Église n’est pas la Fraternité, mais les théo­lo­giens moder­nistes et l’ef­fon­dre­ment pro­gres­sif de la vie ecclé­siale depuis le concile Vatican II.

Même les angli­cans trouvent un toit dans l’Église catho­lique. Alors qu’est-​ce qui vous a empê­ché de vous sen­tir chez dans l’Église jus­qu’à présent ?

Fondamentalement les mêmes ten­dances qui ont pous­sé les angli­cans à fuir vers l’Église catho­lique se sont empa­rées de cette même Église depuis le Concile Vatican II, condui­sant à une perte dévas­ta­trice de la foi, à un effon­dre­ment moral, et à un ravage dans la litur­gie. Pensez sim­ple­ment aux messes-​carnavals qui ont péné­trées aujourd’­hui toutes les églises. Vous voyez, j’ai ici le dis­cours du pape aux repré­sen­tants du Comité cen­tral des catho­liques alle­mands, le 24 sep­tembre 2011. Dans ce dis­cours, il dit : « la vraie crise de l’Église dans le monde occi­den­tal est une crise de la foi. Si nous n’arrivons pas à un véri­table renou­vel­le­ment de la foi, toute la réforme struc­tu­relle demeu­re­ra inef­fi­cace ». Par le Concile, ce n’est tout sim­ple­ment pas l’Esprit de l’Église qui est entré dans le monde mais, au contraire, l’es­prit du monde qui est entré dans l’Église

Je ne vous appren­drais pas qu’une petite par­tie au sein (ou aux marges) de la Fraternité n’ac­cepte pas une récon­ci­lia­tion avec le pape. Êtes-​vous dis­po­sé à faire échouer la récon­ci­lia­tion à cause de ce groupe ou êtes-​vous prêt à vous sépa­rer de ce groupe ?

Si, pour la recon­nais­sance cano­nique de la Fraternité, les auto­ri­tés ecclé­sias­tiques romaines ne demandent pas quelque chose de contraire à l’en­sei­gne­ment et à la praxis tra­di­tion­nelles, il n’y aura pas de grand pro­blème pour une régu­la­ri­sa­tion. Si, par contre, Rome devait nous deman­der de recon­naître sans condi­tion l’en­semble de Vatican II, alors je ne vois pas de pos­si­bi­li­té de réconciliation.

Dans le cas d’une récon­ci­lia­tion, com­ment vous distinguerez-​vous de sautre sgroupes qui s eré­clament eux-​mêmes de la Tradition ? En cas d’ac­cord, qu’aurez-​vous que d’autres n’au­rons pas ?

Notre cha­risme spé­cial est la for­ma­tion des prêtres et le soin des prêtres. En outre, la Fraternité s’est spé­cia­li­sée dans la pré­di­ca­tion des Exercices spi­ri­tuels, la direc­tion d’é­coles et, tout sim­ple­ment, le soin des paroisses qui sont aujourd’­hui en grand désar­roi. Il suf­fit de pen­ser au Sacrement de Pénitence qui, par exemple ici à Stuttgart, n’est qua­si­ment plus don­né dans les paroisses, en dehors de quelques excep­tions hono­rables. Cela fait s’a­va­po­rer dans le peuple la conscience du péché, la néces­si­té pour le salut, tout comme la prière, la récep­tion des sacre­ments et l’es­prit de sacrifice.

Certains replacent le tra­vail du pape en faveur de cette récon­ci­lia­tion dans le cadre plus large de l’œ­cu­mé­nisme. Partagez-​vous cette idée ou la craignez-vous ?

Si je ne me trompe pas, cela peut éven­tuel­le­ment s’ap­pli­quer à l’or­tho­doxie, mais en aucun cas aux dif­fé­rents groupes du pro­tes­tan­tisme. En ce qui concerne la pre­mière, tous le sujet est de recon­naître la pri­mau­té de juri­dic­tion du pape. Pour les autres, il demeure tou­jours un écart impor­tant avec de dépôt de la foi catho­lique, autant qu’a­vec l’en­sei­gne­ment et la pra­tique des sacre­ments. Nous ne nous sen­tons aucu­ne­ment cou­pable de cela même si, sur la base de cer­tains argu­ments doc­tri­naux, nous devons résis­ter à cery­taine sdi­rec­tives, comme l’ac­cep­ta­tion de la nou­velle liturgie.

Aucun pape ne vous a plus sou­te­nu que Benoît XVI. Mais il a main­te­nant bien­tôt 85 ans. Ne craignez-​vous pas que le temps tra­vaille contre vous ?

Il est vrai que nous ren­con­trons le pape régnant fait preuve d’une cer­taine bonne volon­té à notre égard, et j’es­père que nous pour­rons trou­ver une solu­tion au cours de son pon­ti­fi­cat. D’un autre côté, la situa­tion de l’Église se fait chaque jour plus dra­ma­tique et le pape lui-​même parle de la perte de la foi dans de nom­breux endroits. Cela n’est-​il pas à mettre en rela­tion avec cer­taines décla­ra­tions du Concile et les réformes post-​conciliaires ? Chez cer­tains pré­lats, une lumière semble s’être allu­mée et plus la crise conti­nue, plus brillante est la lumière. En ce sens, le temps tra­vaille donc pour nous.

Y a‑t-​il plus d’es­poir que de dan­ger qu’un nou­veau schisme entre Rome et la Fraternité soit évi­té d’i­ci Pâques ?

La Fraternité a vu de nom­breuses crises et en est tou­jours sor­tie plus forte. En outre, elle a, et tout se smembres et mai­sons avec elle, était consa­crée à la Vierge le 8 décembre 1984. Je ne crois pas que Dieu laisse tom­ber une œuvre de sa propre mère.

Abbé Franz Schmidberger, supé­rieur du dis­trict d’Allemagne