Emminence,
Au sortir de l’entretien de ce matin, je lis sur le Tempo la communication faite à la presse par le chargé de la salle de presse du Vatican.
A ma grande surprise, je m’aperçois que les entretiens que nous avons eus préparent une réunion de Cardinaux qui doivent prendre une décision qui sera soumise au Saint-Père.
Or ce n’est pas du tout ce que vous m’avez annoncé au début des entretiens, et je ne pense pas que c’est dans ce sens que parlait le Saint-Père, lorsqu’il m’a dit qu’il vous choisissait comme un ami en qui il a toute confiance pour vous confier cette affaire.
Le Directeur de la salle de presse, par ailleurs, nomme les Cardinaux qui seront juges et il se trouve que ceux qui seront présents sont en fait ceux qui m’ont déjà condamné. A quoi bon leur donner un nouveau dossier ? Ils agiront comme ils ont déjà agi lors de cette Commission de Cardinaux, pour lesquels les entretiens étaient de pure forme, la condamnation étant déjà décidée.
Or j’avoue que le refus de m’accorder un témoin devant cinq interrogateurs, la manière dont on m’a tendu des pièges, ce matin en particulier, en voulant me faire affirmer des propositions que je ne voulais pas accepter, ne me donnent aucune confiance dans l’issue de ce procès, contrairement au désir formel du Pape, que vous avez plusieurs fois exprimé vous-même.
J’en appelle donc au Pape lui-même, comme je l’ai fait dans ma lettre de la vigile de Noël.
Quant au procès-verbal, je veux bien le signer, mais après avoir pu l’examiner à tête reposée. Or ces deux séances m’ont fatigué et je ne suis plus en mesure de me rendre à nouveau au Saint-Office pour faire la correction et signer. L’affaire est trop grave, trop importante pour se conclure aussi rapidement.
C’est pourquoi, je me permettrai d’envoyer le prêtre qui m’accompagnait pour que les épreuves lui soient remises, que j’aie ainsi le temps de réfléchir et de proposer quelques retouches avant de signer.
Je pense que c’est une simple mesure de prudence de ma part et qu’elle n’offrira pas de difficulté. Je renverrai le document par la nonciature de Berne dans une huitaine de jours.
Je demanderai donc au Saint-Père que ce soit lui qui juge après avoir pris connaissance de ce document et non des personnes qui m’ont déjà condamné.
Cette lettre est écrite dans le désir d’arriver à une solution et non à une condamnation selon le souhait du Saint-Père lui-même et le vôtre.
Daignez agréer, Eminence, l’expression de mes sentiments respectueux et cordialement dévoués in Christo et Maria.
† Marcel LEFEBVRE, ancien Archevêque-Evéque de Tulle