Eminence Révérendissime,
Je ne puis croire que vous ne compreniez pas les motifs exacts de mon attitude qui est celle de milliers de catholiques et de nombreux prêtres parmi les plus fidèles à l’Eglise catholique et à la Papauté.
Le problème de fond de notre persévérance dans la Tradition, malgré les ordres donnés par Rome pour l’abandonner, c’est un problème de grave et profond changement dans le rapport de l’Eglise avec le monde.
Notre Seigneur et l’Eglise à sa suite se sont situés par rapport au monde d’une manière très précise. Il faut convertir et baptiser le monde pour le soumettre au doux Règne de Notre Seigneur Jésus-Christ. C’est la seule et unique voie de salut. « Allez, enseignez toutes les nations…» C’est clair. Il faut envoyer des apôtres à toutes les nations afin qu’elles deviennent catholiques et acceptent le Règne de Notre Seigneur.
Mais il y a dans ce monde des forces ennemies de Notre Seigneur, de Son Règne. Satan et tous les auxiliaires de Satan, conscients ou inconscients, refusent ce Règne, cette voie de salut et militent pour la destruction de l’Eglise.
Ainsi l’Eglise est engagée avec son Divin Fondateur dans un gigantesque combat. Tous les moyens ont été et sont employés par Satan pour triompher.
L’un des derniers stratagèmes extrêmement efficace est de ruiner l’esprit combatif de l’Eglise en la persuadant qu’il n’y a plus d’ennemis, qu’il faut donc déposer les armes et entrer dans un dialogue de paix et d’entente.
Cette trêve fallacieuse permettra à l’ennemi de pénétrer aisément partout et de corrompre les forces adverses.
Cette trêve c’est l’oecuménisme libéral, instrument diabolique de l’auto-destruction de l’Eglise.
Cet oecuménisme libéral exigera la neutralisation des armes, qui sont la Liturgie avec le Sacrifice de la Messe, les Sacrements, le Bréviaire, les Fêtes liturgiques, la neutralisation et l’arrêt des Séminaires : plus besoin de combattants puisqu’il n’y a plus de combat. L’oecuménisme dans l’enseignement, c’est la recherche théologique, les dogmes mis en doute.
C’est aussi le pluralisme appliqué aux Etats catholiques et donc leur suppression pour devenir Etats oecuméniques.
C’est aussi l’arrêt du combat dans les monastères, les sociétés religieuses, qui étaient les avant-gardes. C’est par le fait même leur arrêt de mort.
A cette entreprise diabolique inaugurée au Concile spécialement par les Documents sur « les religions non chrétiennes », « l’Eglise dans le monde », « la Liberté Religieuse », et continuée sans cesse depuis le Concile, nous opposons un refus formel. Nous ne voulons pas devenir oecuménistes libéraux, et ainsi trahir la cause du Règne de Notre Seigneur et la cause de l’Eglise, nous voulons demeurer catholiques.
Qui est l’instigateur de ce faux oecuménisme dans l’Eglise, le responsable, ou quels sont les responsables ? Nous préférons ne pas le savoir. Dieu le sait.
Mais on peut nous frapper de tous les interdits et de toutes les censures que l’on voudra, nous entendons, avec la grâce de Dieu et l’assistance de la Vierge Marie, demeurer dans la foi catholique et nous refusons de collaborer à la destruction de l’Eglise.
Nous demandons une chose très simple et très légitime : que l’on reconnaisse à ce qui a été l’Eglise de toujours et celle de notre enfance le droit de continuer. C’est un droit fondé sur l’Ecriture, la Tradition, le Magistère de l’Eglise et toute l’histoire de l’Eglise.
Je pense avoir été assez clair.
Je vous prie, Eminence, d’agréer mes sentiments très respectueux et fraternellement dévoués in Xto et Maria.
† Marcel Lefebvre.
P.S. Ci-joint, la réponse à notre demande de précision avec quelques documents.
REPONSE A L’ANNEXE A LA LETTRE DU 16 MARS 1978
Considérations générales sur la situation de l’Eglise depuis le Concile Vatican II qui, seules, permettent une réponse adéquate aux questions posées au sujet de l’Ordo Missæ, au sujet de notre persévérance dans l’activité de la Fraternité Sacerdotale St Pie X malgré les interdictions reçues des Evêques et de Rome.
1 – Nous ne nions rien des principes théologiques et canoniques concernant l’Eglise, le Pape, les Evêques. Bien plus c’est parce que nous y croyons de toute notre âme que nous ne pouvons admettre une utilisation de l’autorité contraire à la fin pour laquelle l’autorité a été reçue. Cette fin est explicitement affirmée dans les Professions de Foi, dans les serments prononcés maintes fois par le Pape et les Evêques. Elle consiste particulièrement dans la transmission fidèle et exacte du dépôt de la foi.
2 – Or nous sommes obligés de constater avec douleur que cette transmission n’est plus fidèle.
L’erreur fondamentale qui mine le Concile Vatican II et les Réformes post-conciliaires, ainsi que la plupart des écrits ou actes épiscopaux est un oecuménisme libéral qui corrompt la Mission fondamentale de l’Eglise.
L’Eglise catholique est missionnaire selon la Mission donnée par Notre Seigneur Jésus-Christ : « Allez, enseignez toutes les nations, baptisez-les…» Elle seule possède la Vérité. Elle seule est la vraie religion parce qu’elle seule a été fondée par Notre Seigneur Jésus-Christ.
Elle va à travers les nations pour convertir les âmes à Jésus-Christ. C’est le vrai dialogue émanant de la vraie charité.
L’oecuménisme libéral suppose que les autres religions, les autres idéologies ont aussi la vérité, que l’Eglise a à apprendre quelque chose d’elles, ce qui est un manque de foi en Notre Seigneur Jésus-Christ. Cet oecuménisme dialogue avec l’erreur sur un pied d’égalité et traite donc l’erreur avec les mêmes égards que la Vérité.
C’est l’erreur libérale, tant de fois condamnée par les Papes précédents.
3 – De cette erreur libérale sortent toutes les initiatives nouvelles, toutes les Réformes post-conciliaires ; toutes les attitudes des hommes d’Eglise acquis à cette erreur s’en ressentent, tous les écrits de même.
C’est un empoisonnement général.
Les Réformes liturgiques sont réalisées dans cet esprit oecuménique de l’aveu même des Réformateurs. La catéchèse, les Séminaires, les Universités catholiques diffusent cet esprit oecuménique, en recherchant la Vérité de l’erreur. Ainsi l’erreur et le vice pénètrent partout sous le couvert d’évangélisme, de responsabilité humaine, de dignité humaine, de droit de l’homme, de théologie de la libération. Les âmes et les cœurs de la jeunesse sont ainsi corrompus par des maîtres catholiques, qui d’ailleurs appellent à leur secours des rabbins, des pasteurs, etc…
Cet esprit de compromission s’étend nécessairement aux idées politiques, sociales, économiques et rejoint les principes de la franc-maçonnerie et les principes marxistes. Le pluralisme est alors appliqué à tous les Etats catholiques sous le couvert de « Liberté religieuse ».
4 – C’est l’abandon de l’esprit catholique de Mission et de conversion à Notre Seigneur Jésus-Christ et donc de la vraie charité envers Dieu et envers le prochain basée sur l’humilité, l’esprit de pauvreté et la mortification. Ce n’est plus Notre Seigneur et Notre Seigneur crucifié qui est prêché mais un faux évangile de la licence, sous prétexte de Liberté.
C’est donc notre foi catholique qui est dénaturée et compromise par les autorités ecclésiastiques elles-mêmes.
5 – CONCLUSION : Nous avons fait serment maintes fois de garder intacte notre foi catholique, quoi qu’il arrive. Nous ne voulons pas être parjures. Les catholiques fidèles sont désemparés, leurs âmes, celles de leurs enfants surtout sont en danger, notre devoir est de venir à leur secours en les mettant en garde contre le poison de l’oecuménisme libéral, et en leur apportant tous les secours de l’Eglise catholique.
Dussions-nous être frappés, morigénés, persécutés par nos frères à cause de notre foi catholique, nous ne sommes pas les premiers à souffrir ce genre de persécution.
Nous avons résolu qu’avec la grâce de Dieu nous continuerons à former des prêtres catholiques, des religieux et religieuses catholiques, espoir de l’Eglise de demain. Ainsi continue la vraie Mission de l’Eglise catholique de toujours, celle d’amener les âmes à Jésus-Christ et d’étendre son Règne partout afin que « Sa Volonté soit faite sur la terre comme au ciel ».
6 – Nous souhaitons de tout cœur nous retrouver en pleine communion avec les autorités dans l’Eglise, mais ne pouvons le réaliser que dans l’unité de la foi catholique et non dans l’oecuménisme libéral.
Considérations plus particulières
- Ce changement de conception de la Mission de l’Eglise a eu comme conséquence de corrompre le Droit Canon et le Droit public de l’Eglise et d’en énerver les principes fondamentaux.
- L’autorité ecclésiastique perdant de vue sa véritable fin, prend nécessairement la voie des abus de pouvoir et de l’arbitraire.
- Les promulgations des lois sont douteuses, falsifiées. Les droits de la défense ne sont plus respectés. Les procédures ne sont plus conformes au droit. C’est l’injustice qui prend la place de la justice.
- C’est le cas de la promulgation des décrets liturgiques.
- C’est le cas de notre condamnation où tout a été arbitraire et contraire au droit.
- Les principes élémentaires de morale et de droit rappelés si clairement par le Pape Léon XIII dans son Encyclique Libertas praestantissimum nous apprennent que dans ces cas l’autorité perd son droit à l’obéissance.
Dans ce cas ce n’est pas mépriser l’autorité que de ne pas lui obéir, c’est au contraire lui rappeler le respect qu’elle doit avoir de l’autorité qu’elle a reçue de Dieu et qui l’oblige à agir selon le droit établi par Dieu.
- En ce qui concerne la juridiction, nous faisons appel aux circonstances extraordinaires prévues par le Droit et à l’extrême nécessité dans laquelle se trouvent les âmes des fidèles.
- Ci-joint, quelques documents récents qui confirmeront ce que nous avons exposé ci-dessus :
un article de Rivarol ;
un extrait de la Documentation Catholique ;
un opuscule Pro Missa Traditionali de Don Pace de Turin ;
une copie de la lettre du Cardinal Seper concernant les documents de la catéchèse du C.N.P.L. de Paris.