28 janvier 1978

Lettre du cardinal Seper à Mgr Lefebvre du 28 janvier 1978

Excellence,

Sa Sainteté le Pape Paul VI a char­gé la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi d’exa­mi­ner votre situa­tion dans l’Eglise au point de vue des posi­tions doc­tri­nales que vous avez prises dans vos décla­ra­tions et vos écrits et qui s’ex­priment aus­si dans vos entreprises.

L’examen appro­fon­di deman­dé par le Saint-​Père a été accom­pli en confor­mi­té avec la Ratio agen­di de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (A.A.S. 63 1971 234–236) et avec un réel sou­ci d’ob­jec­ti­vi­té. Malheureusement on a dû rele­ver, dans vos décla­ra­tions orales ou écrites, des erreurs et des opi­nions dan­ge­reuses qui se mani­festent aus­si dans votre manière d’agir.

La Ratio agen­di de la Congrégation pres­crit : « 13. Propositiones enun­tia­tae, quae erra­tae vel per­icu­lo­sae habi­tae sunt, ipsi auc­to­ri signi­fi­can­tur, ut, intra unum men­sem uti­lem, scrip­tam suam res­pon­sio­nem trans­mit­tere pos­sit. Quodsi insu­per opus sit col­lo­quio, auc­tor invi­ta­bi­tur, ut cum viris a Sacra Congregatione depu­ta­tis conve­niat et confe­rat ».

Je vous demande donc, Excellence, de prendre connais­sance devant Dieu de la noti­fi­ca­tion offi­cielle que la Congrégation pour la Doctrine de la Foi vous envoie. Vous la trou­ve­rez avec des expli­ca­tions oppor­tunes dans l’Annexe ci-​après.

Elle contient de graves cri­tiques, qui ne sont pas pour autant des juge­ments sans appel. Cette Congrégation vous demande à leur sujet, dans le délai pré­vu par la Ratio agen­di à l’ar­ticle pré­cé­dem­ment cité, des réponses aux­quelles vous êtes en droit de don­ner diverses formes : depuis celle d’une jus­ti­fi­ca­tion ou de l’é­clair­cis­se­ment d’un mal­en­ten­du, jus­qu’à celle de l’a­veu confiant d’une erreur que vous seriez prêt à cor­ri­ger, ou d’une dévia­tion que vous vou­driez redresser.

Ces réponses seront étu­diées avec un inté­rêt bien­veillant ; car la Congrégation pour la Doctrine de la Foi désire ardem­ment qu’a­vec l’aide du Seigneur vous puis­siez trou­ver le che­min d’une vraie récon­ci­lia­tion avec le Vicaire de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ et son Eglise.

Veuillez agréer, Excellence, l’as­su­rance de ma prière et l’ex­pres­sion de mon dévoue­ment en Notre-Seigneur.

Franc. Card. Seper, Préf.
fr. Jérôme Hamer, O. P. secr.

ANNEXE

Dans cette Annexe, Monseigneur, on relè­ve­ra des asser­tions qui se trouvent dans vos dis­cours ou vos écrits et que la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi estime dan­ge­reuses ou erro­nées. On met­tra cer­taines d’entre elles en rela­tion avec vos entre­prises et votre com­por­te­ment, quand ceux-​ci semblent contri­buer à en éclai­rer la por­tée. L’annexe com­pren­dra deux par­ties qui auront, cha­cune, leurs sub­di­vi­sions. La pre­mière par­tie trai­te­ra d’as­ser­tions par­ti­cu­lières sur :

  1. la liber­té reli­gieuse d’a­près Vatican II ;
  2. l’Ordo Missæ pro­mul­gué par le Pape Paul VI ;
  3. le rite de la Confirmation éga­le­ment pro­mul­gué par lui.

La deuxième par­tie aura pour objet des asser­tions plus générales :

  1. sur l’au­to­ri­té du Concile Vatican II ;
  2. sur l’au­to­ri­té du Pape Paul VI.

I. Assertions particulières

1. La Liberté religieuse selon le Concile Vatican II

Bien des fois, Monseigneur, vous vous êtes expri­mé à son sujet, – par exemple dans le texte sui­vant : « Jamais ce terme-​là [celui de liber­té reli­gieuse] n’a été com­pris dans le sens admis par le Concile. Tous les docu­ments pré­cé­dents de l’Eglise qui parlent de la liber­té reli­gieuse entendent par­ler de la liber­té de la reli­gion [vraie] et jamais de la liber­té des reli­gions. Toujours, lorsque l’Eglise a par­lé de cette liberté-​là, elle a par­lé de la liber­té de la reli­gion [vraie] et de la tolé­rance vis-​à-​vis des autres reli­gions. On tolère l’er­reur. Lui don­ner la liber­té, c’est lui don­ner un droit : or elle n’en a pas. La véri­té seule a des droits. Admettre la liber­té des reli­gions, c’est don­ner le même droit à la véri­té qu’à l’er­reur. Cela est impos­sible. Jamais l’Eglise ne peut dire une chose pareille. A mon avis, oser dire cela est blas­phé­mer… Si nous avons la foi, nous n’a­vons pas le droit d’ad­mettre cela ; c’est l’er­reur du droit com­mun qui a été condam­née par Pie IX et tous les Papes » [1].

Cette décla­ra­tion appelle les remarques suivantes

  1. La Déclaration sur la liber­té reli­gieuse doit être lue dans le contexte des autres docu­ments conci­liaires, en par­ti­cu­lier la Constitution dog­ma­tique Lumen Gentium. Elle dit clai­re­ment que l”«unique et vraie reli­gion (…) sub­siste dans l’Eglise catho­lique et apos­to­lique, à qui le Seigneur Jésus a confié le man­dat de la faire connaître à tous les hommes » (Dignitatis Humanæ, 1).
  2. Le Concile n’en­seigne nul­le­ment cet indif­fé­ren­tisme reli­gieux condam­né par les Papes. Il affirme au contraire que les hommes ont l’o­bli­ga­tion morale de cher­cher la véri­té, de la recon­naître et de régler toute leur vie selon ses exi­gences (Dignitatis Humanæ, 2). Il rap­pelle aux fidèles le devoir de l’a­pos­to­lat mis­sion­naire et celui de se for­mer la conscience par la doc­trine « sainte et cer­taine » de l’Eglise catho­lique « maî­tresse de véri­té de par la volon­té du Christ » (cf. D.H., 14).
  3. Le Concile recon­naît à la per­sonne humaine le droit à la liber­té reli­gieuse, c’est-​à-​dire le droit d’être à l’é­gard de tout pou­voir humain, exempte de contrainte (coer­ci­tio) en matière de recherche, de choix, de pro­fes­sion même publique d’une reli­gion (D.H., 2). Il fonde ce droit non pas sur un pré­ten­du « droit » égal de ou à la véri­té et à l’er­reur, mais sur la trans­cen­dance de la per­sonne et de ses choix ultimes à l’é­gard de la socié­té civile, sur le mode conna­tu­rel à l’homme de tendre à la véri­té et de la recon­naître selon le juge­ment de sa conscience et sur la liber­té de l’acte de foi. (D.H. 2, 3, 10.)
  4. L’affirmation de ce droit à la liber­té reli­gieuse est dans la ligne des docu­ments pon­ti­fi­caux anté­rieurs (cf. D.H., 2, note 2) qui, face aux excès de l’é­ta­tisme et aux tota­li­ta­rismes modernes ont affir­mé les droits de la per­sonne humaine. Par la Déclaration conci­liaire, ce point de doc­trine entre clai­re­ment dans l’en­sei­gne­ment du Magistère et, bien qu’il ne soit pas l’ob­jet d’une défi­ni­tion, il réclame doci­li­té et assen­ti­ment (cf. Const. Dogm. Lumen Gentium, 25).

Il n’est donc pas licite aux fidèles catho­liques de le reje­ter comme erro­né, mais ils doivent l’ac­cep­ter selon le sens et la por­tée exacte que lui a don­né le Concile, compte tenu de « la doc­trine catho­lique tra­di­tion­nelle sur le devoir moral de l’homme et des socié­tés envers la vraie reli­gion et l’u­nique Eglise du Christ » (cf. D.H., 1).

2. L’Ordo Missae promulgué par le Pape Paul VI

Votre cri­tique de l’Ordo Missae pro­mul­gué par Paul VI va loin au-​delà d’une pré­fé­rence litur­gique, elle a un carac­tère essen­tiel­le­ment doc­tri­nal. Vous dites avec rai­son qu’il y a trois réa­li­tés essen­tielles au Sacrifice de la Messe : « Le Prêtre… la pré­sence réelle et sub­stan­tielle de la Victime qui est le Christ… l’o­bla­tion sacri­fi­cielle réa­li­sée par le prêtre dans la Consécration » (Un évêque parle… p. 142). Malheureusement vous ajou­tez que « toute la Réforme [litur­gique] direc­te­ment ou indi­rec­te­ment porte atteinte à ces trois Vérités essen­tielles à la foi catho­lique », que « tout ce qui a été pres­crit se res­sent clai­re­ment [d’une] nou­velle concep­tion plus proche de la concep­tion pro­tes­tante que de la concep­tion catho­lique » (loc. cit.). Et vous décla­rez : « Il n’y a plus rien dans cette nou­velle concep­tion de la Messe… C’est pour­quoi je ne vois pas com­ment on peut faire un sémi­naire avec cette nou­velle Messe » [2]. Vous vous gar­dez cepen­dant de dire que la nou­velle Messe est héré­tique : « Jamais », assurez-​vous, vous ne direz cela (op. cit., p. 228). Mais les « chan­ge­ments du nou­veau rite » sont propres à faire que les « jeunes prêtres perdent l’in­ten­tion de faire ce que fait l’Eglise et ne disent plus de messes valides » [3]. Malheureusement il vous arrive de par­ler d’une manière beau­coup moins modé­rée : « Comment peut-​on hési­ter – dites-​vous entre une messe qui est un véri­table Sacrifice et une messe qui est en défi­ni­tive un culte pro­tes­tant, un repas, une eucha­ris­tie, une cène comme le disait déjà Luther ?» [4] On peut voir, dans cette der­nière expres­sion un excès de lan­gage (condam­nable certes), mais le reste est déjà suf­fi­sam­ment grave.

Un fidèle ne peut en effet mettre en doute la confor­mi­té avec la doc­trine de la foi d’un rite sacra­men­tel pro­mul­gué par le Pasteur suprême, sur­tout s’il s’a­git du rite de la Messe qui est au cœur de la vie de l’Eglise.

Certes, il faut main­te­nir le lien entre le prêtre et l’ac­com­plis­se­ment du sacri­fice de la Messe dans la consé­cra­tion (et la trans­sub­stan­tia­tion). L’Ordo missæ de Paul VI le fait, en réser­vant au prêtre seul les paroles de la consé­cra­tion et l’en­semble du canon, tout comme dans le rite antérieur.

La nou­velle litur­gie eucha­ris­tique ne porte pas atteinte à la foi en la pré­sence réelle et sub­stan­tielle du Christ sous les appa­rences du pain et du vin. Si le nombre de génu­flexions est res­treint, celles-​ci sont main­te­nues pour­tant comme signe d’a­do­ra­tion aux moments culmi­nants de la messe : la consé­cra­tion et la com­mu­nion. La foi tra­di­tion­nelle en la pré­sence réelle demeure par­fai­te­ment signi­fiée par l’é­lé­va­tion et la prière finale du canon ; elle est mise en relief dans la dis­tri­bu­tion de la com­mu­nion, et affir­mée clai­re­ment dans beau­coup d’o­rai­sons après la communion.

Enfin le carac­tère sacri­fi­ciel et pro­pi­tia­toire de la messe, abso­lu­ment réaf­fir­mé confor­mé­ment au Concile de Trente dans le Proemium n° 2 de l’Institutio gene­ra­lis du nou­veau Missel Romain, est signi­fié clai­re­ment et expres­sé­ment non seule­ment dans beau­coup de prières après l’of­frande des oblats, mais éga­le­ment dans les Canons.

Du reste, vous-​même admet­tez bien la vali­di­té du nou­vel Ordo Missae, sus­pec­tant seule­ment la valeur de l’in­ten­tion chez beau­coup de ceux qui l’ap­pliquent. Pourtant, vos décla­ra­tions à son sujet et votre oppo­si­tion à son usage répandent par­mi les fidèles la défiance, le désar­roi, voire la rébellion.

Vous avez sou­vent vou­lu jus­ti­fier votre oppo­si­tion par la néces­si­té de com­battre les abus et le désordre qui accom­pagnent en bon nombre de pays la mise en œuvre de la réforme litur­gique. Ce n’est cepen­dant pas en jetant la sus­pi­cion sur l’or­tho­doxie d’un Ordo Missae pro­mul­gué par l’Autorité suprême de l’Eglise que vous par­vien­drez à un résul­tat positif.

3. Le sacrement de la Confirmation

Vous avez décla­ré : «[Les ministres du sacre­ment de la confir­ma­tion] doivent pré­ci­ser la grâce spé­ciale du Sacrement par lequel se donne l’Esprit-​Saint. Si on ne dit pas cette parole : Ego confir­mo te in nomine Patris…, il n’y a pas de sacre­ment » [5]. Et vous avez ajou­té : « Maintenant une for­mule cou­rante est ″Je te signe de la Croix et reçois le Saint Esprit″»

Le nou­vel Ordo Confirmationis pro­mul­gué par Paul VI, pres­crit la « forme » sui­vante du sacre­ment : « Accipe signa­cu­lum Doni Spiritus Sancti » (1971) ; et le Rituel fran­çais publié après ce nou­vel Ordo tra­duit : « Reçois la marque de l’Esprit Saint qui t’est don­né ». Cette tra­duc­tion est bonne.

En rela­tion avec ce que vous pen­sez, Monseigneur, sur la « forme » du sacre­ment de la confir­ma­tion, il vous est arri­vé plu­sieurs fois de confé­rer illi­ci­te­ment la confir­ma­tion, voire de faire des « recon­fir­ma­tions ». Mais savez-​vous que la « forme » adop­tée par Paul VI est la forme du rite byzan­tin de la confir­ma­tion très anté­rieure au schisme d’Orient (on la voit appa­raître dès le qua­trième siècle) ? Et inver­se­ment que la for­mule «…Confirmo te », absente pen­dant de longs siècles, s’est répan­due au cours du Moyen-âge ?

Votre affir­ma­tion pré­ci­tée est donc injus­ti­fiable et l’on pour­rait par­ler d’une erreur objec­ti­ve­ment proche de l’hé­ré­sie. Elle revient à dire que pen­dant des siècles l’Eglise n’au­rait pas eu de confir­ma­tion valide et en outre elle mécon­naît la doc­trine catho­lique concer­nant le pou­voir de l’Eglise sur les rites sacra­men­tels, res­tant sauve la « sub­stance » des sacre­ments [6].

4. Le sacrement de la Pénitence

Vous avez décla­ré, dans un dis­cours du Vendredi Saint de 1977 : « Les abso­lu­tions géné­rales peuvent exci­ter à la contri­tion, elles ne sont pas sacra­men­telles » [7]. Vous avez en vue d’a­près le contexte l’Ordo pour la récon­ci­lia­tion de plu­sieurs péni­tents avec confes­sion et abso­lu­tion géné­rales. Mais depuis long­temps la doc­trine com­mune des théo­lo­giens est qu’en cas de néces­si­té, une abso­lu­tion col­lec­tive sans confes­sion des dif­fé­rents péchés graves est valide et licite. Reste l’o­bli­ga­tion de sou­mettre direc­te­ment au pou­voir des clés les péchés graves qui n’ont pu être confes­sés. Le 25 mars 1944, la Sacrée Pénitencerie a émis une Instruction où elle déter­mine dans quels cas spé­ciaux ces abso­lu­tions sont licites. Le 16 juin 1972, la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi a pro­mul­gué des Normes pas­to­rales cir­ca abso­lu­tio­nem sacra­men­ta­lem gene­ra­li modo imper­tien­dam, qui ont été ensuite insé­rées dans les Praenotanda du nou­vel Ordo pae­ni­ten­tiae (nn. 31–34). Ces Normes (qui main­tiennent l’o­bli­ga­tion de com­plé­ter l’ab­so­lu­tion don­née col­lec­ti­ve­ment en cas de néces­si­té, par la confes­sion des péchés graves) res­tent tout à fait dans la ligne de l’Instruction anté­rieure. Les abus que l’on peut consta­ter dans l’u­sage des abso­lu­tions col­lec­tives ne peuvent jus­ti­fier votre décla­ra­tion géné­rale selon laquelle ces abso­lu­tions ne sont pas sacramentelles.

II. Assertions plus générales

1. Remarque préliminaire

Les décla­ra­tions plus ou moins géné­rales, Monseigneur, que vous avez faites contre l’au­to­ri­té du Concile Vatican II et contre celle du Pape Paul VI, traitent sou­vent de ces deux points à la fois. Néanmoins on consi­dé­re­ra ici d’a­bord vos décla­ra­tions qui ne concernent que l’au­to­ri­té du Concile ou la concernent plus direc­te­ment, ensuite celles qui ne concernent que l’au­to­ri­té de Paul VI ou la concernent, principalement.

Ces décla­ra­tions sont d’au­tant plus graves qu’elles s’u­nissent à une praxis qui va dans le même sens qu’elles. Elles font que natu­rel­le­ment la ques­tion se pose : ne se trouve-​t-​on pas devant un mou­ve­ment schis­ma­tique ? Cette ques­tion doit être exa­mi­née objec­ti­ve­ment. Rappelons, car elle devra éclai­rer cet exa­men, la défi­ni­tion du schis­ma­ti­cus pro­po­sée par le Droit cano­nique : « Si [quis] denique subesse renuit Summo Pontifici aut cum mem­bris Ecclesiae ei subiec­tis com­mu­ni­care recu­sat, schis­ma­ti­cus est » [8]. Il y a donc deux refus (étroi­te­ment liés entre eux) qui font, cha­cun, qu’un chré­tien soit schis­ma­tique : le refus (pra­tique) de res­ter un sujet du Souverain Pontife, et le refus de la com­mu­nion avec les membres, de l’Eglise qui lui demeurent soumis.

2. L’autorité de Vatican II

Vous ne vous conten­tez pas, Monseigneur, de contes­ter comme contraires à la Tradition la Déclaration de Vatican II sur la liber­té reli­gieuse et cer­taines affir­ma­tions conci­liaires iso­lées, vous dénon­cez aus­si, dans l’en­sei­gne­ment du Concile, un esprit très lar­ge­ment oppo­sé au mes­sage chrétien.

Vous écri­vez en effet dans votre livre, J’accuse le Concile (1976), p. 5 : « Des orien­ta­tions libé­rales et moder­nistes se firent jour [au Concile] et eurent une influence pré­pon­dé­rante, grâce au véri­table com­plot des Cardinaux des bords du Rhin mal­heu­reu­se­ment sou­te­nus par Paul VI ». Et puis, aux pages 7–9 du même livre : « Nous sommes fon­dés à affir­mer… que l’es­prit qui a domi­né au Concile et en a ins­pi­ré tant de textes ambi­gus et équi­voques et même fran­che­ment erro­nés, n’est pas l’Esprit-​Saint, mais l’es­prit du monde moderne, esprit libé­ral, teil­har­dien, moder­niste, oppo­sé au règne de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. Toutes les réformes et orien­ta­tions offi­cielles de Rome sont deman­dées et impo­sées au nom du Concile. Or ces réformes et orien­ta­tions sont toutes de ten­dances fran­che­ment pro­tes­tantes et libé­rales… Les bons textes ont ser­vi pour faire accep­ter les textes équi­voques, minés, pié­gés. Il nous reste une solu­tion : aban­don­ner ces témoins dan­ge­reux pour nous atta­cher fer­me­ment à la Tradition, soit au Magistère offi­ciel de l’Eglise pen­dant vingt siècles ». Déjà votre Déclaration du 21 novembre 1974 ren­dait le même son [9].

Cette sorte de condam­na­tion glo­bale du Concile, mal­gré de « bons textes », à cause « d’o­rien­ta­tions libé­rales et moder­nistes » qui y eurent « une influence pré­pon­dé­rante », qui per­mettent de dire que « l’es­prit qui a domi­né le Concile… est un esprit libé­ral, teil­har­dien, moder­niste, oppo­sé au règne de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ » au point qu”«il nous reste une solu­tion : aban­don­ner ces témoins dan­ge­reux, pour nous atta­cher fer­me­ment à la Tradition », cette sorte de condam­na­tion glo­bale, doit-​on dire, est sin­gu­liè­re­ment grave.

Car la voix du Concile a été celle de l’en­semble de l’é­pis­co­pat uni à son chef, le Successeur de Pierre, et c’est l’en­semble de l’é­pis­co­pat romain sou­mis au Pape avec le peuple fidèle qui admet le Concile et les réformes conci­liaires. Si l’on prend vos paroles dans la plé­ni­tude de leur sens, n’est-​on pas fon­dé à dire que vous refu­sez ou que vous êtes près de refu­ser la com­mu­nion avec les membres de l’Eglise sou­mis au Pape. Et votre praxis ne cor­rige point les choses. En effet, vous ordon­nez des prêtres contre la volon­té for­melle du Pape et sans les lit­te­rae dimis­so­riae requises par le Droit Canonique ; vous envoyez des prêtres ordon­nés par vous dans des prieu­rés où ils exercent leur minis­tère sans l’au­to­ri­sa­tion de l’Ordinaire du lieu ; vous faites des dis­cours propres à répandre vos idées dans des dio­cèses dont l’é­vêque vous refuse son consen­te­ment ; avec des prêtres que vous avez ordon­nés et qui ne dépendent en fait que de vous, vous com­men­cez, que vous le vou­liez ou non, à for­mer un grou­pe­ment propre à deve­nir une com­mu­nau­té ecclé­siale dissidente.

A ce pro­pos il faut rele­ver l’é­ton­nante décla­ra­tion que vous avez faite [10] au sujet de l’ad­mi­nis­tra­tion du sacre­ment de péni­tence par les prêtres que vous avez illi­ci­te­ment ordon­nés et qui ne sont pas pour­vus de la facul­té d’en­tendre les confes­sions. Vous esti­miez que ces prêtres avaient la juri­dic­tion pré­vue par le Droit cano­nique pour les cas de néces­si­té : « Je pense, disiez-​vous, que nous nous trou­vons dans des cir­cons­tances non pas phy­siques, mais morales extra­or­di­naires, telles que nos jeunes prêtres ont le droit d’u­ti­li­ser ces facul­tés extra­or­di­naires ». N’était-​ce pas rai­son­ner comme si la hié­rar­chie légi­time avait ces­sé d’exis­ter dans les régions où ces prêtres se trouvaient ?

Il est vrai que, dans vos décla­ra­tions plus ou moins géné­rales contre le Concile et les réformes deman­dées par lui, il est juste de faire la part de l’é­mo­ti­vi­té ou, comme vous l’a­vez dit, « d’un sen­ti­ment d’in­di­gna­tion, sans doute exces­sive » [11]. Il est vrai aus­si que vous avez décla­ré, à plu­sieurs reprises, que vous ne consa­cre­rez pas d’é­vêque et que vous avez affir­mé votre convic­tion de « demeu­rer fidèle à l’Eglise Catholique et Romaine, et à tous les suc­ces­seurs de Pierre » [12]. Oui, mais tout ceci suffit-​il à effa­cer ce qui précède ?

3. L’autorité du Pape Paul VI

Au sujet de l’au­to­ri­té du Pape Paul VI et plus pré­ci­sé­ment de l’at­ti­tude qu’il convient de prendre vis-​à-​vis de son auto­ri­té, vous avez des affir­ma­tions qui dif­fèrent entre elles.

Il arrive que vous parais­siez, dans des textes pris iso­lé­ment, la récu­ser d’une manière fort géné­rale. Ainsi dans la phrase mise en exergue à votre livre Un évêque parle… : « Le coup magis­tral de Satan est d’être arri­vé à jeter [l’en­semble de l’Eglise] dans la déso­béis­sance à toute la tra­di­tion par obéis­sance [au Concile et à la réforme conci­liaire pres­crite par le Saint-​Siège]». Ainsi encore dans cette phrase de Fraternité sacer­do­tale S. Pie X, Lettre aux amis et bien­fai­teurs, n° 9 (octobre 1975) : « C’est parce que nous esti­mons que toute notre foi est en dan­ger par les réformes et les orien­ta­tions post­con­ci­liaires que nous avons le devoir de « déso­béir » et de gar­der les tra­di­tions. C’est le plus grand ser­vice que nous pou­vons rendre à l’Eglise catho­lique, au suc­ces­seur de Pierre, au salut des âmes et de notre âme, que de refu­ser l’Eglise réfor­mée et libé­rale, car nous croyons en Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, le Fils de Dieu fait homme, qui n’est ni libé­ral ni réfor­mable ». [13]

Par ailleurs vous avez des textes qui affirment avec force votre sou­mis­sion au suc­ces­seur actuel de Pierre, le Pape Paul VI : « Votre Sainteté – écrivez-​vous – sait par­fai­te­ment quelle est la foi que je pro­fesse, qui est celle de son Credo, et connaît éga­le­ment ma pro­fonde sou­mis­sion au Successeur de Pierre que je renou­velle dans les mains de Votre Sainteté » [14]. Vous répon­dez aus­si à l’ab­bé de Nantes, qui vous avait lais­sé entendre qu’une rup­ture « d’un évêque avec Rome » serait « sou­hai­table » : « Sachez que, si un évêque rompt avec Rome, ce ne sera pas moi » [15].

Comment ces textes dif­fé­rents s’accordent-​ils ? Vous l’ex­pli­quez sou­vent. Vous dites par exemple : « Nous sommes les plus ardents défen­seurs de son auto­ri­té [celle du Pape actuel] comme suc­ces­seur de Pierre… Nous applau­dis­sons au Pape écho de la Tradition et fidèle à la trans­mis­sion du dépôt de la Foi. Nous accep­tons les nou­veau­tés inti­me­ment conformes à la Tradition et à la Foi. Nous ne nous sen­tons pas liés par l’o­béis­sance à des nou­veau­tés qui vont contre la tra­di­tion et menacent notre Foi » [16]. Bref, vous accep­tez d’o­béir au Pape en tant qu’il agit comme vrai suc­ces­seur de Pierre et vous refu­sez d’o­béir au Pape en tant qu’il agit d’une manière oppo­sée. Ceci a lieu (d’a­près vos textes déjà cités dans ce para­graphe et dans le pré­cé­dent) dans l’en­semble de la réforme post-​conciliaire de Paul VI.

Cette dis­tinc­tion ne jus­ti­fie objec­ti­ve­ment pas votre atti­tude. Nous avons déjà dit pour­quoi vos objec­tions majeures contre les déci­sions du Pape en matière litur­gique ne sont pas accep­tables. Il convient en outre de rap­pe­ler ici que le Pape a la potes­tas supre­ma iuris­dic­tio­nis « non solum in rebus quae ad fidem et mores sed etiam in iis quae ad dis­ci­pli­nam et regi­men Ecclesiae per totum orbem dif­fu­sae per­ti­nent » [17].

L’obéissance qui lui est due [18] s’ex­prime notam­ment en notre temps par l’adhé­sion de l’en­semble des évêques avec la grande majo­ri­té de leur peuple au Concile Vatican II et aux déci­sions par les­quelles le Pape Paul VI en a mis en œuvre les dis­po­si­tions. Cela ne devrait-​il pas suf­fire pour vous faire mettre un grave coef­fi­cient de doute à ce que vous et vos amis pro­cla­mez imper­tur­ba­ble­ment et fina­le­ment pour vous rame­ner à une sou­mis­sion libératrice ?

4. Conclusion de cette deuxième partie

Tout en demeu­rant prête à écou­ter votre réponse, la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi estime que, par vos décla­ra­tions sur la sou­mis­sion au Concile et aux réformes post­con­ci­liaires de Paul VI, décla­ra­tions aux­quelles s’ac­cordent tout un com­por­te­ment et en par­ti­cu­lier des ordi­na­tions sacer­do­tales illi­cites, vous êtes tom­bé dans une déso­béis­sance grave, et que cet ensemble de décla­ra­tions et d’actes, de par leur logique propre, conduisent à un schisme. Elle connaît les bonnes inten­tions que vous mani­fes­tez, mais estime que celles-​ci ne jus­ti­fient pas votre insubordination.

III. Remarques finales

Cette annexe, Monseigneur, est une « contes­ta­tion » ; son objet est donc limi­té. Elle ne parle pas des mérites que vous avez accu­mu­lés au cours d’une longue car­rière mis­sion­naire et épis­co­pale, elle ne fait qu’al­lu­sion, pour ce qui concerne votre situa­tion pré­sente, à des cir­cons­tances atté­nuantes de diverses natures. Mais la Congrégation qui vous écrit n’i­gnore pas ces choses.

Elle sou­haite ardem­ment votre récon­ci­lia­tion plé­nière avec le Pape et avec l’Eglise. Elle pense que celle-​ci est pos­sible, avec une grande grâce de lumière qu’elle sup­plie le Seigneur de vous accor­der. Elle est sûre que le Vicaire du Christ n’at­tend qu’une mani­fes­ta­tion réelle de sou­mis­sion de votre part, pour vous accueillir comme un père et qu’il vou­dra que soit sau­vé tout ce que vos œuvres ont de valable.

Elle croit qu’en choi­sis­sant la voie de la sou­mis­sion, vous appor­te­rez à l’Eglise un immense bien­fait, vous vous gran­di­rez aux yeux des hommes et, ce qui compte sou­ve­rai­ne­ment, vous agi­rez en vrai dis­ciple du Christ qui nous a sau­vés par Son humble obéis­sance (Ph. 2, 8).

Notes de bas de page
  1. M. Lefebvre, Un évêque parle, Jarzé, 1976. p. 196–197[]
  2. op. cit., p. 163[]
  3. op. cit., p. 285–286 ; cfr. p. 143, 196[]
  4. Discours : Pour l’homme de l’Eglise, p. 20.[]
  5. Un évêque parle, p. 287[]
  6. cf. Conc. Trid. Sess. XXI, Doctrina de com­mu­nione sub utraque spe­cie et par­vu­lo­rum, DS 1728 ; Pie XII, Const. Apost. Sacramentum Ordinis, 30.11.1947, DS 3857, 3858 ; Paul VI, Const. Apost. Divinae Consortium Naturae, 15.8.1971. AAS LXIII (1971) p. 657–664[]
  7. Un évêque parle, p. 151[]
  8. C.I.C., can. 1325, 2[]
  9. Un évêque…, p. 270–272[]
  10. Conférence de presse du 15.9.1976 in Itinéraires, déc. 1976, p. 126–127[]
  11. Un évêque parle, p. 292[]
  12. op. cit., p. 272[]
  13. Note. Ce texte est repro­duit dans Un évêque parle…, p. 323, mais dans la pre­mière phrase le mot « toute » est sup­pri­mé.[]
  14. Lettre du 22-​VI-​1976[]
  15. Un évêque…, p. 273[]
  16. Lettre aux amis et bien­fai­teurs, n° 9, oct. 1975 ; cfr. Un évêque…, p. 323[]
  17. Conc. Vat. 1, Const. Pastor Aeternus, DS 3064[]
  18. ibid. DS 3060[]