Aux patriarches, primats, archevêques, évêques et autres ordinaires de lieu, en paix et communion avec le Siège Apostolique,
Pie XI, Pape
Vénérables frères, salut et bénédiction apostolique.
Un nouveau fléau menace et frappe déjà en grande partie le troupeau qui Nous est confié, et avec plus de dureté encore cette portion plus tendre et plus particulièrement aimée que sont les enfants, la classe ouvrière, les travailleurs, tous ceux à qui manque le nécessaire pour la famille.
Nous voulons parler des très graves inquiétudes et de la crise économique qui pèsent sur les peuples et qui, dans tous les pays, forcent de nombreux ouvriers à un chômage épouvantable et croissant.
On voit, en effet, une multitude presque innombrable d’honnêtes travailleurs, qui ne demandent rien d’autre que de gagner honorablement leur pain quotidien que le divin commandement leur fait solliciter chaque jour du Père céleste, réduits avec leurs familles à un chômage forcé et, par là, à une extrême indigence.
Leurs plaintes ont ému Notre cœur paternel et Nous font répéter, touché de la même commisération, la parole qui sortit du Cœur très aimant du divin Maître, en présence de la foule épuisée par la faim : J’ai pitié de cette foule (Mc, 7, 2).
Mais Notre commisération se fait plus vive encore au spectacle de cette multitude de petits enfants victimes innocentes d’un si lamentable état de choses, et qui implorent un morceau de pain sans qu’il se trouve quelqu’un pour le leur rompre (1 Ch, 4, 4) ; en proie aux affres de la misère, ils voient s’évanouir cette joie qui est le propre de leur âge et ils sentent languir et mourir sur leurs jeunes lèvres ce sourire que leur âme ingénue cherche inconsciemment autour d’eux.
Or, voici que l’hiver approche, suivi de ce cortège de souffrances et de privations que la froide saison apporte aux pauvres gens et spécialement à l’enfance si tendre. En outre, il y a tout lieu de redouter que la plaie du chômage, dont Nous parlions, n’aille s’aggravant, au point que la détresse imprévue de tant de familles nécessiteuses ne les pousse — ce qu’à Dieu ne plaise — jusqu’à l’exaspération. C’est tout cela qu’envisage avec anxiété Notre cœur de Père commun. Aussi, comme l’ont fait déjà en de pareilles occasions Nos prédécesseurs et naguère encore Notre immédiat prédécesseur Benoit XV, d’illustre mémoire, Nous élevons la voix et adressons Notre appel pressant à tous ceux qui ont le sens de la foi et de la charité chrétienne, comme pour une croisade de charité et de secours, qui, tout en soulageant les corps et en réconfortant les âmes, augmentera grandement la confiance, dissipera les pensées funestes que la misère, mauvaise conseillère, a coutume d’inspirer ; éteindra le feu de la haine et des passions, qui divisent les hommes, pour le remplacer par les ardeurs de l’amour et de la concorde, qui nouent et renforcent les nobles liens de la paix et de la prospérité, au profit des particuliers et des sociétés.
C’est donc une croisade de piété et d’amour, et sans doute aussi de sacrifices en faveur des pauvres, à laquelle Nous convions tous les fils d’un même Père céleste, membres d’une seule et très grande famille, tous frères dans le Christ, participant à la prospérité et à la joie, ainsi qu’à l’adversité et aux douleurs communes. A cette croisade très sainte, Nous les convions tous comme à un devoir sacré. C’est d’ailleurs la règle caractéristique de l’Evangile que le Christ Notre-Seigneur a proclamée comme le premier et le plus grand commandement, résumé et synthèse de tous les autres, celui de la charité, que Notre très cher prédécesseur, en des jours de haines implacables et de guerres presque universelles, a inculqué si fortement, et à tant de reprises, jusqu’à en faire la marque de tout son pontificat.
C’est pourquoi Nous attirons aussi spécialement l’attention sur ce très doux précepte, non seulement comme un devoir suprême comprenant toute la loi chrétienne, mais comme le sublime idéal proposé particulièrement aux âmes plus généreuses et plus désireuses de perfection évangélique. Et Nous ne croyons pas qu’il faille insister beaucoup, tant il est clair que seules cette générosité et cette magnanimité des cœurs, cette ferveur et cet élan des âmes chrétiennes, de ceux notamment qui, suivant leurs moyens, se dévouent activement au salut de leurs frères, et surtout aux besoins des petits enfants et des pauvres, réussiront un jour, par un effort de concorde unanime, à surmonter les graves difficultés de l’heure présente.
Par ailleurs, et Nous le déplorons, comme cette très grande crise est d’une part la conséquence d’une rivalité plus âpre entre les nations et est d’autre part cause d’énormes dépenses publiques, et comme ce double fléau est, et non en dernier lieu, causé par la poursuite excessive et tous les jours plus aiguë de préparatifs militaires et d’armements, Nous ne pouvons Nous abstenir de renouveler le grave avertissement de Notre prédécesseur [1] et le Nôtre [2], déplorant qu’on ne l’ait pas encore heureusement mis en pratique, et Nous vous exhortons instamment, Vénérables Frères, à vous employer à éclairer les esprits par les moyens les plus pratiques, comme la prédication et la presse, et à façonner les cœurs suivant les préceptes plus sûrs de la raison humaine et de la loi chrétienne.
Il Nous plaît d’espérer que chacun de vous sera le rendez-vous des dons accumulés par vos fidèles pour secourir les indigents, en même temps que le centre de distribution des secours en vue de leur relè- vement. Et si c’était plus opportun en quelque diocèse, Nous ne voyons pas d’inconvénient à ce que, selon votre jugement prudent, vous vous unissiez à vos métropolitains respectifs ou encore à quelque institution charitable, d’une activité éprouvée et jouissant de votre confiance.
Déjà Nous vous avons invités à user de tous les moyens en votre pouvoir, la prédication, la presse, mais Nous voulons aussi être le premier à Nous adresser à vos fidèles pour les engager, dans le Cœur du Christ, à répondre avec une généreuse charité à Notre et votre appel, en mettant en pratique, sans retard, les industries que Notre Lettre encyclique vous a suggérées.
Mais parce que tous les efforts humains, même les plus nobles, sont insuffisants si la grâce de Dieu ne les seconde, adressons d’instantes prières à l’Auteur de tout bien pour que, dans son infinie miséricorde, il abrège cette période de tribulations. Et, à l’intention de nos frères qui ont faim, répétons avec ardeur la prière que Jésus-Christ lui-même nous a enseignée : Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien.
Que tous se rappellent que le Rédempteur du genre humain a promis, comme gage d’émulation et de réconfort, que ce que nous ferions au moindre de ces frères (Mt 25, 40), il l’estimerait être fait à lui-même, sans oublier sa promesse qu’il considérera comme adressés à lui-même les égards que nous aurons eus, par amour pour lui, pour les petits enfants (Mt 18, 5).
Enfin, la fête que l’Eglise célèbre aujourd’hui Nous rappelle, comme pour conclure cette Lettre encyclique et Nos exhortations, les émouvantes paroles de notre Sauveur qui, après avoir élevé, selon le mot de saint Jean Chrysostome, d’inexpugnables remparts autour de l’âme des enfants, ajoutait : Gardez-vous bien de mépriser l’un de ces petits, car, je vous le dis, leurs anges voient sans cesse la face de mon Père, qui est dans les cieux (Mt 18, 10). Ce seront précisément ces anges qui, dans le ciel, présenteront au Seigneur les actes de charité accomplis par des cœurs généreux envers les enfants et les indigents, et qui, à leur tour, obtiendront les plus abondantes bénédictions pour ceux qui auront pris à cœur une cause si sainte.
Ajoutons qu’à l’approche de la fête annuelle de Jésus-Christ Roi, pour le règne et la paix duquel nous avons fait des vœux et des prières dès le début de Notre pontificat, il Nous semble grandement opportun, pour bien préparer cette fête, de faire dans les églises de solennels triduums, implorant du Dieu de miséricorde des pensées et des dons de paix, en gage desquels Nous vous envoyons amoureusement à vous, Vénérables Frères, et à tous ceux qui répondront à Notre paternel appel, la Bénédiction apostolique.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 2 octobre, fêle des Saints Anges Gardiens, en l’année 1931, dixième de Notre pontificat.
PIE XI, PAPE.
Source : Actes de S. S. Pie XI, t. VIII p. 244, La Bonne Presse