A l’occasion de la béatification de Maria Goretti, le Saint-Père, s’adressant aux nombreux pèlerins réunis en la Ville éternelle expliqua le fondement de l’héroïsme de la bienheureuse martyre et les enseignements que sa pureté et sa force admirables donnent aux générations contemporaines.
Avec celle de plusieurs hautes personnalités ecclésiastiques, on a noté la présence de la mère de la bienheureuse, Mme Assunta Goretti ; du frère de Maria, Mariano, accompagné de sa femme et ses trois enfants ; de ses deux sœurs, Ersilia avec son mari et ses deux enfants, et Teresa, maintenant religieuse Franciscaine Missionnaire de Marie et portant le nom de Sœur Sant’Alfredo ; ainsi que du syndic de Corinaldo, M. Domenico Cacciani.
Avec une vive émotion, Nous avons adressé hier Nos prières à la nouvelle bienheureuse, et avec une joie paternelle Nous vous saluons, chers fils et chères filles, qui vous sentez unis à Maria Goretti : vous ses parents, vous ses concitoyens, et d’une façon générale, vous qui, par vos occupations, vos conditions de vie et surtout votre foi religieuse, lui ressemblez. La journée d’hier fut votre fête, la fête du peuple chrétien.
Sa béatification, fête du peuple chrétien.
Ce fut la fête des adolescents qui sont fiers de l’exaltation d’une fille de leur âge et qui trouvent, dans son exemple, des stimulants à la piété et au courage.
Ce fut la fête des âmes pieuses et généreuses pour qui la foi catholique est un « trésor caché » (Cf. Matth., XIII, 14), le bien suprême. La bienheureuse Maria Goretti est une fleur merveilleuse de cette foi courageuse.
Ce fut la fête des âmes douces et pacifiques qui gagnent leur pain par leur dur travail : confiantes dans la Providence, elles portent leur croix tout au long de leur vie terrestre, jusqu’à ce que le Seigneur vienne l’ôter de leurs épaules au seuil de l’éternité. Le grand public pense peu à ces âmes et n’en parle pas : ce sont elles pourtant qui, à travers les ouragans du temps, sauvent le peuple et la patrie. Parmi elles, il faut ranger le père honnête et laborieux et la pieuse mère de Maria Goretti ; à celle-ci, qui est au milieu de vous, vont en particulier Nos vœux et Notre joie de ce qu’elle ait pu voir encore en vie, sa fille élevée à la gloire des autels.
Ce fut la fête de la famille chrétienne. Maria Goretti qui devait, à douze ans, laisser cette terre, est le fruit mûr du foyer familial où l’on prie, où l’on élève les enfants dans la crainte de Dieu, dans l’obéissance filiale, dans l’amour de la vérité, dans la pudeur et l’intégrité ; où ceux-ci sont habitués, dès leur tendre enfance, à se contenter de peu, à aider leurs parents ; où les conditions naturelles de vie et l’atmosphère religieuse qui les entourent coopèrent puissamment à les faire grandir dans la grâce du Christ.
Ô antique et simple méthode d’éducation, qu’aucune autre ne peut remplacer ! Ceux qui malheureusement l’abandonnent font tarir le bien-être et le bonheur des familles. Ô bienheureuse, prie Dieu pour que ces biens auxquels toi-même tu dois tout soient conservés à la jeunesse et au peuple.
Agnès et Maria Goretti.
La figure et l’histoire de Marie Goretti ont rappelé une autre histoire et une autre figure : celle d’Agnès. Le visage de la martyre romaine et celui de l’enfant de Corinaldo resplendissent du même enchantement, les cœurs de l’une et de l’autre répandent le même parfum. N’y aurait-il pas peut-être à craindre que ceux qui, d’une façon littéraire et artistique, parlent de la grâce et de la candeur de ces deux enfants, ne laissent dans l’ombre leur vertu caractéristique qui est la force chrétienne ? Force de la vierge, force de la martyre. Force qui est sauvegarde et fruit de la virginité.
Il en est qui regardent la virginité comme un effet de l’ignorance ou de la naïveté de petites âmes sans passion, sans expérience ; ils leur accordent un souvenir de compassion. Combien grande est leur erreur.
Celui qui s’est rendu à l’ennemi ne peut s’imaginer quelle force il faut pour dominer pendant la vie et sans défaillance les troubles des sens et du cœur qui, fruit du péché originel, fermentent dans la nature humaine à partir de l’adolescence ; pour résister, sans céder aux mille petites curiosités de voir, d’écouter, de goûter, de sentir, qui font approcher les lèvres du calice enivrant et qui font respirer le fatal parfum qui émane de la fleur du mal ; pour se mouvoir à travers les turpitudes du monde avec une fermeté d’âme supérieure à toutes les tentatives, à toutes les menaces, à tous les regards de séduction et de raillerie.
Non ! Agnès dans le gouffre de la société païenne, Louis de Gonzague dans les cours licencieuses de la Renaissance, Maria Goretti dans le voisinage de personnes sans honte, n’étaient ni ignorants, ni insensibles, mais courageux. Courageux de cette force surnaturelle dont tous les chrétiens ont reçu la semence au baptême et qui, grâce à une éducation diligente et continuelle, avec la collaboration affectueuse des parents et des enfants, porte des fruits multiples de vertus.
Telle fut Maria Goretti. Dans l’humble cercle des personnes au milieu desquelles elle grandissait, son éducation fut simple, mais soignée, et sa correspondance à cette éducation ne fut pas moins parfaite. Quel témoignage sa mère n’en a‑t-elle pas donné quand elle a affirmé que son enfant ne lui avait jamais apporté volontairement le plus petit déplaisir ? Et qui pourrait lire, sans émotion, la déposition du meurtrier affirmant qu’il n’avait jamais vu en elle le moindre manquement à la loi de Dieu ?
La force des cœurs purs.
Notre bienheureuse fut une courageuse. Elle savait et comprenait, et précisément pour cela, elle préféra mourir. Elle n’avait pas encore douze ans quand elle mourut martyre. Mais quelle perspicacité, quelle prudence, quelle énergie montra cette enfant qui, consciente du danger, veillait jour et nuit pour la défense de son intégrité, s’efforçait de ne jamais rester seule et recommandait constamment à la Vierge des vierges le lis de sa pureté ! Non ! ce n’était pas une âme faible, c’était une héroïne qui, sous les coups de poignard de son meurtrier, ne pensait pas à la souffrance mais à la laideur du péché et résolument le repoussait.
Grâce à Dieu, elles sont encore nombreuses, plus nombreuses qu’on ne le suppose et qu’on ne le dit parce qu’elles n’étalent pas leur sérieux et leur vertu comme les autres étalent leur légèreté et leurs désordres, ces jeunes filles qui, éduquées par des parents chrétiens, passent sereines et joyeuses mais modestes dans les rues de nos cités ou les sentiers de nos campagnes pour se rendre là où les appellent les devoirs familiaux, professionnels, scolaires, charitables ; elles savent faire aimer leur grâce souriante mais en même temps respecter leur inflexible dignité.
Elles sont nombreuses, sans aucun doute (la cérémonie solennelle d’hier Nous en a donné une vision splendide) mais elles seraient plus nombreuses encore s’il y avait de la part des parents plus de bonté avertie et affectueuse, de la part des enfants plus de docilité confiante.
Pour ne pas parler des catastrophes qui précipitent tant de malheureux dans le fond de l’abîme, des drames qui se terminent par une mort sans espérance, des décadences progressives qui vont jusqu’à l’humainement irréparable, combien d’égarements, de transactions, de capitulations ! Vertiges d’un instant que la légende fait peut-être d’abord vaciller mais dont le souvenir ressuscite plus tard, comme des bulles d’air à la surface d’une eau stagnante, avec des remords cuisants dont l’amertume, même après le repentir et le pardon, ne s’adoucit jamais complètement ici-bas.
En face de ces lamentables faiblesses, de ces chutes misérables, admirez la force des cœurs purs. C’est une force mystérieuse qui surpasse les limites humaines et souvent les limites de la vertu chrétienne commune : c’est la force de l’amour pour l’Epoux divin de l’âme qui repousse quiconque ose tenter la fidélité, menacer la pureté de ses sentiments.
L’exemple de Maria Goretti.
C’est ainsi que Nous apparaît Maria Goretti dans sa vie comme dans son martyre. Comment donc ! Pouvons-nous comparer sa vertu à celle d’une Agnès, d’une Cécile, d’une Gertrude, d’une Catherine de Sienne, d’une Thérèse de l’Enfant-Jésus, de tant d’autres qui souvent, avec une héroïque abnégation et avec des œuvres insignes qui étaient le fruit de leur virginité, ont porté jusqu’à un âge tardif l’anneau nuptial qui les avait unies pour la vie à l’Epoux céleste ? Maria était encore une enfant et rien ne permet d’affirmer avec certitude qu’elle se fût consacrée au Seigneur par le vœu de virginité ; nul ne peut assurer qu’elle n’aurait pas suivi le chemin de tant d’autres jeunes filles qui portent à l’autel la fleur de leur candeur pour donner à Dieu, dans la sainteté du mariage, de nouveaux adorateurs, à l’humanité de nouveaux membres, à l’Eglise de nouveaux fidèles, au ciel de futurs saints. Mais le Christ savait qu’Il se l’était choisie et réservée. De sa part et sans penser à l’avenir, elle s’était donnée à Lui de tout son cœur, elle ne voulait pour rien au monde violer la loi de Dieu, elle voulait garder à n’importe quel prix, même celui de sa propre vie, la fidélité au Christ.
Etait-elle seulement une ingénue innocente craignant d’instinct la seule menace du péché, comme la vue d’un serpent (Eccli., XXI, 2), ou l’hermine qui, selon une antique légende, se laisse tuer plutôt que d’effleurer du pied la boue du chemin ? Etait-elle soutenue seulement par le sentiment naturel de la pudeur ? Non. Petite encore, elle entrevoit déjà l’intensité et la profondeur de son amour pour le divin Rédempteur. Elle ne sait pas encore lire, car la pauvreté et les distances l’empêchent d’aller à l’école. Mais son amour ne connaît ni difficulté, ni éloignement. Elle se met plus courageusement que jamais à expédier les affaires du ménage et elle court au village pour apprendre le catéchisme. Pour recevoir Jésus dans l’Eucharistie, elle ne craint pas de parcourir une longue route en plein été, à jeun, sous le soleil brûlant, sur la route poussiéreuse. « Je ne vois pas l’heure où je pourrai venir demain communier », dit-elle un jour. Et le lendemain vint et aussi la sainte communion. Quelle communion et quel lendemain ! Dans l’après-midi du jour même où elle avait prononcé ces paroles, elle versait son sang pour rester fidèle à l’Epoux des vierges.
Hier la victime de ce meurtre cruel, du 6 juillet 1902, a été élevée aux honneurs des autels. La Providence a voulu donner un modèle, une protectrice et une intercession aux jeunes filles, spécialement aux jeunes filles de l’Action catholique, aux groupes des filles de Marie et à toutes celles qui se sont consacrées à la Vierge Immaculée. Elle était une des leurs quand elle souffrit une mort cruelle pour la loi de Dieu. A peine avait-elle douze ans et déjà elle montrait dans la vertu chrétienne de la maturité et de la force, prête à mélanger son sang au sang de l’Agneau.
Dangers que font courir aux jeunes filles et aux femmes d’aujourd’hui les transformations de leur vie.
Cinquante ans ne se sont pas encore écoulés depuis la fin émouvante de Maria Goretti, mais ils sont bouleversés par des transformations radicales dans la vie de la jeune fille et de la femme. En d’autres occasions Nous avons déjà amplement montré comment, en ce demi-siècle, le monde féminin, d’une vie réservée et retirée, a été lancé dans tous les champs de la vie publique et jusque dans le service militaire. Ce processus s’est déroulé avec une rapidité impitoyable.
Si on ne veut pas que d’aussi profonds et rapides changements déterminent dans la religion et dans les mœurs de la femme les plus graves conséquences, on doit avant tout, au même degré et en même temps, renforcer les valeurs intimes et surnaturelles qui ont brillé en notre nouvelle bienheureuse : esprit de foi et de modestie, non seulement comme un sentiment de pudeur naturelle et quasi inconsciente, mais comme une vertu chrétienne cultivée avec empressement. Tous ceux à qui tiennent à cœur le bien de l’humanité, le salut temporel et éternel de la femme, ont résolu d’exiger que la moralité publique protège leur bonheur et leur dignité. Quels sont les faits ? Nous ne croyons pas être dans l’erreur si Nous affirmons que jamais peut-être aucune période n’a autant manqué à ses devoirs envers la femme que l’époque actuelle.
Les scandales du monde d’aujourd’hui.
C’est pourquoi monte à Nos lèvres le cri du Sauveur : « Malheur au monde à cause de ses scandales » (Matth., XVIII, 7). Malheur à ceux qui corrompent d’une façon consciente et volontaire par le roman, le journal, la revue, le théâtre, le film, la mode inconvenante. Malheur à ces jeunes gens légers qui portent comme une blessure fine et légère l’infection morale dans un cœur encore vierge. Malheur à ces pères et mères qui, par manque d’énergie et de prudence, cèdent aux caprices de leurs fils et filles, renoncent à l’autorité paternelle et maternelle qui est sur le front de l’homme et de la femme comme le miroir de la majesté divine. Mais malheur aussi à tant de chrétiens qui ne le sont que de nom, qui pourraient voir derrière eux se lever des légions de personnes intègres et droites, prêtes à combattre par tous les moyens le scandale. La justice légale punit, et c’est son devoir, le meurtrier d’un enfant. Mais ceux qui ont armé son bras, qui l’ont encouragé, qui avec indifférence ou encore avec un sourire indulgent l’ont laissé faire, quelle justice, quelle législation humaine osera ou pourra les frapper comme ils le méritent ? Et cependant, les vrais, les grands coupables, les voilà ! Sur eux, corrupteurs volontaires et complices inertes, pèse la justice de Dieu !
Aucun pouvoir humain n’aura-t-il donc la force d’émouvoir et de convertir ces cœurs corrompus et corrupteurs, d’ouvrir les yeux et de secouer la torpeur de tant de chrétiens insouciants et timides ? Le sang de la martyre et les larmes du meurtrier repentant et pénitent, unis dans une même prière, feront ce prodige. Nous l’espérons.
Notre espérance n’est pas sans raison. Nous n’hésitons pas à répéter ici les paroles de l’apôtre Paul : « Là où a abondé le péché, surabondera la grâce » (Rom., V, 20). Regardez l’Eglise. Grandissent et se serrent les rangs de ceux qui, jeunes encore, croient, prient, s’imposent des renoncements, qui disent « non » à tout ce que Dieu défend, qui disent « oui » à tout ce que Dieu veut, qui n’ont de repos que lorsqu’ils ont ramené au Christ, à sa loi, leurs voisins, leurs compagnons de profession et de travail qui sont éloignés de Dieu. Ils sont Notre réconfort et Notre joie.
Pleins de cette confiance, élevons les regards vers le ciel et contemplons le cortège lumineux de ceux qui ont blanchi leurs robes dans le sang de l’Agneau : ils sont conduits par la Vierge des vierges, le refuge des pécheurs. Invoquons leur intercession, unissons nos humbles prières aux leurs. Qu’ainsi descende sur la terre la pluie abondante de la grâce qui purifie, qui fortifie, en gage de laquelle Nous vous accordons de tout cœur Notre paternelle Bénédiction apostolique.
Source : Documents Pontificaux de sa Sainteté Pie XII, année 1947, Edition Saint-Augustin Saint-Maurice – D’après le texte italien des A. A. S., XXXIX, 1947, p. 352.