Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

5 juin 1951

Discours lors de la béatification du pape Pie X

Table des matières

Joseph Sarto est né le 2 juin 1835 à Riese ; il fut bap­ti­sé le len­de­main 3 juin ; ordon­né prêtre en 1858, il fut suc­ces­si­ve­ment vicaire à Tombolo, curé à Salzano (1866–1875), direc­teur spi­ri­tuel au sémi­naire de Trévise (1875–1884), évêque de Mantoue en 1884, créé car­di­nal le 22 juin 1893, arche­vêque de Venise en 1893 et élu pape le 4 avril 1903 ; il mou­rut le 20 août 1914.

Le 3 juin 1951 au matin, eut lieu — selon la cou­tume — la pro­cla­ma­tion du nou­veau Bienheureux : Pie X, dans la Basilique de Saint-​Pierre. Mais pré­voyant qu’une immense foule serait pré­sente, l’après-​midi, pour véné­rer les reliques du Bienheureux Pape, le Saint-​Père déci­da que cette céré­mo­nie aurait lieu sur la Place Saint-​Pierre. C’est devant une foule de plus de 200.000 per­sonnes que Pie XII pro­non­ça le dis­cours suivant :

Une joie céleste inonde Notre cœur ; un hymne de louange et de gra­ti­tude jaillit de Nos lèvres envers le Seigneur Tout-​Puissant qui Nous a don­né d’é­le­ver aux hon­neurs des autels le Bienheureux Pie X, Notre Prédécesseur. Il exprime aus­si la joie et la recon­nais­sance de toute l’Eglise, que vous repré­sen­tez visi­ble­ment, chers fils et filles, assem­blés ici sous Nos yeux comme une mer vivante ou qui dis­per­sés sur la sur­face de la terre, Nous écou­tez dans l’exul­ta­tion de ce jour béni.

De tous côtés, dans l’Eglise on demandait cette béatification :

Un désir com­mun s’est réa­li­sé. Dès le moment de son pieux tré­pas, en même temps que se mul­ti­pliaient tou­jours davan­tage les pèle­ri­nages à sa tombe, des sup­pli­ca­tions affluaient de toutes les nations pour implo­rer la glo­ri­fi­ca­tion de l’im­mor­tel Pontife. Elles éma­naient des membres les plus éle­vés de la Hiérarchie, des Clergés sécu­lier et régu­lier, de toutes les classes de la socié­té et spé­cia­le­ment des plus humbles, dont il était lui-​même issu comme une fleur très pure. Et voi­ci que ces vœux sont exau­cés ; voi­ci que Dieu dans les secrets des­seins de sa Providence, a choi­si son indigne suc­ces­seur, pour les satis­faire, et faire res­plen­dir, dans la triste pénombre qui assom­brit le che­min encore incer­tain du monde d’au­jourd’­hui, l’astre écla­tant de sa blanche figure, afin d’é­clai­rer la voie et de raf­fer­mir les pas de l’hu­ma­ni­té désorientée.

Mais, lors que la joie dont Notre cœur déborde Nous pousse irré­sis­ti­ble­ment à chan­ter en lui les mer­veilles de Dieu, Notre voix hésite comme si les paroles devaient Nous man­quer, insuf­fi­santes qu’elles sont pour exal­ter digne­ment, fût-​ce dans une rapide esquisse, la vie et les ver­tus du prêtre, de l’é­vêque, du Pape, dans la pro­di­gieuse ascen­sion, depuis le petit bourg natal et l’humble nais­sance, jus­qu’au faîte des gran­deurs et de la gloire sur terre et dans le ciel.

Pie XII exalte la gloire de son Prédécesseur :

Depuis plus de deux siècles [1], il ne s’é­tait plus levé sur le Pontificat romain un jour de splen­deur com­pa­rable à celui-​ci, ni n’a­vait plus réson­né avec une telle véhé­mence et un tel accord, la voix pro­cla­mant sa louange de tous ceux pour qui la Chaire de Pierre est la roche sur laquelle leur foi est ancrée, le phare qui sou­tient leur indé­fec­tible espé­rance, le lien qui les soude dans l’u­ni­té et dans la cha­ri­té divine.

Combien, par­mi vous aus­si, conservent encore vivant dans leur esprit et dans leur cœur le sou­ve­nir du nou­veau Bien­heureux ! Combien revoient encore par l’es­prit, comme Nous- même le revoyons, ce visage res­pi­rant une bon­té céleste ! Combien le sentent proche, tout proche d’eux, ce Successeur de Pierre, ce Pape du ving­tième siècle qui, dans le for­mi­dable oura­gan sou­le­vé par les néga­teurs et les enne­mis du Christ, sut faire preuve, dès le début, d’une expé­rience consom­mée au gou­ver­nail de la barque de Pierre, mais que Dieu appe­la à Lui, au moment où la tem­pête se fai­sait plus violente !

Quelle dou­leur, quel abat­te­ment, alors, de le voir dis­pa­raître, au comble de l’an­goisse pour le monde bouleversé.

Mais voi­ci que l’Eglise le voit réap­pa­raître aujourd’­hui, non plus comme un nocher lut­tant péni­ble­ment à la barre contre les élé­ments déchaî­nés, mais comme un glo­rieux Protecteur qui, du ciel, l’en­ve­loppe de son regard tuté­laire, dans lequel brille l’au­rore d’un jour de conso­la­tion et de force, de vic­toire et de paix.

Le Pape rappelle le souvenir de son élection :

Quant à Nous, qui étions alors au début de Notre sacer­doce, déjà au ser­vice du Saint-​Siège, Nous ne pour­rons jamais oublier Notre intense émo­tion, lors­qu’au milieu du jour de ce 4 août 1903 de la Loge de la Basilique Vaticane, la voix du Premier Diacre annon­ça à la mul­ti­tude que ce conclave — si remar­quable par tant d’as­pects — avait por­té son choix sur le Patriarche de Venise, Joseph Sarto.

C’est alors que fut pro­non­cé pour la pre­mière fois à la face du monde le nom de Pie X. Qu’est-​ce que devait signi­fier ce nom pour la Papauté, pour l’Eglise, pour l’hu­ma­ni­té ? En évo­quant aujourd’­hui, après presque un demi-​siècle, la suc­ces­sion des évé­ne­ments graves et com­plexes qui l’ont rem­pli, Notre front s’in­cline et Nos genoux se plient dans l’ad­mi­ra­tion et l’a­do­ra­tion des conseils divins, dont le mys­tère se dévoile len­te­ment aux pauvres yeux des humains au fur et à mesure qu’il s’ac­com­plit au cours de l’histoire.

Bref aperçu de sa vie :

Il fut un Pasteur et un bon Pasteur. Il parais­sait être né pour cela. A toutes les étapes du che­min, qui petit à petit le condui­sait de l’humble foyer natal, pauvre de biens ter­restres, mais riche de foi et de ver­tus chré­tiennes, au som­met de la Hiérarchie, l’en­fant de Riese demeu­rait tou­jours égal à lui-​même, tou­jours simple, affable, acces­sible à tous, dans sa cure de cam­pagne, dans la stalle capi­tu­laire de Trévise, à l’é­vê­ché de Mantoue, au siège patriar­cal de Venise, dans la splen­deur de la Pourpre romaine, et il conti­nua à être ain­si dans la majes­té sou­ve­raine, sur la sedia ges­ta­to­ria et sous le poids de la Tiare, le jour où la Providence for­ma­trice pré­voyante des âmes, inci­ta l’es­prit et le cœur de ses Pairs à remettre la hou­lette, tom­bée des mains affai­blies du grand vieillard Léon XIII, entre les siennes pater­nel­le­ment fermes.

Le monde avait alors pré­ci­sé­ment besoin de telles mains.

Dès son élévation au Souverain Pontificat, il fit preuve de lucidité et de fermeté :

Mais une fois qu’il eût pro­non­cé son « fiat », cet humble, mort aux choses ter­restres et aspi­rant de tout son être aux célestes, démon­tra l’in­domp­table fer­me­té de son esprit, la vigueur virile, la gran­deur du cou­rage qui sont les pré­ro­ga­tives des héros de la sainteté.

Dès sa pre­mière Encyclique, ce fut comme si une flamme lumi­neuse s’é­tait éle­vée pour éclai­rer les esprits et allu­mer les cœurs. Les dis­ciples d’Emmaüs ne sen­taient point dif­fé­rem­ment s’en­flam­mer leurs cœurs tan­dis que le Maître par­lait et leur dévoi­lait le sens des Ecritures (Luc, XXIV, 32.).

N’avez-​vous peut-​être pas éprou­vé cette ardeur vous aus­si, chers fils, qui avez vécu ces jours et avez enten­du de ses lèvres le diag­nos­tic exact des maux et des erreurs de l’é­poque, et, en même temps, les moyens et les remèdes indi­qués pour en gué­rir ? Quelle clar­té de pen­sée ! Quelle force de per­sua­sion ! C’était bien la science et la sagesse d’un pro­phète ins­pi­ré, l’in­tré­pide fran­chise d’un Jean-​Baptiste et d’un Paul de Tarse ; c’é­tait la ten­dresse pater­nelle du Vicaire et Représentant du Christ veillant à toutes les néces­si­tés, sou­cieux de tous les inté­rêts, de toutes les misères de ses fils. Sa parole était un ton­nerre, était une épée, était un baume ; elle se com­mu­ni­quait inten­sé­ment à toute l’Eglise et s’é­ten­dait bien au-​delà avec effi­ca­ci­té ; elle attei­gnait à une vigueur irré­sis­tible, non seule­ment par le fond incon­tes­table du conte­nu, mais encore par sa cha­leur intime et péné­trante. On sen­tait en elle fré­mir l’âme d’un Pasteur qui vivait en Dieu et de Dieu, sans autre des­sein que de conduire à Lui ses agneaux et ses bre­bis. Aussi, fidèle aux véné­rables et sécu­laires tra­di­tions de ses pré­dé­ces­seurs, s’il conser­va sub­stan­tiel­le­ment toutes les solen­nelles (non point fas­tueuses) formes exté­rieures du céré­mo­nial pon­ti­fi­cal, en ces moments-​là son regard sua­ve­ment doux, fixé sur un point invi­sible, mon­trait que ce n’é­tait pas à lui-​même, mais à Dieu qu’al­lait tout l’honneur.

Pie X possédait à un haut degré les vertus théologales :

Le monde qui l’ac­clame aujourd’­hui dans la gloire des Bien­heureux sait qu’il par­cou­rut la voie qui lui avait été dési­gnée par la Providence avec une foi à trans­por­ter les mon­tagnes, avec une espé­rance inébran­lable, même aux heures les plus inquié­tantes et incer­taines, avec une cha­ri­té qui le pous­sait à se vouer à tous les sacri­fices pour le salut des âmes.

Par ces ver­tus théo­lo­gales, qui étaient comme la trame fon­da­men­tale de toute sa vie, et qu’il pra­ti­qua à un degré de per­fec­tion qui dépas­sait incon­tes­ta­ble­ment toute excel­lence pure­ment natu­relle, son Pontificat res­plen­dit comme aux âges d’or de l’Eglise.

De même il possédait les vertus cardinales :

Puisant à tout ins­tant à la triple source de ces ver­tus reines, le Bienheureux Pie X enri­chit et consu­ma le cours entier de sa vie dans l’exer­cice héroïque des ver­tus car­di­nales : fer­me­té inébran­lable aux coups du sort, jus­tice d’une impartia­lité inflexible, tem­pé­rance qui se confon­dait avec le renonce­ment total à soi-​même, pru­dence avi­sée, mais pru­dence de l’es­prit qui est « vie et paix » déta­chée de la « sagesse de la chair, qui est mort et enne­mie de Dieu » (Rom., VIII, 6–7.).

Il sut garder dans des circonstances difficiles, en particulier, durant la crise moderniste, un parfait équilibre :

Serait-​il vrai, comme cer­tains l’ont affir­mé, ou insi­nué, que dans le carac­tère du Bienheureux Pontife, la force pré­va­lut sou­vent sur la pru­dence ? Telle a pu être l’o­pi­nion d’ad­ver­saires, dont la plu­part étaient aus­si enne­mis de l’Eglise. Dans la mesure cepen­dant où elle fut par­ta­gée par d’autres, admi­ra­teurs au demeu­rant du zèle apos­to­lique de Pie X, cette appré­cia­tion se révèle comme contre­dite par les faits, quand on prête atten­tion à sa sol­li­ci­tude pas­to­rale pour la liber­té de l’Eglise, pour la pure­té de la doc­trine, pour la défense du trou­peau du Christ contre les dan­gers mena­çants, qui ne trou­vait pas tou­jours chez cer­tains toute la com­pré­hen­sion et l’adhé­sion intime que l’on pou­vait attendre d’eux.

Maintenant que l’exa­men le plus minu­tieux a scru­té à fond tous les actes et les vicis­si­tudes de son Pontificat, main­te­nant qu’on connaît la suite de ces évé­ne­ments, aucune hési­ta­tion, aucune réserve n’est plus pos­sible, et l’on doit recon­naître que même dans les périodes les plus dif­fi­ciles, les plus dures, les plus lourdes de res­pon­sa­bi­li­tés, Pie X — assis­té par son très fidèle Secrétaire d’Etat, la grande figure du Cardinal Merry del Val — don­na la preuve de cette pru­dence éclai­rée qui ne manque jamais aux saints, même lorsque, dans ses appli­ca­tions, elle se trouve en contraste dou­lou­reux mais inévi­table, avec les pos­tu­lats trom­peurs de la pru­dence humaine et pure­ment terrestre.

Avec son regard d’aigle plus pers­pi­cace et plus sûr que les courtes vues des myopes rai­son­neurs, il voyait le monde tel qu’il était, il voyait la mis­sion de l’Eglise dans le monde, il voyait avec les yeux d’un saint Pasteur quel était son devoir au sein d’une socié­té déchris­tia­ni­sée, d’une chré­tien­té infec­tée ou du moins mena­cée par les erreurs du temps et la per­ver­sion du siècle.

Illuminé des clar­tés de la véri­té éte­melle, gui­dé par une conscience déli­cate, lucide, d’une rigide droi­ture, il avait sou­vent sur le devoir pré­sent, et sur les déci­sions à prendre, des intui­tions, dont la par­faite rec­ti­tude décon­cer­tait ceux qui n’é­taient pas doués de sem­blables lumières.

Devant les menaces et les dangers, il témoignait d’un courage extraordinaire :

Par nature, per­sonne de plus doux, de plus aimable que lui, per­sonne de plus pater­nel. Mais, quand par­lait en lui la voix de la conscience pas­to­rale, plus rien ne comp­tait que le senti­ment du devoir ; ce der­nier impo­sait silence à toutes les con­sidérations de la fai­blesse humaine ; met­tait fin à toutes les ter­gi­ver­sa­tions, décré­tait les mesures les plus éner­giques, si pénibles qu’elles fussent à son cœur.

L’humble « curé de cam­pagne », comme il a vou­lu par­fois se qua­li­fier lui-​même, — et ce n’est pas le dimi­nuer que de l’ap­pe­ler ain­si, — face aux atten­tats per­pé­trés contre les droits impres­criptibles de la liber­té et de la digni­té humaines, contre les droits sacrés de Dieu et de l’Eglise, savait se dres­ser comme un géant dans toute la majes­té de son auto­ri­té sou­ve­raine. Alors son « non pos­su­mus » fai­sait trem­bler et par­fois recu­ler les puis­sants de la terre, ras­su­rant en même temps les hési­tants et gal­va­ni­sant les timides.

A cette force inébran­lable de son carac­tère et de sa con­duite, mani­fes­tée dès les pre­miers jours de son Pontificat, on doit attri­buer la stu­peur puis l’a­ver­sion de ceux qui vou­lurent faire de lui le signum cui contra­di­ce­tur, révé­lant ain­si le fond obs­cur de leur âme.

Donc, point de pré­pon­dé­rance exces­sive de la force sur la pru­dence. Au contraire, ces deux ver­tus, qui donnent comme l’onc­tion sacrée à ceux que Dieu choi­sit pour gou­ver­ner, furent chez Pie X équi­li­brées à tel point que, à l’exa­men objec­tif des faits, il appa­raît aus­si émi­nent dans l’une que sublime dans l’autre.

Cette har­mo­nie des ver­tus, dans les hautes sphères de l’hé­roïsme n’est-​elle pas la marque d’une sain­te­té accomplie ?

Il laissa après lui des œuvres durables :

Un homme, un pon­tife, un saint d’une telle élé­va­tion trou­vera dif­fi­ci­le­ment l’his­to­rien qui sau­ra embras­ser dans son uni­té sa grande figure et en même temps ses mul­tiples aspects. Mais, même la simple et sèche énu­mé­ra­tion de ses œuvres et de ses ver­tus — telle que Nous pou­vons seule­ment la ten­ter en ce moment, dans des aper­çus brefs et incom­plets — suf­fit à cau­ser la plus vive admiration.

De lui, on peut cer­tai­ne­ment dire que, dans tous les domaines aux­quels il consa­cra son atten­tion et son acti­vi­té, il péné­tra doué d’une intel­li­gence claire, pro­fonde et large, et d’une rare qua­li­té de l’es­prit qui le ren­dait éga­le­ment heu­reux dans l’a­na­lyse et puis­sant dans la syn­thèse, impri­mant sur toutes ses œuvres la marque de l’u­ni­ver­sa­li­té, non moins que de l’u­ni­té, visant à tout réca­pi­tu­ler et res­tau­rer dans le Christ.

Il défendit avec zèle la foi :

Défenseur de la foi, héraut de la véri­té éter­nelle, gar­dien des plus saintes tra­di­tions, Pie X révé­la un sens très aigu des besoins, des aspi­ra­tions, des éner­gies de son temps. Aussi a‑t-​il pris place par­mi les plus glo­rieux Pontifes, fidèles dépo­si­taires sur terre des clefs du Royaume des cieux, et aux­quels l’hu­ma­ni­té est débi­trice de tout véri­table avan­ce­ment dans la voie droite du bien et de tout réel progrès.

Il se fit le promoteur des sciences sacrées et profanes :

Son zèle pour l’in­fluence morale de l’Eglise a fait de lui un incom­pa­rable pro­mo­teur des sciences sacrées et pro­fanes. Est-​il néces­saire de rap­pe­ler la nou­velle impul­sion don­née aux études bibliques ? L’efficace déve­lop­pe­ment des études phi­lo­so­phiques et théo­lo­giques selon la méthode, la doc­trine et les prin­cipes du Docteur Angélique ? Et dans le domaine des sciences humaines, faut-​il men­tion­ner la réor­ga­ni­sa­tion de l’Observatoire astrono­mique ? Dans le domaine artis­tique, le renou­veau de la musique sacrée, la réor­ga­ni­sa­tion de la Pinacothèque ?

En particulier, il prit l’initiative de la rédaction du Code de Droit Canon publié après sa mort en 1918.

Toutefois, il n’est pas un mécène étran­ger aux sciences et aux arts ou un pur théo­ri­cien, satis­fait d’as­si­gner sim­ple­ment un but, de don­ner un ordre, et de lais­ser ensuite aux autres l’en­tière exé­cu­tion. Son œuvre, au contraire, apporte une con­tribution essen­tielle, elle donne une direc­tion effec­tive. S’abste­nant sage­ment d’i­nu­tiles minu­ties, il des­cend cepen­dant jus­qu’au concret et au détail, pré­ci­sant avec exac­ti­tude et sens pra­tique la voie à suivre pour atteindre le but, faci­le­ment, rapi­de­ment, plei­ne­ment. C’est de la sorte qu’il tra­vailla à la Codification du Droit Canon, qui peut être appe­lé le chef-​d’œuvre de son Pontificat. Dès le début il s’y déci­da avec le cou­rage des grands, il affron­ta har­di­ment l’ar­duum sane munus et il s’y don­na avec une assi­dui­té infatigable.

Et bien qu’il ne lui ait pas été don­né — pour reprendre les paroles de son Successeur Benoît XV [2] — de mener au terme l’im­mense entre­prise, lui seul tou­te­fois doit être consi­dé­ré comme l’au­teur de ce Code (is tamen unus huius Codicis haben­dus est auc­tor) et son nom dès lors, être tou­jours exal­té comme celui d’un des plus illustres Pontifes dans l’his­toire du Droit Canon, à côté d’un Innocent III, d’un Honorius III, d’un Grégoire IX.

Il invita le clergé à mener une vie sainte :

Si dans cha­cune de ces entre­prises, il est tou­jours mû par le zèle pour la gloire de Dieu et pour le salut, le pro­grès des âmes, avec quelle sol­li­ci­tude dut-​il s’occuper des pas­teurs mêmes du trou­peau sacré, puisque c’est d’eux que dépendent directe­ment et immé­dia­te­ment l’hon­neur de Dieu et la sanc­ti­fi­ca­tion des âmes ?

Cela res­sort de ses efforts constants pour doter l’Epouse du Christ d’un cler­gé dont la sain­te­té et la doc­trine soient à la hau­teur de sa sublime mis­sion. Et qui pour­rait relire sans émo­tion la pater­nelle Exhortation Hærent ani­mo (4 août 1908) reflet très pur de son âme sacer­do­tale, le jour du jubi­lé de son ordination ?

Pénétré de la pen­sée de saint Paul, que le prêtre est consti­tué pour les hommes dans toutes les choses qui regardent Dieu [3], il ne néglige rien de ce qui peut contri­buer à un plus effi­cace exer­cice de ce sublime ministère.

Il veille à ce que l’instruction religieuse soit bien faite :

Avant tout, dans la dif­fu­sion d’une connais­sance vive de la doc­trine chré­tienne. C’est ain­si qu’il pro­mul­gua de sages instruc­tions pour en confir­mer la néces­si­té, en déter­mi­ner l’ob­jet, en éta­blir la méthode [4]. Cela ne suf­fit pas : lui-​même veille à ce que soit com­po­sé un nou­veau caté­chisme pour adap­ter cet ensei­gne­ment à tous les âges et à toutes les intel­li­gences. Et cela ne lui suf­fit pas encore : cer­tains dimanches il com­mente per­son­nel­le­ment le saint Evangile du jour aux fidèles des pa­roisses de Rome. A bon droit, il fut donc appe­lé le Pape de la doc­trine chrétienne.

Il appelle les laïcs à l’apostolat :

Le vide déso­lant que l’esprit sec­taire du siècle avait creu­sé autour du sacer­doce, il se hâta de le com­bler grâce à l’active col­la­bo­ra­tion des laïcs dans l’apostolat. En dépit des circonstan­ces adverses, voire sti­mu­lé par celles-​ci, Pie X prend soin, s’il n’en est pas pré­ci­sé­ment l’i­ni­tia­teur, avec de nou­velles direc­tives, de la for­ma­tion d’un laï­cat fort dans la foi, uni avec une par­faite dis­ci­pline aux dif­fé­rents grades de la Hiérarchie ecclésias­tique. Et tout ce qu’on admire, aujourd’­hui, en Italie et dans le monde, dans le vaste domaine de l’Action Catholique, démontre com­bien a été pro­vi­den­tielle l’œuvre de notre Bienheureux, qui reflète sur lui une lumière qu’il ne fut sans doute don­né, durant sa vie, qu’à quelques-​uns seule­ment de pré­voir plei­ne­ment. Aussi les foules de l’Action Catholique, par­mi les âmes élues qu’elles évoquent et vénèrent comme guides et pro­mo­trices de leur mou­vement salu­taire, doivent à juste titre pla­cer le Bienheureux Pie X.

En Italie, il fixe les conditions de la participation des catholiques à la vie politique :

Un autre obs­tacle de la plus haute gra­vi­té s’op­po­sait à la res­tau­ra­tion d’une socié­té chré­tienne et catho­lique : c’est-​à-​dire d’une part, la divi­sion au sein même de la socié­té, et d’une autre, la frac­ture qui sépa­rait l’Eglise de l’Etat, par­ti­cu­liè­re­ment en Italie. Avec la clar­té et la lar­geur de vue propres aux saints, il a su, sans per­mettre la plus petite atteinte aux prin­cipes immuables et invio­lables, tra­cer les règles pour l’or­ga­ni­sa­tion d’une action popu­laire chré­tienne, miti­ger la rigueur du non expe­dit et pré­pa­rer bien à l’a­vance le ter­rain pour la conci­lia­tion qui devait appor­ter la paix reli­gieuse à l’Italie.

Il est surtout le Pape de l’Eucharistie :

Mais ce qui est sur­tout le propre de ce Pontife est d’a­voir été le Pape de la sainte Eucharistie en notre époque. Là, l’har­mo­nie et com­mu­nion intimes de sen­ti­ments chez le Vicaire du Christ avec l’es­prit même de Jésus res­plen­dissent de reflets presque divins. Si Nous Nous tai­sions sur ce point, la foule des enfants d’hier et d’au­jourd’­hui, se lève­rait pour chan­ter Hosanna à Celui qui sut abattre les bar­rières sécu­laires qui les tenaient éloi­gnés de leur Ami des taber­nacles. Ce n’est que dans une âme sage­ment can­dide et évan­gé­li­que­ment enfan­tine comme la sienne que pou­vait trou­ver un ferme écho l’ardent sou­pir de Jésus : « Laissez venir à moi les petits enfants ! » et en même temps, la com­pré­hen­sion du si doux désir de ceux-​ci d’ac­cou­rir vers les bras ouverts du Rédempteur divin. Ce fut ain­si lui qui don­na Jésus aux enfants et les enfants à Jésus. Si Nous le pas­sions sous silence, les autels mêmes du Saint- Sacrement en par­le­raient pour attes­ter la flo­rai­son exu­bé­rante de sain­te­té qui, par l’œuvre de ce Pontife de l’Eucharistie, s’est épa­nouie en d’in­nom­brables âmes, pour les­quelles la com­mu­nion fré­quente est désor­mais une règle fon­da­men­tale de per­fec­tion chrétienne.

Pie XII montre le rôle unique joué par Pie X dans la vie de l’Eglise :

Chers fils et filles ! Une heure de gloire passe sur nous en cette soi­rée lumi­neuse. C’est une gloire qui rejaillit direc­te­ment sur le Pontificat romain, une gloire qui rayonne pour l’Eglise tout entière, une gloire qui enve­loppe ici étroi­te­ment la tombe véné­rée d’un humble fils du peuple que Dieu a élu, a enri­chi, a exalté.

Mais avant tout c’est la gloire de Dieu parce qu’en Pie X se révèle le mys­tère de la sage et bien­veillante Providence qui assiste l’Eglise et par elle, le monde, en toute époque de l’his­toire. Que devait signi­fier, Nous demandions-​Nous au début, le nom de Pie X ? Il Nous semble main­te­nant le voir clairement.

Par sa per­sonne, et par son œuvre, Dieu a vou­lu pré­pa­rer l’Eglise aux nou­veaux et durs devoirs qu’un ave­nir agi­té lui réser­vait. Préparer oppor­tu­né­ment une Eglise unie dans la doc­trine, solide dans la dis­ci­pline, effi­ciente dans ses Pasteurs ; un laï­cat géné­reux, un peuple ins­truit ; une jeu­nesse sanc­ti­fiée dès les pre­mières années ; une conscience vigi­lante à l’é­gard des pro­blèmes de la vie sociale. Si aujourd’­hui l’Eglise de Dieu, loin de recu­ler devant les forces des­truc­trices des valeurs spi­ri­tuelles, souffre, com­bat et par ver­tu divine, pro­gresse et rachète, cela est dû à l’ac­tion pré­voyante et à la sain­te­té de Pie X. Il appa­raît mani­feste aujourd’­hui que tout son Pontificat fut sur­na­tu­rel­le­ment orien­té selon un des­sein d’a­mour et de rédemp­tion pour dis­po­ser les esprits à affron­ter nos propres luttes et pour assu­rer nos vic­toires et celles des géné­ra­tions à venir.

Une prière ardente termine ce discours :

Ô Bienheureux Pontife, fidèle Serviteur de ton Seigneur, hum­ble et sûr dis­ciple du Maître divin, dans la dou­leur et dans la joie, dans les sou­cis et dans les sol­li­ci­tudes, Pasteur expé­ri­men­té du trou­peau du Christ, tourne ton regard vers nous qui sommes pros­ter­nés devant tes dépouilles vir­gi­nales. Les temps où nous vivons sont ardus ; dures les peines qu’ils exigent de nous. L’Epouse du Christ, autre­fois confiée à tes soins, se trouve de nou­veau dans de graves tour­ments. Ses fils sont mena­cés par d’in­nom­brables périls dans leur âme et leur corps. L’esprit du monde, comme un lion rugis­sant, rôde autour cher­chant qui il puisse dévo­rer. Plus d’un devient sa vic­time. Ils ont des yeux et ne voient pas ; ils ont des oreilles et n’en­tendent point. Ils ferment leur regard à la lumière de la véri­té éter­nelle ; ils écoutent les voix des sirènes insi­nuant des mes­sages trom­peurs. Toi qui fus ici-​bas un grand ins­pi­ra­teur et guide du peuple de Dieu, sois notre aide et notre inter­ces­seur et celui de tous ceux qui se pro­clament dis­ciples du Christ. Toi dont le cœur se bri­sa quand tu vis le monde se pré­ci­pi­ter dans une lutte san­glante, secours l’hu­ma­ni­té, secours la chré­tien­té, expo­sée actuel­le­ment à de pareils dan­gers ; obtiens de la misé­ri­corde divine le don d’une paix durable et, comme au début de celle-​ci, le retour des esprits à ce sen­ti­ment de véri­table fra­ter­ni­té qui seul peut ra­mener par­mi les hommes et les nations la jus­tice et la concorde vou­lues par Dieu. Ainsi soit-​il ! [5]

Source : Documents Pontificaux de sa Sainteté Pie XII, année 1951, Edition Saint-​Augustin Saint-​Maurice – D’après le texte ita­lien des A. A. S., XXXXIII, 1951, p. 468.

Notes de bas de page
  1. Soixante-​dix-​neuf papes ont été éle­vés sur les autels, le der­nier : Pie V, pape de 1566 à 1572, fut béa­ti­fié en 1672 et cano­ni­sé en 1712.[]
  2. Cf. Allocution Consistor. du 4 décembre 1916, A. A. S., VIII, 1916, p. 466.[]
  3. Heb., v, 1.[]
  4. Cf. Encyclique Acerbo nimis du 15 avril 1905.[]
  5. Cf. Décret sur l’hé­roï­ci­té des ver­tus, 3 sep­tembre 1950, A. A. S., XXXXII, 1950, p. 898 ; Décret sur les miracles, 11 février 1951, A. A. S., XXXXIII, 1951, p. 138 ; Décret de tuto, 4 mars 1951, A. A. S., XXXXIII, 1951, p. 223 ; Bref apos­to­lique pro­cla­mant Pie X Bienheureux, 3 juin 1951, A. A. S., XXXXIII, 1951, p. 467.[]
31 mai 1954
Sur l'exemple de saint Pie X et le pouvoir de magistère exercé par l'évêque dans la fidélité à la foi
  • Pie XII