A l’occasion du LXXVe anniversaire de la fondation des Enfants de Marie à Rome (1867) par l’abbé Passeri, chanoine du Latran, le Saint-Père a reçu en audience les déléguées d’Italie et leur a adressé l’allocution suivante :
C’est avec une joie particulière que Nous vous accueillons et saluons, chères filles, réunies autour de Nous en cette célébration du 75e anniversaire de votre pieuse union. Vous êtes désireuses de recevoir la bénédiction du Vicaire du Christ, bénédiction qui vous aidera à marcher avec fidélité – mieux encore, à avancer toujours davantage dans une sainte ardeur d’édification et de piété – dans le chemin que vous indiquent vos célestes patronnes, la Vierge Immaculée, Mère de Dieu, et Agnès, la martyre.
Nécessité de la force et de la pureté chez la jeune fille.
Pureté et force : ces deux vertus, nécessaires en tous temps, mais plus que jamais dans le nôtre, sont, les deux ensemble, le véritable charme et la protection de la jeune fille qui réunit en elle la grâce et la dignité, la retenue pleine de modestie et la franche et audacieuse activité.
L’exemple de Marie Immaculée.
Pure, incomparablement plus pure que tous les anges, dont elle est la Reine, l’Immaculée est aussi la femme forte, active, fidèle à tous ses devoirs, empressée à les accomplir en toutes circonstances, fussent-elles dures et terribles. A peine l’ange Gabriel lui a‑t-il apporté le divin message que vous pouvez la contempler, servante du Seigneur qui contemple l’éminente dignité et la haute charge où elle est appelée : Mère glorieuse du Christ, au pied de la croix Mère douloureuse du Rédempteur, Mère de l’humanité souffrante et misérable, secours des chrétiens, refuge des pécheurs, consolatrice des affligés. Consciente de tant de grandeur et d’un tel fardeau, la Vierge, sans hésiter, répond oui à l’ange. Alors qu’elle était renfermée dans le recueillement du Temple, dans la solitude de sa petite demeure de Nazareth, la voici maintenant qui marche d’un pas rapide par les sentiers montagneux, impatiente de visiter et d’assister sa parente Elisabeth ; au début de la vie publique du Christ, nous la voyons, aux noces de Cana, veiller à ce que rien ne manque à la joie des époux et des convives ; perdue dans la foule, elle attend patiemment le moment de parler à Jésus ; le cœur transpercé d’un glaive, elle se tient debout au pied de la croix de son divin Fils ; au milieu des apôtres, elle prie et les prépare à recevoir la force d’en haut pour la diffusion de la Bonne Nouvelle.
Vous, chères filles, qui, réunies en ce moment devant Nous, semblez être comme une grande nuée toute blanche, sillonnée par vos rubans d’azur pareils à un ciel serein et resplendissant, n’oubliez pas que cette pureté et cette candeur doivent vous préparer aux devoirs de demain, vous soutenir, d’ores et déjà, dans les rudes devoirs d’aujourd’hui. Ce n’est pas tout d’un coup que Marie se trouva prête à dire sont Fiat ; elle s’y était préparée par sa force d’âme non moins que par sa pureté. Jeunes femmes et jeunes filles de notre temps, vous aussi vous devez regarder vers l’avenir ; vous entraîner dans la pureté et dans la force, vous rendre franchement promptes à passer du repos de la famille et de votre pieuse union à la vie sainte et joyeuse, mais aussi difficile, d’épouses et de mères chrétiennes. Dès maintenant, employez-vous à faire alterner les heures de liesse et de tranquillité de vos réunions avec l’activité extérieure, qui exige de vous un énergique et joyeux dévouement, dans l’oubli de vous-mêmes, dans l’accomplissement des devoirs de votre état, dans les fécondes entreprises de la charité.
Comme Marie Immaculée, vous devez marcher, sinon à travers les montagnes, du moins par les rues et les places publiques, et, agiles, alertes, mais circonspectes comme dans les excursions montagneuses, vous rendre là où vous appellent vos occupations ; vous devez, dans votre vie sociale, parmi vos parents, amis et connaissances, porter avec vous la gentillesse et l’aisance, l’honnête agrément d’une courtoisie aimable et empressée ; vous devez en toute simplicité et prudence, vous mêler à une foule si diverse, affligée ou frivole, indifférente ou hostile ! Debout au pied de la croix, vous avez à dominer vos impressions de peine ou de découragement, à vous maintenir fermes dans les épreuves de la vie pour compatir aux malheurs d’autrui, pour consoler et fortifier les autres. Ne voyez-vous pas quelle pureté et quelle force tout cela requiert, si vous voulez vraiment avoir le courage de faire chaque jour votre devoir, si vous voulez, parmi tant d’immondices, garder intacte la blancheur de votre voile, l’azur céleste de votre ruban ?
Les temps actuels sont bien différents des temps passés.
Les temps sont révolus, chères enfants, où il était donné à la jeune fille de conserver la fraîcheur de sa pureté, comme le lis conserve la neige de ses pétales et l’or de son pistil, à l’abri du vent et de la poussière, dans le jardin fermé de la famille et de l’école, de l’église et de la pieuse union. Il suffisait alors de la bonne volonté, avec le soutien du sentiment de la vertu, pour grandir, fleurir, et s’épanouir dans une adolescence et une jeunesse toutes de pureté, de piété, de candeur, ignorant jusqu’à l’erreur et le mal.
Le monde d’aujourd’hui est bien différent ! Tous ceux qui se penchent avec une plus grande attention et perspicacité sur les âmes de notre temps, pour discerner les causes et les manifestations de la crise intellectuelle et morale qui agite l’humanité, sont unanimes à signaler, parmi les formes les plus périlleuses d’un tel trouble, l’irréligiosité et l’amoralité qui ont pénétré une notable partie du monde féminin ; ils montrent avec quelle facilité, dès qu’on a banni de l’esprit et du cœur toute pensée et tout sentiment religieux, la femme adhère facilement aux plus funestes erreurs et, dans l’entraînement de la passion, se trouve incapable de s’arrêter et d’hésiter devant les conséquences extrêmes, fussent-elles les plus déraisonnables et les plus répugnantes, des doctrines qui l’ont séduite, et comment alors, pour elle, si riche de sensibilité, il n’est plus de frein qui puisse la retenir, soit dans le domaine des idées, soit dans le domaine de la conduite morale.
C’est ainsi que dans l’atmosphère troublée d’aujourd’hui la plus délicate enfant – jusqu’ici si jalousement gardée et défendue – se trouve, en sortant de sa maison ou de sa famille, exposée par nécessité à se sentir le front brûlé par un air embrasé, ou fouetté d’un vent glacial et les yeux aveuglés et endoloris par la poussière soulevée sur le chemin.
Dangers et tentations d’aujourd’hui.
Oui, vos yeux voient et verront, même sans le vouloir, des obscénités morales ; ils en seront comme éblouis, ils en éprouveront la morsure ; ils doivent pourtant s’habituer à réprimer et à mortifier la curiosité malsaine qui est complice des séductions du monde. Comme un vent de tempête, vous sentirez siffler à vos oreilles la tentation séduisante ou narquoise : il faut que, sans l’écouter, sans y prendre garde, vous passiez outre, dédaigneuses d’une parole ou d’un regard.
Le vent tiède viendra, tôt ou tard, caresser votre front, enjôler votre cœur, ou peut-être même le vent brûlant viendra l’embraser d’une flamme trop vive et trop précoce ; conservez-le fidèle à Dieu, à la famille, aux bonnes amitiés. Quant à l’autre amour, attendez dans la sérénité l’heure fixée par la Providence, où un cœur vierge se donne entièrement et pour toujours.
Mais, parmi les vents, la poussière et la boue, ne vous attristez pas, ne vous découragez pas. Le même divin Esprit, qui chante dans le Cantique des Cantiques, le mystique jardin où il se plaît à cueillir des lis (Cant., vi, 2) exalte aussi l’humble lis des vallées, qui se dresse parmi les ronces (Cant., ii, 2).
L’exemple de sainte Agnès.
Votre Mère Immaculée, chères enfants, n’a pas connu la tentation, sinon en dehors d’elle, et, avec une incomparable acuité, dans le cœur de ses pauvres enfants en proie aux tentations. Mais, par contre, votre seconde patronne, sainte Agnès, l’a éprouvée, et sa vertu en retira, non certes un préjudice ni même une ombre, mais une nouvelle et plus brillante splendeur. Car sa pureté n’était pas un lis éclos d’une innocence ignorante et tranquille, mais la flamme d’un amour ardent, héroïque, plus fort que la mort. Rappelez-vous ce que dit d’elle saint Maxime dans son éloge de votre aimable patronne : « Elle regarde en face qui la flatte et elle le repousse ; qui la menace, et elle le méprise… Elle aime tant sa pureté que ni les railleries, ni les flammes, ni les tourments, ni les bourreaux ne l’effrayent. » [1].
Mais n’allez pas croire que cette force d’âme se soit manifestée subitement d’elle-même devant la tentation ou l’assaut. Elle s’était depuis longtemps accumulée dans le cœur. « Agnès, écrit saint Grégoire le Grand, n’aurait pu soutenir pour le Seigneur la mort du corps si d’abord son âme n’avait été morte aux désirs terrestres. » [2] Héroïne d’amour pour le Christ, elle était morte d’abord à elle-même et au monde, pour vivre en Jésus-Christ.
Force et pureté : voilà ce que Nous demandons pour vous à la Vierge Immaculée et à la martyre sainte Agnès, comme les deux plus précieux ornements de votre cœur. Et pour mieux obtenir de Dieu, par leur intercession, cette grâce signalée, Nous vous donnons, d’un cœur paternel, la Bénédiction apostolique.
Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, Édition Saint-Augustin Saint-Maurice. – D’après le texte italien de Discorsi et Radiomessaggi, t. IV, p. 243 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. IV, p. 242.