Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

30 septembre 1954

Discours à la 8e assemblée de l'Association Médicale Mondiale

La guerre, la morale médicale

Table des matières

En pré­sence des membres de cette Association, le Saint-​Père don­na les direc­tives que voici :

Nous sommes heu­reux de Nous trou­ver encore une fois par­mi les méde­cins, comme ce fut si sou­vent le cas ces der­nières années, et de leur adres­ser quelques mots.

Vous Nous avez infor­mé des buts de l’Association Médicale Mondiale et des résul­tats obte­nus pen­dant les sept années de son exis­tence. C’est avec grand inté­rêt que Nous avons pris connais­sance de ces infor­ma­tions et du grand nombre de tâches aux­quelles vous avez consa­cré votre atten­tion et vos efforts : prise de contact et grou­pe­ment des asso­cia­tions médi­cales na­tionales ; échanges des expé­riences de cha­cun ; exa­men des pro­blèmes actuels des divers pays ; conven­tions for­melles avec une série d’or­ga­ni­sa­tions appa­ren­tées ; créa­tion d’un secré­ta­riat géné­ral à New York ; fon­da­tion d’une revue propre World Medical Journal. A côté de ces réa­li­sa­tions d’ordre plus admi­nistratif, fixa­tion et mise en valeur de quelques points impor­tants de la pro­fes­sion et de l’é­tat médi­cal : défense de la répu­ta­tion et de l’hon­neur de la cor­po­ra­tion des méde­cins ; éla­bo­ra­tion d’un code inter­na­tio­nal d’é­thique médi­cale qui a déjà été reçu par 42 nations ; accep­ta­tion d’une nou­velle rédac­tion du ser­ment d’Hippocrate (ser­ment de Genève) ; condam­na­tion offi­cielle de l’eu­tha­na­sie. Et par­mi beau­coup d’autres ques­tions, celles con­cernant la trans­for­ma­tion et le déve­lop­pe­ment de l’en­sei­gne­ment uni­ver­si­taire pour la for­ma­tion des jeunes méde­cins et plus encore pour la recherche médi­cale. Nous n’a­vons men­tion­né ici que quelques points. Au pro­gramme de l’ac­tuel VIIIe Congrès, vous avez encore ajou­té par exemple : les devoirs du méde­cin en temps de guerre, en par­ti­cu­lier de guerre bac­té­rio­lo­gique ; la posi­tion du méde­cin vis-​à-​vis de la guerre chi­mique et ato­mique et de l’ex­pé­ri­men­ta­tion sur l’homme.

L’aspect médi­cal aus­si bien que tech­nique et admi­nis­tra­tif de ces ques­tions est votre domaine ; mais en ce qui concerne l’as­pect moral et juri­dique, Nous vou­drions atti­rer votre atten­tion sur quelques points. Une série de pro­blèmes, qui vous occu­pent, Nous ont occu­pé Nous aus­si et firent l’ob­jet d’al­lo­cu­tions spé­ciales. Ainsi, le 14 sep­tembre 1952, aux par­ti­ci­pants du pre­mier Congrès International d’Histopathologie du sys­tème ner­veux, Nous avons par­lé (à leur demande même) des limites morales des méthodes modernes de recherche et de trai­te­ment. Nous avons rat­ta­ché Nos expli­ca­tions à l’exa­men des trois prin­cipes d’où la méde­cine déduit la jus­ti­fi­ca­tion de ces méthodes de recherches et de trai­te­ment : l’in­té­rêt scien­ti­fique de la mé­decine, l’in­té­rêt du patient, l’in­té­rêt de la com­mu­nau­té, ou comme on dit le bien com­mun, bonum com­mune1. Dans une allo­cu­tion aux membres du XVIe Congrès International de Mé­decine mili­taire, Nous avons expo­sé les prin­cipes essen­tiels de la morale et du droit médi­cal, leur ori­gine, leur conte­nu et leur appli­ca­tion2. Le XXVIe Congrès de l’Association Italienne d’Uro­logie Nous avait posé la ques­tion dis­cu­tée : est-​il mora­le­ment per­mis d’ex­tir­per un organe sain pour empê­cher la pro­gres­sion d’un mal qui menace la vie ? Nous y avons répon­du dans une allo­cu­tion du 8 octobre de l’an­née pas­sée 4. Enfin, Nous avons tou­ché les ques­tions qui vous occupent durant le pré­sent Con­grès, celles de l’ap­pré­cia­tion morale de la guerre moderne et de ses pro­cé­dés, dans une allo­cu­tion du 3 octobre 1953 aux parti­cipants du VIe Congrès International de Droit pénal3.

Si, à pré­sent, Nous ne fai­sons que men­tion­ner briè­ve­ment quelques-​uns de ces points, mal­gré leur impor­tance et leur por­tée, Nous espé­rons que les expli­ca­tions don­nées antérieure­ment pour­ront ser­vir de com­plé­ment ; pour ne pas trop allon­ger ce dis­cours, Nous les repor­te­rons chaque fois inté­gra­le­ment en note.

La guerre et la paix.

Que le méde­cin ait pen­dant la guerre un rôle, et un rôle pri­vi­lé­gié, c’est une évi­dence. A aucun autre moment, il n’y a tant à soi­gner et à gué­rir, chez les sol­dats et les civils, les amis et les enne­mis. Il faut concé­der au méde­cin, sans res­tric­tions, le droit natu­rel d’in­ter­ve­nir là où son aide est requise, et aus­si le lui garan­tir par des conven­tions inter­na­tio­nales. Ce serait une aber­ra­tion du juge­ment et du cœur que de vou­loir dénier à l’en­ne­mi le secours médi­cal et le lais­ser périr.

Le méde­cin a‑t-​il aus­si un rôle à jouer dans l’é­la­bo­ra­tion, le per­fec­tion­ne­ment, l’ac­crois­se­ment des moyens de la guerre moderne, en par­ti­cu­lier des moyens de la guerre A. B. C. ? On ne peut répondre à cette ques­tion avant d’a­voir d’a­bord réso­lu cette autre : « La guerre totale » moderne, la guerre A. B. C. en par­ti­cu­lier, est-​elle per­mise en prin­cipe ? Il ne peut sub­sis­ter aucun doute, en par­ti­cu­lier à cause des hor­reurs et des immen­ses souf­frances pro­vo­quées par la guerre moderne, que déclen­cher celle-​ci sans juste motif, (c’est-​à-​dire, sans qu’elle soit impo­sée par une injus­tice évi­dente et extrê­me­ment grave, autre­ment inévi­table) consti­tue un « délit » digne des sanc­tions na­tionales et inter­na­tio­nales les plus sévères. L’on ne peut même pas en prin­cipe poser la ques­tion de licéi­té de la guerre atomi­que, chi­mique et bac­té­rio­lo­gique, sinon dans le cas où elle doit être jugée indis­pen­sable pour se défendre dans les condi­tions indi­quées. Même alors cepen­dant il faut s’ef­for­cer par tous les moyens de l’é­vi­ter grâce à des ententes inter­na­tio­nales ou de poser à son uti­li­sa­tion des limites assez nettes et étroites pour que ses effets res­tent bor­nés aux exi­gences strictes de la défense. Quand tou­te­fois la mise en œuvre de ce moyen entraîne une exten­sion telle du mal qu’il échappe entiè­re­ment au contrôle de l’homme, son uti­li­sa­tion doit être reje­tée comme immo­rale. Ici il ne s’a­gi­rait plus de « défense » contre l’in­jus­tice et de la « sau­ve­garde » néces­saire de pos­ses­sions légi­times, mais de l’an­ni­hi­la­tion pure et simple de toute vie humaine à l’in­té­rieur du rayon d’ac­tion. Cela n’est per­mis à aucun titre.

Revenons au méde­cin. Si jamais, dans le cadre des limites indi­quées, une guerre moderne (A. B. C.) peut se jus­ti­fier et se jus­ti­fie en fait, la ques­tion de la col­la­bo­ra­tion morale licite du méde­cin peut alors se poser. Mais vous serez d’ac­cord avec Nous : on pré­fère ne pas voir le méde­cin occu­pé à une tâche de ce genre ; elle contraste trop avec son devoir pri­mor­dial : por­ter secours et gué­rir, ne pas faire de tort ni tuer.

Ceci vous ren­dra com­pré­hen­sible le sens et la jus­ti­fi­ca­tion de Nos expli­ca­tions anté­rieures ; ce que Nous avons dit sur la condam­na­tion de la guerre en géné­ral et sur la posi­tion et le rôle du méde­cin de guerre (notes 6 et note 7).

L’expérimentation sur l’homme.

D’après les infor­ma­tions qui Nous sont par­ve­nues de votre part, vous avez ajou­té au pro­gramme pri­mi­tif de votre Congrès actuel la ques­tion de l’ex­pé­ri­men­ta­tion sur l’homme vivant.

Quelle exten­sion cette expé­ri­men­ta­tion peut prendre et à quels abus elle peut conduire, les pro­cès des méde­cins de l’après-​guerre l’ont montré.

Nous Nous per­met­tons de ren­voyer à ce sujet à un pas­sage d’un de Nos pré­cé­dents dis­cours (note 8).

Que la recherche et la pra­tique médi­cales ne puissent se pas­ser de toute expé­ri­men­ta­tion sur l’homme vivant, on le com­prend sans peine. Mais il s’a­git de savoir quels sont les pré­supposés néces­saires de l’ex­pé­ri­men­ta­tion, ses limites, ses obs­tacles, ses prin­cipes de base déci­sifs. Dans les cas déses­pé­rés, quand le malade est per­du si l’on n’in­ter­vient pas et qu’il existe un médi­ca­ment, un moyen, une opé­ra­tion qui, sans exclure tout dan­ger, gardent encore une cer­taine pos­si­bi­li­té de suc­cès, un esprit droit et réflé­chi admet sans plus que le méde­cin puisse, avec l’ac­cord expli­cite ou tacite du patient, pro­cé­der à l’appli­cation de ce trai­te­ment. Mais la recherche, la vie et la pra­tique ne se limitent pas à de tels cas ; elles les débordent et vont plus loin. Même chez des méde­cins sérieux et conscien­cieux, on entend expri­mer l’i­dée que si l’on ne se risque pas sur de nou­velles voies, si l’on n’es­saie pas de nou­velles méthodes, on freine le pro­grès, quand on ne le para­lyse pas com­plè­te­ment. Dans le domaine des inter­ven­tions chi­rur­gi­cales sur­tout, on fait res­sor­tir que maintes opé­ra­tions qui ne com­portent aujourd’­hui aucun dan­ger spé­cial, ont der­rière elles un long pas­sé et une longue expé­rience — le temps néces­saire au méde­cin pour apprendre et s’exer­cer — et qu’un nombre plus ou moins grand de cas mor­tels marquent les débuts de ces procédés.

Il appar­tient à votre com­pé­tence pro­fes­sion­nelle de répondre aux ques­tions qui concernent les pré­sup­po­sés médi­caux et les indi­ca­tions de l’ex­pé­ri­men­ta­tion sur l’homme vivant. Cependant la dif­fi­cul­té d’une mise au point morale et juri­dique fait appa­raître néces­saires quelques indications.

Dans Notre allo­cu­tion aux méde­cins mili­taires, Nous avons, en bref, for­mu­lé les direc­tives essen­tielles à ce sujet (note 9).

Pour trai­ter et résoudre ces pro­blèmes, on met en jeu, com­me on le voit dans le texte cité, une série de prin­cipes moraux de l’im­por­tance la plus fon­da­men­tale : la ques­tion des rela­tions entre l’in­di­vi­du et la com­mu­nau­té, celle du conte­nu et des limites du droit d’u­ti­li­ser la pro­prié­té d’au­trui, la ques­tion des pré­sup­po­sés et de l’ex­ten­sion du prin­cipe de tota­li­té, celle des rela­tions entre la fina­li­té indi­vi­duelle et sociale de l’homme, et d’autres sem­blables. Bien que ces ques­tions n’ap­par­tiennent pas au domaine spé­ci­fique de la méde­cine, celle-​ci, en tous cas, doit en tenir compte, à l’é­gal de n’im­porte quelle autre acti­vi­té humaine.

Ce qui vaut du méde­cin à l’é­gard du patient vaut aus­si du méde­cin envers lui-​même. Il est sou­mis aux mêmes grands prin­cipes moraux et juri­diques. Aussi ne peut-​il pas non plus se prendre lui-​même comme objet d’ex­pé­riences scien­ti­fiques ou pra­tiques, qui entraînent un dom­mage sérieux ou menacent sa san­té ; encore moins est-​il auto­ri­sé à ten­ter une inter­ven­tion expé­ri­men­tale qui, d’a­près un avis auto­ri­sé, puisse entraî­ner muti­la­tion ou sui­cide. En outre, il faut en dire autant des infir­miers et infir­mières et de qui­conque est dis­po­sé à se prê­ter à des recherches thé­ra­peu­tiques. Ils ne peuvent pas se livrer à de telles expé­riences. Ce refus de prin­cipe ne concerne pas le motif per­son­nel de celui qui s’en­gage, se sacri­fie et se renonce au pro­fit d’un malade, ni le désir de col­la­bo­rer à l’a­van­tage d’une science sérieuse, qui veut aider et ser­vir. S’il s’a­gis­sait de cela, la réponse affir­ma­tive irait de soi. Dans aucune pro­fession, et en par­ti­cu­lier dans celle de méde­cin et d’in­fir­mier, il ne manque de gens qui sont prêts à se consa­crer tota­le­ment à d’autres et au bien com­mun. Mais il ne s’a­git pas de ce motif et de cet enga­ge­ment per­son­nel ; dans cette démarche, il s’a­git en fin de compte de dis­po­ser d’un bien non per­son­nel, sans en avoir le droit. L’homme n’est que l’u­su­frui­tier, non le posses­seur indé­pen­dant et le pro­prié­taire de son corps, de sa vie et de tout ce que le Créateur lui a don­né pour qu’il en use, et cela confor­mé­ment aux fins de la nature. Le prin­cipe fon­da­men­tal : « Seul celui qui a le droit de dis­po­si­tion est habi­li­té à en faire usage, et encore, uni­que­ment dans les limites qui lui ont été fixées », est l’une des der­nières et des plus uni­ver­selles normes d’ac­tion, aux­quelles le juge­ment spon­ta­né et sain se tient iné­branlablement, et sans les­quelles l’ordre juri­dique et celui de la vie com­mune des hommes en socié­té est impossible.

En ce qui concerne l’en­lè­ve­ment de par­ties du corps d’un défunt à des fins thé­ra­peu­tiques, on ne peut pas per­mettre au méde­cin de trai­ter le cadavre comme il le veut. Il revient à l’au­to­ri­té publique d’é­ta­blir des règles conve­nables. Mais elle non plus ne peut pro­cé­der arbi­trai­re­ment. Il y a des textes de loi, contre les­quels on peut éle­ver de sérieuses objec­tions. Une norme, comme celle qui per­met au méde­cin, dans un sanato­rium, de pré­le­ver des par­ties du corps à des fins thé­ra­peu­tiques, tout esprit de lucre étant exclu, n’est pas admis­sible déjà en rai­son de la pos­si­bi­li­té de l’in­ter­pré­ter trop libre­ment. Il faut aus­si prendre en consi­dé­ra­tion les droits et les devoirs de ceux à qui incombe la charge du corps du défunt. Finalement, il faut res­pec­ter les exi­gences de la morale natu­relle, qui défend de consi­dé­rer et de trai­ter le cadavre de l’homme sim­ple­ment com­me une chose ou comme celui d’un animal.

Morale et droit médicaux.

Vous com­pren­drez qu’en par­cou­rant la liste des résul­tats que vous avez déjà obte­nus au cours de sept années d’exis­tence, l’é­la­bo­ra­tion d’un code inter­na­tio­nal de morale médi­cale, déjà accep­té par quarante-​deux pays, ait éveillé tout par­ti­cu­liè­re­ment Notre intérêt.

On pour­rait croire qu’il fut aisé de créer une morale médi­cale mon­diale et un droit médi­cal mon­dial uni­formes. La nature humaine sans doute est la même sur toute la terre dans ses lois et ses traits fon­da­men­taux ; le but de la science médi­cale, et donc celui du méde­cin sérieux, sont aus­si par­tout les mêmes : aider, gué­rir et pré­ve­nir, ne pas faire de tort ni tuer. Ceci posé, il y a cer­taines choses qu’au­cun méde­cin ne fait, qu’au­cun méde­cin ne sou­tient ni ne jus­ti­fie, mais qu’il condamne. De même il est des choses qu’au­cun méde­cin n’o­met, mais qu’il exige au contraire et exé­cute. C’est, si vous vou­lez, le code d’hon­neur du méde­cin et celui de ses devoirs.

Toutefois, en réa­li­té, la morale médi­cale actuelle est encore bien loin de consti­tuer une morale mon­diale uni­forme et com­plète. Il est rela­ti­ve­ment peu de prin­cipes accep­tés par­tout. Mais ce nombre rela­ti­ve­ment petit est lui-​même digne de considéra­tion et mérite d’être appré­cié hau­te­ment et posi­ti­ve­ment comme point de départ d’un déve­lop­pe­ment ultérieur.

Au sujet de la morale médi­cale, Nous vou­drions pro­po­ser à votre consi­dé­ra­tion les trois idées de base suivantes :

1. La morale médicale doit être basée sur l’être et la nature.

Et cela parce qu’elle doit répondre à l’es­sence de la nature humaine et à ses lois et rela­tions imma­nentes. Toutes les normes morales, celles de la méde­cine aus­si, pro­cèdent néces­sai­re­ment des prin­cipes onto­lo­giques cor­res­pon­dants. De là vient la maxi­me : « Sois ce que tu es » ! Voilà pour­quoi une morale médi­cale pure­ment posi­ti­viste se renie elle-même.

2. La morale médicale doit être conforme à la raison, à la finalité, et s’orienter d’après les valeurs.

La morale médi­cale ne vit pas dans les choses, mais dans les hommes, dans les per­sonnes, chez les méde­cins, dans leur juge­ment, leur per­son­na­li­té, leur concep­tion et leur réa­li­sa­tion des valeurs. La morale médi­cale chez le méde­cin, ce sont les ques­tions de conscience per­son­nelles : « Qu’impose cette norme d’ac­tion ? Quelle est sa jus­ti­fi­ca­tion ? » (c’est-​à-​dire quelle fina­lité poursuit-​elle et se fixe-​t-​elle ?) « Quelle valeur exprime-​t-​elle en elle-​même, dans ses rela­tions per­son­nelles, dans sa struc­ture sociale ? » Autrement dit : « De quoi s’agit-​il ? », « Pourquoi ? Dans quel but ? Qu’est-​ce que cela vaut ? ». Des hommes moraux ne peuvent être super­fi­ciels, et s’ils le sont, ils ne peuvent pas le rester.

3. La morale médicale doit être enracinée dans le transcendant.

Ce qui, en der­nière ins­tance, est éta­bli par un homme, un homme peut, en der­nière ins­tance, le sup­pri­mer et donc (si c’est néces­saire ou si cela lui plaît), il peut s’en déga­ger. Cela contre­dit la constance de la nature humaine, la constance de sa desti­nation et de sa fina­li­té, cela contre­dit aus­si le carac­tère abso­lu et impres­crip­tible de ses exi­gences essen­tielles. Celles-​ci en effet ne disent pas : « Si, comme méde­cin, tu veux bien juger et bien agir, fais ain­si ! » Mais elles se mani­festent, au plus pro­fond de la conscience per­son­nelle, sous une tout autre forme : « Tu dois bien agir, quoi qu’il en coûte ! Donc tu dois agir ain­si et pas autre­ment ». Ce carac­tère abso­lu des exi­gences morales se main­tient, que l’homme leur prête l’o­reille ou non. Le devoir moral ne dépend pas du plai­sir de l’homme ! l’ac­tion morale seule est son affaire. Ce phé­no­mène, que l’on constate en tous temps, du carac­tère abso­lu de l’ordre moral oblige à recon­naître que la morale médi­cale pos­sède, en der­nière ana­lyse, un fon­de­ment et une règle trans­cen­dants. Dans Notre allo­cu­tion au Congrès de méde­cine mili­taire, Nous avons déve­lop­pé ces con­sidérations et par­lé du contrôle de la morale médi­cale (note 10).

Ajoutons un mot sur le droit médi­cal, dont Nous avons ja­dis trai­té plus en détail.

La vie des hommes en com­mu­nau­té exige des normes déter­minées et fer­me­ment déli­mi­tées, mais pas plus nom­breuses que ne le demande le bien com­mun. Les normes morales par con­tre s’é­tendent beau­coup plus loin, sont beau­coup plus nom­breuses et, sous maints aspects, moins net­te­ment déli­mi­tées, afin de per­mettre l’a­dap­ta­tion néces­saire aux exi­gences justi­fiées des cas par­ti­cu­liers. Le méde­cin pénètre pro­fon­dé­ment dans la vie de l’in­di­vi­du et de la com­mu­nau­té en ver­tu de la pro­fes­sion qu’il exerce. Il a besoin dans la socié­té d’un appui juri­dique large ; et aus­si d’une sécu­ri­té par­ti­cu­lière pour sa per­sonne et son action médi­cale. D’autre part, la socié­té veut une garan­tie de la capa­ci­té et de la com­pé­tence de ceux qui se pré­sentent et agissent comme méde­cins. Tout ceci démontre la néces­si­té d’un droit médi­cal, natio­nal et autant que pos­sible in­ternational. Non au sens d’un règle­ment détaillé fixé par des lois ; au contraire, que l’Etat aban­donne autant que pos­sible l’é­la­bo­ra­tion de ce règle­ment aux chambres des méde­cins (na­tionales et inter­na­tio­nales), en leur attri­buant les pou­voirs et sanc­tions néces­saires. Qu’il se réserve la haute sur­veillance, les der­nières sanc­tions, l’in­té­gra­tion de l’ordre et des chambres de méde­cins dans l’en­semble de la vie nationale.

Le droit médi­cal dans son conte­nu doit expri­mer la morale médi­cale, en ceci du moins qu’il ne contienne rien d’op­po­sé à la morale ; qu’il en arrive à pro­po­ser tout ce qu’il devrait pour satis­faire aux exi­gences de l’é­thique natu­relle, c’est, d’a­près l’ex­pé­rience faite jus­qu’à pré­sent, un sou­hait dont la réalisa­tion est encore bien éloignée.

En résu­mé : la morale médi­cale est, en son der­nier fonde­ment, basée sur l’être, sur la rai­son et sur Dieu : le droit mé­dical dépend en outre des hommes.

Nous avons rele­vé trois points dans le pro­gramme abon­dant de votre Congrès et Nous avons dit un mot de la guerre et de la paix, de l’ex­pé­ri­men­ta­tion sur l’homme, des efforts pour consti­tuer une morale médi­cale mon­diale et un droit mé­dical mondial.

Nous vou­lions ain­si sti­mu­ler et orien­ter votre juge­ment per­sonnel et contri­buer, pour Notre part, aux pro­grès fruc­tueux et à l’ap­pro­fon­dis­se­ment de votre travail.

Notes supplémentaires

Note 6.

En pre­mière place se trouve le crime d’une guerre moderne, que n’exige pas la né­cessité incon­di­tion­née de se défendre et qui entraîne — Nous pou­vons le dire sans hési­ter — des ruines, des souf­frances et des hor­reurs inima­gi­nables. La com­mu­nau­té des peuples doit comp­ter avec les cri­mi­nels sans conscience, qui, pour réa­li­ser leurs plans ambi­tieux, ne craignent pas de déclen­cher la guerre totale. C’est pour­quoi, si les autres peuples dési­rent pro­té­ger leur exis­tence et leurs biens les plus pré­cieux et s’ils ne veulent pas lais­ser les cou­dées franches aux mal­fai­teurs inter­na­tio­naux, il ne reste qu’à se pré­pa­rer pour le jour où ils devront se défendre. Ce droit à se tenir sur la défen­sive, on ne peut le refu­ser, même aujourd’­hui, à aucun Etat. Cela ne change d’ailleurs abso­lu­ment rien au fait que la guerre injuste est à pla­cer au pre­mier rang des délits les plus graves, que le droit pénal inter­na­tio­nal met au pilo­ri, qu’il frappe des peines les plus lourdes, et dont les auteurs res­tent en tout cas cou­pables et pas­sibles du châ­ti­ment pré­vu. (Allocution aux par­ti­ci­pants du VIe Congrès International de droit pénal, 3 octobre 1953. — Discorsi e Radiomessagi, vol. XV, pp. 340–341 ; cf. Documents Pontificaux 1953, p. 468.)

Note 7.

Ce point est déci­sif pour la posi­tion du méde­cin vis-​à-​vis de la guerre en géné­ral, et de la guerre moderne en par­ti­cu­lier. Le méde­cin est adver­saire de la guerre et pro­mo­teur de la paix. Autant il est prêt à gué­rir les bles­sures de la guerre, quand elles existent déjà, autant il s’emploie, dans la mesure du pos­sible, à les éviter.

La bonne volon­té réci­proque per­met tou­jours d’é­vi­ter la guerre comme ultime moyen de régler les dif­fé­rends entre les Etats. Voici quelques jours, Nous avons encore expri­mé le désir que l’on punisse sur le plan inter­na­tio­nal toute guerre, qui n’est pas exi­gée par la néces­si­té abso­lue de se défendre contre une injus­tice très grave attei­gnant la commu­nauté, lors­qu’on ne peut l’empêcher par d’autres moyens et qu’il faut le faire cepen­dant, sous peine d’ac­cor­der libre champ dans les rela­tions inter­na­tio­nales à la vio­lence bru­tale et au manque de conscience. Il ne suf­fit donc pas d’a­voir à se défendre contre n’im­porte quelle injus­tice pour uti­li­ser la méthode vio­lente de la guerre. Lorsque les dom­mages en­traînés par celle-​ci ne sont pas com­pa­rables à ceux de l”« injus­tice tolé­rée », on peut avoir l’o­bli­ga­tion de « subir l’injustice ».

Ce que Nous venons de déve­lop­per vaut tout d’a­bord de la guerre A.B.C., ato­mique, bio­lo­gique et chi­mique. La ques­tion de savoir si elle peut deve­nir sim­ple­ment néces­saire pour se défendre contre une guerre A.B.C., qu’il Nous suf­fise de l’a­voir posée ici. La ré­ponse se dédui­ra des mêmes prin­cipes, qui sont déci­sifs aujourd’­hui pour per­mettre la guerre en géné­ral. En tous cas, une autre ques­tion se pose d’a­bord : n’est-​il pas pos­sible par des ententes inter­na­tio­nales de pros­crire et d’é­car­ter effi­ca­ce­ment la guerre A.B.C. ?

Après les hor­reurs des deux conflits mon­diaux, Nous n’a­vons pas besoin de rap­pe­ler que toute apo­théose de la guerre est à condam­ner comme une aber­ra­tion de l’es­prit et du cœur. Certes, la force d’âme et la bra­voure jus­qu’au don de la vie, quand le devoir le demande, sont de grandes ver­tus ; mais vou­loir pro­vo­quer la guerre parce qu’elle est l’é­cole des grandes ver­tus et une occa­sion de les pra­ti­quer, devrait être qua­li­fié de crime et de folie.

Ce que nous avons dit montre la direc­tion dans laquelle on trou­ve­ra la réponse à cette autre ques­tion : le méde­cin peut-​il mettre sa science et son acti­vi­té au ser­vice de la guerre A.B.C. ? L”« injus­tice », il ne peut jamais la sou­te­nir, même au ser­vice de son propre pays ; et lorsque ce type de guerre consti­tue une injus­tice, le méde­cin ne peut y col­la­bo­rer. (Allocution aux membres du XVIe Congrès International de méde­cine mili­taire — Discorsi e Radiomessaggi, vol. XV, pp. 421–422 ; cf. Documents Pontificaux 1953, pp. 536–537.)

Note 8.

Cependant pour la troi­sième fois revient la ques­tion : l”« inté­rêt médi­cal de la com­mu­nau­té », n’est-​il, dans son conte­nu et son exten­sion, limi­té par aucune bar­rière mo­rale ? Y a‑t-​il « pleins pou­voirs » pour chaque expé­rience médi­cale sérieuse sur l’homme vi­vant ? Lève-​t-​il les bar­rières qui valent encore pour l’in­té­rêt de la science ou de l’in­di­vi­du ? — Ou sous une autre for­mu­la­tion : l’au­to­ri­té publique — à qui pré­ci­sé­ment incombe le sou­ci du bien com­mun — peut-​elle don­ner au méde­cin le pou­voir de ten­ter des essais sur l’in­di­vi­du dans l’in­té­rêt de la science et de la com­mu­nau­té afin d’in­ven­ter et d’expérimen­ter des méthodes et pro­cé­dés nou­veaux, alors que ces essais dépassent le droit de l’indi­vidu à dis­po­ser de lui-​même ; l’au­to­ri­té publique peut-​elle réel­le­ment, dans l’in­té­rêt de la com­mu­nau­té, limi­ter ou sup­pri­mer même le droit de l’in­di­vi­du sur son corps et sa vie, son inté­gri­té cor­po­relle et psychologique ?

Pour pré­ve­nir une objec­tion : on sup­pose tou­jours qu’il s’a­git de recherches sérieuses, d’ef­forts hon­nêtes pour pro­mou­voir la méde­cine théo­rique et pra­tique ; non de quelque manœuvre qui sert de pré­texte scien­ti­fique pour cou­vrir d’autres buts et les réa­li­ser impunément.

En ce qui concerne les ques­tions posées, beau­coup ont esti­mé, et estiment encore au­jourd’hui, qu’il faut y répondre par l’af­fir­ma­tive. Pour étayer leur concep­tion, ils invoquent le fait que l’in­di­vi­du est subor­don­né à la com­mu­nau­té, que le bien de l’in­di­vi­du doit cé­der le pas au bien com­mun et lui être sacri­fié. Ils ajoutent que le sacri­fice d’un indi­vi­du aux fins de la recherche et de l’ex­plo­ra­tion scien­ti­fique pro­fite fina­le­ment à l’individu.

Les grands pro­cès de l’après-​guerre ont mis au jour une quan­ti­té effrayante de docu­ments attes­tant le sacri­fice de l’in­di­vi­du à « l’in­té­rêt médi­cal de la com­mu­nau­té ». On trouve, dans les actes, des témoi­gnages et des rap­ports qui montrent com­ment, avec l’as­sentiment et même par­fois sur un ordre for­mel de l’au­to­ri­té publique, cer­tains centres de recherches exi­geaient sys­té­ma­ti­que­ment qu’on leur four­nît les hommes des camps de con­centration pour leurs expé­riences médi­cales, et com­ment on les livrait à ces centres : tant d’hommes, tant de femmes, tant pour telle expé­rience, tant pour telle autre. Il existe des rap­ports sur le dérou­le­ment et le résul­tat des expé­riences, sur les symp­tômes objec­tifs et sub­jec­tifs obser­vés chez les inté­res­sés au cours des dif­fé­rentes pha­ses de l’ex­pé­ri­men­ta­tion. On ne peut lire ces notes sans être sai­si d’une pro­fonde com­passion pour ces vic­times, dont beau­coup sont allées à la mort, et sans être pris d’épou­vante devant pareille aber­ra­tion de l’es­prit et du cœur humain. Mais Nous pou­vons aus­si ajou­ter : les res­pon­sables de ces faits atroces n’ont rien fait de plus que répondre par l’af­fir­ma­tive aux ques­tions que Nous avons posées, et tirer les consé­quences pra­tiques de cette affirmation.

L’intérêt de l’in­di­vi­du est-​il à ce point subor­don­né à l’in­té­rêt médi­cal com­mun — ou transgresse-​t-​on ici, de bonne foi peut-​être, les exi­gences les plus élé­men­taires du droit natu­rel, trans­gres­sion que ne peut se per­mettre aucune recherche médicale ?

Il fau­drait fer­mer les yeux à la réa­li­té pour croire qu’à l’heure actuelle, on ne trouve plus per­sonne dans le monde de la méde­cine pour tenir et défendre les idées qui sont à l’o­ri­gine des faits que Nous avons cités. Il suf­fit de suivre pen­dant quelque temps les rap­ports sur les essais et les expé­riences médi­cales, pour se convaincre du contraire. On se demande invo­lon­tai­re­ment ce qui a auto­ri­sé tel méde­cin à oser telle inter­ven­tion, et ce qui pour­rait jamais l’y auto­ri­ser. Avec une objec­ti­vi­té tran­quille, l’ex­pé­rience est décrite dans son dérou­le­ment et dans ses effets ; on note ce qui se véri­fie et ce qui ne se véri­fie pas. Sur la ques­tion de la licéi­té morale, pas un mot. Cette ques­tion existe cepen­dant, et l’on ne peut la sup­pri­mer en la pas­sant sous silence.

Pour autant que, dans les cas men­tion­nés, la jus­ti­fi­ca­tion morale de l’in­ter­ven­tion se tire du man­dat de l’au­to­ri­té publique, et donc de la subor­di­na­tion de l’in­di­vi­du à la com­munauté, du bien indi­vi­duel au bien social, elle repose sur une expli­ca­tion erro­née de ce prin­cipe. Il faut remar­quer que l’homme dans son être per­son­nel n’est pas ordon­né en fin de compte à l’u­ti­li­té de la socié­té, mais au contraire, la com­mu­nau­té est là pour l’homme.

La com­mu­nau­té est le grand moyen vou­lu par la nature et par Dieu pour régler les échanges où se com­plètent les besoins réci­proques, pour aider cha­cun à déve­lop­per com­plètement sa per­son­na­li­té selon ses apti­tudes indi­vi­duelles et sociales. La com­mu­nau­té consi­dé­rée comme un tout n’est pas une uni­té phy­sique qui sub­siste en soi, et ses mem­bres indi­vi­duels n’en sont pas des par­ties inté­grantes. L’organisme phy­sique des êtres vi­vants, des plantes, des ani­maux ou de l’homme pos­sède en tant que tout une uni­té qui sub­siste en soi ; cha­cun des membres, par exemple, la main, le pied, le cœur, l’œil est une par­tie inté­grante, des­ti­née par tout son être à s’in­sé­rer dans l’en­semble de l’or­ga­nisme. Hors de l’or­ga­nisme, il n’a, par sa nature propre, aucun sens, aucune fina­li­té ; il est entiè­re­ment absor­bé par la tota­li­té de l’or­ga­nisme, auquel il se relie.

Il en va tout autre­ment dans la com­mu­nau­té morale et dans chaque orga­nisme de ca­ractère pure­ment moral. Le tout n’a pas ici une uni­té qui sub­siste en soi, mais une sim­ple uni­té de fina­li­té et d’ac­tion. Dans la com­mu­nau­té, des indi­vi­dus ne sont que colla­borateurs et ins­tru­ments pour la réa­li­sa­tion du but communautaire.

Que s’ensuit-​il pour l’or­ga­nisme phy­sique ? Le maître et l’u­su­frui­tier de cet organis­me, qui pos­sède une uni­té sub­sis­tante, peut dis­po­ser direc­te­ment et immé­dia­te­ment des par­ties inté­grantes, les membres et les organes, dans le cadre de leur fina­li­té natu­relle ; il peut inter­ve­nir éga­le­ment, aus­si sou­vent et dans la mesure où le bien de l’en­semble le demande, pour en para­ly­ser, détruire, muti­ler, sépa­rer les membres. Mais par contre quand le tout ne pos­sède qu’une uni­té de fina­li­té et d’ac­tion, son chef, c’est-​à-​dire dans le cas pré­sent, l’au­to­ri­té publique, détient sans doute une auto­ri­té directe et le droit de poser des exi­gences à l’ac­ti­vi­té des par­ties, mais en aucun cas il ne peut dis­po­ser direc­te­ment de son être phy­sique. Aussi toute atteinte directe à son essence consti­tue un abus de com­pétence de l’au­to­ri­té. (Allocution au pre­mier Congrès International d’Histopathologie du Système Nerveux, 14 sep­tembre 1952. — Discorsi & Radiomessaggi, vol. XIV, pp. 325–328 ; Documents Pontificaux 1952, pp. 460 et s.)

Note 9.

… le méde­cin jus­ti­fiait ses déci­sions par l’in­té­rêt de la science, celui du patient et celui du bien com­mun. L’intérêt de la science, il en a déjà été ques­tion. Quant à celui du patient, le méde­cin n’a pas plus de droit à inter­ve­nir que le patient ne lui en concède. Le patient, de son côté, l’in­di­vi­du lui-​même n’a le droit de dis­po­ser de son exis­tence, de l’in­té­gri­té de son orga­nisme, des organes par­ti­cu­liers et de leur capa­ci­té de fonction­nement que dans la mesure où le bien de tout l’or­ga­nisme l’exige.

Ceci donne la clef de la réponse à la ques­tion qui vous a occu­pés : le méde­cin peut-​il appli­quer un remède dan­ge­reux, entre­prendre des inter­ven­tions pro­ba­ble­ment ou certaine­ment mor­telles, uni­que­ment parce que le patient le veut ou y consent ? De même à la ques­tion en soi com­pré­hen­sible pour le méde­cin tra­vaillant juste der­rière le front ou à l’hô­pi­tal mili­taire : peut-​il, en cas de souf­frances insup­por­tables ou incu­rables et de bles­sures hor­ribles, admi­nis­trer, à la demande expresse du malade, des injec­tions qui équi­valent à une euthanasie ?

Par rap­port à l’in­té­rêt de la com­mu­nau­té, l’au­to­ri­té publique n’a en géné­ral aucun droit à dis­po­ser de l’exis­tence et de l’in­té­gri­té des organes de ses sujets inno­cents. — La ques­tion des peines cor­po­relles et de la peine de mort, Nous ne l’exa­mi­nons pas ici, puis­que Nous par­lons du méde­cin, non du bour­reau. — Comme l’Etat ne détient pas ce droit direct de dis­po­si­tion, il ne peut donc pas le com­mu­ni­quer au méde­cin pour quelque motif ou but que ce soit. La com­mu­nau­té poli­tique n’est pas un être phy­sique comme l’or­ga­nisme cor­po­rel, mais un tout qui ne pos­sède qu’une uni­té de fina­li­té et d’ac­tion ; l’homme n’existe pas pour l’Etat, mais l’Etat pour l’Homme. Quand il s’a­git d’êtres sans rai­son, plantes ou ani­maux, l’homme est libre de dis­po­ser de leur exis­tence et de leur vie, (ce qui ne sup­prime pas l’o­bli­ga­tion qu’il a, devant Dieu et sa propre digni­té, d’é­vi­ter les bru­ta­li­tés et les cruau­tés sans motifs), mais non de celle d’autres hommes ou de subordonnés.

Le méde­cin de guerre tire de là une orien­ta­tion sûre, qui sans lui enle­ver la respon­sabilité de sa déci­sion, est sus­cep­tible de le gar­der des erreurs de juge­ment, en lui four­nissant une norme objec­tive claire. (Allocution aux membres du XVIe Congrès International de méde­cine mili­taire. — Discorsi e Radiomessaggi, vol. XV, pp. 420–421 ; cf. Documents Pontificaux 1953, pp. 535–536.)

Note 10.

Le contrôle der­nier et le plus éle­vé, c’est le Créateur lui-​même : Dieu. Nous ne ferions pas jus­tice aux prin­cipes fon­da­men­taux de votre pro­gramme et aux consé­quences qui en découlent, si Nous vou­lions les carac­té­ri­ser seule­ment comme des exi­gences de l’hu­ma­ni­té, comme des buts huma­ni­taires. Ils le sont aus­si ; mais ils sont essen­tiel­le­ment plus encore. La der­nière source, d’où découlent leur force et leur digni­té, c’est le Créa­teur de la nature humaine. S’il s’a­gis­sait de prin­cipes éla­bo­rés par la seule volon­té de l’homme, alors leur obli­ga­tion n’au­rait pas plus de force que les hommes ; ils pour­raient s’ap­pli­quer aujourd’­hui, et être dépas­sés demain ; un pays pour­rait les accep­ter, un autre les refu­ser. II en va tout autre­ment, si l’au­to­ri­té du Créateur inter­vient. Et les prin­cipes de base de la morale médi­cale sont par­tie de la loi divine. Voilà le motif qui auto­rise le méde­cin à mettre une confiance incon­di­tion­née dans ces fon­de­ments de la morale médi­cale. (Ibid. — Discorsi e Radiomessaggi, vol. XV, pp. 422–423 ; cf. Documents Pontificaux 1953, p. 537)

Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, année 1954, Édition Saint-​Augustin Saint-​Maurice. – D’après le texte fran­çais des A. A. S., XXXXVI, 1954, p. 587.

  1. Discorsi e Radiomessaggi, vol. XIV, pp. 319–330 ; cf. Documents Pontificaux 1952, p. 454. []
  2. 19 octobre 1953, ibid., vol. XV, pp. 417–428 ; cf. Documents Pontificaux 1953, p. 531. 4 Ibid., vol. XV, pp. 373–375 ; cf. Documents Pontificaux 1953, p. 492. []
  3. Ibid., vol. XV, pp. 337–353 ; cf. Documents Pontificaux 1953, p. 464. []