L’impasse du dialogue religieux
Est-ce qu’un dialogue religieux était possible avec Jésus ?
Pourquoi poser une telle question ? La réponse semble évidente pour tous : Jésus a parlé avec les uns et les autres, avec les apôtres, avec la Samaritaine, avec Marie- Madeleine, il a écouté ce qu’un chacun voulait lui dire et il a répondu quand c’était bon qu’il réponde ( avec Pilate), sinon il a gardé le silence ( avec Hérode il n’a pas dit un mot). Donc en général il a dialogué, c’est clair.
Pourtant il est important de vérifier davantage et de réfléchir de plus près à la question posée et d’apporter des preuves notamment par les évangiles.
En fait, il ne s’agit pas de savoir si Jésus a conversé avec les hommes, cela on le sait bien, mais il s’agit de vérifier si un dialogue religieux était possible avec Jésus.
Avant de répondre, développons un peu ce que l’on entend par dialogue religieux surtout depuis le pape Paul VI qui en a été le grand promoteur avec son encyclique Ecclesiam suam (1964) et suite à l’inénarrable concile Vatican II qui a vulgarisé ce mot « dialogue » introuvable auparavant dans aucun concile, ni même dans les encycliques des papes. « Ce terme est inconnu et inusité dans la doctrine avant le Concile Vatican II » remarque Romano Amério dans son livre très bien documenté Iota Unum ou histoire des variations de l’Eglise au XXème siècle p. 296 .
Depuis, les hommes d’Eglise se sont fourvoyés dans une impasse dont ils ne sont pas encore prêts de sortir. S’ils se félicitent de ce que le dialogue n’a jamais été aussi intense il faut cependant faire une constatation honnête mais décevante : l’évangélisation n’a jamais été aussi nulle. Les églises se ferment, il y a de moins en moins de prêtres et de catholiques attachés aux dogmes de l’Eglise et de moins en moins de non-catholiques désireux de se sortir de leurs erreurs religieuses. Le dialogue religieux s’il est florissant n’est donc pas l’évangélisation (qui implique réception de la vraie foi et du baptême) mais autre chose. Quoi exactement ?
Qui dit dialogue aujourd’hui dit « échange », « approfondissement », « mieux se connaître ». Que voilà de bonnes choses très intéressantes ! Mais attention il s’agit « d’échange » sans chercher à convaincre ou à réfuter ; « d’approfondissement » pour bouleverser au besoin les vérités traditionnelles les mieux établies ; « de mieux se connaître » pour mettre en valeur les points communs mais sans vouloir résoudre définitivement les problèmes et surtout sans demander d’abandonner des positions hétérodoxes. Après tout, les différences ne sont-elles pas des signes de richesse ? C’est ainsi qu’est entendu le dialogue, une recherche continuelle des catholiques avec les autres religions comme si la doctrine catholique se trouvait avec elles dans un même état d’ignorance sur Dieu et sur ce que Dieu veut. Par le dialogue les catholiques ne font qu’apporter un simple point de vue, un vécu original intéressant qui progresse sans cesse avec les autres et au même titre que les autres. On peut résumer vulgairement ainsi : tu dis ce que tu penses en matière religieuse, je te réponds mon point de vue, on échange, on s’enrichit mutuellement. C’est intéressant de brasser des idées diverses et on en reste là jusqu’à la prochaine fois. Et ainsi de suite sans que cela s’arrête.
Alors ? Est-ce que Jésus a échangé des paroles avec les autres sans essayer de les convaincre ou de les convertir à lui ? Est-ce qu’il a essayé de s’enrichir de l’expérience religieuse des autres en écoutant tous les points de vue, en acceptant leur façon de voir très différente de la sienne et en leur faisant part, au besoin, avec beaucoup de délicatesse, de ses intuitions personnelles qui étaient, il faut le dire, extrêmement innovantes à l’époque ? A‑t-il partagé les questions et les doutes de ses contemporains pour faire émerger des solutions nouvelles et inédites ? A‑t-il cherché à faire ressortir les points communs qui existaient avec ses opposants pour faire l’union partout où c’était possible afin que les hommes apprennent à vivre en paix malgré leurs divergences ?
Y a‑t-il eu un enrichissement de Jésus par les autres ?
Ces questions nous font facilement déceler quelle est la réponse à donner. Il est très certain que Jésus n’a point dialogué au sens moderne où ce mot est compris, mais n’anticipons pas, les évangiles nous diront clairement ce qu’il en est et nous montreront par eux que tous ceux qui ont adopté le dialogue pour témoigner du Christ sont à la fois trompés et trompeurs.
Essayons pour le moment de mieux comprendre l’esprit qui est véhiculé par cette volonté de maintenir à tout prix un dialogue religieux. Cet esprit est doublement pervers : C’est d’abord le respect des fausses religions en tant que telles ; c’est ensuite le respect de la liberté de pensée. Deux choses que l’Eglise n’a jamais admises car elle ne peut ni admettre l’erreur religieuse ni l’indépendance absolue de l’homme par rapport à la vérité car l ’homme qui choisit l’erreur déchoit de sa dignité de créature raisonnable
- L’Eglise enseigne qu’il n’ y a qu’une seule vraie religion, seule digne de notre considération et de notre attachement, celle fondée par le Christ et donnée à ses apôtres pour la transmettre fidèlement jusqu’à ce qu’Il revienne. St Paul a dit : « Malheur à moi si je n’évangélise pas » ; il n’a pas dit « Malheur à moi si je ne dialogue pas ». Les autres religions sont de pures inventions de Satan (ex : polythéisme) ou des corruptions de la vraie religion par ce même démon qui sème l’ivraie partout où il peut parce qu’il veut détourner les âmes du Christ et du salut : ainsi les sectes protestantes et le modernisme sont des déviations du catholicisme, déviations d’autant plus dangereuses que des aspects vrais sont conservés.
- L’Eglise enseigne encore que l’homme n’est pas libre de penser ce qu’il veut (le libre examen est le propre de la religion protestante et de la philosophie moderne qui se fabrique sa propre explication du monde) mais qu’il doit se soumettre à la vérité et aux mystères de la foi prêchée par l’Eglise ; il doit le faire de son propre mouvement, par une détermination libre, sous l’impulsion de la prédication ( et non du dialogue) et de la grâce qui n’est pas refusée aux âmes de bonne volonté. Voilà pourquoi l’humilité est la condition essentielle pour adhérer à la vérité : « Si vous ne devenez comme des enfants vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux » a dit Jésus. Comme les enfants se laissent conduire par leurs parents ou maîtres pour apprendre à parler, à lire, à bien agir ainsi nous devons nous laisser conduire par le Fils de Dieu et par la Société religieuse voulue par Lui, l’Eglise catholique, pour apprendre à prier, à connaître les mystères et à bien agir. On entend souvent nos détracteurs dire : « vous êtes des orgueilleux, vous prétendez être les seuls à détenir la vérité, être l’Eglise. ». Mais qui ne voit que n’importe qui peut être le possesseur de la vérité ? Il suffit d’être une âme humble et docile à Dieu qui nous a parlé, il suffit de se laisser enseigner comme un enfant dans la connaissance des mystères de la religion et dans la voie de la perfection chrétienne par les ministres du Christ non infectés par des nouveautés mondaines et étrangères au christianisme.
Venons en aux évangiles proprement dits et la manière de faire de Jésus. En fait de dialogue il y a un passage significatif qu’il faut méditer parce qu’il doit nous éclairer sur ce qu’il faut penser sur ce sujet. Il s’agit de Saint Jean ch.8, v.46–59. Voyons l’attitude de Jésus dans un dialogue : « Jésus disait aux juifs : qui de vous me convaincra de péché ? Si je dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas ? Celui qui est de Dieu écoute les paroles de Dieu. C’est pour cela que vous ne m’écoutez pas, parce que vous n’êtes pas de Dieu. » Voilà une façon de parler qui ne laisse pas beaucoup de liberté aux auditeurs. La façon de procéder est très autoritaire : « si vous ne croyez pas » dit Jésus c’est que « vous n’êtes pas de Dieu ».
De fait le Christ est en droit de demander une adhésion totale à sa parole vu sa sainteté manifeste (on ne peut pas le convaincre de péché) et les signes qu’il a donnés (les miracles en particuliers). Mais continuons – Les juifs lui répondirent : N’avons nous pas raison de dire que vous êtes un Samaritain ( terme méprisant comme : « intégriste » aujourd’hui ) et que vous avez un démon ? Jésus répliqua : Je n’ai point de démon ; mais j’honore mon Père, et vous m’outragez. – Pour moi, je n’ai point souci de ma gloire ; il en est un qui en prend soin, et qui fera justice. En vérité, en vérité, je vous le dis, si quelqu’un garde ma parole, il ne verra jamais la mort ». Ici Jésus fait le lien entre la vraie doctrine (sa parole) et la vie sainte (ne pas connaître la mort de l’âme) : vraiment celui qui s’attache de tout son cœur à la vraie doctrine pour en vivre trouvera la sainteté mais en revanche, en dehors de la parole du Christ, même avec la meilleure volonté du monde et un bon tempérament la sainteté est impossible : c’est inéluctablement la mort, le péché. « Les juifs reprirent : Nous savons bien maintenant que vous avez un démon. Abraham est mort, les prophètes aussi et vous dites : Si quelqu’un garde ma parole, il ne verra jamais la mort ? Les prophètes aussi sont morts ; qui prétendez-vous être ?- Jésus répondit : Si je me glorifie moi-même, ma gloire n’est rien. C’est mon Père qui me glorifie, lui dont vous dites qu’il est votre Dieu, et que vous ne connaissez pas. Pour moi, je le connais ; et si je disais que je ne le connais pas, je serais semblable à vous, un menteur ».
En dehors du Christ il n’ y a pas de vraie connaissance de Dieu, c’est le mensonge religieux. Toute l’autorité religieuse d’un homme doit venir du Christ et se référer à lui, même le Pape ne peut enseigner avec autorité quelque chose de contraire au Christ comme la valeur salvifique de toutes les religions « – Mais je le connais et je garde sa parole. Abraham, votre père, a tressailli de joie de ce qu’il verrait mon jour. Il l’ a vu, et il s’est réjoui. –Les Juifs lui dirent : Vous n’avez pas encore cinquante ans, et vous avez vu Abraham ? Jésus répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis : Avant qu’Abraham fût, je suis. Là –dessus, ils prirent des pierres pour les lui jeter ; mais Jésus se cacha, et sortit du Temple »..
Jésus se présente comme le Messager divin venu pour nous instruire des desseins de Dieu. Il ne se place pas au même niveau que ses interlocuteurs comme il conviendrait de le faire pour un dialogue mais au-dessus, comme un Maître qui sait et qui enseigne. Il ne tente aucun arrangement, il ne cherche aucun compromis, il veut les convaincre de l’urgence de croire en lui s’ils veulent se sauver : c’est là le but de ses paroles pressantes et sévères.
Dans l’évangile que nous avons vu, ceux que Jésus essaye de convaincre sont en soi les représentants de la seule vraie religion (inachevée) de l’époque : Or ils ne veulent pas du Messie annoncé pourtant par tous leurs grands prophètes : « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu » dira Saint Jean. Le premier Pape est encore plus clair : «.. la pierre (le Christ) qu’on rejetée ceux qui bâtissaient, c’est elle qui est devenue une pierre d’angle, une pierre d’achoppement et un rocher de scandale » : eux qui vont se heurter contre la parole parce qu’ils n’ont pas obéi. » (1. Pierre 2,8)
Que conclure ? Si Jésus dialogue, c’est pour convaincre ou pour réfuter. Autrement la foi ne se transmet pas par un dialogue mais par un enseignement magistral parce que les mystères de la religion sont bien supérieurs à la raison : « Dieu personne ne l’a vu, le Fils unique, qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître » (St Jean I‑18). C’est lui le seul Maître de la religion : « Pour vous qu’on ne vous appelle pas non plus Maître, car vous n’avez qu’un seul Maître, le Christ » (St Matthieu 23–8) et les autres comme saint Augustin, saint Thomas d’Aquin et les grands docteurs de l’Eglise ne sont des maîtres qu’en raison de leur fidélité à la doctrine de Jésus.
S’il est bon de discuter de religion pour amener quelqu’un à la foi ou pour préciser des points de doctrine, il n’est pas bon de mettre en discussion ou en dialogue les vérités religieuses apportées par le Christ, le faire c’est trahir l’Auteur de la vérité et trafiquer l’évangile.
Nous n’avons pas à donner notre avis dans un domaine où notre avis n’a rien à faire : dans le domaine religieux ce qui compte c’est de recevoir les mystères de la foi et c’est là le signe que l’on « est de Dieu ». L’attitude de Eglise doit être la même. Elle doit communiquer la foi mais ne doit pas dialoguer la foi. C’est faire acte de charité que de réfuter les erreurs, convaincre par la parole et même menacer les obstinés et toutes ces choses sont abandonnées aujourd’hui parce qu’on préfère dialoguer d’égal à égal comme avec des amis. Les hommes d’Eglise qui ont choisi le chemin du dialogue amical avec les fausses religions ont voulu plaire au monde et se sont engagés dans une nouveauté inconnue des apôtres et des grands missionnaires, ils se trompent et ils trompent ceux qui les écoutent.
« Si je cherchais à plaire aux hommes, dit Saint Paul, je ne serais plus un serviteur du Christ. ».
Abbé Pierre Barrère
Extrait du Sainte-Anne n° 218 de d’avril-mai 2010