Abbé Pierre Barrère – Mars 2010
La cérémonie des cendres marque l’entrée en carême. Le prêtre après avoir béni les cendres qui sont faites à partir des rameaux bénis de l’année précédente les impose sur le front des chrétiens en disant à chacun « Memento homo quia pulvis es et in pulverem reverteris » « souviens-toi, homme, que tu es poussière et que tu retourneras en poussière ». Ces paroles sont un rappel de la création d’Adam : « Dieu forma l’homme de la poussière du sol, et il souffla dans ses narines un souffle de vie, et l’homme devint un être vivant » (gen. 2.7). C’est un rappel surtout du premier péché qui devait avoir pour conséquence la souffrance, la mort et la corruption du tombeau : « Tu peux manger de tous les arbres du jardin ; mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras certainement » (gen.2.17)
Ainsi l’homme est devenu mortel à partir de sa rébellion contre le précepte de Dieu, sous l’instigation du démon, le serpent infernal.
Saint Paul, le pharisien converti du judaïsme, confirme cet enseignement en disant : « par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort » (Rom.5.12) Donc, s’il n’y avait pas eu de péché il n’y aurait pas eu non plus de mort pour l’homme. Sans doute la mort est naturelle à l’homme car tout ce qui est composé peut se détruire mais Dieu avait accordé à Adam le don d’immortalité et il devait le transmettre à la condition de conserver la grâce.
Saint Paul dit encore que le péché et ses conséquences ne sont pas uniquement pour Adam mais pour tous ses descendants : « par la désobéissance d’un seul, tous ont été constitués pécheurs. » (Rom. 5.19) et ailleurs il confirme dans sa lettre aux Ephésiens cet enseignement « nous étions par nature (nature humaine reçue d’Adam pécheur) enfants de colère » (Eph 2.3). Or qu’est-ce qui peut faire que l’on soit en naissant « enfant de colère » si ce n’est le péché originel, péché mystérieux mais réel, qui devient nôtre en recevant la nature humaine de nos parents ?
Ce que la Bible fait connaître de manière éparpillée dans l’Ancien et le Nouveau Testament, l’Eglise le résume bien dans son catéchisme afin de nous donner une meilleure intelligence des Ecritures. Ainsi nous savons que Dieu a tiré tout le genre humain d’un seul homme qui fut créé avec la grâce sanctifiante et doté des quatre dons préternaturels ( immortalité, impassibilité, science et intégrité). La grâce perdue par le péché du premier homme entraîne un état de péché pour tous sauf la sainte Vierge (privilège de l’immaculée conception) et la privation des quatre dons. Le désordre dans le monde commence alors à s’installer et à se diffuser (ex : Caïn tue son frère Abel) et l’homme s’il ne meurt immédiatement va connaître la vieillesse, la mort et la décomposition : « tu es poussière et tu retourneras en poussière. » (gen.3.19)
Souvent les athées objectent : si Dieu existait il n’y aurait pas toute cette souffrance, le monde serait plus harmonieux, plus juste, le sort de beaucoup de misérables n’existerait pas et les hommes seraient certainement moins méchants. Donc tous les malheurs que nous constatons ne font que démontrer que Dieu n’existe pas. Ou alors certains ajoutent que le Créateur n’est pas doté d’une sagesse divine très poussée car s’il avait pu prévoir ce qui allait suivre il n’aurait certainement pas créé de la sorte un monde si chaotique où le péché abonde et où la damnation éternelle est le lot de tant d’individus.
La Bible semble donner quelque peu raison à la dernière objection puisqu’elle dit « Dieu, voyant que la malice des hommes qui vivaient sur la terre était extrême, et que toutes les pensées de leur cœur étaient en tout appliquées au mal, Il se repenti d’avoir créé l’homme sur la terre ». (gen.6–6) Si Dieu se repend c’est qu’il s’est trompé et s’il s’est trompé c’est qu’il n’est pas infiniment sage.
La réponse à cette objection est connue. En fait, Dieu ne se trompe pas. Le langage de la Bible prête à Dieu des sentiments humains pour exprimer quelque chose de Dieu comme le mécontentement qu’il a de l’homme pécheur, mais il n’y a pas d’erreur en Dieu.
La souffrance, la mort et tous les désordres comme la guerre, la peste et la famine, on l’a vu, sont le résultat du premier péché. Or le péché est imputable à l’homme qui a abusé de sa liberté et non à Dieu. Au commencement il n’en était pas ainsi. Il est vrai que Dieu a prévu que l’homme abuserait de sa liberté et que les conséquences seraient désastreuses pour beaucoup. Dieu devait-il pour autant s’interdire de créer ? Mais on ne voit pas pourquoi la damnation de beaucoup limiterait la liberté divine. On ne voit pas non plus pourquoi, à cause des damnés, Dieu priverait les élus du bonheur éternel en interdisant la création.
Nous savons que Dieu ne refuse sa grâce à personne, il donne à tous les moyens d’adhérer au Christ par l’Eglise et de se sauver. De plus s’il a choisi de créer c’est pour sa gloire et parce que « tout profite à ceux qui aiment Dieu ». L’homme n’est quelque chose de valable aux yeux de Dieu que dans la mesure où il est fidèle principalement au premier commandement « tu adoreras Dieu seul et l’aimeras plus que tout » autrement sa vie est inutile, vaine et elle outrage Celui qui l’a fait. Les damnés ne font que démontrer que l’homme n’est rien et moins que rien s’il se détourne de Dieu et s’il ne vit pas pour Dieu : « sans moi vous ne pouvez rien faire a dit Jésus ». Si l’on ne peut rien faire c’est que l’on est rien sans Dieu « sans moi vous n’êtes rien ».
Le concile Vatican II se trompe grossièrement lorsqu’il déclare au n°24 de Gaudium et Spes l’homme « seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même ». Auparavant au n°12 une erreur semblable a été proclamée avec beaucoup d’emphase « Croyants et incroyants sont généralement d’accord sur ce point : tout sur terre doit être ordonné à l’homme comme à son centre et à son sommet ». Ces enseignements sont évidemment faux pour un catholique (lire le texte de Romano Amério qui dénonce l’erreur anthropocentrique) car l’Ecriture Sainte dit expressément le contraire du n° 24 : « Le Seigneur a fait toutes choses pour Lui-même. » (Proverbe 16.4). Quant au n°12 nous savons tous que tout doit être ordonné non pas à l’homme mais au Dieu fait homme, à Jésus-Christ, « Tout restaurer dans le Christ » , « Il faut qu’Il règne » dit st Paul. L’explication de cela ? « C’est lui qui est l’image du Dieu invisible, le premier-né de toute créature » (Col.1.16) Lorsque Dieu a créé Adam (qui est le premier homme tiré de la terre) il avait en vue principalement le nouvel Adam, le Christ (engendré de toute éternité dans le sein du Père avant les siècles) et toute son œuvre Rédemptrice.
Retenons que la sagesse et la bonté de Dieu ne sont pas mis en cause par le désordre qui suit le péché d’Adam ni même par la damnation de beaucoup d’hommes infidèles à la grâce. Dieu est assez puissant pour tirer un plus grand bien du mal occasionné par le péché. Ce plus grand bien c’est la venue de Jésus-Christ qui ‚à lui seul, rend plus de gloire à Dieu par sa vie et sa Passion que tous les saints réunis et imaginables. Connaître et aimer le Christ c’est découvrir la raison et la sagesse de la création ; voilà pourquoi la mission principale de l’Eglise et de donner le Christ aux hommes et de les écarter des fausses religions comme de la peste. Si le péché a abondé par la faute d’un seul, avec le Christ la grâce a surabondé. A Pâques l’Eglise exprime sa joie d’avoir un tel Rédempteur, le Fils de Dieu fait homme venu nous sauver par sa Croix : « O heureuse faute, chante-t-elle, qui nous a valu un tel Rédempteur. »
L’erreur anthropocentrique (faire de l’homme le centre de tout) du concile Vatican II.
« La place centrale de l’homme dans la finalité du monde parmi les choses créées est exclue par la théologie. La thèse faisant de l’homme la seule créature que Dieu ait voulu faire pour elle-même, semble démentir le passage, bref mais solennel, de Proverbe, 16.4 : « Le Seigneur a fait toutes choses pour Lui-même ». Il est en effet impossible que la volonté divine ait pour objet autre chose que sa propre bonté, puisque toutes les bontés finies n’existent que grâce à la bonté infinie, et que l’infini (Dieu) ne peut sortir de lui-même en s’aliénant et en recherchant le fini. En réalité, comme l’enseigne saint Thomas, Dieu veut les choses finies en tant qu’Il se veut Lui-même créateur des choses finies. Les choses finies qu’Il veut, Il les veut donc pour Lui-même et non pour elles-mêmes, le fini ne pouvant être la fin de l’infini, ni la divine volonté être attirée et passive à l’égard du fini.
Les choses finies ne sont pas créées par Dieu parce qu’aimables, mais elles sont aimables parce que voulues par Dieu avec leur amabilité. …
L’idée de l’homme centre et fin est donc conforme à l’esprit de l’homme contemporain, mais n’a aucun fondement dans la religion, qui ordonne tout vers Dieu et non vers l’homme. L’homme n’est pas une fin en soi, mais une fin secondaire et ad aliud (c’est-à-dire elle-même orienté vers autre que soi), qui est subordonnée à la domination de Dieu, fin universelle de la création.
( tiré de Iota Unum, études des variations de l’Eglise catholique au XXième siècle. Romano Amério. N.E.L)
Abbé Pierre Barrère
Extrait du Sainte Anne n° 217 de mars 2010