Le Saint-Père, par une Lettre encyclique, ordonne d’organiser des prières publiques, le dimanche de la Passion, le 26 mars 1950, afin d’obtenir une rénovation chrétienne des mœurs et la concorde entre les peuples.
Le Pape se réjouit tout d’abord des fruits produits par la célébration de l’Année Sainte, ceux du moins que les premiers mois ont déjà permis de constater :
L’Année Sainte qui est en cours nous a déjà donné bien des sujets de consolation et de joie. De maintes parties de la terre, des foules de chrétiens viennent dans cette ville de Rome, qui a vu luire et rayonner sur le monde, dès les origines de l’Eglise, la lumière de la doctrine évangélique. Nous avons vu ces foules qui entouraient le Siège de Pierre, qui y faisaient pénitence pour leurs fautes, qui expiaient aussi par d’ardentes supplications les péchés du monde, et qui imploraient le retour de toute la Communauté humaine à Dieu, qui seul peut rendre aux nations la paix des âmes, la concorde et la prospérité.
D’autres millions de pèlerins sont annoncés, au cours du printemps et de l’été :
Ces premiers flots de pèlerins ne sont que les prémices de plus nombreux et copieux pèlerinages qui sont annoncés pour la belle saison, et dont on peut espérer des fruits abondants et salutaires.
Néanmoins, l’horizon demeure sombre :
Si les premiers contacts Nous laissent de douces et consolantes impressions, il n’a pas manqué non plus de sujets d’anxiété et d’angoisse, capables de contrister Notre cœur paternel.
En particulier, la paix n’est toujours pas fondée ; au contraire, les Etats continuent à accroître leurs armements, c’est-à-dire se préparent fébrilement à faire face à l’éventualité d’une guerre :
Et tout d’abord, bien que la guerre ait depuis longtemps pris fin, le monde n’a pas retrouvé la paix si désirée, une paix stable et solide, qui mette heureusement fin à de nombreux et toujours croissants sujets de discorde. Les peuples se dressent les uns contre les autres, et parce qu’entre eux ne règne plus la confiance, voilà que l’on accumule à l’envi les armements, ce qui plonge et maintient les peuples dans l’angoisse et dans la crainte [1].
D’ailleurs, la moralité privée et publique est aujourd’hui universellement et gravement blessée.
1. On ne respecte plus la vérité :
Il est un fait plus grave en lequel on peut découvrir la source de tous les maux : ce n’est plus la vérité, c’est le mensonge qui sert de moyen de discussion.
2. On méprise la religion :
La religion est traitée avec dédain, comme chose de nulle importance.
On l’a parfois définitivement écartée de la famille et de la société, comme une superstition des temps anciens. L’impiété s’étale en privé et en public. On a écarté Dieu et sa loi sainte, si bien que la morale est privée de tout fondement. Trop souvent, la littérature et la presse traitent outrageusement les choses saintes.
3. On pervertit la jeunesse :
On y étale toutes sortes de tableaux obscènes qui font miroiter devant la jeunesse et l’adolescence l’attrait du vice et les y entraînent fâcheusement.
4. On leurre les masses :
On leurre les masses populaires par des promesses chimériques ; et lorsqu’on a réussi à détruire en elles jusqu’à sa racine, cette foi des ancêtres qui était leur grande source de consolation, au sein des inévitables misères de cette terre d’exil, ces masses populaires sont formées à la haine, à l’envie, à la révolution.
5. On instaure des régimes où règne la violence :
On en vient à la violence et aux désordres, aux troubles incessants et prémédités, qui causent la ruine économique des pays et font un tort irréparable au bien commun.
6. On méconnaît les droits de l’homme et des chrétiens :
Il est un autre fait que Nous déplorons avec une indicible tristesse : dans beaucoup de pays, les droits de Dieu, de l’Eglise et même de la nature humaine, sont offensés et foulés aux pieds.
7. On persécute l’Eglise dans ses membres et dans ses activités :
Des ministres des autels, même élevés en dignité, sont arrachés à leurs fonctions, envoyés en exil, jetés en prison, empêchés tout au moins de remplir leur charge. Dans l’enseignement, aussi bien à l’école qu’à l’Université, dans les livres et les publications imprimées, on interdit d’exposer et de défendre les enseignements et les lois de l’Eglise, ou bien ce n’est qu’avec des restrictions et sous une censure qui attestent un propos délibéré d’asservir à l’autorité civile la vérité, la liberté et la foi elle-même.
C’est pourquoi il est urgent de réaffirmer à la face du monde les exigences impérieuses de la religion et de la morale :
En présence de tels maux, qui n’ont pour origine, nous l’avons dit, que le mépris de Dieu et de sa loi, il est nécessaire, Vénérables Frères, de faire monter vers le Ciel de ferventes supplications et de rappeler à l’attention des chrétiens les divins préceptes dont le respect peut seul, procurer lumière aux intelligences, paix et concorde aux âmes, justice aux peuples et aux classes sociales.
Vous ne l’ignorez pas, non plus, une société dont on a fait disparaître le sentiment religieux ne peut plus être bien conditionnée, ni subsister dans l’ordre.
Le clergé est appelé à prêcher une rénovation complète des mœurs :
Il importe donc que les ministres sacrés, guidés par l’épiscopat, se dépensent activement à cette tâche. Qu’ils ne s’épargnent aucune peine, surtout en cette Année Sainte, pour que leurs ouailles, répudiant l’erreur, déposant tout esprit de haine et de discorde, se nourrissent tellement de la doctrine chrétienne qu’il s’opère une complète rénovation des mœurs.
L’Action Catholique et tous les fidèles devront apporter leur concours à cette campagne de redressement religieux et moral ;
Mais comme le prêtre ne peut agir sur tous, ni suffire à tout, et que son ministère ne peut pas toujours subvenir comme on voudrait à tous les besoins, il faut que les militants de l’Action Catholique lui prêtent une aide active et dévouée. Personne ne peut rester à l’écart, ni refuser son travail, ni rester indolent, quand on voit l’adversaire mettre tant de peine à ébranler les fondements de la religion catholique et du culte chrétien. Qu’il n’arrive plus désormais que « les fils de ce siècle soient plus prudents que les fils de la lumière » [2], et que ceux-ci se montrent moins ardents à leur tâche !
Les efforts des hommes ne seront efficaces que s’ils sont animés par la grâce divine. C’est pourquoi il faudra organiser une offensive de prières :
Mais les forces humaines restent impuissantes sans l’aide de la grâce divine. Aussi vous invitons-Nous, vénérables Frères, à organiser, chacun dans votre diocèse, une sorte de nouvelle croisade de prières, pour obtenir du « Père des miséricordes et du Dieu de toute consolation [3] », les remèdes appropriés aux maux présents.
Le temps de la Passion est particulièrement favorisé pour pratiquer ces exercices de piété :
Nous désirons que ces prières publiques rejoignent les Nôtres le 26 mars prochain, au dimanche de la Passion, jour où la sainte Liturgie commence à commémorer les souffrances que le divin Rédempteur a endurées pour nous délivrer de l’esclavage du démon et nous obtenir la liberté des enfants de Dieu.
Ce jour-là, Nous Nous rendrons dans la basilique de Saint-Pierre et Nous joindrons Nos supplications, non seulement à celles de l’assistance, mais, Nous en avons la confiance, à celles de tout l’Univers chrétien.
Ceux que l’infirmité ou l’âge empêchent de se rendre à l’église, voudront offrir à Dieu, avec humilité et confiance, leurs souffrances et leurs difficultés. Il y aura ainsi communauté de prières, d’aspirations et de vœux.
L’objet de ces prières sera de demander la paix.
En priant tous ensemble avec Nous, de la terre entière, les fidèles s’efforceront d’obtenir de la bonté divine que cette rénovation morale des chrétiens entraîne aussi, comme tous le souhaitent ardemment, un nouvel ordre de choses, basé sur la vérité, la justice et la charité.
Puisse un rayon de lumière céleste éclairer les intelligences de ceux qui tiennent en mains les destinées, des peuples ! Qu’ils se rendent bien compte que la paix est une œuvre de sagesse et de justice, la guerre une œuvre de cruauté aveugle et de haine. Qu’ils réfléchissent bien qu’un jour ils auront à répondre de leurs actes, non seulement devant le jugement de l’histoire, mais au tribunal du Souverain Juge.
Ceux qui sèment à pleines mains l’envie, la discorde et la rivalité, ceux qui provoquent, en cachette ou ostensiblement, l’agitation et la révolte, ceux qui trompent par de vaines promesses un peuple qui se laisse si facilement exciter, doivent finir par comprendre que ce n’est ni la violence, ni le désordre, mais bien de sages lois qui procureront au monde la justice à laquelle aspire le christianisme ; une justice apte à ramener l’équilibre entre les classes sociales, en faisant régner entre elles la fraternité et la concorde.
La paix n’est véritable que si elle a le Christ pour fondement :
Que tous enfin, éclairés par la lumière d’En-Haut, que leur obtiendront nos communes prières, se persuadent que Notre Divin Rédempteur est seul capable d’apaiser heureusement les nombreuses et redoutables causes de discorde qui existent dans le monde. Le Christ Jésus s’est appelé « la Voie, la Vérité et la Vie [4] ». Lui seul peut donner la clarté céleste à des esprits plongés dans les ténèbres, inculquer la force d’En-Haut à des volontés sujettes au doute et à la paresse. « Sans connaître le chemin, on ne peut aller de l’avant ; sans vérité, on ne peut développer son savoir ; sans la vie, on ne peut vivre », a dit le livre de l’Imitation [5]. Seul notre Sauveur peut régler avec justice les choses de la terre, les imprégner de charité et conduire à l’éternelle béatitude l’humanité, après en avoir intimement uni les membres, dès cette terre, par les liens d’un fraternel amour.
La paix n’est véritable que si elle a le Christ pour fondement :
C’est donc au Sauveur qu’iront nos prières animées par la foi, l’amour et l’espérance.
Pie XII lui-même prie le Christ d’exaucer ses fils :
Que dans Sa bonté, Il jette les yeux, principalement pendant cette Année Sainte, sur le genre humain, affligé de tant de calamités, en proie à tant de craintes, battu par les flots de si troublantes discordes. De même qu’autrefois, par un simple geste d’apaisement, Il a calmé les eaux tumultueuses du lac de Galilée, Il peut imposer aux tempêtes déchaînées sur le monde la tranquillité et l’ordre.
Que Sa lumière démasque les mensonges des méchants ! Que l’orgueilleuse arrogance des superbes soit abaissée ! Que ceux qui jouissent abondamment des biens de ce monde s’exercent à pratiquer la justice, la bienfaisance et la charité ! Que ceux qui sont moins favorisés de la fortune ou qui en sont même totalement privés, méditent l’exemple de la famille de Nazareth, astreinte elle aussi à gagner son pain par le travail quotidien ! Que ceux qui gouvernent se persuadent que la loi chrétienne et la liberté de l’Eglise sont les fondements les plus solides de la Cité !
Rappelez ces choses, Vénérables Frères, en Notre nom, aux fidèles confiés à vos soins. Engagez-les à se joindre à Nous pour adresser à Dieu des prières ferventes.
Confiant en votre complète et généreuse adhésion, Nous vous donnons de tout Notre cœur, à vous et à vos ouailles, comme gage des faveurs célestes et en témoignage de Notre bienveillance, la Bénédiction apostolique.
Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Labergerie – D’après le texte latin des A. A. S., XXXXII, 1950, p. 217.
- L’U. R. S. S., en 1949, disposait de la plus forte armée du monde, ayant plus de 3.500.000 soldats sous les armes, 20.000 avions. En cette même année plus du 20 % de l’activité industrielle était destinée à des fabrications d’armements. Le 23 septembre 1949, la presse américaine annonçait qu’une explosion atomique avait eu lieu sur le territoire de l’U. R. S. S.
En face de ces menaces, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la plupart des pays d’Europe occidentale élaborèrent un plan de réarmement. A cet effet, le Congrès des Etats- Unis votait le 18 octobre un crédit de 15 milliards de dollars pour la défense du pays.
Les pays membres du Pacte Atlantique (Belgique, Canada, Danemark, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Norvège, Portugal, Grande-Bretagne, Etats-Unis) formèrent un conseil de défense militaire en septembre 1949. Un plan commun d’action fut élaboré. Le 19 octobre 1949, les Etats-Unis décidaient d’apporter une aide financière à l’Europe, d’un apport de 1.300 millions de dollars, pour permettre l’achat de nouveaux armements.
Dès lors on vit, au cours de 1950, les pays d’Europe allonger la durée du service militaire et hâter la production des armes.[↩]
- Luc, XVI, 8.[↩]
- II. Cor., I, 3.[↩]
- Jn 14, 6.[↩]
- Livre III, c, 56, v. 5.[↩]