Le Saint-Père a reçu en audience spéciale, dans la salle du Consistoire, la présidence et un groupe de délégués du Congres international de la presse cinématographique, tenu ces jours-là à Rome. Parmi les assistants qu’accompagnait le commandeur Menighini, rédacteur de la page cinématographique de l’Osservatore Romano, se trouvaient le président de la Fédération, Dr Chataigner (France) ; le vice-président M.Duwaerts ; le secrétaire trésorier, M. Widy, et M.Piron (Belgique) ; le commandeur Fontana et le Dr Dal Fabbro (Italie), ainsi que les représentants de l’Autriche, de la Hongrie, de l’Allemagne, de la Pologne, de la Tchécoslovaquie, de la Hollande.
Sa Sainteté déclare qu’elle doit tout d’abord remercier ces chers messieurs, ces chers Fils et Filles de la pensée qu’ils ont eue de faire visite au Père commun, dans sa maison qui, à juste titre, est dite la maison de toutes les âmes, des croyants, des catholiques en particulier. Le Saint-Père les remercie d’avoir tenu à lui faire une visite si agréable, car il s’agit d’une audience qu’il n’hésite pas à ranger parmi les plus importantes, non seulement en raison des personnalités présentes si distinguées et si dignes, mais surtout en raison de ce qu’elles représentent : la Fédération internationale de la presse cinématographique.
Contrôle de la presse et de la production cinématographiques.
Voilà quelque chose de très important, et cela sous divers, aspects. Le Saint-Père dit qu’il doit exprimer sa reconnaissance, en rappelant une promesse de la Fédération – promesse que lui firent le président et le secrétaire général à l’occasion d’une autre audience, en août 1934, – à Castel-Gandolfo, – suivant laquelle le Pape, à Rome même, aurait lieu de faire des constatations consolantes sur la presse cinématographique et sur la cinématographie en général. En effet, Sa Sainteté doit féliciter ces chers Fils de ce que, pour autant qu’il a pu suivre les informations et les communiqués relatifs à leur Congrès, il y a quelques consolantes constatations que l’on peut faire, que l’on doit faire.
Le Pape veut d’abord féliciter S. Exc. Alfieri, qui, au Congrès, a précisément relevé le fait suivant : en général, on peut noter quelques progrès – spécialement en Italie, et le Pape en est particulièrement satisfait – surtout en ce qui concerne le contrôle de la presse cinématographique, de la production cinématographique. Sur ce point, S. Exc. Alfieri a attiré d’une façon toute spéciale l’attention du Congrès. C’est là une belle et précieuse constatation, car – dit Sa Sainteté – le contrôle est une des plus grandes nécessités, c’est le grand moyen – mais il ne faudrait certes pas négliger d’en rechercher d’autres, – l’un des moyens les plus efficaces pour canaliser toute la grande production du cinématographe et la maintenir dans les lignes où elle doit rester, sous peine d’énorme et grave culpabilité. Non moins d’accord est le Pasteur suprême avec ceux qui disent que tous les catholiques de tous les pays collaborent au relèvement du cinématographe. C’est ce qu’ont fait (et Sa Sainteté ne saurait assez les en louer) les femmes suisses, ainsi que les évêques, les catholiques et les honnêtes gens des Etats-Unis.
Revenant au contrôle, le Saint-Père déclare qu’il requiert une attention toute particulière ; oui, il demande, il appelle un soin tout spécial surtout en ce qui concerne son extension et sa profondeur.
Le contrôle doit se faire en extension ; on sait fort bien, en effet, et l’on doit malheureusement constater qu’une grande partie de la production cinématographique échappe à ce contrôle. Les productions cinématographiques arrivent de partout, mais il n’en est que trop qui échappent à toute surveillance et parviennent directement au public sans passer par le contrôle : de là la nécessité inéluctable d’étendre la bienfaisante efficacité du contrôle.
Le contrôle doit se faire en profondeur, car il y a évidemment contrôle et contrôle : il y a le contrôle sévère et le contrôle trop sévère ; au contraire, il y a le contrôle bénin, bienveillant, trop bénin et trop bienveillant. Un proverbe italien bien connu dit : Il troppo storpia (le trop estropie) ; le contrôle doit être juste, il doit être justement sévère ; quel immense malheur, en effet, si dans ce domaine la règle juste n’est pas observée ! Quelle grande misère si le contrôle est insuffisant, aussi bien en quantité qu’en qualité, aussi bien en extension qu’en profondeur et en sévérité ! Que se passe-t-il quand il est ainsi défectueux ? C’est triste à dire : dans ce cas, le contrôle sert de passeport pour toute production, même la plus déplorable ; c’est la poudre à sécher dissimulant l’écriture, c’est le droit de passage, le facile accès à toute présentation.
Compétence et dilettantisme.
Sa Sainteté a vu, en outre – par les comptes rendus sommaires du Congrès, – que celui-ci s’est occupé d’un certain dilettantisme, d’un dilettantisme en cinéma, concernant soit la presse cinématographique, soit la production cinématographique.
Il peut, en effet, y avoir un dilettantisme en production, mais plus facile est le dilettantisme dans la presse. Il semble à Sa Sainteté que le Congrès se soit prononcé contre cette forme de dilettantisme, c’est-à-dire contre l’habitude de prendre les choses trop facilement. A ce propos, le Saint-Père rappelle, pour mieux exprimer sa pensée, une expérience personnelle. Il y a environ trente ans et peut-être davantage – le Pape signale en souriant ce privilège de pouvoir compter ses propres années par trentaines, – beaucoup se croyaient écrivains ou critiques d’art : c’était un dilettantisme tout à fait à la mode et le Pape lui- même se souvient avoir reçu un grand nombre de cartes de visites de personnes qui se qualifiaient d’écrivains d’art, de critiques d’art. La littérature semblait comme inondée et envahie par ces appellations. C’était évidemment déplorable, car tous se croyaient devenus compétents en matière d’art, de presse, de littérature d’art, d’où il résulta alors un ensemble de ‑vraies misères ! Misères passées, bien qu’il y en ait encore quelque survivance, bien que plus d’un se considère encore, sans l’être, écrivain et critique d’art. Et cela se comprend, car il est toujours plus facile de faire le dilettante que d’être compétent. Traitant du dilettantisme en matière de cinéma, .les congressistes font souvenir à Sa Sainteté d’un bon livre publié il y a quarante ans environ par un savant français, l’abbé Klein, intitulé précisément Autour du dilettantisme ; il traitait du dilettantisme tel qu’il se présentait dans tous les domaines, car cette mode voulait pénétrer un peu partout, même dans l’art de la parole. Maintenant, Sa Sainteté exprime de tout son cœur le vœu que le dilettantisme n’entre pas dans les lignes du cinématographe ; car il n’a jamais rien apporté de bon, le dilettantisme – répète le Saint-Père, – attendu qu’il est, sauf de rares exceptions, synonyme d’incompétence.
Relever le niveau de la presse cinématographique.
L’auguste Pontife dit avoir fait une autre constatation à la suite des travaux du Congrès. Il se hâte de féliciter M. Fontana, chef de la délégation italienne, pour avoir parlé fort à propos en signalant la nécessité d’une élévation du niveau de la presse cinématographique, en mettant en relief la nécessité de rendre cette presse indépendante des maisons de production. Constatation pratique, évidente et salutaire : on ne saurait, en effet, songer à une presse digne de ce nom qui ne jugerait pas comme on doit juger, qui ne serait pas indépendante. Pour la même raison, le Saint-Père veut féliciter le chef de la délégation française, M. Chataigner, qui a associé sa voix à celle de la délégation italienne, et a particulièrement invité les journaux, les journalistes, la grande presse à contribuer au relèvement, soit artistique, soit moral, aussi bien de la presse que de la production cinématographique. Tels sont les vœux – ajoute Sa Sainteté – que le Pape ne peut pas ne pas désirer voir accueillis partout et partout réalisés ; il ne peut, en effet, penser à ces hommes éminents qui lui représentent la presse cinématographique et le cinéma, sans que lui vienne à l’esprit un fait que se réalise toujours, c’est-à-dire sans penser à ces millions – d’après les statistiques périodiques qui sont publiées, – oui, à ces millions, non seulement d’hommes mûrs, mais de jeunes gens, de jeunes filles, d’adolescents, de petits enfants, qui passent devant les cinémas pour y voir bien souvent s’exhiber, de la façon la plus attrayante, tout ce qui, trop souvent, n’est qu’un véritable outrage, une véritable insulte à l’adresse de tout ce qu’il y a de plus beau, de plus délicat, de plus digne de respect dans les âmes, dans les jeunes âmes.
Ravages causés par le cinéma.
Quand Nous pensons à cela – continue le Saint-Père, – il y a de quoi pleurer ; c’est terrible. La peine du Pape – il est vrai – doit être plus grande, parce que c’est Dieu qui lui a confié précisément la paternité universelle de toutes les âmes. Mais tout homme d’intelligence, de cœur, de sentiment, doit pleurer avec lui. Le Pape, en effet, ne parle pas seulement au nom de la religion ; ce n’est pas seulement au nom de cet idéal élevé qu’il entend faire appel aux fidèles ; c’est moins du point de vue religieux que du point de vue de tout ce qui constitue le sentiment familial, social, national, que doit être entendue et ressentie cette préoccupation. La sainte religion catholique possède, en effet, des promesses de Dieu, des promesses divines, donc infaillibles ; aussi ce n’est pas l’avenir de la religion ni celui de l’Eglise qui angoissent le Pape. Assurément, dans ce domaine surtout, il doit prendre des dispositions ; mais la religion, l’Eglise ont des promesses que les Etats, les nations, les peuples n’ont pas. C’est pourquoi il est arrivé ce que l’histoire elle-même nous enseigne : la religion catholique, l’Église, depuis vingt siècles, vivent et ne manifestent aucune fatigue après un parcours si important ; mais combien de familles, combien de peuples, combien d’États sont restés le long du chemin, ont compté de véritables et propres désastres, si graves parfois qu’ils ont failli les faire disparaître ! Il est impossible de ne pas réfléchir à ce progrès de véritable et propre intoxication des âmes et des intelligences qui a précisément son origine dans ces ‑exhibitions cinématographiques devant lesquelles passent des millions d’individus chaque année, chaque mois, chaque jour, où ils sont inévitablement victimes d’une intoxication spirituelle, d’un obscurcissement de toutes leurs pures et nobles idées : véritable attentat à la volonté, à la pauvre volonté humaine qui souvent doit soutenir tant de luttes pour rester fidèle au devoir, lequel n’est pas toujours synonyme de plaisir.
Responsabilités terribles.
Tout cela incite le Saint-Père à répéter ce qu’il a déjà eu l’occasion de dire à l’audience de Castel-Gandolfo, quand il a rappelé l’immense responsabilité de ceux dont dépend cet extraordinaire moyen, ou d’instruction – car il va de soi que le cinématographe peut servir, avec ses très rapides procédés, à la formation de tant d’intelligences – ou de formation et, par conséquent, de construction humaine, de construction sociale, de construction nationale, ou, au contraire, de totale et redoutable destruction. Ce sont là des responsabilités qui s’ajoutent en dernière heure à l’histoire de l’humanité, et elles sont, certes, les plus graves et les plus formidables.
Le devoir de la presse.
A ces chers Fils, à ces distingués messieurs, le Pape adresse donc une instante recommandation qui, il le sait bien, recevra une excellente place dans leurs intelligences et dans leurs cœurs, et à laquelle il demande qu’on fasse bon accueil et donne bonne suite. Le Saint-Père se réjouit de ce qu’ils ont pu faire dans le domaine de la presse cinématographique ; assurément – et c’est là la considération particulière qu’il doit faire, – le cinématographe ne serait pas ce qu’il est si la presse l’avait toujours suivi, dès le début, d’une façon nécessairement vigilante et sévère ; si la presse cinématographique, ainsi qu’on l’appelle, s’était toujours acquitté de sa mission, avait rempli son devoir, conformément à la vertu, conformément à la vérité, conformément à la justice, en distribuant, précisément d’après ces principes et ces éléments indispensables, l’éloge et le blâme. S’il en avait toujours été ainsi, certainement beaucoup de bien se serait fait et beaucoup de mal aurait été évité ; et s’il en est ainsi dans l’avenir, c’est-à-dire si la presse cinématographique se règle sur ces indispensables directives, un grand nombre de désastres moraux pourront être désormais écartés.
C’est pourquoi le Saint-Père tient cordialement à manifester, à mettre dans les intelligences et dans les cœurs de ces chers Fils sa confiance et ses prévisions optimistes pour l’avenir. Et c’est avec cette pensée et cet espoir qu’il va donner aux personnes présentes sa paternelle et affectueuse Bénédiction.
Source : Actes de S. S. Pie XI, t. XIV, La Bonne Presse – Traduit de l’italien et publié par l’Osservatore Romano (23 avril 36)