Vénérables frères,
Ce Nous est une bien vive joie de pouvoir enfin, après qu’un insondable dessein de Dieu Nous a, par la voie de vos suffrages, élevé sur ce Siège apostolique, vous voir réunis ici aujourd’hui et vous adresser la parole.
Et avant tout, Nous tenons à faire hautement, en cette assemblée, l’éloge de Notre très regretté prédécesseur Benoit XV : en des jours difficiles s’il en fut jamais, il gouverna si sagement l’Eglise qu’il souleva non seulement l’enthousiasme des catholiques, mais l’admiration même des adversaires.
Alors, en effet, qu’une haine fratricide consumait l’humanité, Benoit XV, par ses appels inlassables à la paix, a rempli l’univers entier des bienfaits de sa charité. Sa mémoire, Nous n’en doutons point, demeurera en bénédiction, et Nous-même conserverons pieusement et religieusement son souvenir, Nous rappelant surtout la grande confiance qu’il Nous a témoignée en Nous chargeant de missions d’une haute importance.
C’est un fardeau singulièrement lourd que Nous avons accepté en prenant sa succession ; mais, dans les multiples ennuis et difficultés que Nous avons eu à traverser en ce bref laps de temps, votre zèle affectueux et prudent d’abord, Vénérables Frères, la respectueuse fidélité aussi dont les évêques, le clergé et les peuples chrétiens Nous ont donné de nombreux et éclatants témoignages, tout cela a apporté à Notre cœur une bien précieuse consolation. Nous espérons que dans l’avenir encore ces mêmes sentiments viendront Nous réconforter, car, lorsque du haut de ce Siège apostolique Nous promenons nos regards sur l’ensemble du monde, Nous voyons persister partout les anciennes causes de souffrances, qui s’aggravent de malheurs nouveaux et de nouveaux périls.
Pour aller tout de suite aux plus pénibles de ces préoccupations, Notre cœur est aujourd’hui encore profondément angoissé au sujet de la situation de la Palestine, cette terre dont Nous dirons qu’elle est pour nous, chrétiens, comme un pays natal, et que le divin Rédempteur des hommes a, sans compter, arrosée de ses sueurs et consacrée de son sang.
Vous savez vous-mêmes, Vénérables Frères, avec quelle activité Notre prédécesseur s’est employé à sauvegarder le statut des Lieux Saints ; nous en avons une preuve éloquente dans le discours qu’il prononça au Consistoire du 13 juin de l’an dernier.
Puisque, d’après certaines informations, la Société des Nations doit prochainement s’occuper de nouveau, en session plénière, de la question palestinienne, Nous faisons Nôtres à la fois la revendication et le point de vue de Notre prédécesseur : avec lui Nous demandons « que, quand l’heure sera venue de régler le sort de la Palestine, l’Eglise catholique et toute la chrétienté voient leurs droits respectés et sauvegardés en ce pays ».
Bien plus, Nous ajoutons que Notre charge apostolique Nous fait un devoir de demander, que les droits de l’Eglise catholique en Palestine – en un cas où ils sont si manifestement supérieurs aux droits des autres intéressés – soient respectés et sauvegardés par priorité à l’égard non seulement des Juifs et des infidèles, mais encore des membres des confessions non catholiques, quelles que soient les races ou les nations dont ils se réclament.
Les autres contrées orientales sont également pour Nous un sujet de vive anxiété ; leur situation, récemment bouleversée par des événements très graves, a, du fait des incendies, des massacres et du pillage, empiré au point que personne, semble-t-il, n’est en état de remédier à une pareille détresse, à un état de choses presque désespéré.
Pour soulager cette immense infortune, Nous avons employé avec le plus grand empressement tous les moyens en Notre pouvoir ; de plus, Nous avons dépêché à Constantinople Notre nonce apostolique de Roumanie à l’effet d’alléger, dans la plus large mesure possible, les nouveaux malheurs des Orientaux.
Dieu veuille qu’en ces régions tout rentre au plus vite dans l’ordre suivant les règles de la justice et de la charité ! Puissent-elles retrouver le plus tôt possible la paix et la tranquillité de l’ordre, et connaître de nouveau les jours heureux où elles étaient célèbres par l’abondance de leurs richesses, la sainteté et la sagesse d’hommes illustres ! Elles ne pourront, au surplus, voir ces vœux se réaliser complètement tant qu’elles ne seront point rentrées dans le sein de leur Mère l’Eglise, ont la communion leur imprimait un si puissant essor dans les voies de la fraternité et de la civilisation.
Notre angoisse n’est pas moindre si nous tournons les yeux vers la Russie ; là, ce n’est plus seulement la liberté religieuse et civile qui est entravée [1], ce sont des foules très malheureuses que fauchent encore, à l’heure qu’il est, l’épidémie et la famine dans les rangs surtout des plus innocents et des plus faibles, enfants, femmes, vieillards. S’il n’est personne, ayant conservé un cœur d’homme, que n’émeuve ce triste spectacle, il n’a pu manquer de toucher jusqu’au fond de l’âme le Père commun des peuples.
Aussi, toutes les initiatives compatissantes que Notre dernier prédécesseur Nous avait donné comme testament de poursuivre, Nous y avons tenu, et, dans la mesure du possible, Nous les avons développées suivant les exigences des nécessités grandissantes. Comme, par ailleurs, Nos ressources étaient inégales à une si immense entreprise, Nous avons adressé des appels réitérés aux catholiques, et même à tous les hommes sans distinction, et ils y ont si bien répondu que leurs largesses Nous ont permis jusqu’ici d’envoyer des secours ininterrompus.
Vous le savez, un groupe d’hommes d’élite, mandaté par Nous, parcourt ces steppes immenses pour distribuer aux malheureux vivres, vêtements, remèdes – et cela sans aucune distinction de personnes, en ne tenant compte que de la misère, – sans perdre de vue, toutefois, les égards que l’on doit, comme l’enseigne saint Paul, aux frères dans la foi.
En exerçant cette mission de charité, Nous n’avons fait que suivre, Vénérables Frères, l’usage et les traditions de l’Eglise romaine, dont le martyr Ignace a pu dire en toute vérité qu’elle est, en ce sens aussi, la Présidente de la charité ; c’est le même accent d’hommage qui se retrouve dans la lettre où Denys, évêque de Corinthe, exprime au Pape Soter sa pleine admiration et sa gratitude à l’égard de l’Eglise romaine pour les bienfaits que, aux heures d’extrême disette, elle a d’une main si maternelle procurés à son troupeau et spécialement aux confesseurs de la foi.
Cette primauté de la charité découle de la primauté d’honneur et de juridiction, et le Pontife romain la détient du fait de sa paternité universelle ; celle-ci, d’une part, émane de Dieu, puisque c’est de lui que toute paternité dérive au ciel et sur terre [2], et, d’autre part, par Je Christ Jésus, elle a été conférée au Pape dans la personne de Pierre quand il a dit : Pais mes agneaux, pais mes brebis [3], formule qui englobe tous les hommes, ceux qui font déjà partie du troupeau ou ceux qui doivent venir s’y joindre jusqu’au jour où il n’y aura plus qu’un troupeau et qu’un Pasteur [4].
Mais de même que Nous avons porté secours dans la mesure de nos moyens aux plus malheureux de Nos fils, Nous Nous sommes appliqué avec les plus grands efforts à assurer à tous sans exception les avantages de la paix, cette paix qui, en dépit des appels ardents de Notre prédécesseur, n’a pas encore éclairé le monde.
C’est pourquoi Nous avons demandé aux délégués des Puissances assemblés à Gênes de prendre en sérieuse considération la crise redoutable que traversent tous les peuples et de rechercher les moyens de remédier à de si grands malheurs ; Nous exhortions en même temps les fidèles à se joindre à Nous pour implorer du Christ, Prince de la paix, le succès de cette Conférence.
Mais voici qu’on annonce que vont se réunir sous peu à Bruxelles les délégués des Etats en vue de redresser la situation économique de l’Europe, qui s’est beaucoup aggravée ces derniers mois ; Nous leur adressons le même appel et les mêmes exhortations. Par ailleurs, ces réunions officielles qui se succèdent sans interruption ne produiront, il est certain, à peu près aucun résultat, causeront même aux peuples une dangereuse déception dans leur commune attente, tant que les chefs de gouvernement ne se résoudront pas à concilier les exigences de la justice avec les prescriptions de la charité, ce qui, en définitive, tournera à l’avantage tout ensemble des vainqueurs et des vaincus.
Nous avons l’espoir, Vénérables Frères, que ces efforts mis au service de la charité et de la paix par l’Eglise et le Pontife romain contribueront puissamment à la pacification et à la restauration de la société. Le programme d’action que Nous Nous traçons est celui-là même qu’ont suivi, pour le bien du monde catholique, Nos deux derniers prédécesseurs : celui-là s’est efforcé de tout restaurer dans le Christ, celui-ci a recommandé sans relâche aux hommes la paix chrétienne.
Ces buts que l’un et l’autre se sont fixés comme programme de pontificat, Nous voulons les grouper en synthèse en cette formule qui sera comme Notre devise : La paix du Christ dans le royaume du Christ.
Nous comptons traiter à loisir cette question dans l’Encyclique que Nous adresserons prochainement à tous les évêques en guise du présent traditionnel à l’occasion des fêtes de Noël et du nouvel an.
Source : Actes de S. S. Pie XI, La Bonne Presse
- Note de LPL : L’expression de liberté religieuse [religiosa libertas] employée par Pie XI désigne, conformément au magistère, la liberté de la seule vraie religion catholique. Le contexte de l’époque permet d’en tirer cette conclusion certaine.[↩]
- Ep 3, 15.[↩]
- Jn 21, 15–17.[↩]
- Jn 10, 16.[↩]