Chers fils et chères filles,
La vie de l’Église est dominée par le Concile œcuménique qui s’est clos en décembre dernier. Et ce n’est pas seulement le souvenir d’un événement aussi rare et aussi important qui doit retenir nos esprits ; le souvenir se rapporte à un fait passé, la mémoire le recueille, l’histoire l’enregistre, la tradition le conserve, mais tout ce processus regarde un moment fini, un événement passé. Par contre, le Concile laisse après lui quelque chose qui dure et continue à agir. Le Concile est comme une source d’où jaillit un fleuve ; la source peut être lointaine, le courant du fleuve nous suit. On peut dire que le Concile se laisse lui-même à l’Eglise qui l’a célébré. Le Concile ne nous oblige pas tant à regarder en arrière, vers sa célébration, qu’à considérer l’héritage qu’il nous a laissé, héritage présent et durable. Mais quel est cet héritage ?
L’héritage du Concile est constitué par des documents successivement promulgués au terme de ses discussions et de ses délibérations. Ces documents sont de diverses natures : il y a des Constitutions (4), des décrets (9) et des déclarations (3) ; mais tous ensemble forment un corps de doctrine et de lois, qui doit donner à l’Église ce renouveau pour lequel le Concile a été décidé. Connaître, étudier, appliquer ces documents, tel est le devoir providentiel de la période post-conciliaire.
Mais, remarquons-le bien, les enseignements du Concile ne constituent pas un système organique et complet de la doctrine catholique. Celle-ci est bien plus vaste, comme chacun le sait, et le Concile ne l’a pas mise en doute ni modifiée substantiellement. Bien au contraire, il l’a confirmée, illustrée, défendue et développée par une apologie très autorisée, pleine de sagesse, de vigueur et de confiance. C’est cet aspect doctrinal du Concile que nous devons noter en premier lieu pour l’honneur de la parole de Dieu qui demeure univoque et impérissable comme une lumière qui ne s’éteint pas, et pour le réconfort de nos âmes auxquelles la voix franche et solennelle du Concile a montré quel rôle providentiel a été confié par le Christ au magistère vivant de l’Église pour garder, défendre, interpréter le « dépôt de la foi » [1]. Nous ne devons pas détacher les enseignements du Concile du patrimoine doctrinal de l’Église, mais bien voir comment ils s’insèrent en lui, font corps avec lui, constituent pour lui un témoignage, un accroissement, une explication, une application. Alors, les « nouveautés » doctrinales ou normatives du Concile apparaissent dans leurs justes proportions, elles n’entravent pas la fidélité de l’Église à sa fonction d’enseignement, et elles acquièrent cette véritable signification, qui la fait resplendir d’une lumière supérieure.
C’est pourquoi le Concile aide les fidèles, qu’ils soient maîtres ou disciples, à surmonter les états d’âme (négation, indifférence, doute, subjectivisme, etc.) qui sont contraires à la pureté et à la force de la foi. Il est un grand acte du magistère ecclésiastique ; celui qui adhère au Concile reconnaît et honore avec lui le magistère de l’Église ; et ce fut là la première idée qui incita le Pape Jean XXIII, de vénérée mémoire, à convoquer le Concile, comme il l’a dit lors de la cérémonie d’ouverture : « (le Successeur de saint Pierre) a voulu, en convoquant ces importantes assises, donner une nouvelle affirmation du magistère ecclésiastique » . [2] « Ce qui est très important pour le Concile œcuménique, c’est que le dépôt sacré de la doctrine chrétienne soit conservé et présenté d’une façon plus efficace. » [3].
Il ne serait donc pas dans le vrai celui qui penserait que le Concile représente un détachement, une rupture, ou une libération de l’enseignement traditionnel de l’Église, comme certains le pensent, qu’il autorise et encourage un facile conformisme à la mentalité de notre temps en ce qu’elle a d’éphémère et de négatif plutôt que de sûr et de scientifique, ou bien qu’il autorise n’importe qui à donner aux vérités de la foi la valeur et l’expression qu’il veut. Le Concile ouvre de nombreux horizons nouveaux aux études bibliques, théologiques et humanistes, il invite à chercher et à approfondir les sciences religieuses, mais il ne prive pas la pensée chrétienne de sa rigueur spéculative, et il n’admet pas que l’enseignement philosophique, théologique et scripturaire de l’Église soit envahi par l’arbitraire, l’incertitude, la servilité, la désolation qui caractérisent tant de formes de la pensée religieuse moderne quand elle est privée de l’assistance du magistère ecclésiastique.
Certains se demandent quelle est l’autorité, la qualification théologique qu’a voulu donner à son enseignement un Concile qui a évité de promulguer des définitions dogmatiques solennelles engageant l’infaillibilité du magistère ecclésiastique. La réponse, nous la connaissons. Rappelons-nous la déclaration conciliaire du 6 mars 1964, répétée le 16 novembre 1964 : étant donné le caractère pastoral du Concile, il a évité de prononcer d’une manière extraordinaire des dogmes comportant la note d’infaillibilité, mais il a muni ses enseignements de l’autorité du Magistère ordinaire suprême ; ce magistère ordinaire et manifestement authentique doit être accueilli docilement et sincèrement par tous les fidèles, selon l’esprit du Concile concernant la nature et les buts de chaque document.
Nous devons entrer dans l’esprit de ces critères fondamentaux du magistère ecclésiastique et avoir davantage confiance dans l’Église qui nous conduit sur les sentiers de la foi et de la vie chrétienne. Si agissent ainsi les bons catholiques, les bons fils de l’Église, et spécialement les savants, les théologiens, les maîtres, ceux qui diffusent la parole de Dieu, ainsi que ceux qui étudient et recherchent la doctrine authentique découlant de l’évangile professé par l’Église, il faut espérer que la foi et avec elle la vie chrétienne et même la vie civile auront ce grand réconfort venant de la vérité qui sauve. Car « l’esprit du Concile » veut être l’esprit de vérité [4].
Que Notre Bénédiction vous aide à comprendre cet esprit et à le faire vôtre.
Source : La Documentation Catholique, n° 1466, 6 mars 1966. col. 418–420
- cf. Humani Generis, A.A.S., 1950, p. 567[↩]
- A. A. S., 1962, p. 786[↩]
- ibid. p. 790[↩]
- Jean 16:13[↩]