Le 25 mars 1991, Mgr Lefebvre « entrait dans la Vie », selon l’expression employée par notre Patronne en second, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la sainte-Face.
Nous reproduisons ci-dessous 3 articles paru dans le journal « Controverses », aujourd’hui disparu, d’avril 1991. Pour bien préparer l’avenir, on ne peut faire l’impasse sur le passé.
La Providence veille, par Eric Bertinat
Dans un article écrit par le cardinal Silvio Oddi après le décès de Mgr Lefebvre, intitulé« ultime drame à Ecône » et paru dans le journal italien « Il Sabato », le cardinal révèle avoir obtenu du Pape l’autorisation de se rendre à l’hôpital de Martigny afin de donner les deniers sacrements au cas ou Mgr Lefebvre donnerait signe de « résipiscence ».
D’après le cardinal qui se serait informé auprès « d’un représentant » de Mgr Lefebvre selon lequel l’opération de l’archevêque avait réussie et que son état de santé s’était amélioré, il aurait décidé d’attendre le rétablissement de monseigneur. « Maintenant, je suis désolé », écrit le cardinal, qui ajoute avoir toujours considéré comme inadmissible qu’un prêtre puisse finir hors de l’Eglise à cause d’un excès de fidélité à la Tradition (Apic, 27/03/1991).
Il est vraiment difficile de croire que Mgr Lefebvre aurait ainsi changé d’opinion, lui qui écrivait au cardinal Oddi le 16 décembre dernier :
« Nous sommes certains de travailler pour le maintien de la vraie Eglise catholique et pour le salut des âmes avec un vrai sacerdoce ; Nous avons confiance dans la Providence de Dieu et dans la prière. Nous supplions le Seigneur pour le retour du Vatican à la Tradition ».
Mais le calcul des autorités romaines est facile à comprendre. En choisissant un tel moment pour envoyer un représentant plutôt « conservateur » auprès de Mgr Lefebvre, justement amoindri par son opération, comment ne pas croire en leurs espoirs de voir leur seul adversaire demander pardon.
Ainsi, la fraternité Saint-Pie‑X, et tous les fidèles qui la suivent se seraient trouvés dans une situation dramatique : leur représentant demandant pardon à Jean-Paul II, un pardon qui n’aurait pu être compris que comme le reniement des critiques que Mgr Lefebvre adresse depuis le concile aux autorités romaines.
Le jeu en valait la chandelle ! C’est une preuve de plus que la Fraternité Saint-Pie‑X reste l’adversaire privilégiée pour les modernistes. Aucune trêve ne leur sera accordée, aucun répit ne leur sera offert avant qu’elle ne disparaisse complètement.
Les 17 derniers jours de Mgr Lefebvre, par Eric BERTINAT
Monsieur Jo GRENON est le Directeur de l’hôpital de Martigny. Il s’occupa avec un grand dévouement de Monseigneur durant son hospitalisation.
Il nous a reçus avec beaucoup de gentillesse pour nous raconter les derniers jours du fondateur de la Fraternité Saint-Pie X.
« Samedi 9 Mars, Monseigneur LEFEBVRE entre à l’hôpital de Martigny. Vous avez été parmi les premiers à le voir. Comment l’avez-vous trouvé ?
Alité, souriant et confiant ! Monseigneur se trouvait aux urgences. Puis, nous l’avons installé à la chambre 213, une chambre privée située au deuxième étage. De cette pièce, Monseigneur avait vue sur la Forclaz, donc la France, et sur le col du Grand Saint-Bernard, l’Italie, Rome.
Quels sont les examens qui ont été pratiqués sur Monseigneur lors des premiers jours ?
Durant toute la première semaine, Monseigneur fut nourri par perfusion, avec antibiotiques. A part les analyses de routine, il subit de nombreux examens dont certains sont très douloureux. Bien que les médecins aient déjà diagnostiqué le mal, ils jugèrent tout de même plus prudent de faire subir un scanner à Monseigneur LEFEBVRE. Aussi, nous devions conduire Monseigneur à l’hôpital de Monthey. Je lui ai demandé s’il ne préférerait pas s’y rendre en automobile plutôt qu’en ambulance, attaché à une civière. Bien que j’insistai pour la solution de l’automobile, Monseigneur préféra l’ambulance. Jeudi soir, je lui ai fait apporter un repas. Il souffrait de ne pas pouvoir manger normalement.
Monseigneur a‑t-il beaucoup souffert ?
Oui ! A son arrivée, il m’a dit souffrir le martyre. Puis les douleurs se sont atténuées sous l’effet des médicaments.
Quels ont été les contacts entre Monseigneur LEFEBVRE et les infirmières qui le soignaient ?
Les infirmières l’ont trouvé très gentil, très doux, mais aussi exceptionnellement discret. Il n’a jamais utilisé la sonnette de service. Il ne voulait pas les déranger.
Comment était Monseigneur durant cette première semaine ?
Il a répété à plusieurs reprises durant cette semaine : « Je suis un vieil homme ». Il était un peu inquiet des suites d’une éventuelle opération. Mais il était en même temps très résigné et confiant. Je pense qu’il n’a probablement pas su l’exacte ampleur de son mal.
Et spirituellement ?
Le lundi suivant, le 12, il a demandé à recevoir l’extrême-onction. Le lendemain, il m’a expliqué : « J’ai demandé l’extrême-onction, c’est très important ! Ma sour est partie sans sacrement ». A plusieurs reprises il m’a dit : « J’ai terminé mon travail, je n’en peux plus, je suis épuisé, il ne me reste maintenant plus qu’à prier et souffrir ».
A‑t-il parlé de la Fraternité, de son avenir ?
Un long entretien avec Monseigneur au milieu de la première semaine m’a permis de l’entendre dire sa satisfaction de l’ouvre accomplie. « La Fraternité est dans de bonnes mains et riche de quatre évêques pleins de zèle » m’a-t-il dit. Et de s’émerveiller de Monseigneur FELLAY qui parle cinq langues « comme je parle le français, vous rendez-vous compte ? ». Il me parla aussi des directeurs et des professeurs des séminaires, « dévoués et bien en place ». Monseigneur était parfaitement serein et apparemment très heureux pour l’avenir.
Vous m’avez parlé du respect qu’il imposait aux médecins.
Oui, oui. Un médecin m’a même rapporté avoir été subjugué par Monseigneur « Quand on croise son regard, on rencontre la Bonté Divine » m’a-t-il dit.
Comment s’est déroulée l’opération lundi 18 Mars ?
A 9 heures, Monseigneur a été conduit en salle d’opération. L’opération a durée de 9 heures 30 à 12 heures 30. Puis il fut conduit dans la salle des soins intensifs. Monseigneur eut un réveil difficile et des souffrances intenses pendant les 2 à 3 jours qui suivirent l’opération. Puis cela alla mieux ; on le leva un peu, mais le cour restait fatigué.
Les médecins donnèrent-ils à Monseigneur des médicaments pour calmer la douleur ?
Bien sûr, Monseigneur fut sous une surveillance médicale de tous les instants. Grâce à l’appareillage moderne dont est équipé l’hôpital, on suit avec exactitude la progression de la douleur. On put ainsi donner à Monseigneur, avec beaucoup de précision, la médication adéquate pour soulager ses douleurs.
Nous arrivons à la fin de la dernière semaine.
Vendredi, il me demanda de lui apporter sa chaînette – cette pauvre chaînette avec de simples médailles, reste pour moi l’un des souvenirs les plus émouvants des derniers jours de Monseigneur , sa montre et son appareil auditif : une preuve du mieux-être du malade. Samedi, on pense à le réintégrer dans sa chambre dès dimanche. « Mais les infirmières veulent me garder ici » me dit-il en plaisantant. Dimanche, l’espoir fait rapidement place à l’inquiétude. Monseigneur fait de la température. Le médecin cardiologue lui fait une échocardiographie et décide de garder Monseigneur aux soins intensifs. Dimanche après-midi, Monseigneur se met à parler beaucoup. Mais, à travers son masque à oxygène, il est difficile de le comprendre. Je perçois cependant : « Nous sommes tous ses petits enfants ».
Avait-il déjà la vision du ciel ?
Il parlait en tout cas du Bon Dieu. Au moment où je le quitte, il me sourit pour la dernière fois et me tend la main en signe d’adieu. Dimanche soir, je reçois un téléphone de l’infirmière responsable. On est en train de réanimer Monseigneur et ça ne va pas très bien. Je décide d’alerter Monsieur l’Abbé LAROCHE. Puis l’infirmière responsable me rappelle pour me dire que le rythme cardiaque est reparti normalement. A 3 heures 30, un dernier téléphone pour m’avertir du décès de Monseigneur.
Vous avez été parmi les premières personnes à voir Monseigneur mort. Comment l’avez-vous trouvé ?
Je me suis immédiatement rendu aux soins intensifs. J’ai trouvé le corps inanimé de Monseigneur. J’ai été terriblement frappé par la ressemblance entre le corps de Monseigneur et les tableaux représentant Jésus descendu de la Croix. Monseigneur avait juste un drap qui lui couvrait les hanches. Ses mains et ses bras portaient les traces des longues souffrances qu’il venait de subir. Ses jambes étaient très abîmées, mais depuis des années elles le faisaient souffrir. Je pense, encore bien souvent, à cette dernière image de Monseigneur, là, étendu sur son lit aux soins intensifs, tel le Christ descendu de la Croix.
Les dernières paroles, par Monsieur l’Abbé SIMOULIN.
Un sourire. un regard vers le crucifié., telles sont les dernières « paroles » de Monseigneur LEFEBVRE, dans la journée du 24 Mars. Il ne pouvait plus parler de façon intelligible, mais totalement lucide il conservait sa façon d’être et de vivre : souriant et crucifié.
Un sourire. pour remercier, pour rassurer, pour apaiser et comme pour s’excuser de ne pouvoir se faire comprendre. Un sourire pour manifester sa propre sérénité et nous inviter aux mêmes dispositions. Un sourire pour tenter de nous faire croire que ses souffrances n’étaient pas si terribles que ça. Le sourire de la charité et de la bonté, le sourire de l’attention aux autres dans l’indifférence de soi-même.
Un regard vers le crucifix, ultime geste conscient de ma dernière visite. Alors que je lui disais combien j’étais édifié par cet hôpital où toutes les chambres, y compris des soins intensifs, sont protégées par un crucifix, son visage et ses yeux se tournaient lentement vers le point que je lui désignais pour trouver Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié, auquel il avait consacré sa vie. Regard de l’ami, de l’adorateur, du prêtre, du missionnaire. regard douloureux mais paisible qui attend et appelle l’ultime et définitive rencontre.
L’impression la plus forte, la plus douce et la plus poignante qui me reste de ces derniers jours, heures, minutes, secondes. qui furent les dernières de Monseigneur – dans lesquelles je fus admis à l’accompagner par un privilège incompréhensible - est celle d’une paix inaltérable, mêlée à la souffrance, parsemée de sourires, de plaisanteries, d’éclats de rire autant que de prières.
« Je ne peux rien faire d’autre que de faire oraison. et c’est très bien ainsi ».
C’était la paix profonde et totale, faite de confiance en ce Dieu de Charité en qui il avait cru et à qui il avait voué toute sa vie. paix de l’absence totale d’inquiétude quant à l’avenir ou l’issue de l’opération envisagée. paix de l’abandon, de l’oraison et de l’union à Jésus-Christ en sa Passion. paix du désir de Dieu, de la soif de l’éternité. paix de la conscience d’avoir tout accompli, d’avoir tout mis en ordre et de pouvoir partir sans causer de souci à ses fils. paix du devoir accompli, d’avoir tout donné sauf ce qu’il n’appartient qu’à Dieu de prendre : sa vie. paix de l’acceptation confiante des conditions de ce don ultime fait depuis toujours. paix de l’âme toute remise entre les mains de Dieu et n’attendant plus que la séparation d’avec le corps pour chanter sa gloire sans fin et sans obstacle.
Encore un mot, le dernier, pour rendre hommage aux médecins, aux infirmiers, aux infirmières, à Monsieur Jo GRENON, Directeur de l’hôpital de Martigny. Malgré les inévitables tracasseries qu’on doit infliger à un malade, tout a été fait, non seulement pour rendre la santé à Monseigneur, mais encore pour adoucir autant que possible la tristesse de toute vie d’hôpital.
Monseigneur le leur a dit, mais il me plaît de le dire à tous et devant tous aujourd’hui.
Mgr Lefebvre, à Morgon en 1988 :
« Saint Thomas dit qu’il y a plus d’anges que d’hommes. Il donne comme raison que le Bon Dieu fait habituellement en plus grand nombre les choses parfaites. Les anges étant plus parfaits que les hommes, Dieu dans sa libéralité, dans son amour de ce qui est beau, de ce qui est grand, les a créés en plus grand nombre que les hommes. Puisque nous avons chacun un ange gardien ; il y a autant d’anges que d’hommes. Et il faut y ajouter tous ceux dont le Bon Dieu se sert pour sa Providence et sa gloire.
Par conséquent, il y a un monde spirituel peut-être beaucoup plus important que nous l’imaginons ! Ce sera une découverte lorsque nous fermerons les yeux ici-bas et que nous découvrirons l’horizon du ciel. Nous serons émerveillés sans doute par cette multitude infinie . Alors aimons vivre au milieu de ces grands adorateurs de Dieu. »