Léon XIII

256ᵉ pape ; de 1878 à 1903

1er novembre 1900

Lettre encyclique Tametsi futura

Sur Jésus-Christ Rédempteur

Donné à Rome, à Saint-​Pierre, le 1er novembre 1900

Pour Nos Vénérables Frères, Patriarches, Primats, Archevêques, Evêques et autres Ordinaires locaux ayant paix et com­mu­nion avec le Saint-Siège.

Léon XIII, pape

Vénérables Frères Salut et Bénédiction Apostolique.

Ceux dont le regard inter­roge l’a­ve­nir ne peuvent se défendre d’in­quié­tudes, ils ont même de nom­breuses et graves appré­hen­sions en face des causes de tant de maux invé­té­rés qui affligent les indi­vi­dus et les socié­tés : cepen­dant, grâce à Dieu, un rayon d’es­pé­rance et de conso­la­tion parait luire au soir du siècle. Pourrait-​on croire que le renou­vel­le­ment des esprits dans le bien et le réveil de la foi et de la pié­té chré­tienne n’aient aucune influence sur le salut com­mun, car aujourd’­hui des témoi­gnages assez mani­festes attestent ce réveil ou cet affer­mis­se­ment des ver­tus reli­gieuses en beau­coup d’âmes. Voici, en effet, qu’au milieu des séduc­tions du siècle et mal­gré tant d’im­pié­té, sur un signe du Souverain Pontife, les foules accourent de par­tout vers Rome, au tom­beau des saints apôtres : habi­tants de la Ville Eternelle et pèle­rins se livrent publi­que­ment aux exer­cices reli­gieux, ils ont foi dans la ver­tu de l’in­dul­gence que leur offre l’Eglise, ils riva­lisent de zèle dans l’art de pré­pa­rer leur salut.

En outre, qui ne serait tou­ché de cette pié­té ardente et inac­cou­tu­mée envers le Sauveur du monde qui édi­fie tous les yeux ? On esti­me­ra faci­le­ment qu’elle est digne des plus beaux jours du chris­tia­nisme, cette fer­veur de tant de mil­liers d’hommes qui battent à l’u­nis­son et qui, du cou­chant à l’au­rore, saluent le nom de Jésus-​Christ et pro­clament ses louanges. Plaise à Dieu que ces flammes jaillis­sant de la vieille reli­gion allument un vaste incen­die et que le grand exemple de beau­coup d’hommes entraîne tous les autres ! Quoi de plus néces­saire à notre époque qu’une large res­tau­ra­tion dans les états de l’es­prit chré­tien et des antiques ver­tus ! Le mal­heur, c’est que les autres hommes, et en trop grand nombre, res­tent sourds et ferment l’o­reille aux aver­tis­se­ments que leur donne ce réveil de la pié­té. Si, pour­tant, ils savaient le don de Dieu, s’ils réflé­chis­saient que le plus grand mal­heur est dans l’é­loi­gne­ment du Libérateur du monde et dans l’a­ban­don des mœurs et des règles chré­tiennes, eux aus­si se réveille­raient et, pour échap­per à une perte cer­taine, ils se hâte­raient de remon­ter le sentier.

Or, main­te­nir et pro­pa­ger le règne du Fils de Dieu sur la terre, pro­cu­rer le salut des hommes par la par­ti­ci­pa­tion aux grâces divines, telle est la mis­sion de l’Eglise. Cette mis­sion est si haute et lui appar­tient tel­le­ment en propre, que toute son auto­ri­té et sa puis­sance reposent prin­ci­pa­le­ment sur cette tâche. Pour Nous, il Nous semble que, dans l’exer­cice si dif­fi­cile et si labo­rieux du sou­ve­rain pon­ti­fi­cat, Nous Nous sommes appli­qué jus­qu’à ce jour, selon Nos forces, à ce minis­tère ; et vous, véné­rables Frères, habi­tuel­le­ment, même tous les jours, avec Nous vous avez cer­tai­ne­ment consu­mé vos prin­ci­pales pen­sées et vos veilles au même labeur. Mais, dans les cir­cons­tances pré­sentes, nous devons les uns et les autres ten­ter davan­tage, et par­ti­cu­liè­re­ment à l’oc­ca­sion de l’Année Sainte, répandre de plus en plus la connais­sance et l’a­mour de Jésus-​Christ par nos ensei­gne­ments, nos conseils, nos exhortations.

Si seule­ment Notre voix peut se faire entendre, non pas tant, disons-​Nous, de ceux qui ont cou­tume de rece­voir avec une atten­tion bien dis­po­sée les maximes chré­tiennes, que de tous les autres, de beau­coup les plus à plaindre, qui, sous leur nom de chré­tiens, passent leur vie en dehors de la foi et de l’a­mour du Christ ! C’est de ceux-​là sur­tout que Nous avons pitié ; à eux prin­ci­pa­le­ment Nous vou­drions mon­trer quelle est leur conduite et quel sera leur éga­re­ment s’ils ne viennent à résipiscence.

N’avoir connu Jésus-​Christ en aucun temps et d’au­cune manière, certes, voi­là un mal­heur, mais il n’y a pas là d’obs­ti­na­tion ni d’in­gra­ti­tude. Le renier ou bien l’ou­blier après l’a­voir connu, voi­là, au contraire, un crime tel­le­ment noir et tel­le­ment insen­sé qu’il paraît presque impos­sible à l’homme. C’est que le Christ est le prin­cipe et la source de tous les biens : le genre humain, qui n’a pu être déli­vré sans son bien­fait, ne peut se conser­ver sans sa ver­tu. Le salut n’est point en quelque autre. Et sous le ciel aucun autre nom n’a été don­né aux hommes auquel nous devions notre salut. (Act. IV,12). Quelle est la vie des mor­tels quand elle va sans Jésus, la force de Dieu et la sagesse de Dieu, quelles sont leurs mœurs, à quelles extrêmes en viennent les choses ? Les nations pri­vées de la lumière chré­tienne n’en fournissent-​elles pas un exemple assez élo­quent ? Qui se rap­pel­le­ra un peu l’a­veu­gle­ment de leur esprit, même sur la des­crip­tion voi­lée de saint Paul (II ad Rom. I), la dépra­va­tion de leur nature, les abo­mi­na­tions de leurs super­sti­tions et de leurs pas­sions, se sen­ti­ra encore sai­si de pitié et en même temps d’horreur.

Les faits que nous évo­quons ici, le public les connaît ; cepen­dant il n’y réflé­chit pas, il n’y pense même pas. Car on ne ver­rait pas tant d’hommes dévoyés par l’or­gueil ou alan­guis par la paresse si l’on entre­te­nait par­tout le sou­ve­nir des bien­faits divins, si l’es­prit recher­chait plus sou­vent de quel abîme le Christ a tiré l’homme et à quelle hau­teur il l’a fait mon­ter. Déshéritée et exi­lée pen­dant tant de siècles, la race des hommes s’a­che­mi­nait tous les jours vers la mort, plon­gée dans ces maux redou­tables et en d’autres encore, consé­quence de la chute ori­gi­nelle, et sans aucune res­source humaine de gué­ri­son, quand parut le Christ Notre-​Seigneur, le Libérateur envoyé du ciel. Dieu lui-​même, au ber­ceau du monde, l’a­vait pro­mis pour vaincre et ter­ras­ser le ser­pent : et tour à tour les siècles regar­daient, atten­dant son avè­ne­ment avec une vive impa­tience. En lui repo­sait toute espé­rance ; long­temps et clai­re­ment les pro­phètes sacrés l’a­vaient chan­té dans leurs oracles ; bien plus, les chan­ge­ments de for­tune, les entre­prises, les ins­ti­tu­tions, les lois, les céré­mo­nies, les sacri­fices avaient signi­fié à l’a­vance avec une pré­ci­sion lumi­neuse que le salut du genre humain rési­de­rait com­plè­te­ment et par­fai­te­ment en celui qu’on repré­sen­tait comme le futur prêtre et en même temps la vic­time d’ex­pia­tion, comme le Restaurateur de la liber­té humaine, le Prince de la paix, le Docteur de toutes les nations, le Fondateur d’un royaume qui serait éter­nel. Ces titres, ces figures, ces pré­dic­tions variées en appa­rence et concor­dantes dans leur objet, dési­gnaient celui-​là seul qui, dans l’a­mour extrême dont il nous aima, se sacri­fie­rait un jour pour notre salut. De fait, à l’heure mar­quée dans le plan divin, le Fils unique de Dieu fait homme, en ver­sant son sang, satis­fit plei­ne­ment et abon­dam­ment pour les hommes à la majes­té outra­gée de son Père et affran­chit à ce prix l’hu­ma­ni­té. Ce n’est pas avec de l’or ou de l’argent cor­rup­tibles que vous avez été rache­tés, mais avec le pré­cieux sang de Jésus-​Christ qui fut connue l’a­gneau pur et sans tache (I Petr. I, 18–19).

Ainsi, en les rache­tant à la lettre et en véri­té, il refit la conquête de tous les hommes, déjà sou­mis à son auto­ri­té et à son empire, parce qu’il en est le créa­teur et le conser­va­teur. Vous n’êtes pas à vous-​mêmes, vous avez été ache­tés à un grand prix (I Cor. VI, 19–20). D’où tout s’est res­tau­ré par Dieu dans le Christ. Le ser­ment de sa volon­té por­ta, selon son bon plai­sir, que, dans la plé­ni­tude des temps, il res­tau­re­rait tout dans le Christ (Eph. I, 9–10). Quand Jésus eut détruit le décret ren­du contre nous en l’at­ta­chant à la croix, les colères du ciel aus­si­tôt s’a­pai­sèrent ; trou­blé et errant, le genre humain secoua les chaînes de son antique ser­vi­tude, la récon­ci­lia­tion se fit avec Dieu, la grâce fut ren­due avec l’ac­cès de l’é­ter­nelle béa­ti­tude, avec le droit et les moyens de l’ac­qué­rir. Alors, comme réveillé d’une longue et mor­telle léthar­gie, l’homme aper­çut la lumière de la véri­té qu’il avait dési­rée et cher­chée en vain pen­dant tant de siècles : il recon­nut sur­tout qu’il était né pour des biens beau­coup plus éle­vés et plus magni­fiques que les biens fra­giles et péris­sables qui tombent sous les sens, et aux­quels il avait bor­né aupa­ra­vant ses pen­sées et ses sou­cis. Il com­prit que toute la consti­tu­tion de la vie humaine, la loi suprême, le but uni­ver­sel, est que, venus de Dieu, nous retour­nons un jour à Lui.

A cette source et sur ce fon­de­ment, on vit renaître la conscience de la digni­té humaine ; le sen­ti­ment du besoin de la fra­ter­ni­té sociale fit battre les cœurs ; alors les devoirs et les droits, en consé­quence, ou attei­gnirent la per­fec­tion, ou se fixèrent inté­gra­le­ment, et, en même temps, de divers côtés, s’é­pa­nouirent des ver­tus telles que la phi­lo­so­phie des anciens n’eût jamais pu les soup­çon­ner. Aussi les des­seins des hommes, la conduite de la vie, les mœurs prirent un autre cours. Et quand la connais­sance du Rédempteur se fut répan­due au loin, quand sa ver­tu eut péné­tré jus­qu’aux veines intimes des socié­tés, dis­si­pant les ténèbres et les vices de l’an­ti­qui­té, alors s’o­pé­ra cette trans­for­ma­tion qui, sous l’ère de la civi­li­sa­tion chré­tienne, chan­gea entiè­re­ment la face du monde. L’évocation de ces sou­ve­nirs, Vénérables Frères, nous apporte un charme infi­ni, mais aus­si une grande leçon : c’est que nous devons veiller de toute notre âme à rendre grâce au divin Sauveur autant qu’il est possible.

Des siècles nous séparent des ori­gines et des débuts de la Rédemption ; mais qu’im­porte, puisque la ver­tu de cette Rédemption se per­pé­tue et que ses bien­faits sub­sistent éter­nel­le­ment ? Celui qui, une fois, a rele­vé la nature humaine, per­due par le péché, la conserve et la conser­ve­ra tou­jours : Il s’est livré lui-​même pour la rédemp­tion de tous (I Tim. II, 6). Tous revi­vront dans le Christ (I Cor. XV, 22). Et son règne n’au­ra point de fin (Luc. I, 33). C’est pour­quoi, d’a­près les des­seins éter­nels de Dieu, c’est dans le Christ Jésus que repose le salut de tous et de cha­cun. Ceux qui l’a­ban­donnent se vouent par là même avec une aveugle folie à leur propre perte ; en même temps, ils pro­voquent, autant qu’il est en eux, ce résul­tat que la com­mu­nau­té humaine, bal­lot­tée par une vio­lente tem­pête, retombe dans cet abîme de maux et de cala­mi­tés qu’a­vait écar­tés le Rédempteur dans sa miséricorde.

Une sorte d’a­ber­ra­tion entraîne loin du but dési­ré ceux qui se pré­ci­pitent dans les sen­tiers obliques. Pareillement, si l’on repousse la pure et sin­cère lumière de la véri­té, néces­sai­re­ment la nuit se fait dans les esprits et, de toutes parts, une misé­rable per­ver­si­té d’o­pi­nions vient trou­bler les âmes. Quel espoir de salut peut donc res­ter à ceux qui aban­donnent le prin­cipe et la source de la vie ? Or, la voie, la véri­té et la vie, c’est uni­que­ment le Christ. Je suis la voie, la véri­té et la vie (Jean. XIV, 6), de telle sorte que, le Christ écar­té, ces trois prin­cipes néces­saires de tout salut disparaissent.

Est-​il besoin de dis­ser­ter sur un fait que rap­pelle une expé­rience constante et dont cha­cun sent pro­fon­dé­ment en lui-​même la réa­li­té, même au sein de l’a­bon­dance de biens péris­sables ? C’est qu’en dehors de Dieu rien n’existe où la volon­té humaine puisse abso­lu­ment et entiè­re­ment se repo­ser. De toute façon, la fin, pour l’homme, c’est Dieu : et toutes les étapes de cette vie ter­restre offrent véri­ta­ble­ment l’as­pect et l’i­mage d’un voyage. Le Christ est pour nous la voie, parce qu’au terme de cette course ter­restre, si pénible et si incer­taine, nous ne pou­vons aucu­ne­ment par­ve­nir jus­qu’au bien suprême et abso­lu, Dieu, sans l’ac­tion et la conduite du Christ. Personne n’ar­rive au Père que par Moi (Jean. XIV, 46)

Comment faut-​il entendre : si ce n’est par Lui ? Tout d’a­bord et avant tout, en ce sens : si ce n’est par sa grâce. Mais cette grâce res­te­rait vaine dans l’homme, s’il négli­geait les pré­ceptes et les lois du Christ. Notre salut accom­pli, il fal­lait à Jésus-​Christ même lais­ser une loi gar­dienne et tutrice de l’hu­ma­ni­té, et dont la règle, détour­nant les hommes de la per­ver­si­té, leur per­mît d’ar­ri­ver à Dieu en sécu­ri­té. Allez, ensei­gnez toutes les nations, leur appre­nant à obser­ver tout ce que Je vous ai ordon­né (Matth. XXVIII, 19–20). Observez Mes com­man­de­ments (Jean. XIV, 16). Par consé­quent, on doit le com­prendre, pour celui qui fait pro­fes­sion d’être chré­tien, le point capi­tal et abso­lu­ment néces­saire est de se mon­trer docile aux pré­ceptes de Jésus-​Christ et de lui appor­ter une volon­té entiè­re­ment sou­mise et dévouée, comme au Maître et au Roi suprême. C’est là une grande tâche qui exige sou­vent beau­coup de peine, d’éner­gie et de constance. Car, mal­gré le renou­vel­le­ment de la nature humaine par le bien­fait de la Rédemption, il sub­siste néan­moins en cha­cun de nous une sorte de mala­die, d’in­fir­mi­té et de cor­rup­tion. Des appé­tits divers emportent l’homme çà et là, et les séduc­tions du dehors poussent faci­le­ment son âme à recher­cher ce qui lui plait plu­tôt qu’à suivre les com­man­de­ments du Christ. Or, il nous faut pour­tant réagir et lut­ter de toutes nos forces contre nos pas­sions en esprit de sou­mis­sion au Christ ; si ces pas­sions n’o­béissent pas à la rai­son, elles gou­vernent l’homme en l’ar­ra­chant entiè­re­ment au Christ, elles en font leur esclave. « Les hommes à l’es­prit per­ver­ti et réfrac­taires à la foi n’ar­rivent pas à s’af­fran­chir, ils deviennent esclaves d’une triple pas­sion : la volup­té, l’am­bi­tion, le désir de paraître » (saint Augustin, De la vraie reli­gion). Dans cette lutte contre soi-​même, cha­cun doit être dis­po­sé à sup­por­ter les obs­tacles et les souf­frances pour la cause du Christ. Il est dif­fi­cile de repous­ser les objets qui ont tant de charme et d’at­trait ; il est dur et pénible de mépri­ser ce qu’on appelle les biens du corps et de la for­tune pour se confor­mer à la volon­té sou­ve­raine du Maître, le Christ ; mais il faut que le chré­tien ait patience et cou­rage jus­qu’au bout s’il veut pas­ser chré­tien­ne­ment le temps de sa vie. Avons-​nous oublié de quel corps et de quelle tête nous sommes les membres ? C’est avec une joie bien vou­lue qu’a embras­sé la croix Celui qui nous a prê­ché l’ab­né­ga­tion de nous-​mêmes. C’est pré­ci­sé­ment dans la dis­po­si­tion de l’âme dont Nous avons par­lé que consiste la digni­té même de la nature humaine. Comme la sagesse des anciens l’a sou­vent com­pris, se com­man­der à soi-​même et faire obéir la par­tie infé­rieure de notre être à la par­tie supé­rieure n’est nul­le­ment l’a­bais­se­ment d’une volon­té défaillante, mais plu­tôt une ver­tu géné­reuse, mer­veilleu­se­ment com­pa­tible avec la rai­son et sou­ve­rai­ne­ment digne de l’homme.

D’ailleurs, c’est la condi­tion humaine de beau­coup sup­por­ter et souf­frir. L’organisation d’une vie sans dou­leur et toute de joie n’est pas plus au pou­voir de l’homme que l’a­bro­ga­tion des des­seins de son divin Fondateur, dont la volon­té a été de lais­ser sub­sis­ter tou­jours les consé­quences du péché ori­gi­nel. Il convient donc de ne pas attendre ici-​bas la ces­sa­tion de la dou­leur, de for­ti­fier son âme pour la sup­por­ter et d’en user avec l’es­pé­rance cer­taine des plus grands biens. Ce n’est pas aux richesses et aux aises de la vie, ce n’est pas aux hon­neurs et à la puis­sance, mais à la patience et aux larmes, au zèle de la jus­tice et à la pure­té du cœur que le Christ a pro­mis la béa­ti­tude éter­nelle du ciel. Par là, on voit aisé­ment ce qu’il faut attendre en fin de compte de l’er­reur et de l’or­gueil de ceux qui méprisent l’au­to­ri­té du Rédempteur, placent l’homme au som­met de tout et déclarent que la nature humaine doit domi­ner abso­lu­ment tout ; tou­te­fois, ils sont inca­pables d’at­teindre à cette domi­na­tion et même de la défi­nir. Le règne de Jésus-​Christ tire de la cha­ri­té divine sa puis­sance et sa forme. Aimer sain­te­ment et dans l’ordre, telle est sa base et tel est son som­met. De là découle néces­sai­re­ment pour l’homme l’o­bli­ga­tion de rem­plir invio­la­ble­ment ses devoirs, de ne léser en rien les droits d’au­trui, d’es­ti­mer les choses humaines au-​dessous des choses célestes, de pré­fé­rer l’a­mour de Dieu à tout le reste. Mais cette domi­na­tion de l’homme qui repousse ouver­te­ment le Christ ou néglige de Le connaître s’ap­puie toute sur l’a­mour de soi, elle est dépour­vue de cha­ri­té, elle ignore le dévoue­ment. Que l’homme com­mande par Jésus-​Christ, c’est légi­time ; mais à cette condi­tion seule­ment qu’il serve Dieu avant tout et qu’il demande scru­pu­leu­se­ment à sa loi la règle et la conduite de sa vie.

Or, par la loi du Christ, nous enten­dons non seule­ment les pré­ceptes de la morale natu­relle, ou ceux dont les anciens reçurent la révé­la­tion et que Jésus-​Christ a por­tés au plus haut degré de per­fec­tion par ses décla­ra­tions, par ses inter­pré­ta­tions, par ses sanc­tions, mais encore le reste de sa doc­trine et cha­cune de ses institutions.

La pre­mière de toutes est assu­ré­ment l’Eglise : même peut-​on citer des ins­ti­tu­tions que n’embrasse et ne contienne plei­ne­ment l’Eglise ? Par le minis­tère de cette Eglise, si glo­rieu­se­ment fon­dée par lui, il a vou­lu per­pé­tuer la mis­sion qu’il avait reçue lui-​même de son Père ; et, d’une part, ayant mis en elle tous les moyens de salut pour l’hu­ma­ni­té, d’autre part il enjoi­gnit très for­mel­le­ment aux hommes d’o­béir à son Eglise comme à lui-​même et de la prendre soi­gneu­se­ment pour guide dans toute leur vie. Celui qui vous écoute M’écoute, et celui qui vous méprise Me méprise (Luc. X, 16). Donc c’est uni­que­ment à l’Eglise qu’il faut deman­der la loi du Christ : et, par consé­quent, si pour l’homme le Christ est la voie, l’Eglise l’est aus­si, l’un par lui-​même et par sa nature, l’autre par délé­ga­tion et par com­mu­ni­ca­tion de pou­voir. Par consé­quent, tous ceux qui veulent arri­ver au salut en dehors de l’Eglise se trompent de route et font de vains efforts. Ce qui est vrai pour les indi­vi­dus l’est presque autant pour les nations : elles aus­si courent for­cé­ment à leur perte en s’é­car­tant de la voie.

Créateur et à la fois Rédempteur de la nature humaine, le Fils de Dieu est le roi et le maître de l’u­ni­vers ; il pos­sède une sou­ve­raine puis­sance sur les hommes, soit comme indi­vi­dus, soit comme socié­té. Il lui a don­né la puis­sance, et l’hon­neur, et la royau­té ; et tous les peuples, toutes les tri­bus, toutes les langues lui obéi­ront (Dan. VII, 14). J’ai été, par Lui, éta­bli roi… Je te don­ne­rai les nations pour ton héri­tage et les limites de la terre pour ton domaine (Ps. II). La loi du Christ, dans les centres humains et dans la socié­té, doit donc être en telle faveur qu’elle soit la règle maî­tresse de la vie pri­vée et de la vie publique. En ver­tu de ce gou­ver­ne­ment et de ce plan divin, que per­sonne ne peut répu­dier impu­né­ment, il sied mal à l’in­té­rêt public de ne pas assi­gner par­tout aux ins­ti­tu­tions chré­tiennes la place qu’elles méritent. Ecartez Jésus-​Christ, la rai­son humaine se trouve réduite à sa fai­blesse, pri­vée de son plus grand appui et de sa plus grande lumière. Alors s’obs­cur­cit faci­le­ment la notion de la cause qui, par l’œuvre de Dieu, a engen­dré la socié­té uni­ver­selle et qui porte sur­tout que ses membres, à l’aide du lien social, doivent pour­suivre le bien natu­rel, mais en har­mo­nie avec cet autre bien suprême et sur­na­tu­rel, sou­ve­rai­ne­ment par­fait et éter­nel. Quand tout se confond dans les esprits, gou­ver­nants et gou­ver­nés prennent un faux sen­tier : loin le droit che­min où ils mar­che­raient d’un pas assuré !

C’est un grand mal­heur de s’é­car­ter de la voie : c’en est un sem­blable d’a­ban­don­ner la véri­té. Or, la véri­té pre­mière, abso­lue et essen­tielle, c’est le Christ, c’est-​à-​dire le Verbe de Dieu, consub­stan­tiel et coéter­nel au Père, et un avec lui : Je suis la voie et la véri­té. C’est pour­quoi, dans la recherche de la véri­té, l’o­béis­sance à Jésus-​Christ tout d’a­bord et le repos assu­ré en son magis­tère s’im­posent à la rai­son humaine, puisque la véri­té même parle par la bouche du Christ. Il est d’in­nom­brables sujets, ouverts, comme un champ fer­tile et propre, au libre cours des inves­ti­ga­tions et des médi­ta­tions de l’es­prit humain ; la nature le per­met, et même elle le réclame. Mais ce qui est mal et contre nature, c’est de ne pas vou­loir conte­nir l’in­tel­li­gence dans ses propres limites, et, au mépris de la réserve obli­ga­toire, de dédai­gner l’au­to­ri­té du Christ ensei­gnant. Cette doc­trine, dont dépend notre salut à tous, se rap­porte presque uni­que­ment à Dieu et aux mys­tères les plus divins ; ce n’est pas la sagesse d’un homme qui l’a conçue, c’est le Fils de Dieu lui-​même qui l’a reçue de son Père et l’a pui­sée tout entière en Lui : Les paroles que Vous M’avez don­nées, Je les leur ai don­nées (Jean. XVII,8). Par suite, cette doc­trine com­prend néces­sai­re­ment des véri­tés qui, sans contre­dire la rai­son – chose impos­sible de toute manière, sont d’un ordre si éle­vé que la pen­sée ne sau­rait pas plus y atteindre qu’elle ne sau­rait com­prendre ce qu’est Dieu en soi. Quand il existe tant de secrets sous les voiles de la nature elle-​même, qu’ils raflent les expli­ca­tions de la science humaine, sans que per­sonne, pour­tant, puisse en dou­ter sai­ne­ment, ce serait abu­ser de la liber­té que de ne pas souf­frir de mys­tères au-​dessus de toute la nature, parce qu’il n’est pas don­né d’en péné­trer l’es­sence. Ne pas admettre de dogmes revient à ne pas admettre l’exis­tence d’une reli­gion chré­tienne. L’esprit doit donc s’in­cli­ner hum­ble­ment et fidè­le­ment, en esprit d’o­béis­sance au Christ, au point de s’en­chaî­ner, pour ain­si dire, à sa divi­ni­té et à son pou­voir : Réduisant en cap­ti­vi­té toute intel­li­gence sous la dépen­dance du Christ (II Cor. X, 5).

Telle est exac­te­ment l’o­béis­sance dont le Christ exige le tri­but. Et c’est jus­tice. Il est Dieu, en effet, et Lui seul, par consé­quent, pos­sède un sou­ve­rain pou­voir sur l’in­tel­li­gence de l’homme comme sur sa volon­té. L’hommage de sou­mis­sion que rend l’in­tel­li­gence au Christ, son Maître, n’est point pour l’homme un acte de ser­vi­li­té ; il est émi­nem­ment conforme à sa rai­son et à son excel­lence native. Car il se range volon­tai­re­ment au com­man­de­ment, non d’un homme quel­conque, mais de Dieu, son auteur et prin­cipe de toutes choses, dont il relève par la loi de nature ; il ne se laisse pas enchaî­ner aux opi­nions d’un maître humain, mais à l’é­ter­nelle et immuable véri­té. Et ain­si il atteint à la fois le bien natu­rel de l’es­prit et la liber­té. En effet, la véri­té qui pro­vient du magis­tère du Christ met en lumière et l’es­sence des choses et leur valeur. L’homme imbu de cette doc­trine, obéis­sant à la véri­té qu’il a per­çue, ne se sou­met­tra pas aux objets, mais il se les sou­met­tra à lui-​même ; il ne subor­don­ne­ra pas la rai­son à la pas­sion, mais la pas­sion à la rai­son ; il secoue­ra la pire des ser­vi­tudes, celle du péché et de l’er­reur, et rem­por­te­ra la plus belle des liber­tés. Vous connaî­trez la véri­té et la véri­té vous déli­vre­ra. (Jean. VIII, 32).

Il semble donc que ceux dont l’es­prit repousse l’au­to­ri­té du Christ se révoltent avec per­ver­si­té contre Dieu. Mais, pour s’être affran­chis de l’au­to­ri­té divine, ils n’en devien­dront pas plus libres : ils retom­be­ront for­cé­ment sous quelque dépen­dance des hommes, ils choi­si­ront, par exemple – comme il arrive – quel­qu’un qu’ils écou­te­ront, qui aura leur défé­rence et qui sera leur maître. En outre, ils enserrent leur esprit, qui ne com­mu­nique plus avec les choses de Dieu, dans le cercle étroit de la science ; et même dans l’ordre des véri­tés qui sont le domaine de la rai­son, ils arri­ve­ront moins pré­pa­rés pour y faire des pro­grès. Car il y a beau­coup de choses dans la nature sur la per­cep­tion ou sur l’ex­pli­ca­tion des­quelles la doc­trine divine jette de grandes lumières ; il n’est même pas rare que Dieu, en puni­tion de leur orgueil, ne per­mette pas à ces hommes d’a­per­ce­voir la véri­té et les frappe par où ils ont péché. Pour ce double motif, on voit sou­vent beau­coup de grands esprits, très éru­dits, en arri­ver, dans l’é­tude même de la nature, à des conclu­sions si absurdes, que per­sonne n’a­vait com­mis de pareilles erreurs.

Tenons donc pour cer­tain que, dans la vie chré­tienne, l’in­tel­li­gence doit s’a­ban­don­ner tout à fait à l’au­to­ri­té divine. Que si, dans cette sou­mis­sion de la rai­son à l’au­to­ri­té, la fier­té de l’es­prit, si vive en nous, se trouve contrainte et gémisse un peu ; il en res­sort davan­tage que le chré­tien doit se plier à une grande patience, non seule­ment de volon­té, mais encore d’es­prit. Nous vou­drions voir s’en sou­ve­nir ceux qui ima­ginent et pré­fèrent ouver­te­ment, dans la pro­fes­sion du chris­tia­nisme, une règle de pen­sée et d’ac­tion dont les lois seraient plus douces, beau­coup plus indul­gentes pour la nature humaine, avec peu ou point de patience. Ils ne com­prennent pas assez l’es­prit de la foi et des ins­ti­tu­tions chré­tiennes : ils ne voient pas que de tous côtés se pré­sente à nous la croix pour ser­vir de modèle à la vie et pour res­ter tou­jours l’é­ten­dard de ceux qui veulent suivre le Christ, non seule­ment de nom, mais par des actes réels.

Etre la vie n’ap­par­tient qu’à Dieu. Toutes les autres natures par­ti­cipent de la vie ; elles ne sont pas la vie. De toute éter­ni­té et par sa nature, le Christ est la vie comme Il est la véri­té, parce qu’Il est Dieu de Dieu. De Lui, comme de son der­nier et sublime prin­cipe, découle et décou­le­ra per­pé­tuel­le­ment toute vie dans le monde. Tout ce qui est est par Lui, tout ce qui vit vit par Lui, parce que tout a été fait par le Verbe, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans Lui. Il s’a­git ici de la vie de la nature ; mais déjà, plus haut, Nous avons assez par­lé d’une vie meilleure et bien pré­fé­rable, qui est un bien­fait du Christ lui-​même : c’est la vie de la grâce avec la vie de la gloire pour bien­heu­reux terme, celle qui doit orien­ter toutes nos pen­sées et tous nos actes. Toute la force de la doc­trine et des lois chré­tiennes tient à ce point : que nous mou­rions au péché pour vivre dans la jus­tice (I Petr., II, 24), c’est-​à-​dire dans la ver­tu et la sain­te­té. C’est en quoi consiste la vie morale des âmes, avec l’es­poir fon­dé de la béa­ti­tude éter­nelle. Mais il n’y a vrai­ment et pro­pre­ment que la foi chré­tienne pour ali­men­ter la jus­tice en vue du salut. Le juste vit de la foi (Galat. III, 11). Sans la foi il est impos­sible de plaire à Dieu (Hebr. XI, 6). Voilà pour­quoi Jésus-​Christ, auteur, père et sou­tien de la foi, est aus­si celui qui conserve et entre­tient en nous la vie morale, et cela sur­tout par le minis­tère de l’Eglise. C’est à elle qu’il a confié, par un des­sein de sa Providence, les moyens propres à engen­drer en nous cette vie dont nous par­lons, à la conser­ver ensuite et à la rani­mer quand elle vient à s’éteindre.

La force créa­trice et conser­va­trice des ver­tus salu­taires s’é­va­nouit donc si la règle des mœurs va sans la foi divine : et c’est vrai­ment dépouiller l’homme de sa plus haute digni­té et le faire per­ni­cieu­se­ment tom­ber de la vie sur­na­tu­relle dans la vie natu­relle, que de vou­loir diri­ger les mœurs vers l’hon­nête par le seul magis­tère de la rai­son. Non pas que l’homme ne puisse, avec la droite rai­son, aper­ce­voir et obser­ver nombre de pré­ceptes natu­rels ; mais, quand bien même il les aper­ce­vrait et les obser­ve­rait tous invio­la­ble­ment durant sa vie entière – ce qui est impos­sible sans la grâce du Rédempteur –, en vain, cepen­dant, il espé­re­rait son salut s’il n’a pas la foi. Si quel­qu’un ne demeure pas en Moi, il sera jeté dehors comme un sar­ment ; il se des­sé­che­ra, on le ramas­se­ra, on le jet­te­ra au feu et il brû­le­ra (Jean. XV, 6). Celui qui ne croi­ra pas sera condam­né (Marc. XVI, 16).

Enfin, trop d’exemples nous montrent ce que vaut en elle-​même et ce que pro­duit cette hon­nê­te­té dédai­gneuse de la foi divine. Pourquoi les Etats, si sou­cieux de conso­li­der et d’ac­croître la pros­pé­ri­té publique, tolèrent-​ils cepen­dant, jus­qu’à en être malades, tant de maux qui s’ag­gravent tous les jours ? Sans doute, on pré­tend que la socié­té civile est assez forte pour se suf­fire par elle-​même, qu’elle peut pros­pé­rer sans le secours des ins­ti­tu­tions chré­tiennes, et qu’elle peut arri­ver, par son seul effort, au but qu’elle pour­suit. Aussi préfère-​t-​on une admi­nis­tra­tion pure­ment pro­fane pour le gou­ver­ne­ment de la socié­té, et ne voit-​on plus, dans la dis­ci­pline civile et dans la vie publique des peuples, que des ves­tiges chaque jour moins nom­breux de la reli­gion tra­di­tion­nelle. Mais les hommes ne voient pas assez ce qu’ils font. Car si l’on sup­prime la sanc­tion divine du bien et du mal, les lois perdent fata­le­ment l’au­to­ri­té qui en est le prin­cipe, et la jus­tice s’é­croule : or, ce sont là les deux liens les plus solides et les plus néces­saires de la socié­té civile. De même, si l’on sup­prime l’es­pé­rance et l’at­tente des biens immor­tels, l’homme se tour­ne­ra avec avi­di­té vers les jouis­sances mor­telles, et cha­cun tra­vaille­ra selon ses forces pour se les atti­rer le plus pos­sible. De là les riva­li­tés, l’en­vie, la haine ; de là les plus noirs pro­jets, la pré­ten­tion de ren­ver­ser tout pou­voir, et des plans insen­sés de ruine géné­rale. Ni paix à l’ex­té­rieur, ni sécu­ri­té à l’in­té­rieur : c’est le bou­le­ver­se­ment de la vie sociale par tous les crimes.

Dans une telle lutte de convoi­tises et dans un si grand péril, ou il faut s’at­tendre aux der­nières catas­trophes, ou il faut cher­cher à temps un remède appro­prié au mal, répri­mer les mal­fai­teurs, adou­cir les mœurs popu­laires et pré­ve­nir tous les délits par des lois pré­voyantes, c’est juste et c’est néces­saire ; mais tout n’est pas là. Il faut cher­cher plus haut la gué­ri­son des peuples ; il faut appe­ler une force supé­rieure à l’homme, une force qui atteigne les cœurs, qui leur rende la conscience de leur devoir, qui les rende meilleurs. Et cette force, c’est évi­dem­ment celle qui a déjà sau­vé de la mort le monde épui­sé de maux plus grands encore. Faites revivre et lais­sez agir sans obs­tacles l’es­prit chré­tien dans l’Etat, et l’Etat se relè­ve­ra. Alors il sera facile d’a­pai­ser le conflit entre les classes infé­rieures et les classes supé­rieures et de déli­mi­ter avec un égal res­pect les droits des deux par­ties. S’ils écoutent le Christ, riches et pauvres res­te­ront éga­le­ment dans le devoir. Les uns com­pren­dront qu’il leur faut obser­ver la jus­tice et la cha­ri­té s’ils dési­rent le salut, et les autres gar­der la modé­ra­tion et la mesure. La socié­té domes­tique conser­ve­ra très bien la sta­bi­li­té sous la garde de la crainte salu­taire du Dieu qui ordonne et qui défend.

Pour la même rai­son, les pré­ceptes de la nature elle-​même auront beau­coup plus de force au sein des peuples, à savoir qu’il faut res­pec­ter le pou­voir légi­time, obéir aux lois, ne pas faire de sédi­tion ni de conspi­ra­tion. Ainsi, là où la loi chré­tienne com­mande à tous et ne ren­contre pas d’en­traves, l’ordre éta­bli par la divine Providence se sou­tient lui-​même, et alors règnent la sécu­ri­té et la pros­pé­ri­té. C’est donc le cri du salut public de reve­nir au point qu’on n’au­rait jamais dû aban­don­ner, à Celui qui est la voie, la véri­té et la vie : cela, non seule­ment pour les indi­vi­dus, mais pour la socié­té humaine tout entière. Dans cette socié­té, comme dans son domaine, il s’a­git de réin­té­grer le Christ Seigneur, de faire pui­ser et impré­gner à la source de sa vie tous les membres et tous les élé­ments de la socié­té, ses ordres et les défenses des lois, les ins­ti­tu­tions popu­laires, les mai­sons d’en­sei­gne­ment, le droit conju­gal et les rap­ports domes­tiques, la demeure du riche et l’a­te­lier de l’ou­vrier. Qu’on ne oublie pas ; c’est là la grande condi­tion de cette civi­li­sa­tion si vive­ment recher­chée ; pour s’en­tre­te­nir et pour se déve­lop­per, elle a moins besoin des faci­li­tés et des res­sources du corps que de celles de l’âme, les bonnes mœurs et la pra­tique des ver­tus. Ceux qui vivent loin de Jésus-​Christ sont plus igno­rants que cou­pables : on en compte, en effet, beau­coup qui s’ap­pliquent à l’é­tude de l’homme et du monde, et bien peu à l’é­tude du Fils de Dieu. Que notre pre­mier soin soit donc de com­battre l’i­gno­rance par la science, pour qu’on ne voie pas renier ou mépri­ser le Christ sans le connaître.

Assez long­temps la foule a enten­du par­ler de ce qu’on appelle les droits de l’homme ; qu’elle entende par­ler quel­que­fois des droits de Dieu.

Nous sup­plions donc par­tout les chré­tiens, sans dis­tinc­tion, de s’ap­pli­quer, cha­cun selon son pou­voir, à connaître Jésus-​Christ tel qu’Il est. Plus on Le consi­dé­re­ra avec un cœur sin­cère et un juge­ment sain, plus on ver­ra clai­re­ment qu’il ne peut rien exis­ter de plus salu­taire que sa parole, de plus divin que sa doc­trine. C’est à quoi peuvent contri­buer mer­veilleu­se­ment, Vénérables Frères, votre auto­ri­té et vos soins, le zèle et la sol­li­ci­tude de tout votre cler­gé. Graver dans l’es­prit des peuples une notion exacte et presque l’i­mage de Jésus-​Christ, mettre en lumière son amour, ses bien­faits, ses ins­ti­tu­tions, par la plume, par la parole ; dans les écoles, dans les col­lèges, dans les assem­blées publiques, par­tout où l’oc­ca­sion s’en pré­sente : voi­là ce que vous devez consi­dé­rer comme la prin­ci­pale par­tie de votre devoir. Assez long­temps la foule a enten­du par­ler de ce qu’on appelle les droits de l’homme ; qu’elle entende par­ler quel­que­fois des droits de Dieu. Le temps est favo­rable, comme le montrent, nous l’a­vons dit, le réveil d’un saint zèle chez beau­coup d’âmes, et sur­tout cette pié­té envers le Rédempteur qu’at­testent tant de signes, et que, s’il plaît à Dieu, nous légue­rons au siècle sui­vant, comme le gage d’une ère meilleure.

Mais comme il s’a­git d’un résul­tat que nous ne pou­vons attendre que de la grâce de Dieu, unis­sons notre zèle et nos plus ardentes prières pour flé­chir la misé­ri­corde de ce Dieu tout-​puissant, afin qu’Il ne laisse pas périr ceux qu’Il a déli­vrés lui-​même au prix de Son sang : qu’il abaisse un regard pro­pice sur ce siècle, qui, certes, a beau­coup péché, mais qui aus­si a beau­coup expié par les épreuves qu’il a endu­rées ; que sa bien­veillance embrasse les hommes de tout pays et de toute race, et qu’il se sou­vienne de sa parole : Quand J’aurai été éle­vé de terre, J’attirerai tout à Moi (Jean. XXII, 32).

Comme un gage des faveurs divines, et en témoi­gnage de Notre pater­nelle bien­veillance, Nous vous accor­dons, bien affec­tueu­se­ment dans le Seigneur, à vous, Vénérables Frères, à votre cler­gé et à votre peuple, la béné­dic­tion apostolique.

Donné à Saint-​Pierre de Rome, le pre­mier jour de Novembre 1900, dans la 23e année de Notre Pontificat

LÉON XIII, Pape.