Leon XIII, pape
A tous les fidèles qui liront cette lettre, salut et bénédiction apostolique.
Les immortels bienfaits procurés au genre humain par le Christ-Rédempteur demeurent gravés au fond de toutes nos âmes et sont honorés dans l’Eglise par un éternel souvenir qui s’unit, chaque jour, à un doux témoignage d’amour envers la Vierge, Mère de Dieu.
Pour Nous, lorsque Nous jetons les yeux sur la durée de Notre souverain Pontificat et que Nous repassons la série de Nos actes, Nous Nous sentons doucement pénétrés de consolation et de reconnaissance à la vue des œuvres que, sous l’impulsion et avec l’aide de Dieu, auteur des bons conseils, Nous avons soit entreprises Nous-même, pour rehausser les honneurs rendus à la Vierge Marie, soit pris soin de faire entreprendre ou promouvoir par des enfants de l’Eglise catholique.
Ce qui Nous est une joie particulière, c’est que la sainte institution du Rosaire de Marie, grâce à Nos exhortations et à Notre sollicitude, est plus connue et est entrée davantage dans la pratique du peuple chrétien ; c’est que les confréries du Rosaire se sont multipliées et deviennent de jour en jour plus florissantes, et par le nombre et par la piété de leurs associés ; c’est que de nombreux et importants ouvrages, dus aux patients travaux d’hommes savants, ont été publiés et répandus au loin ; c’est, enfin, que le mois d’octobre, que nous avons ordonné de consacrer tout entier au Rosaire, est célébré avec un éclat extraordinaire dans le monde entier.
Mais Nous croirions presque manquer à Notre devoir si, en cette année, avec laquelle le XXe siècle a pris naissance, Nous négligions l’occasion favorable que Nous ont spontanément offerte Notre Vénérable Frère l’évêque de Tarbes, le clergé et le peuple de la ville de Lourdes, qui, dans un temple auguste, dédié à Dieu en l’honneur de la bienheureuse Vierge Marie, sous le vocable du Très Saint Rosaire, ont érigé quinze autels à consacrer aux quinze mystères du Rosaire.
Nous profitons d’autant plus volontiers de cette occasion qu’il s’agit de cette contrée de la France que rendent illustres de si nombreuses et de si grandes faveurs de la Bienheureuse Vierge ; de cette contrée, enfin, qui se glorifie d’avoir, autrefois, possédé saint Dominique, père et législateur de son Ordre, et où se trouve le berceau du Saint Rosaire. En effet, nul parmi les chrétiens ne peut ignorer comment saint Dominique, venu d’Espagne en France, a combattu l’hérésie des Albigeois qui, semblable à une peste pernicieuse, envahissait, en ce temps-là, aux pieds des Pyrénées, l’Aquitaine presque entière ; comment, enfin, par l’exposition et la prédication des admirables et saints mystères de notre divine religion, il a, en ces lieux remplis des ténèbres de l’erreur, rallumé le flambeau de la vérité.
En effet, le but vers lequel convergent, en se prêtant un mutuel appui, les diverses séries de mystères que Nous admirons dans cette dévotion, c’est que, dans leur méditation et dans leur souvenir fréquent, l’esprit du chrétien puise insensiblement la vertu qu’ils renferment et s’en pénètre ; c’est que, peu à peu, il est amené à ordonner et à régler sa vie dans une activité exempte de trouble, à supporter l’adversité avec calme et courage, à nourrir l’espérance de biens immortels dont il jouira dans la vraie patrie, enfin, à entretenir et à augmenter en lui la foi, sans laquelle on cherche en vain à guérir et à soulager les maux qui nous accablent ou à repousser les dangers qui nous menacent de toute part.
Les prières que saint Dominique, guidé et secouru par Dieu, a, le premier, composées en l’honneur de Marie ont été, à juste titre, appelées Rosaire. Car, autant de fois, en nous unissant à la louange angélique, nous saluons Marie pleine de grâce, autant de fois, par cet éloge répété, nous offrons, pour ainsi dire, à cette Vierge bénie des roses qui répandent la suavité du plus agréable parfum, autant de fois se présente à notre esprit et l’éminente dignité de Marie et la grâce infinie qui lui vient de Dieu par Jésus-Christ, le fruit de ses entrailles ; autant de fois nous rappelons les autres mérites extraordinaires par lesquels Elle a participé avec son Fils Jésus à la Rédemption du genre humain. Oh ! combien donc est douce à la Vierge Marie, combien Lui est agréable la salutation angélique, puisque, au moment où Gabriel la lui adressait, Elle comprit que, par la vertu de l’Esprit-Saint, Elle avait conçu le Verbe de Dieu !
Mais, de nos jours aussi, la vieille hérésie albigeoise, sous un nom différent et sous le patronage d’autres sectes, renaît d’une manière étonnante, avec les formes et les séductions nouvelles d’erreurs et de doctrines impies ; elles s’insinue à nouveau dans ces contrées, infecte et contamine de sa honteuse contagion les peuples chrétiens qu’elle entraîne lamentablement à leur perte et à leur ruine. Nous voyons, en effet, et Nous déplorons grandement la tempête soulevée, dans le moment présent, en France surtout, contre les familles religieuses qui, par leurs œuvres de piété et de charité, ont si bien mérité de l’Eglise et des peuples.
Or, pendant que Nous gémissons sur ces maux et que les graves afflictions de l’Eglise remplissent Notre cœur d’une amère douleur, Nous voyons avec joie, à côté du mal, apparaître les indices non douteux d’un meilleur avenir. En effet, ce Nous est un favorable et heureux présage – daigne l’auguste Reine du Ciel le ratifier – que l’on doive, au mois d’octobre prochain, comme Nous l’avons dit plus haut, consacrer dans les sanctuaires de Lourdes autant d’autels qu’il y a de Mystères du Très Saint Rosaire.
Certes, rien ne peut être plus efficace pour nous concilier la faveur de la Vierge Marie et nous mériter les grâces les plus salutaires, que d’entourer des plus grands honneurs possibles les mystères de Rédemption auxquels nous voyons qu’Elle n’a pas seulement assisté mais participé, et de dérouler devant tous les yeux la série de ces divines vérités proposées à notre méditation. Et c’est pourquoi Nous sommes assuré que la Vierge Marie, Mère de Dieu et Mère très tendre des hommes, sera propice aux vœux et aux prières que les foules innombrables de chrétiens, accourus de toutes parts, multiplieront dans ses sanctuaires, et qu’Elle joindra et associera son intercession à la leur, afin que la conjuration de la prière fasse, pour ainsi dire, violence au ciel et touche le Dieu des miséricordes infinies. Puisse, de la sorte, la très puissante Vierge-Mère qui, autrefois, a coopéré par sa charité à la naissance des fidèles dans l’Eglise, être, maintenant encore, l’intermédiaire et la patronne de notre salut ! Qu’elle frappe et écrase les innombrables têtes de l’hydre impie qui étend de plus en plus ses ravages par toute l’Europe ; qu’Elle ramène la tranquillité de la paix dans les esprits inquiets ; et qu’ainsi, enfin, soit hâté le retour des individus et des sociétés à Jésus-Christ qui peut sauver à tout jamais ceux qui s’approchent de Dieu par son entremise.
C’est pourquoi, rempli de bienveillance pour Notre Vénérable frère l’évêque de Tarbes et Nos fils bien-aimés du clergé et du peuple de Lourdes, Nous avons résolu de répondre favorablement, par la présente Lettre apostolique, à toutes les demandes qu’ils Nous ont récemment présentées. Et Nous avons ordonné qu’un exemplaire authentique de cette Lettre soit adressé à tous Nos Vénérables frères dans le ministère pastoral, patriarches, archevêques, évêques et tous autres prélats de l’univers catholique, afin qu’ils soient remplis de la même joie et de la même allégresse sainte que Nous-même.
C’est pour cela que, – pour le bien, le bonheur et la félicité de tous, pour l’accroissement de la gloire de Dieu et pour le plus grand avantage de toute l’Eglise catholique, – en vertu de Notre autorité apostolique et par la teneur de la présente Lettre, Nous chargeons Notre cher fils Benoît-Marie Langénieux, cardinal de la sainte Eglise romaine, de consacrer régulièrement, en Notre Nom et avec Notre autorité, le nouveau sanctuaire, érigé dans la ville de Lourdes et dédié à Dieu, en l’honneur de la bienheureuse Vierge Marie, sous le vocable du Très Saint Rosaire.
Nous accordons, en outre, à ce très cher fils le privilège de porter le pallium pendant cette solennelle cérémonie, comme s’il se trouvait dans son archidiocèse ; et enfin, à l’issue de cette solennité, de bénir, avec les indulgences accoutumées, en vertu encore de Notre autorité et en Notre nom, l’assemblée des fidèles. Nous accordons ces faveurs, nonobstant toute disposition ou règlement contraires.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, sous l’anneau du Pêcheur, le 8 sept 1901, de Notre pontificat l’an vingt-quatrième.
LEON XIII, Pape..