Léon XIII

256ᵉ pape ; de 1878 à 1903

8 septembre 1901

Lettre apostolique Parta Humano Generi

Sur la consécration de l'église du Rosaire à Lourdes

Leon XIII, pape

A tous les fidèles qui liront cette lettre, salut et béné­dic­tion apostolique.

Les immor­tels bien­faits pro­cu­rés au genre humain par le Christ-​Rédempteur demeurent gra­vés au fond de toutes nos âmes et sont hono­rés dans l’Eglise par un éter­nel sou­ve­nir qui s’unit, chaque jour, à un doux témoi­gnage d’amour envers la Vierge, Mère de Dieu.

Pour Nous, lorsque Nous jetons les yeux sur la durée de Notre sou­ve­rain Pontificat et que Nous repas­sons la série de Nos actes, Nous Nous sen­tons dou­ce­ment péné­trés de conso­la­tion et de recon­nais­sance à la vue des œuvres que, sous l’impulsion et avec l’aide de Dieu, auteur des bons conseils, Nous avons soit entre­prises Nous-​même, pour rehaus­ser les hon­neurs ren­dus à la Vierge Marie, soit pris soin de faire entre­prendre ou pro­mou­voir par des enfants de l’Eglise catholique.

Ce qui Nous est une joie par­ti­cu­lière, c’est que la sainte ins­ti­tu­tion du Rosaire de Marie, grâce à Nos exhor­ta­tions et à Notre sol­li­ci­tude, est plus connue et est entrée davan­tage dans la pra­tique du peuple chré­tien ; c’est que les confré­ries du Rosaire se sont mul­ti­pliées et deviennent de jour en jour plus flo­ris­santes, et par le nombre et par la pié­té de leurs asso­ciés ; c’est que de nom­breux et impor­tants ouvrages, dus aux patients tra­vaux d’hommes savants, ont été publiés et répan­dus au loin ; c’est, enfin, que le mois d’octobre, que nous avons ordon­né de consa­crer tout entier au Rosaire, est célé­bré avec un éclat extra­or­di­naire dans le monde entier.

Mais Nous croi­rions presque man­quer à Notre devoir si, en cette année, avec laquelle le XXe siècle a pris nais­sance, Nous négli­gions l’occasion favo­rable que Nous ont spon­ta­né­ment offerte Notre Vénérable Frère l’évêque de Tarbes, le cler­gé et le peuple de la ville de Lourdes, qui, dans un temple auguste, dédié à Dieu en l’honneur de la bien­heu­reuse Vierge Marie, sous le vocable du Très Saint Rosaire, ont éri­gé quinze autels à consa­crer aux quinze mys­tères du Rosaire.

Nous pro­fi­tons d’autant plus volon­tiers de cette occa­sion qu’il s’agit de cette contrée de la France que rendent illustres de si nom­breuses et de si grandes faveurs de la Bienheureuse Vierge ; de cette contrée, enfin, qui se glo­ri­fie d’avoir, autre­fois, pos­sé­dé saint Dominique, père et légis­la­teur de son Ordre, et où se trouve le ber­ceau du Saint Rosaire. En effet, nul par­mi les chré­tiens ne peut igno­rer com­ment saint Dominique, venu d’Espagne en France, a com­bat­tu l’hérésie des Albigeois qui, sem­blable à une peste per­ni­cieuse, enva­his­sait, en ce temps-​là, aux pieds des Pyrénées, l’Aquitaine presque entière ; com­ment, enfin, par l’exposition et la pré­di­ca­tion des admi­rables et saints mys­tères de notre divine reli­gion, il a, en ces lieux rem­plis des ténèbres de l’erreur, ral­lu­mé le flam­beau de la vérité.

En effet, le but vers lequel convergent, en se prê­tant un mutuel appui, les diverses séries de mys­tères que Nous admi­rons dans cette dévo­tion, c’est que, dans leur médi­ta­tion et dans leur sou­ve­nir fré­quent, l’esprit du chré­tien puise insen­si­ble­ment la ver­tu qu’ils ren­ferment et s’en pénètre ; c’est que, peu à peu, il est ame­né à ordon­ner et à régler sa vie dans une acti­vi­té exempte de trouble, à sup­por­ter l’adversité avec calme et cou­rage, à nour­rir l’espérance de biens immor­tels dont il joui­ra dans la vraie patrie, enfin, à entre­te­nir et à aug­men­ter en lui la foi, sans laquelle on cherche en vain à gué­rir et à sou­la­ger les maux qui nous accablent ou à repous­ser les dan­gers qui nous menacent de toute part.

Les prières que saint Dominique, gui­dé et secou­ru par Dieu, a, le pre­mier, com­po­sées en l’honneur de Marie ont été, à juste titre, appe­lées Rosaire. Car, autant de fois, en nous unis­sant à la louange angé­lique, nous saluons Marie pleine de grâce, autant de fois, par cet éloge répé­té, nous offrons, pour ain­si dire, à cette Vierge bénie des roses qui répandent la sua­vi­té du plus agréable par­fum, autant de fois se pré­sente à notre esprit et l’éminente digni­té de Marie et la grâce infi­nie qui lui vient de Dieu par Jésus-​Christ, le fruit de ses entrailles ; autant de fois nous rap­pe­lons les autres mérites extra­or­di­naires par les­quels Elle a par­ti­ci­pé avec son Fils Jésus à la Rédemption du genre humain. Oh ! com­bien donc est douce à la Vierge Marie, com­bien Lui est agréable la salu­ta­tion angé­lique, puisque, au moment où Gabriel la lui adres­sait, Elle com­prit que, par la ver­tu de l’Esprit-Saint, Elle avait conçu le Verbe de Dieu !

Mais, de nos jours aus­si, la vieille héré­sie albi­geoise, sous un nom dif­fé­rent et sous le patro­nage d’autres sectes, renaît d’une manière éton­nante, avec les formes et les séduc­tions nou­velles d’erreurs et de doc­trines impies ; elles s’insinue à nou­veau dans ces contrées, infecte et conta­mine de sa hon­teuse conta­gion les peuples chré­tiens qu’elle entraîne lamen­ta­ble­ment à leur perte et à leur ruine. Nous voyons, en effet, et Nous déplo­rons gran­de­ment la tem­pête sou­le­vée, dans le moment pré­sent, en France sur­tout, contre les familles reli­gieuses qui, par leurs œuvres de pié­té et de cha­ri­té, ont si bien méri­té de l’Eglise et des peuples.

Or, pen­dant que Nous gémis­sons sur ces maux et que les graves afflic­tions de l’Eglise rem­plissent Notre cœur d’une amère dou­leur, Nous voyons avec joie, à côté du mal, appa­raître les indices non dou­teux d’un meilleur ave­nir. En effet, ce Nous est un favo­rable et heu­reux pré­sage – daigne l’auguste Reine du Ciel le rati­fier – que l’on doive, au mois d’octobre pro­chain, comme Nous l’avons dit plus haut, consa­crer dans les sanc­tuaires de Lourdes autant d’autels qu’il y a de Mystères du Très Saint Rosaire.

Certes, rien ne peut être plus effi­cace pour nous conci­lier la faveur de la Vierge Marie et nous méri­ter les grâces les plus salu­taires, que d’entourer des plus grands hon­neurs pos­sibles les mys­tères de Rédemption aux­quels nous voyons qu’Elle n’a pas seule­ment assis­té mais par­ti­ci­pé, et de dérou­ler devant tous les yeux la série de ces divines véri­tés pro­po­sées à notre médi­ta­tion. Et c’est pour­quoi Nous sommes assu­ré que la Vierge Marie, Mère de Dieu et Mère très tendre des hommes, sera pro­pice aux vœux et aux prières que les foules innom­brables de chré­tiens, accou­rus de toutes parts, mul­ti­plie­ront dans ses sanc­tuaires, et qu’Elle join­dra et asso­cie­ra son inter­ces­sion à la leur, afin que la conju­ra­tion de la prière fasse, pour ain­si dire, vio­lence au ciel et touche le Dieu des misé­ri­cordes infi­nies. Puisse, de la sorte, la très puis­sante Vierge-​Mère qui, autre­fois, a coopé­ré par sa cha­ri­té à la nais­sance des fidèles dans l’Eglise, être, main­te­nant encore, l’intermédiaire et la patronne de notre salut ! Qu’elle frappe et écrase les innom­brables têtes de l’hydre impie qui étend de plus en plus ses ravages par toute l’Europe ; qu’Elle ramène la tran­quilli­té de la paix dans les esprits inquiets ; et qu’ainsi, enfin, soit hâté le retour des indi­vi­dus et des socié­tés à Jésus-​Christ qui peut sau­ver à tout jamais ceux qui s’approchent de Dieu par son entremise.

C’est pour­quoi, rem­pli de bien­veillance pour Notre Vénérable frère l’évêque de Tarbes et Nos fils bien-​aimés du cler­gé et du peuple de Lourdes, Nous avons réso­lu de répondre favo­ra­ble­ment, par la pré­sente Lettre apos­to­lique, à toutes les demandes qu’ils Nous ont récem­ment pré­sen­tées. Et Nous avons ordon­né qu’un exem­plaire authen­tique de cette Lettre soit adres­sé à tous Nos Vénérables frères dans le minis­tère pas­to­ral, patriarches, arche­vêques, évêques et tous autres pré­lats de l’univers catho­lique, afin qu’ils soient rem­plis de la même joie et de la même allé­gresse sainte que Nous-même.

C’est pour cela que, – pour le bien, le bon­heur et la féli­ci­té de tous, pour l’accroissement de la gloire de Dieu et pour le plus grand avan­tage de toute l’Eglise catho­lique, – en ver­tu de Notre auto­ri­té apos­to­lique et par la teneur de la pré­sente Lettre, Nous char­geons Notre cher fils Benoît-​Marie Langénieux, car­di­nal de la sainte Eglise romaine, de consa­crer régu­liè­re­ment, en Notre Nom et avec Notre auto­ri­té, le nou­veau sanc­tuaire, éri­gé dans la ville de Lourdes et dédié à Dieu, en l’honneur de la bien­heu­reuse Vierge Marie, sous le vocable du Très Saint Rosaire.

Nous accor­dons, en outre, à ce très cher fils le pri­vi­lège de por­ter le pal­lium pen­dant cette solen­nelle céré­mo­nie, comme s’il se trou­vait dans son archi­dio­cèse ; et enfin, à l’issue de cette solen­ni­té, de bénir, avec les indul­gences accou­tu­mées, en ver­tu encore de Notre auto­ri­té et en Notre nom, l’assemblée des fidèles. Nous accor­dons ces faveurs, non­obs­tant toute dis­po­si­tion ou règle­ment contraires.

Donné à Rome, près de Saint-​Pierre, sous l’anneau du Pêcheur, le 8 sept 1901, de Notre pon­ti­fi­cat l’an vingt-quatrième.

LEON XIII, Pape..