Donné à Rome, près de Saint Pierre, le jour de l’Épiphanie, le 6 janvier de l’année 1907
A Nos vénérés Frères les Cardinaux, Archevêques et Evêques de France, au Clergé et au Peuple français, Vénérables Frères, Bien-aimés Fils, Salut et bénédiction apostolique,
Une fois encore, les graves événements qui se précipitent en votre noble pays, Nous amènent à adresser la parole à l’Eglise de France pour la soutenir dans ses épreuves et pour la consoler dans sa douleur. C’est en effet, quand les fils sont dans la peine que le cœur du Père doit plus que jamais s’incliner vers eux.
C’est par conséquent, lorsque Nous vous voyons souffrir que, du fond de Notre âme paternelle, les flots de tendresse doivent jaillir avec plus d’abondance et aller vers vous plus réconfortants et plus doux.
Ces souffrances, Vénérables Frères et bien-aimés Fils, ont un écho douloureux dans toute l’Eglise catholique en ce moment ; mais Nous les ressentons d’une façon bien plus vive encore et Nous y compatissons avec une tendresse qui, grandissant avec vos épreuves, semble s’accroître chaque jour.
A ces tristesses cruelles, le Maître a mêlé, il est vrai, une consolation on ne peut plus précieuse à Notre cœur. Elle Nous est venue de votre inébranlable attachement à l’Eglise, de votre fidélité indéfectible à ce Siège apostolique et de l’union forte et profonde qui règne parmi vous. De cette fidélité et de cette union, Nous en étions sûr d’avance, car Nous connaissions trop la noblesse et la générosité du cœur français pour avoir à craindre qu’en plein champ de bataille, la désunion pût se glisser dans vos rangs. Nous n’en éprouvons pas moins une joie immense au spectacle magnifique que vous donnez actuellement, et en vous en louant hautement devant l’Eglise tout entière, Nous en bénissons du fond du cœur le Père des miséricordes, auteur de tous les biens.
Le recours à ce Dieu infiniment bon est d’autant plus nécessaire que, loin de s’apaiser, la lutte s’accentue et va sans cesse s’étendant. Ce n’est plus seulement la foi chrétienne qu’on veut à tout prix déraciner du milieu des cœurs, c’est encore toute croyance qui, élevant l’homme au-dessus des horizons de ce monde, reporte surnaturellement son regard lassé vers le ciel.
L’illusion, en effet, n’est plus possible. On a déclaré la guerre à tout ce qui est surnaturel, parce que derrière le surnaturel, Dieu se trouve et que ce que l’on veut rayer du cœur et de l’esprit de l’homme, c’est Dieu.
Cette lutte sera acharnée et sans répit de la part de ceux qui la mènent. Qu’au fur et à mesure qu’elle se déroulera, des épreuves plus dures que celles que vous avez connues jusqu’ici vous attendent, c’est possible et même probable. La sagesse commande donc à chacun de vous de s’y préparer. Vous le ferez simplement, vaillamment et avec confiance, sûrs que, quelle que soit la violence de la bataille, finalement la victoire restera entre vos mains.
Le gage de cette victoire sera votre union, union entre vous d’abord, union avec ce Siège apostolique ensuite. Cette double union vous rendra invincibles, et contre elle tous les efforts se briseront.
Nos ennemis ne s’y sont pas mépris du reste. Dès la première heure, et avec une sûreté de vue très grande, ils ont choisi leur objectif : en premier lieu, vous séparer de Nous et de la Chaire de Pierre, puis semer la division parmi vous. Depuis ce moment, ils n’ont pas changé de tactique ; ils y sont revenus sans cesse et par tous les moyens : les uns avec des formules enveloppantes et pleines d’habileté, les autres avec brutalité et cynisme.
Promesses captieuses, primes déshonorantes offertes au schisme, menaces et violence, tout a été mis en jeu et employé. Mais votre clairvoyante fidélité a déjoué toutes ces tentatives. S’avisant alors que le meilleur moyen de vous séparer de Nous, c’était de vous ôter toute confiance dans le Siège apostolique, ils n’ont pas hésité du haut de la tribune et dans la presse, à jeter le discrédit sur Nos actes en méconnaissant, et parfois même en calomniant Nos intentions.
L’Eglise, a‑t-on dit, cherche à susciter la guerre religieuse en France et elle y appelle la persécution violente de tous ses vœux. Etrange accusation, qu’une accusation pareille. Fondée par Celui qui est venu dans ce monde pour le pacifier et pour réconcilier l’homme avec Dieu, messagère de paix sur cette terre, l’Eglise ne pourrait vouloir la guerre religieuse qu’en répudiant sa mission sublime et en y mentant aux yeux de tous. A cette mission de douceur patiente et d’amour, elle reste au contraire et restera toujours fidèle. D’ailleurs, le monde entier sait aujourd’hui, à ne plus pouvoir s’y tromper, que si la paix des consciences est rompue en France, ce n’est pas du fait de l’Eglise, mais du fait de ses ennemis. Les esprits impartiaux, même lorsqu’ils ne partagent pas notre foi, reconnaissent que si l’on combat sur le terrain religieux dans votre patrie bien-aimée, ce n’est point parce que l’Eglise y a levé l’étendard la première, mais c’est parce qu’on lui a déclaré la guerre à elle-même. Cette guerre, depuis vingt cinq ans surtout, elle ne fait que la subir. Voilà la vérité. Les déclarations, mille fois faites et refaites dans la presse, dans les Congrès, dans les Convents maçonniques, au sein du Parlement lui-même, le prouvent aussi bien que les attaques qu’on a progressivement et méthodiquement menées contre elle. Ces faits sont indéniables et contre eux aucune parole ne pourra jamais prévaloir. L’Eglise ne veut donc pas la guerre, la guerre religieuse moins encore que les autres, et affirmer le contraire, c’est la calomnier et l’outrager.
Elle ne souhaite pas davantage la persécution violente. Cette persécution, elle la connaît pour l’avoir soufferte dans tous les temps et sous tous les cieux. Plusieurs siècles passés par elle dans le sang lui donnent donc le droit de dire avec une sainte fierté qu’elle ne la craint pas et que, toutes les fois que ce sera nécessaire, elle saura l’affronter. Mais la persécution en soi, c’est le mal, puisqu’elle est l’injustice et qu’elle empêche l’homme d’adorer Dieu en liberté. L’Eglise ne peut donc pas la souhaiter, même en vue du bien que, dans sa sagesse infinie, la Providence en tire toujours. En outre, la persécution n’est pas seulement le mal, elle est encore la souffrance, et c’est une raison nouvelle pour laquelle, par pitié pour ses enfants, l’Eglise, qui est la meilleure des mères, ne la désirera jamais.
Du reste, cette persécution à laquelle on lui reproche de vouloir pousser et qu’on se déclare bien décidé à lui refuser, on la lui inflige en réalité. N’a-t-on pas, tout dernièrement encore, expulsé de leurs évêchés les Evêques, même les plus vénérables et par l’âge et par les vertus ; chassé les séminaristes des Grands et Petits Séminaires ; commencé à bannir les curés de leur presbytère ? Tout l’univers catholique a vu ce spectacle avec tristesse, et sur le nom qu’il convenait de donner à de pareilles violences, il n’a pas hésité.
En ce qui concerne les biens ecclésiastiques qu’on Nous accuse d’avoir abandonnés, il importe de remarquer que ces biens étaient, pour une partie, le patrimoine des pauvres et le patrimoine plus sacré encore, des trépassés. Il n’était donc pas plus permis à l’Eglise de les abandonner que de les livrer ; elle ne pouvait que se les laisser arracher par la violence. Personne ne croira du reste, qu’elle ait délibérément abandonné, sinon sous la pression des raisons les plus impérieuses, ce qui lui avait été ainsi confié et ce qui lui était si nécessaire pour l’exercice du culte, pour l’entretien des édifices sacrés, pour la formation de ses clercs et pour la subsistance de ses ministres. C’est perfidement mise en demeure de choisir entre la ruine matérielle et une atteinte consentie à sa constitution, qui est d’origine divine, qu’elle a refusé, au prix même de la pauvreté, de laisser toucher en elle à l’œuvre de Dieu. On lui a donc pris ses biens, elle ne les a pas abandonnés. Par conséquent, déclarer les biens ecclésiastiques vacants à une époque déterminée si, à cette époque, l’Eglise n’a pas créé dans son sein un organisme nouveau ; soumettre cette création à des conditions en opposition certaine avec la constitution divine de cette Eglise, mise ainsi dans l’obligation de les repousser ; attribuer ensuite ces biens à des tiers, comme s’ils étaient devenus des biens sans maître, et, finalement, affirmer qu’en agissant ainsi on ne dépouille pas l’Eglise mais qu’on dispose seulement de biens abandonnés par elle, ce n’est pas simplement raisonner en sophiste, c’est ajouter la dérision à la plus cruelle des spoliations. Spoliation indéniable, du reste, et qu’on chercherait en vain à pallier en affirmant qu’il n’existait aucune personne morale à qui ces biens pussent être attribués ; car l’Etat est maître de conférer la personnalité civile à qui le bien public exige qu’elle soit conférée, aux établissements catholiques comme aux autres, et, dans tous les cas, il lui aurait été facile de ne pas soumettre la formation des associations cultuelles à des conditions en opposition directe avec la constitution divine de l’Eglise qu’elles étaient censées devoir servir.
Or, c’est précisément ce que l’on a fait relativement aux associations cultuelles. La loi les a organisées de telle sorte que ses dispositions à ce sujet vont directement à l’encontre de droits qui, découlant de sa constitution, sont essentiels à l’Eglise, notamment en ce qui touche la hiérarchie ecclésiastique, base inviolable donnée à son œuvre par le divin Maître lui-même. De plus, la loi confère à ces associations des attributions qui sont de l’exclusive compétence de l’autorité ecclésiastique, soit en ce qui concerne l’exercice du culte, soit en ce qui concerne la possession et l’administration des biens. Enfin, non seulement ces associations cultuelles sont soustraites à la juridiction ecclésiastique, mais elles sont rendues justiciables de l’autorité civile. Voilà pourquoi Nous avons été amené, dans Nos précédentes encycliques, à condamner ces associations cultuelles, malgré les sacrifices matériels que cette condamnation emportait.
On Nous a accusé encore de parti pris et d’inconséquence. Il a été dit que Nous avions refusé d’approuver en France ce qui avait été approuvé en Allemagne. Mais ce reproche manque autant de fondement que de justice. Car, quoique la loi allemande fut condamnable sur bien des points et qu’elle n’ait été que tolérée à raison de maux plus grands à écarter, cependant les situations sont tout à fait différentes, et cette loi reconnaît expressément la hiérarchie catholique, ce que la loi française ne fait point.
Quant à la déclaration annuelle exigée pour l’exercice du culte, elle n’offrait pas toute la sécurité légale qu’on était en droit de désirer. Néanmoins, bien qu’en principe, les réunions des fidèles dans les églises n’aient aucun des éléments constitutifs propres aux réunions publiques et, qu’en fait, il soit odieux de vouloir les leur assimiler, pour éviter de plus grands maux, l’Eglise aurait pu être amenée à tolérer cette déclaration. Mais en statuant que « le curé ou le desservant ne serait plus » dans son église « qu’un occupant sans titre juridique ; qu’il serait sans droit pour faire aucun acte d’administration » on a imposé aux ministres du culte, dans l’exercice même de leur ministère, une situation tellement humiliée et vague que, dans de pareilles conditions, la déclaration ne pouvait plus être acceptée.
Reste la loi récemment votée par les deux Chambres.
Au point de vue des biens ecclésiastiques, cette loi est une loi de spoliation, une loi de confiscation, et elle a consommé le dépouillement de l’Eglise. Quoique son divin Fondateur soit né pauvre dans une crèche et soit mort pauvre sur une croix, quoiqu’elle ait connu elle-même la pauvreté dès son berceau, les biens qu’elle avait entre les mains ne lui appartenaient pas moins en propre, et nul n’avait le droit de l’en dépouiller. Cette propriété indiscutable à tous les points de vue, avait été encore officiellement sanctionnée par l’Etat ; il ne pouvait, par conséquent, pas la violer. Au point de vue de l’exercice du culte, cette loi a organisé l’anarchie ; ce qu’elle instaure surtout, en effet, c’est l’incertitude et le bon plaisir. Incertitude, si les édifices du culte, toujours susceptibles de désaffection, seront mis ou non, en attendant, à la disposition du clergé et des fidèles ; incertitude, s’ils leur seront conservés ou non, et pour quel laps de temps ; arbitraire administratif réglant les conditions de la jouissance rendue éminemment précaire ; pour le culte, autant de situations diverses en France qu’il y a de communes ; dans chaque paroisse, le prêtre mis à la discrétion de l’autorité municipale, et, par conséquent, le conflit à l’état possible organisé d’un bout à l’autre du pays. Par contre, obligation de faire face à toutes les charges, même les plus lourdes, et, en même temps, limitation draconienne en ce qui concerne les ressources destinées à y pourvoir. Aussi, née d’hier, cette loi a‑t-elle déjà soulevé d’innombrables et dures critiques de la part d’hommes appartenant indistinctement à tous les partis politiques et à toutes les opinions religieuses, et ces critiques seules suffiraient à la juger.
Il est aisé de constater par ce que Nous venons de vous rappeler, Vénérables Frères et bien-aimés Fils, que cette loi aggrave la loi de Séparation, et Nous ne pouvons dés lors que la réprouver.
Le texte imprécis et ambigu de certains des articles de cette loi met dans une nouvelle lumière le but poursuivi par nos ennemis. Ils veulent détruire l’Eglise et déchristianiser la France, ainsi que Nous vous l’avons déjà dit, mais sans que le peuple y prenne trop garde et qu’il y puisse, pour ainsi dire, faire attention. Si leur entreprise était vraiment populaire, comme ils le prétendent, ils ne balanceraient pas à la poursuivre visière relevée, et à en prendre hautement toute la responsabilité. Mais cette responsabilité, loin de l’assumer, ils s’en défendent, ils la repoussent et, pour mieux y réussir, ils la rejettent sur l’Eglise, leur victime. De toutes les preuves, c’est la plus éclatante que leur œuvre néfaste ne répond pas aux vœux du pays.
C’est en vain, du reste, qu’après Nous avoir mis dans la nécessité cruelle de repousser les lois qu’ils ont faites, voyant les maux qu’ils ont attirés sur la patrie et sentant la réprobation universelle monter comme une lente marée vers eux, ils essayent d’égarer l’opinion publique et de faire retomber la responsabilité de ces maux sur Nous. Leur tentative ne réussira pas.
Quant à Nous, Nous avons accompli Notre devoir comme tout autre Pontife romain l’aurait fait. La haute charge dont il a plu au ciel de Nous investir, malgré Notre indignité, comme du reste la foi du Christ elle-même, foi que vous professez avec Nous, Nous dictait Notre conduite. Nous n’aurions pu agir autrement sans fouler aux pieds Notre conscience, sans forfaire au serment que Nous avons prêté en montant sur la Chaire de Pierre et sans violer la hiérarchie catholique, base donnée à l’Eglise par Notre Seigneur Jésus Christ. Nous attendons sans crainte, par conséquent, le verdict de l’histoire. Elle dira que, les yeux immuablement fixés sur les droits supérieurs de Dieu à défendre, Nous n’avons pas voulu humilier le pouvoir civil ni combattre une forme de gouvernement, mais sauvegarder l’œuvre intangible de Notre Seigneur et Maître Jésus Christ. Elle dira que Nous vous avons défendus de toute la force de Notre immense tendresse, ô bien-aimés Fils ; que ce que Nous avons réclamé et réclamons pour l’Eglise, dont l’Eglise de France est la fille aînée et une partie intégrante, c’est le respect de sa hiérarchie, l’inviolabilité de ses biens et la liberté ; que, si l’on avait fait droit à Notre demande, la paix religieuse n’aurait pas été troublée en France, et que, le jour où on l’écoutera, cette paix si désirable y renaîtra.
Elle dira enfin que si, sûr d’avance de votre générosité magnanime, Nous n’avons pas hésité à vous dire que l’heure des sacrifices avait sonné, c’est pour rappeler au monde, au nom du Maître de toutes choses, que l’homme doit nourrir ici-bas des préoccupations plus hautes que celles des contingences périssables de cette vie, et que la joie suprême, l’inviolable joie de l’âme humaine sur cette terre, c’est le devoir surnaturellement accompli coûte que coûte, et, par là même, Dieu honoré, servi et aimé malgré tout.
Confiant que la Vierge Immaculée, Fille du Père, Mère du Verbe, Epouse du Saint Esprit, vous obtiendra de la Très Sainte et Adorable Trinité des jours meilleurs, comme présage de l’accalmie qui suivra la tempête, Nous en avons la ferme espérance, c’est du fond de l’âme que Nous vous accordons Notre bénédiction apostolique, à vous, Vénérables Frères, ainsi qu’à votre clergé et au peuple français tout entier.
Donné à Rome, près de Saint Pierre, le jour de l’Épiphanie, le 6 janvier de l’année 1907, de Notre Pontificat le quatrième.
Pie X, Pape