Benoît XV

258e pape ; de 1914 à 1922

25 mai 1920

Lettre encyclique Pacem Dei Munus

Sur la Restauration chrétienne de la Paix

Aux Vénérables Frères, Patriarches, Primats, Archevêques et Evêques et autres Ordinaires locaux en paix et com­mu­nion avec le Siège Apostolique

Vénérables Frères, salut et Bénédiction Apostolique.

Voici la paix, ce magni­fique don de Dieu qui, dit saint Augustin, « est, par­mi les biens pas­sa­gers de la terre, le plus doux dont on puisse par­ler, le plus dési­rable qu’on puisse convoi­ter, le meilleur qu’on puisse trou­ver »; la paix, que durant plus de quatre années ont appe­lée tant de vœux de cœurs com­pa­tis­sants, tant de prières d’âmes pieuses, tant de larmes de mères ; l’au­rore de la paix luit enfin sur les peuples ; plus que tout autre, Nous Nous en réjouis­sons, Nous en tres­saillons de bonheur.

Mais trop de pro­fondes amer­tumes viennent trou­bler cette allé­gresse, de Notre cœur pater­nel. Si presque par­tout on a mis, en quelque façon, un terme à la guerre, si l’on a signé des trai­tés de paix, on n’a pas extir­pé les germes des anciennes dis­cordes ; et vous ne dou­tez pas, Vénérables Frères, que toute paix est instable, tous les trai­tés sont inef­fi­caces, en dépit des longues et labo­rieuses négo­cia­tions de leurs auteurs et du carac­tère sacré des signa­tures échan­gées, tant qu’une récon­ci­lia­tion ins­pi­rée par la cha­ri­té mutuelle n’a­paise point les haines et les ini­mi­tiés. Telle est la situa­tion dou­lou­reuse et semée de périls dont Nous vou­lons vous entre­te­nir, Vénérables Frères, et sur laquelle Nous dési­rons adres­ser à vos fidèles de pres­santes recommandations.

Pour Notre part, du jour où le secret des­sein de Dieu Nous a éle­vé à la digni­té de cette Chaire, Nous n’a­vons jamais ces­sé, au cours des hos­ti­li­tés, d’employer toute Notre influence pour ame­ner toutes les nations du monde à reprendre le plus rapi­de­ment pos­sible leurs rap­ports fra­ter­nels. Prières per­sé­vé­rantes, exhor­ta­tions renou­ve­lées, sug­ges­tion de moyens propres à réta­blir des rela­tions ami­cales, efforts de tout genre en vue de frayer la voie, si la grâce de Dieu le per­met­tait, à une paix juste, hono­rable et durable ; dévoue­ment actif et pater­nel pour appor­ter quelque sou­la­ge­ment aux immenses dou­leurs et aux cala­mi­tés qu’en­traî­nait une guerre atroce, il n’est rien que Nous n’ayons tenté.

C’est la cha­ri­té de Jésus-​Christ qui, dès les débuts si trou­blés de Notre Pontificat, Nous a pous­sé à tra­vailler au retour de la paix et à l’a­dou­cis­se­ment des hor­reurs de la guerre ; aujourd’­hui qu’est enfin reve­nue une paix rela­tive, cette même cha­ri­té Nous presse de sup­plier tous les enfants de l’Eglise, ou plu­tôt les hommes de toutes les nations, d’ex­tir­per de leurs cœurs des haines déjà trop pro­lon­gées et de réta­blir la concorde et une mutuelle affection.

Il est super­flu de démon­trer lon­gue­ment que la socié­té humaine subi­rait les plus graves dom­mages si la signa­ture de la paix lais­sait sub­sis­ter de sourdes haines et des rap­ports hos­tiles entre les nations. Nous ne par­lons point de la ruine de tout ce qui entre­tient et sus­cite les pro­grès de la vie sociale : com­merce, indus­trie, arts, lettres, qui ne sau­raient fleu­rir sans la bonne entente et la tran­quilli­té géné­rale des nations. Ce qui est le plus redou­table, c’est qu’un coup très grave serait por­té à la vie même et à l’es­sence du chris­tia­nisme, qui tire toute sa force de la cha­ri­té, au point que la pré­di­ca­tion même de la loi chré­tienne est appe­lée l’Evangile de paix.

Vous le savez, et Nous l’a­vons déjà rap­pe­lé en maintes cir­cons­tances, il n’est rien que le Seigneur Jésus ait recom­man­dé plus fré­quem­ment et avec plus d’in­sis­tance à ses dis­ciples que le pré­cepte de la cha­ri­té mutuelle, et cela parce qu’il embrasse tous les autres ; le Christ rap­pe­lait le pré­cepte nou­veau, son com­man­de­ment, et il vou­lut en faire la marque carac­té­ris­tique des chré­tiens, qui les fît aisé­ment dis­tin­guer du reste de la socié­té ; enfin, sur le point de mou­rir, Jésus le lais­sa en tes­ta­ment aux siens, leur enjoi­gnant de s’ai­mer les uns les autres et de s’ef­for­cer d’i­mi­ter par la cha­ri­té l’i­nef­fable uni­té des Personnes divines dans la Trinité : Que tous ne fassent qu’un… comme Nous-​mêmes Nous sommes un, pour qu’ils soient consom­més dans l’unité.

Aussi, sui­vant les traces du divin Maître, fidèles à se confor­mer à ses leçons et à ses com­man­de­ments, les apôtres adressaient-​ils aux fidèles avec une insis­tance admi­rable ces exhor­ta­tions : Avant toutes choses, obser­vez tou­jours entre vous la cha­ri­té mutuelle – Par-​dessus tout gar­dez la cha­ri­té, qui est le lieu de la « per­fec­tion ; – Mes bie­nai­més, aimons-​nous les uns les autres : car la cha­ri­té vient de Dieu.

Et ces exhor­ta­tions du Christ et des apôtres étaient doci­le­ment écou­tées par nos frères de l’Eglise nais­sante : appar­te­nant à des nations dif­fé­rentes et rivales, ils trou­vaient néan­moins dans l’ou­bli volon­taire de leurs dis­sen­sions le secret d’une concorde par­faite. Quel mer­veilleux .contraste devait être, par­mi les haines mor­telles qui consu­maient alors la socié­té, .une si har­mo­nieuse uni­té des esprits et des cœurs. !

Les pas­sages des Livres Saints que Nous venons de citer et qui rap­pellent le pré­cepte de l’a­mour mutuel sont éga­le­ment for­mels en ce qui concerne l’ou­bli des injures ; le Maître lui-​même énonce non moins expres­sé­ment cet autre devoir : Et moi je vous dit : Aimez vos enne­mis ; faites du bien à ceux qui vous haïssent, priez pour vos per­sé­cu­teurs et vos calom­nia­teurs ; vous serez ain­si tes fils de votre Père céleste qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants. Ecoutons encore ce redou­table aver­tis­se­ment de l’a­pôtre saint Jean : Quiconque hait son frère est un homi­cide. Or, vous le savez, un Homicide ne sau­rait avoir la vie éter­nelle demeu­rant en lui. Enfin, dans la prière adres­sée à Dieu que le Christ nous a ensei­gnée, nous décla­rons vou­loir être par­don­nés dès là que nous par­don­nons aux autres : Pardonnez-​nous nos offenses, comme nous par­don­nons à ceux qui nous ont offen­sés. Il peut nous paraître par­fois trop dur et au-​dessus de nos forces d’ob­ser­ver cette loi ; le divin Rédempteur du genre humain est prêt à nous aider à vaincre toute dif­fi­cul­té, eu nous offrant au moment oppor­tun le secours de sa grâce, mieux encore l’en­cou­ra­ge­ment de son exemple : atta­ché à la croix, il a plai­dé devant son Père pour ses injustes et indignes bour­reaux : Père, dit-​il, par-​donnez-​leur, ils ne savent ce qu’ils font.

Quant à Nous, qui, quoique sans aucun mérite per­son­nel, tenons la place de Jésus-​Christ, il Nous incombe plus qu’à tout autre d’i­mi­ter sa misé­ri­cor­dieuse bon­té ; à son exemple, Nous par­don­nons du fond du cœur à tous et à cha­cun de Nos enne­mis qui, sciem­ment ou par mégarde, ont diri­gé ou dirigent encore en ce moment contre Notre per­sonne ou contre Notre œuvre les traits d’im­pu­ta­tions outra­geantes ; Nous les étrei­gnons tous dans un même sen­ti­ment pro­fond d’af­fec­tueuse bien­veillance, ne lais­sant même échap­per aucune occa­sion de les com­bler de bien­faits autant qu’il est en Notre pou­voir. C’est de celle manière que les chré­tiens dignes de ce nom doivent se com­por­ter envers ceux qui, au cours de la guerre, ont com­mis des injus­tices à leur égard.

La cha­ri­té chré­tienne, en effet, ne se borne pas à exi­ger que nous aimions nos enne­mis comme des frères au lieu de les haïr ; elle nous ordonne, en outre, de leur prê­ter une aide bien­fai­sante, à l’exemple de notre Rédempteur, qui a pas­sé en fai­sant le bien et en gué­ris­sant tous les pos­sé­dés et qui, après avoir mar­qué chaque étape de sa vie mor­telle d’i­nes­ti­mables bien­faits pro­di­gués aux hommes, mou­rut en don­nant son sang pour eux. C’est bien là la pen­sée de saint Jean : Nous avons connu que Dieu nous a aimés à ce signe qu’il a don­né sa vie pour nous ; de même, nous devons nous aus­si don­ner notre vie pour nos frères. Si le riche de ce monde, à la vue de son frère dans te besoin, lui ferme la porte de son cœur, com­ment se peut-​il que l’a­mour de Dieu demeure en lui ? Mes petits enfants, n’ai­mons pas en paroles et en théo­rie} mais par des actes et en réa­li­té. Jamais il ne fut plus néces­saire « d’é­lar­gir les fron­tières de la cha­ri­té » qu’en ces heures de si ter­ribles angoisses dont nous sommes acca­blés et écra­sés ; jamais peut-​être le genre humain n’eut autant besoin qu’au­jourd’­hui de cette bon­té de tous, née d’un amour sin­cère d’au­trui et s’é­pa­nouis­sant en un dévoue­ment joyeux et empres­sé. Jetons les regards sur les régions où la fureur de la guerre s’est don­né libre cours ; ce n’est qu’im­menses contrées dépeu­plées et rava­gées, incultes et sacri­fiées ; popu­la­tions entières pri­vées même de vivres, de vête­ments et d’a­bri ; armée innom­brable de veuves et d’or­phe­lins, réduits à tout attendre de la cha­ri­té ; mul­ti­tude incroyable de débi­li­tés, enfants et jeunes gens pour la plu­part, dont les » corps épui­sés attestent l’a­tro­ci­té de cette guerre.

Le spec­tacle des affreux mal­heurs accu­mu­lés sur le genre humain Nous fait pen­ser comme natu­rel­le­ment au voya­geur de l’Evangile tom­bé, en des­cen­dant de Jérusalem à Jéricho, aux mains de voleurs qui, après l’a­voir dépouillé et roué de coups, le lais­sèrent à demi mort. Que de traits com­muns entre ces deux infor­tunes ! Un Samaritain, pris de com­pas­sion, s’ap­proche du voya­geur, panse ses plaies en y ver­sant de l’huile et du vin, le conduit â l’hô­tel­le­rie et prend soin de lui ; de même, pour pan­ser les plaies de la socié­té humaine, il faut l’in­ter­ven­tion de Jésus-​Christ, dont le bon Samaritain n’é­tait que la figure.

Or, cette œuvre et cette mis­sion de relè­ve­ment sont reven­di­quées comme lui appar­te­nant en propre par l’Eglise, héri­tière de l’es­prit de Notre-​Seigneur, par cette Eglise, disons-​Nous, dont toute l’his­toire est comme tis­sée d’une trame pro­di­gieuse de bien­faits de toute sorte ; en effet, cette « véri­table mère des chré­tiens pos­sède à un tel degré le sens de l’a­mour et de la cha­ri­té qu’elle trouve un remède sou­ve­rain pour cha­cune des infir­mi­tés dont les âmes sont frap­pées en rai­son de leurs fautes » : ain­si « mater­nelle avec l’en­fance, ferme avec la jeu­nesse, serei­ne­ment douce avec la vieillesse, elle adapte sa conduite et son ensei­gne­ment à l’âge non seule­ment phy­sique, mais encore spi­ri­tuel de cha­cun ». On ne sau­rait croire à quel point les ser­vices ain­si ren­dus par la bon­té chré­tienne gagnent les cœurs et rendent plus aisé le réta­blis­se­ment de la paix dans la société.

Aussi Nous vous deman­dons, Vénérables Frères, et Nous vous conju­rons par le cœur aimant du Christ d’employer toutes les indus­tries de votre zèle, non seule­ment à exhor­ter tous les fidèles dont vous avez la charge à l’a­ban­don des haines et au par­don mutuel des injus­tices, mais encore à les encou­ra­ger à déve­lop­per toutes les ins­ti­tu­tions de bien­fai­sance chré­tienne ayant pour objet de secou­rir les pauvres, conso­ler les affli­gés, défendre les faibles, en un mot, offrir une aide appro­priée à toutes les mal­heu­reuses vic­times de la guerre.

Mais ce que Nous vou­lons sur­tout, c’est que vous exhor­tiez vos prêtres, ces ministres de la paix chré­tienne, à ne jamais négli­ger de rap­pe­ler cette ver­tu essen­tielle de la vie chré­tienne qu’est l’a­mour du pro­chain, celui-​ci fût-​il notre enne­mi ; « qu’ils se fassent tout à tous » afin d’en­traî­ner les fidèles par leur exemple ; qu’ils déclarent et mènent par­tout une guerre sans mer­ci à la haine et à la dis­corde, assu­rés que leur conduite sera très agréable au Cœur très aimant de Jésus et à Celui qui, mal­gré son indi­gni­té, est son Vicaire ici-bas.

À cet égard, il importe éga­le­ment d’a­ver­tir de leur devoir les catho­liques écri­vains, les rédac­teurs de revues et de jour­naux, et de les prier ins­tam­ment de se revê­tir, comme des élus de Dieu, saints et bie­naimés, de misé­ri­corde et de bon­té et de faire pas­ser cette bien­veillance Sans leurs écrits, s’abs­te­nant non seule­ment d’ac­cu­sa­tions vaines et injus­ti­fiées, mais même de toute vio­lence et dure­té de lan­gage, pro­cé­dés qui violent la loi chré­tienne et risquent de rou­vrir les plaies mal fer­mées, au moment sur­tout où la sen­si­bi­li­té, encore sous le coup de la bles­sure, ne peut souf­frir le moindre contact douloureux.

La pra­tique du devoir de la cha­ri­té que Nous venons de recom­man­der à cha­cun pris en par­ti­cu­lier, Nous vou­lons la rap­pe­ler aus­si aux nations qui ont por­té si long­temps le poids de la guerre : puissent-​elles, en sup­pri­mant, dans la mesure du pos­sible, les motifs de dis­cordes – et en sau­ve­gar­dant comme il sied les droits de la jus­tice, – reprendre leurs rap­ports de mutuelle amitié !

L’Evangile, en effet, ne contient pas une loi de cha­ri­té pour les indi­vi­dus, et une autre loi, dif­fé­rente de la pre­mière, pour les cités et les nations, les­quelles, en défi­ni­tive, ne sont autre chose que des grou­pe­ments d’in­di­vi­dus. En dehors de la cha­ri­té, il y a, au sor­tir, de cette guerre, une rai­son de néces­si­té qui semble orien­ter les évé­ne­ments dans le sens d’une récon­ci­lia­tion géné­rale et mutuelle des peuples : les rap­ports natu­rels de dépen­dance et de bons offices réci­proques qui unissent les nations sont deve­nus plus étroits que jamais du fait d’un sens plus affi­né de civi­li­sa­tion et de la facul­té mer­veilleu­se­ment accrue des relations.

Ce devoir du par­don des offenses et du rap­pro­che­ment fra­ter­nel des peuples, que pres­crit la loi sacrée de Jésus-​Christ et qu’exige l’in­té­rêt des indi­vi­dus et des socié­tés, le Saint-​Siège, Nous l’a­vons mon­tré, n’a jamais ces­sé de le rap­pe­ler au cours de la guerre et n’a jamais per­mis aux riva­li­tés et aux haines de le faire oublier. Depuis la signa­ture des trai­tés de paix, Nous reve­nons sur ce sujet avec plus d’in­sis­tance encore, témoin nos Lettres récentes adres­sées à tous les évoques d’Allemagne d’une part, et, d’autre part, au cardinal-​archevêque de Paris.

Or, cette bonne entente des nations civi­li­sées est sin­gu­liè­re­ment sau­ve­gar­dée et favo­ri­sée par l’u­sage, deve­nu fré­quent aujourd’­hui, des entre­vues et confé­rences de sou­ve­rains et de chefs de Gouvernement en vue de trai­ter les affaires plus impor­tantes. Aussi, quant à Nous, tenant compte de toutes les consi­dé­ra­tions, tant du chan­ge­ment des situa­tions que de la grave modi­fi­ca­tion des cir­cons­tances dans le monde entier. Et en vue de col­la­bo­rer à cette concorde, Nous ne serions pas éloi­gné de tem­pé­rer quelque peu la sévé­ri­té des condi­tions légi­ti­me­ment éta­blies par Nos pré­dé­ces­seurs, à la suite de la des­truc­tion du pou­voir tem­po­rel des Souverains Pontifes, dans le des­sein de rendre impos­sibles les visites offi­cielles des princes catho­liques à Rome.

Mais Nous décla­rons solen­nel­le­ment que jamais la condes­cen­dance de Notre atti­tude, conseillée, Nous semble-​t-​il, et même récla­mée par l’ex­ces­sive gra­vi­té des temps actuels, ne devra être inter­pré­tée comme une abdi­ca­tion tacite par le Saint-​Siège de ses droits sacrés, comme s’il avait enfin accep­té la situa­tion anor­male qui lui est faite actuellement.

Au contraire, Nous sai­sis­sons cette occa­sion « de reprendre ici à Notre compte et pour les mêmes motifs les pro­tes­ta­tions qu’ont éle­vées à plu­sieurs reprises Nos pré­dé­ces­seurs, pous­sés qu’ils étaient non par des rai­sons humaines, mais par un devoir sacré, à savoir l’o­bli­ga­tion de défendre les droits et la digni­té du Siège Apostolique », et, aujourd’­hui que la paix est réta­blie entre les nations, Nous deman­dons de nou­veau et plus expres­sé­ment que « le Chef de l’Eglise cesse de se trou­ver dans cette condi­tion anor­male qui. pour bien des rai­sons, est éga­le­ment funeste à la tran­quilli­té des peuples ».

Ainsi, lorsque tout sera réta­bli sui­vant l’ordre de la jus­tice et de la cha­ri­té et que les nations se seront récon­ci­liées, il est très dési­rable, . Vénérables Frères, que tous les Etats, écar­tant tous leurs soup­çons réci­proques, s’u­nissent pour ne plus for­mer qu’une socié­té, ou mieux : qu’une famille, tout ensemble pour la défense de leurs liber­tés par­ti­cu­lières et le main­tien de l’ordre social. Cette socié­té des nations répond – sans faire état d’une fouie d’autres consi­dé­ra­tions – à la néces­si­té géné­ra­le­ment recon­nue de faire tous les efforts pour sup­pri­mer ou réduire les bud­gets mili­taires dont les Etats ne peuvent plus long­temps por­ter l’é­cra­sant far­deau, rendre impos­sibles dans l’a­ve­nir des guerres aus­si désas­treuses, ou au moins en retar­der la menace le plus pos­sible et assu­rer à chaque peuple, dans les limites de ses fron­tières légi­times, son indé­pen­dance en même temps que l’in­té­gri­té de son territoire.

Aux nations unies dans une ligue fon­dée sur la loi chré­tienne l’Eglise sera fidèle à prê­ter son concours actif et empres­sé pour toutes leurs entre­prises ins­pi­rées par la jus­tice et la cha­ri­té. Aussi bien, elle est le modèle le plus ache­vé de la socié­té uni­ver­selle, et elle dis­pose, de par sa consti­tu­tion même et ses ins­ti­tu­tions, d’une mer­veilleuse influence pour rap­pro­cher les hommes en vue nori seule­ment de leur salut éter­nel, mais même de leur pros­pé­ri­té maté­rielle ; car elle leur enseigne à user des biens tem­po­rels de manière à ne point perdre les biens éternels.

L’histoire en témoigne pour les peuples bar­bares de la pri­mi­tive Europe : du jour où l’es­prit de l’Eglise les péné­tra, ils virent se com­bler peu à peu l’a­bîme des mille diver­gences qui les sépa­raient et leurs que­relles s’a­pai­ser ; ils se fon­dirent en une seule socié­té homo­gène et don­nèrent nais­sance à l’Europe chré­tienne, qui, sous la conduite et les aus­pices de l’Eglise, sans détruire les carac­tères propres de chaque nation, devait tendre à l’u­ni­té, source de sa glo­rieuse prospérité.

A ce pro­pos, saint Augustin écrit ces belles consi­dé­ra­tions : « Pendant son pèle­ri­nage ici-​bas, cette Cité du ciel recrute ses conci­toyens dans toutes les nations, elle consti­tue sa cara­vane d’hommes de toutes les langues ; loin de s’ef­frayer de la diver­si­té des usages, lois et ins­ti­tu­tions qui éta­blissent ou assurent la paix du monde, loin d’en rien retran­cher ou détruire, elle conserve en s’y adap­tant tous les élé­ments qui, variant avec chaque nation, concourent pour­tant à la même fin, la paix du monde, dès là qu’ils n’en­travent point la reli­gion qui enseigne le culte du seul Dieu vrai et sou­ve­rain. » La même pen­sée ins­pire cette apos­trophe adres­sée à l’Eglise par le saint Docteur : « C’est toi qui rap­proches les citoyens des citoyens, les nations des nations, et qui, par le sou­ve­nir de leur com­mune ori­gine, groupes tous les hommes non seule­ment en une socié­té mais dans une sorte de fraternité. »

Quant à Nous, pour reprendre Notre pen­sée du début, embras­sant d’a­bord cha­cun de Nos fils, Nous leur deman­dons encore et les sup­plions, au nom de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, d’a­voir le cou­rage d’en­se­ve­lir dans un oubli volon­taire tous leurs dif­fé­rends et leurs torts réci­proques, et de renouer entre eux le lieu sacré de la cha­ri­té chré­tienne, qui ne connaît ni enne­mi ni étran­ger. Puis, c’est toutes les nations que Nous conju­rons ins­tam­ment de conclure entre elles une paix véri­table dans un esprit de bien­veillance chré­tienne, de contrac­ter une alliance que la jus­tice rende durable. Enfin, Nous invi­tons tous les hommes et tous les peuples à se rap­pro­cher d’es­prit et de cœur de l’Eglise catho­lique et, par l’Eglise, du Christ Rédempteur du genre humain.

Nous pour­rons alors leur adres­ser les paroles de saint Paul aux Ephésiens : « Maintenant que vous êtes dans le Christ Jésus, vous qui étiez jadis éloi­gnés, vous avez été rap­pro­chés par le sang de ce même Christ ; car c’est lui qui est notre paix, lui qui des deux peuples n’en a fait qu’un, détrui­sant le mur de sépa­ra­tion…, tuant en lui-​même leurs ini­mi­tiés. Il est venu annon­cer la paix et à vous qui étiez loin et à ceux qui étaient près. » Et cet autre mot, bien de cir­cons­tance éga­le­ment, du même Apôtre aux Colossiens : « N’usez point de men­songe les uns envers les autres ; dépouillez le vieil homme avec ses œuvres et révé­lez l’homme nou­veau qui se renou­velle dans la connais­sance, à l’i­mage de celui qui l’a créé ; dans ce renou­vel­le­ment, il n’y a plus ni Gentils ni Juifs, ni cir­con­cis ni incir­con­cis, ni bar­bare ni Scythe, ni esclave ni homme libre, mais le Christ est tout en tous. »

Dès main­te­nant, confiant dans le patro­nage de la Vierge imma­cu­lée – que Nous avons récem­ment pres­crit d’in­vo­quer par­tout sous le titre de Reine de la paix – et dans celui des trois Bienheureux aux­quels Nous venons de décer­ner les hon­neurs de la cano­ni­sa­tion, Nous sup­plions hum­ble­ment le divin Paraclet « de dai­gner accor­der à son Eglise les dons de l’u­ni­té et de la paix ». (Secrète de la Fête-​Dieu.) et, par une nou­velle effu­sion de son amour, renou­ve­ler la face du monde pour le salut de tous.

Comme gage de ces divines faveurs et en témoi­gnage de notre bien­veillance, Nous vous accor­dons de tout cœur, à vous, Vénérables Frères, à voire cler­gé et à vos fidèles, la Bénédiction Apostolique.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 23 mai 1920, en la fête de la Pentecôte, de Notre Pontificat la sixième année.

BENEDICTUS PP. XV