Voici la deuxième partie du thème qui a fait l’objet du discours aux jeunes époux du 22 avril :
Chers jeunes époux, lorsque vous vous rassemblez dans cette maison du Père commun des fidèles, que vous veniez de telle région ou de telle autre, jamais vous n’êtes étrangers à Notre cœur, à qui l’immense bonté divine a donné de battre pour tous, sans distinction de visage et d’aspect, ni de haut lignage ou d’humble naissance, ni de cieux et de pays. A vous voir, à vous compter, Notre cœur se dilate ; il répond de toute son ardeur à votre affection filiale ; il Nous met sur les lèvres à l’adresse de Dieu de vifs accents de louange et Nous Nous écrions : qu’elles sont belles et rayonnantes de foi les tentes que dressent par le monde les familles chrétiennes ! En vous resplendit à Notre regard la dignité des époux chrétiens, dignité particulière, puisque vous n’avez pas seulement été marqués du chrême mystique commun à tous les fidèles pour être avec eux, selon la parole de l’apôtre Pierre, une nation sainte et un sacerdoce royal [1], mais qu’en outre, dans l’acte sacré de vos épousailles, votre libre et mutuel consentement vous a élevés au plan de ministres du sacrement de mariage ; mariage qui, représentant la très parfaite union du Christ et de l’Eglise, ne saurait être qu’indissoluble et perpétuel.
Le mariage un et indissoluble répond aux besoins de la nature, c’est-à-dire aux aspirations du cœur humain
Mais la nature, que pense-t-elle de cette perpétuité ? Se peut-il que la grâce, dont l’opération ne change pas la nature, mais bien la perfectionne en tout et toujours, se peut-il que la grâce rencontre ici en la nature une ennemie véritable ? Non : Dieu agit avec un art merveilleux et suave, et cet art s’harmonise toujours avec la nature dont il est l’auteur. Cette perpétuité et indissolubilité qu’exigent la volonté du Christ et la mystique signification du mariage chrétien, la nature elle-même la réclame. Les aspirations intimes de la nature, la grâce les accomplit et elle accorde à la nature la force d’être ce dont les profondeurs humaines de sa sagesse et de sa volonté lui donnent le désir.
Interrogez votre cœur, chers époux. Les autres ne sauraient y pénétrer, mais vous, vous le pouvez. Essayez de vous rappeler le moment où vous avez senti qu’à votre affection répondait un autre amour pleinement : ne vous semble-t-il pas que depuis cet instant jusqu’au oui que vous alliez ensemble prononcer à l’autel, vous avanciez d’heure en heure, à pas comptés, l’âme tourmentée par l’espérance et la fièvre de vos attentes ? Maintenant cette espérance n’est plus une « fleur en herbe », mais une rose épanouie et votre attente se porte vers d’autres joies. Votre rêve d’alors se serait-il évanoui ? Non, il est devenu réalité. Quel est donc ce qui l’a transformé devant l’autel en la réalité de votre union ? L’amour, qui, loin de disparaître, a persévéré ; l’amour, qui a trouvé plus de force, plus de fermeté, et qui dans sa vigueur vous a fait pousser ce cri : « Notre amour doit rester inchangé, intact, inviolable, à tout jamais ! L’affection conjugale a ses aubes et ses aurores ; il faut qu’elle ne connaisse ni déclin ni automne, ni journées tristes et grises, car l’amour veut garder sa jeunesse et rester inébranlable dans le souffle de la tempête. » Vous conférez par là à votre amour nuptial, sans vous en rendre compte, par une jalousie sacrée, allions-Nous dire, cette marque que l’apôtre Paul assignait à la charité en un hymne de louanges : Caritas nunquam excidit, « la charité ne passe jamais » [2]. Le pur et véritable amour conjugal est un limpide ruisseau qui, sous l’impétueuse poussée de la nature, jaillit de l’infrangible roche de la fidélité, s’écoule tranquille parmi les fleurs et les ronces de la vie et va se perdre au fond de la tombe. L’indissolubilité est donc l’assouvissement d’une aspiration du cœur pur et intègre, d’une aspiration de « l’âme naturellement chrétienne », et elle ne disparaît qu’avec la mort. Dans la vie future, il n’y aura pas d’épousailles et les hommes vivront au ciel comme les anges de Dieu : In resurrectione neque nubent, neque nubentur, sed erunt sicut angeli dei in caelo [3]. Mais si l’amour conjugal comme tel, en sa nature propre, finit lorsque cesse le but qui le détermine et l’oriente ici-bas, toutefois, en tant qu’il a battu dans le cœur des époux et qu’il les a étreints dans ce plus grand lien d’amour qui unit les âmes à Dieu et entre elles, cet amour reste dans l’autre vie, ainsi que demeurent les âmes elles-mêmes au fond desquelles il aura habité ici-bas.
…et à la nécessité de sauvegarder la dignité humaine.
Mais c’est encore pour une autre raison que la nature réclame l’indissolubilité du mariage : c’est qu’elle en a besoin pour protéger la dignité de la personne humaine. La vie de communauté conjugale est une institution divine dont les racines plongent dans la nature humaine ; elle réalise l’union de deux êtres que Dieu a formés à son image et à sa ressemblance et qu’il appelle à continuer son œuvre par la conservation et la propagation du genre humain. Cette vie apparaît jusque dans ses expressions les plus intimes comme une chose extrêmement délicate : elle rend les âmes heureuses, elle les sanctifie, lorsqu’elle s’élève au-dessus des choses sensibles sur l’aile d’une donation simultanée, désintéressée et spirituelle des époux l’un à l’autre, par la volonté consciente, enracinée dans les profondeurs de l’un et l’autre, d’appartenance totale de l’un à l’autre, de mutuelle fidélité dans tous les événements de la vie, dans la joie et dans la tristesse, dans la santé et dans la maladie, dans les jeunes années et dans la vieillesse, sans limite et sans condition, jusqu’à ce qu’il plaise à Dieu de les appeler à lui dans l’éternité. Cette conscience, cette volonté bien arrêtée, rehausse la dignité humaine, rehausse le mariage, rehausse la nature, qui se voit respectée, elle et ses lois ; l’Eglise se réjouit de voir resplendir en une telle communauté conjugale l’aurore du premier ordre familial établi par le Créateur et le midi de sa divine restauration dans le Christ. Otez cette conscience, cette volonté bien arrêtée, la vie conjugale courra le danger de glisser dans la fange d’appétits égoïstes qui ne cherchent rien d’autre que leurs propres satisfactions et qui ne se soucient ni de la dignité personnelle ni de l’honneur du conjoint.
Le régime du divorce bafoue la dignité des époux
Jetez un regard sur les pays qui ont admis le divorce et demandez-vous : le monde y a‑t-il bien souvent la claire conscience que la dignité de la femme y est outragée et blessée, bafouée et en décomposition, ensevelie, faudrait-il dire, dans l’avilissement et l’abandon ?
Que de larmes secrètes ont baigné le seuil de certaines portes, de certaines chambres ! Que de gémissements, que de supplications, que d’appels désespérés lors de certaines rencontres, par certains chemins ou sentiers, à certains angles de rue, à certains passages déserts ! Non, la dignité personnelle du mari et de la femme, mais surtout de la femme, n’a pas de plus solide rempart que l’indissolubilité du mariage. C’est une funeste erreur de croire qu’on puisse maintenir, protéger et promouvoir la digne noblesse de la femme et sa culture féminine sans en prendre pour fondement le mariage un et indissoluble. Si, par fidélité à la mission qu’elle a reçue de son divin Fondateur, l’Eglise a toujours affirmé et répandu à travers le monde, dans un gigantesque et intrépide déploiement de saintes et indomptables énergies, le mariage indissoluble, rendez-lui gloire d’avoir ainsi hautement contribué à la défense des droits de l’esprit contre les impulsions des sens dans la vie matrimoniale, d’avoir sauvegardé avec la dignité des noces la dignité de la femme, non moins que celle de la personne humaine.
… et dissout la vie et le bonheur de la communauté conjugale et familiale.
Lorsqu’il manque à la volonté la ferme et profonde résolution de fidélité perpétuelle et inviolable au lien conjugal, le père, la mère et les enfants voient vaciller et se perdre cette conscience d’un avenir tranquille et sûr, ce sentiment précieux et bienfaisant de confiance réciproque absolue, ce lien d’étroite et immuable communauté intérieure et extérieure qu’aucun événement ne saurait menacer, cette terre où plonge et s’alimente une puissante et indispensable racine du bonheur familial.
Pourquoi, demanderez-vous peut-être, étendre ces conséquences jusqu’aux enfants ? Parce qu’ils reçoivent de leurs parents trois biens précieux : l’existence, la nourriture et l’éducation [4] et qu’ils ont besoin pour leur développement normal d’une atmosphère de joie ; or, la sérénité de la jeunesse, l’équilibre de la formation et de l’instruction ne se conçoivent pas tant qu’il peut subsister un doute sur la fidélité des parents. Les enfants ne renforcent-ils point le lien de l’amour conjugal ? Mais la rupture de ce lien devient une cruauté à leur égard : c’est méconnaître leur sang, avilir leur nom et couvrir leur front de honte ; c’est diviser leur cœur, leur enlever leurs petits frères et le toit domestique ; c’est empoisonner le bonheur de leur jeunesse et c’est leur donner, chose grave entre toutes pour leur esprit, un scandale moral. Que de blessures dans l’âme de millions d’enfants ! Et souvent quelles tristes et lamentables ruines ! Que d’implacables remords, quels déchirements dans les consciences ! Les hommes sains d’esprit, moralement purs, joyeux et contents, les hommes intègres de caractère et de vie, en qui l’Eglise et la Cité mettent leurs espérances, ne sortent pas pour l’ordinaire de foyers troublés par la dissension et par l’inconstance de l’amour, mais de familles où règnent, profonde, la crainte de Dieu et, inviolable, la fidélité conjugale. Si vous recherchez aujourd’hui les vraies causes de l’affaissement des mœurs, l’origine du poison qui travaille à corrompre une part importante de la famille humaine, vous ne tarderez pas à en découvrir une des sources les plus fatales et les plus coupables dans la législation et la pratique du divorce. Les œuvres et les lois de Dieu exercent toujours une heureuse et puissante action ; mais quand la légèreté ou la malice des hommes interviennent, elles y apportent le trouble et le désordre, et alors les bienfaisants effets cèdent la place à une somme incalculable de maux, comme si la nature elle-même se révoltait, indignée, contre l’œuvre des hommes. Et parmi les institutions et les lois de Dieu, qui donc oserait nier ou contester qu’il y ait l’indissolubilité du mariage, cette colonne de la famille, de la grandeur nationale, de la patrie ? Car c’est bien dans le courage de ses hardis garçons que la patrie trouvera toujours le rempart et l’instrument de sa prospérité.
Pour vous, chers jeunes mariés, remerciez Dieu d’appartenir à une famille sans tache où vous avez eu la faveur de vivre dans l’affection de parents craignant Dieu et de parvenir à votre pleine maturité chrétienne et catholique. En un temps si enclin à une excessive liberté à l’égard des lois divines, mettez votre honneur et votre gloire à développer, à réaliser et à professer la haute conception du mariage tel que le Christ l’a établi. Elevez dans vos prières communes de chaque jour vos cœurs vers Dieu et demandez-lui qu’après avoir bien voulu vous accorder un bon départ, il daigne, dans la puissante efficacité de sa grâce, vous conduire heureusement au terme. C’est avec ce vœu et en gage des plus exquises faveurs du ciel que Nous vous accordons de cœur Notre paternelle Bénédiction apostolique.
Pie XII, Pape
Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, année 1954, Édition Saint-Augustin Saint-Maurice – D’après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. IV, p. 53 ; cf. la traduction française des Discours aux jeunes époux, t. II, p. 156.