Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

10 janvier 1940

Discours aux jeunes époux

Épiphanie et Mariage : les trois offrandes des Mages symbolisent les biens du mariage

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 10 jan­vier 1940

L’Eglise, durant la solen­nelle octave de l’Epiphanie, répète dans sa litur­gie les paroles des Mages : « Nous avons vu en Orient l’é­toile du Seigneur et nous sommes venus avec des dons pour l’a­do­rer » (cf. Matth. Mt 2, 11). Vous aus­si, chers nou­veaux mariés, lors­qu’au pied de l’au­tel vous échan­giez devant Dieu vos pro­messes, vous avez vu un fir­ma­ment plein d’é­toiles illu­mi­ner votre ave­nir de radieuses espé­rances, et vous venez ici, riches de pré­sents, hono­rer Dieu et rece­voir la béné­dic­tion de son Vicaire ici-bas.

Quels sont les pré­sents que vous appor­tez ? Nous savons bien que votre équi­page ne pré­sente pas le luxe que la tra­di­tion et l’art des siècles attri­buent aux Rois Mages : suite de ser­vi­teurs, ani­maux somp­tueu­se­ment har­na­chés, tapis, essences rares, et, comme pour l’Enfant Jésus, l’or, pro­ba­ble­ment celui d’Ophir qu’ap­pré­ciait déjà Salomon (III Rois, 9, 28), l’en­cens et la myrrhe, tous dons reçus de Dieu, puisque tout ce qu’une créa­ture peut offrir est un don du Créateur. Pour vous, vous avez reçu de Dieu dans le mariage trois biens pré­cieux qu’é­nu­mère saint Augustin : la fidé­li­té conju­gale – fides, la grâce sacra­men­telle – sacra­men­tum, les enfants – proles : trois biens qu’à votre tour vous devez offrir à Dieu, trois dons que sym­bo­lisent les offrandes des Mages.

La fidé­li­té conju­gale est votre or, ou plu­tôt un tré­sor meilleur que l’or du monde entier. Le sacre­ment du mariage vous donne les moyens de pos­sé­der et d’ac­croître ce tré­sor ; offrez-​le à Dieu, pour qu’il vous aide à le mieux conser­ver. L’or, par sa beau­té, par sa splen­deur, par son inal­té­ra­bi­li­té, est le plus pré­cieux des métaux ; sa valeur sert de base et de mesure pour les autres richesses. Ainsi la fidé­li­té conju­gale est la base et la mesure de tout le bon­heur du foyer domes­tique. Dans le temple de Salomon, pour évi­ter l’al­té­ra­tion des métaux non moins que pour embel­lir tout l’é­di­fice, il n’y avait aucune par­tie qui ne fût revê­tue d’or. Ainsi en va-​t-​il de la fidé­li­té : pour assu­rer la soli­di­té et la splen­deur de l’u­nion conju­gale, elle doit comme la recou­vrir et l’en­ve­lop­per tout entière. L’or, pour conser­ver sa beau­té et sa splen­deur, doit être pur. De même la fidé­li­té entre époux doit être entière et sans tache ; si elle com­mence à s’al­té­rer, c’en est fait de la confiance, de la paix et du bon­heur de la famille.

Digne de pitié — gémis­sait le pro­phète (Lm 4, 1) — est l’or qui s’est ter­ni et qui a per­du sa res­plen­dis­sante cou­leur ; mais plus pitoyables encore sont les époux dont la fidé­li­té se cor­rompt. Leur or, dirons-​nous avec Ezechiel (Ez 7, 19), se change en ordure ; tout le tré­sor de leur belle concorde se décom­pose en un déso­lant mélange de soup­çons, de méfiance et de reproches, qui abou­tissent sou­vent à des maux irré­pa­rables. Voilà pour­quoi votre pre­mière offrande au divin Nouveau-​né doit être la réso­lu­tion d’une constante et vigi­lante fidé­li­té à vos enga­ge­ments conjugaux.

Les Mages appor­tèrent à Jésus l’en­cens par­fu­mé. Par l’or ils avaient en lui hono­ré le Roi ; par l’en­cens ils ren­daient hom­mage à sa divi­ni­té. Vous aus­si, époux chré­tiens, vous avez dans le sacre­ment de mariage à pré­sen­ter à Dieu une offrande riche d’un suave par­fum. Ce par­fum, qui répan­dra dans toute votre vie une déli­cieuse odeur et qui fera de vos tâches jour­na­lières mêmes les plus humbles autant d’actes capables de vous pro­cu­rer au ciel la vision intui­tive de Dieu, cet encens invi­sible mais réel, c’est la vie sur­na­tu­relle de la grâce. Cette grâce, confé­rée par le bap­tême, renou­ve­lée par la péni­tence, nour­rie par l’Eucharistie, vous est don­née à un titre spé­cial par le sacre­ment de mariage, où vous rece­vez de nou­veaux secours qui cor­res­pondent à de nou­veaux devoirs. Vous deve­nez par là plus riches encore que les Mages. L’état de grâce est plus qu’un par­fum suave, intime et péné­trant, qui donne à votre vie natu­relle un arôme céleste ; c’est une véri­table élé­va­tion de vos âmes à l’ordre sur­na­tu­rel qui vous rend par­ti­ci­pants de la nature de Dieu (II Pierre, 1, 4). Avec quels soins ne devez-​vous donc pas conser­ver et accroître pareil tré­sor ! En l’of­frant à Dieu vous ne le per­dez pas ; vous le confiez au gar­dien le plus vigilant.

Les Mages enfin, dési­reux d’ho­no­rer en Jésus non seule­ment le Roi et le Dieu, mais aus­si l’homme lui pré­sen­tèrent le don de la myrrhe. C’est une espèce de gomme-​résine, dont les Anciens, spé­cia­le­ment les Egyptiens, se ser­vaient pour conser­ver les restes de ceux qu’ils avaient aimés. Vous êtes peut-​être sur­pris que Nous voyions dans cet arôme le sym­bole de votre troi­sième offrande, du troi­sième bien du mariage chré­tien, qui est le devoir et l’hon­neur de mettre au monde des enfants. Mais remar­quez qu’en toute nou­velle géné­ra­tion se conti­nue et se pro­longe la lignée des aïeux. Les enfants sont l’i­mage vivante et comme la résur­rec­tion des aïeux qui, par la géné­ra­tion d’au­jourd’­hui, tendent la main à la géné­ra­tion sui­vante. En vos enfants, vous ver­rez revivre et agir, sou­vent avec les mêmes traits du visage et de la phy­sio­no­mie morale, et spé­cia­le­ment avec leurs tra­di­tions de foi, d’hon­neur et de ver­tu, la double série de vos ancêtres. C’est en ce sens que la myrrhe conserve, per­pé­tue, renou­velle inces­sam­ment la vie d’une famille, arbre au tronc robuste et au feuillage luxu­riant dont chaque géné­ra­tion forme une branche. Assurer la conti­nui­té de sa crois­sance est un insigne hon­neur, et les familles les plus nobles et les plus illustres sont celles dont l’arbre généa­lo­gique plonge le plus pro­fon­dé­ment ses racines dans la terre des aïeux.

Ce devoir, il est vrai, ren­contre sou­vent plus d’obs­tacles que les deux pré­cé­dents. La myrrhe, sub­stance conser­va­trice et pré­ser­va­trice, est de saveur amère, les natu­ra­listes l’en­seignent dès Pline et le nom lui-​même l’in­si­nue. Mais cette amer­tume ne fait qu’en aug­men­ter la ver­tu bien­fai­sante. L’Ancien Testament nous la montre employée comme par­fum (Ct 3, 6) ; ses fleurs sont un sym­bole d’a­mour pur et ardent (Ct 1, 12). On lit dans les saints Evangiles que les sol­dats offrirent à boire au divin Crucifié du vin mêlé de myrrhe (Mc 15, 23), breu­vage qu’on don­nait aux sup­pli­ciés afin d’at­té­nuer quelque peu leurs dou­leurs. Autant de sym­boles que Nous livrons à votre méditation.

Pour ne Nous arrê­ter qu’à un seul, les indé­niables dif­fi­cul­tés que pro­cure une belle cou­ronne d’en­fants, sur­tout en nos temps de vie chère et dans les familles peu aisées, exigent du cou­rage, des sacri­fices, par­fois même de l’hé­roïsme. Mais pareille à l’a­mer­tume salu­taire de la myrrhe, l’a­mer­tume tem­po­raire des devoirs conju­gaux avant tout pré­serve les époux d’une source funeste de ruines pour les familles et les nations : elle les pré­serve de fautes graves. En outre, ces dif­fi­cul­tés mêmes, cou­ra­geu­se­ment affron­tées, leur assurent la conser­va­tion de la grâce sacra­men­telle et une abon­dance de secours divins. Elles éloignent enfin du foyer domes­tique les élé­ments qui l’empoisonnent et le désa­grègent, tels que l’é­goïsme, la constante recherche de ses aises, l’é­du­ca­tion fausse et viciée d’une pro­gé­ni­ture volon­tai­re­ment res­treinte. Que d’exemples autour de vous vous mon­tre­ront qu’il y a dans les efforts accom­plis par les parents pour entre­te­nir une des­cen­dance saine et nom­breuse, éclose au foyer sous le regard de Dieu, une source même natu­relle de joie et de mutuel encouragement.

Voilà, chers jeunes mariés, les tré­sors que vous avez reçus de Dieu et qu’en cette semaine de l’Epiphanie vous pou­vez vous-​mêmes offrir au céleste Enfant de la crèche avec la pro­messe de rem­plir cou­ra­geu­se­ment les devoirs du mariage.

PIE XII, Pape.