Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 15 avril 1942
Que de merveilles l’homme découvre dans l’univers de la création, chers jeunes époux, soit qu’il contemple l’extrême variété des êtres inanimés avec les minéraux et les terrains, ou l’immensité du règne végétal avec les herbes, les fleurs, les fruits, les blés et les arbres, ou le vaste empire des animaux qui lui apparaissent dans les airs et dans les eaux, sur les monts, dans les plaines et dans les forêts. Vous remarquerez en outre, au sein de cette diversité, comment les individus d’une même espèce se différencient par leurs caractères morphologiques et physiologiques, par leur vigueur, par la beauté de leurs couleurs et de leurs formes. Et vous-mêmes, dans les enfants qu’il plaira au Seigneur de vous donner, vous pourrez également observer et discerner les inclinations qui distinguent un garçon d’une fille et qui, par des dispositions diverses, orientent l’homme et la femme vers la vie particulière que Dieu prépare à l’un et l’autre.
Devoir du mari d’apporter à sa femme le concours de sa force physique.
Il en va de même de l’union conjugale : l’homme est chef de la femme [1] et il la surpasse d’ordinaire en force et en vigueur. Cependant cette différence n’abaisse point la femme ; car, si elle met souvent la main à des tâches apparemment insignifiantes, elle n’en réalise pas moins de grandes et puissantes choses par la responsabilité qui lui incombe de procurer le bien-être de son foyer et de mériter la reconnaissance de son mari. Toutefois, hommes mariés, pour affectueuse que soit votre gratitude, vous pouvez et devez faire davantage. Si votre perfection de chef de famille vous impose d’accomplir votre devoir professionnel soit dans votre foyer soit au-dehors, elle vous demande davantage encore : dans votre maison aussi, dans le royaume même de votre épouse, vous avez une tâche à accomplir. Vous êtes plus forts et souvent plus habiles à manier les instruments ou les outils, et nombre de menus travaux que demande le confort de votre logement vous offriront des occupations qui conviennent mieux à l’homme qu’à la femme. Ce ne sera pas des tâches et entreprises comparables à celles du bureau, de l’usine ou du laboratoire où vous allez travailler, ni des occupations incompatibles avec votre dignité ; il s’agira de prendre part à la sollicitude de votre compagne, souvent accablée de soucis et de travaux ; il s’agira de donner un coup de main qui vienne bien à propos, ce qui sera pour elle une aide, un soulagement, et pour vous une distraction et un délassement. Pour cultiver un jardin – si la Providence vous a fait la grâce d’en avoir un – pour divers embellissements ou réparations, pour tant de choses plus ou moins faciles à enlever, à placer, à arranger, comme il s’en présente continuellement, n’avez-vous pas des mains mieux faites et plus alertes que celles de votre épouse ? Et en général lorsqu’un travail exigera plus de force, n’aurez-vous pas la délicatesse et la précaution de vous le réserver ? Pourrait-il se rencontrer dans une maison chrétienne rien de plus triste et de plus opposé au sens chrétien que des scènes de vie qui rappelleraient un spectacle trop fréquent autrefois chez certains peuples que n’avait pas encore éclairés ni adoucis le divin mystère de Nazareth : le spectacle d’une femme qui chemine ployée, telle une bête de somme, sous un pesant fardeau, tandis que son seigneur la suit et la surveille en fumant tranquillement ?
Qu’il serve son épouse au foyer.
Un des grands bienfaits sociaux des temps passés, c’était le travail à domicile, que bien des hommes eux-mêmes pratiquaient alors, et qui unissait en un même labeur, en un même foyer, l’homme et la femme côte à côte, tous les deux auprès de leurs enfants. Mais les progrès de la technique, le gigantesque développement des usines et des bureaux, la multiplication des machines de toute sorte, ont rendu aujourd’hui ce genre de travail fort rare, excepté dans les campagnes, et les époux sont contraints par leurs occupations de se séparer et de passer de longues heures de la journée loin de leurs enfants.
Oh tiranno signore
De” miseri mortali,…
Bisogno, e che non spezza
Tua indomita fierezza !– Ô maître tyrannique
Parini, Ode Il Bisogno
des misérables mortels,…
labeur, quand donc se brisera
ton indomptable férocité ?
Toutefois, si absorbante que soit l’occupation qui vous tienne loin des vôtres une bonne partie de la journée, vous trouverez encore à votre retour, Nous n’en doutons pas, la force de rendre à votre compagne de menus services, vous conciliant par là sa reconnaissance. Une reconnaissance bien affectueuse, car il n’échappera point à votre épouse qu’il vous aura fallu, pour l’aider, vaincre la fatigue et un légitime besoin de repos, grâce à cette complaisance qui se dévoue jusque dans les humbles circonstances du foyer et qui associe la famille entière à la réalisation du bonheur domestique et à la joie qui en découle.
Mais la vie de la famille connaît encore des circonstances plus difficiles, des heures mélangées de joies et de douleurs, des temps de peines et d’angoisses, de privations et de larmes : les naissances, les maladies, les deuils. Il s’agit alors de faire davantage. La mère ne pourra point ou ne pourra guère vaquer à ses diverses occupations : il faudra que tous à la maison, jusqu’aux petits, y mettent du leur, dans la mesure de leurs forces. Mais qui donc sera le premier à l’ouvrage, sinon le père, le chef de la famille ? N’est-ce pas lui qui se dépensera aussitôt à tous les instants pénibles, donnant l’exemple du dévouement et de la prévoyance ? N’est-ce pas en de pareilles circonstances que se révéleront sa digne sagesse de père et l’énergie de son gouvernement familial ?
Époux, préparez-vous à ces graves et inévitables épreuves par un raffermissement de votre courage. Ne comptez point que l’avenir qui vous attend échappe au sort commun des foyers. Tirez lumière et profit des épreuves d’autrui. Ne vous arrêtez point à calculer les peines et les fatigues de votre personne, la générosité de vos efforts, pour les comparer au dévouement de votre épouse. Le véritable amour ne connaît pas de ces calculs ni de ces comparaisons : il se donne, estimant que ce qu’il fait pour la personne qu’il aime n’est jamais assez. Ce que l’Imitation du Christ [2] affirme de l’amour de Dieu vaut aussi pour l’amour si profond et si saint qu’est l’amour conjugal : « Rien ne lui pèse, rien ne lui coûte, il essaie plus qu’il ne peut, il ne prétexte jamais l’impossibilité… il peut tout et il accomplit en perfection beaucoup de choses où celui qui n’aime pas défaille et succombe. » Il ne faut donc point s’étonner que l’Apôtre des gentils – qui avait l’esprit et le cœur pleins de charité, au point d’exalter cette vertu au-dessus des prophéties, des mystères et de la foi miraculeuse, au-dessus du don des langues et de la science, au-dessus du martyre et de la libéralité envers les pauvres [3] – il ne faut point s’étonner qu’il ose assimiler l’amour de l’époux pour son épouse à l’amour du Christ pour son Eglise [4].
… pour le bonheur de la famille.
Oh ! oui, aimez vos épouses : vous leur devez en conscience le don le plus haut et le plus nécessaire, le don de l’amour. C’est dans l’amour que la chasteté conjugale et la paix de la famille trouvent leur sauvegarde ; c’est l’amour qui affermit la fidélité, qui remplit de fierté les enfants, qui perpétue, inviolable, le sacrement qui a uni l’homme et la femme devant la face de Dieu. Epoux, sanctifiez vos épouses par l’exemple de vos vertus ; donnez-leur la gloire de pouvoir vous imiter dans la pratique du bien et dans la piété, dans l’assiduité au travail, dans la vaillance à supporter les lourdes épreuves et les cruelles souffrances auxquelles nulle vie humaine ne saurait échapper. D’où vient à l’époux sa joie, sa fierté de père, sinon de la maternité de la femme ? Pourra-t-il donc jamais oublier les peines et les douleurs de son épouse, les dangers où l’expose la maternité et les sublimes sacrifices alors parfois exigés de la mère ? Et là où l’instinct et l’amour maternels ont tout accepté sans compter, se permettra-t-il, lui, dans son amour d’époux et de père, de marchander son dévouement ?
Que l’époux considère la tendre vénération des siècles chrétiens pour la femme.
Jetez un regard sur l’histoire de l’Eglise, l’Épouse du Christ. Que de héros, que d’héroïnes dans le secret du sanctuaire familial ! Que de vertus connues de Dieu seul et de ses anges ! Au moyen âge, à cette époque si rude parfois, le peuple, les châteaux, les cours, sans parler des monastères, savaient rendre à la femme l’hommage d’une vénération mêlée de tendresse. Adolescentes, fiancées, épouses, mères, toutes semblaient couronnées d’une auréole céleste, soit que rejaillît sur toutes les filles d’Ève l’amour qu’inspirait au cœur des croyants la nouvelle Eve, la Mère du Christ et des hommes, soit qu’une autre pensée de foi sortie des profondeurs de l’esprit chrétien épanouît alors ce sentiment de déférente et affectueuse courtoisie ignorée des païens, anciens ou modernes, qui marchent toujours la tête haute dans leur orgueil d’homme, comme aussi dans les révoltes de l’orgueil féminin. La considération de la femme exaltait le poète croyant, dont l’enthousiasme éclatait en cantiques de louanges à « la Vierge Mère, fille de son Fils », à « la Vierge belle, de soleil revêtue », la priant de « le recommander à son Fils, vrai Dieu et vrai homme, pour qu’il daignât recueillir son dernier souffle dans la paix ».
Maris, tournez vos regards vers Nazareth ; entrez dans cette demeure. Considérez ce charpentier, ce très saint dépositaire des secrets de Dieu, cet ouvrier qui nourrit de son labeur une famille sans éclat, mais plus noble que la famille des Césars romains ; observez avec quelle dévotion, avec quel respect, il aide et vénère cette Mère, épouse immaculée et sans tache. Admirez celui qui passe pour « le fils du charpentier », lui, le Verbe, la Sagesse toute-puissante qui a créé le ciel et la terre, sans qui rien n’a été fait ni ne saurait se faire, et qui ne dédaigne point de se soumettre à Marie et à Joseph dans les services de la maison et de l’atelier ; contemplez ce modèle de sainteté dans la vie familiale, objet de l’admiration et de l’adoration des hiérarchies angéliques.
Puisse cette contemplation cultiver en vos cœurs les sentiments de reconnaissante et tendre donation de vous-mêmes, afin qu’ils se traduisent dans votre vie quotidienne par votre généreux concours au bonheur et à la sécurité de la famille. Dans votre vie professionnelle, vous mettez, maris, votre honneur à n’éluder aucune de vos responsabilités : mettez de même dans votre vie chrétienne le noble courage et la fierté de votre conscience, mettez votre générosité et votre amour à prendre, en collaboration avec votre épouse, la part de travail et de soucis qui vous revient dans l’édification du bonheur de votre foyer.
Implorant donc, bien-aimés fils et filles, pour vous tous, époux ou épouses, les grâces nécessaires à cette féconde et sainte collaboration, Nous vous accordons de cœur Notre paternelle Bénédiction apostolique.
PIE XII, Pape.