Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

15 janvier 1941

Discours aux jeunes époux

Le sacerdoce et le mariage

Table des matières

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 15 jan­vier 1941

Parmi les innom­brables sou­cis et res­pon­sa­bi­li­tés qui pèsent sur Nos épaules depuis que la divine Providence Nous a appe­lé à gou­ver­ner l’Eglise en des temps si dif­fi­ciles, les audiences publiques sont une des grandes conso­la­tions que le Seigneur Nous accorde pour Notre sou­la­ge­ment. Ces ren­contres Nous trans­portent pour ain­si dire dans un air plus pur ; Nous Nous y sen­tons plus inti­me­ment le Père, un Père qui reçoit ses enfants et qui au milieu d’eux ouvre son cœur et l’é­pan­ché librement.

Mais Nous ran­geons volon­tiers par­mi les audiences qui Nous sont par­ti­cu­liè­re­ment douces et agréables, celles qui réunissent autour de Nous les jeunes mariés. Animés d’une foi vive, ils viennent, au moment de com­men­cer une vie nou­velle, pré­sen­ter à Notre pater­nelle béné­dic­tion leurs âmes rafraî­chies par la divine rosée des grâces qu’ils ont reçues du sacre­ment de mariage.

Deux seules formes de vie ont reçu leur sacrement : le sacerdoce et le mariage.

N’avez-​vous jamais réflé­chi que par­mi les dif­fé­rents états, les dif­fé­rentes formes de vie chré­tienne, il n’y en a que deux pour les­quelles Notre-​Seigneur a ins­ti­tué un sacre­ment : le sacer­doce et le mariage ? Vous admi­rez sans doute les grandes cohortes des ordres et des congré­ga­tions reli­gieuses, les mérites et les gloires dont ils brillent dans l’Eglise ; et pour­tant, la pro­fes­sion reli­gieuse — cette émou­vante céré­mo­nie, si riche d’un sym­bo­lisme nup­tial sublime et pro­fond, si pleine de toutes les louanges dont Notre-​Seigneur et l’Eglise exaltent la vir­gi­ni­té et la chas­te­té par­faite — la pro­fes­sion reli­gieuse, disons-​Nous, si émi­nente que soit la place occu­pée dans la vie et l’a­pos­to­lat catho­liques par les reli­gieux et les reli­gieuses, la pro­fes­sion reli­gieuse n’est pas un sacrement.

Au contraire, le plus modeste mariage que célèbrent deux fian­cés pres­sés de retour­ner au tra­vail et que bénit un simple prêtre, en pré­sence de quelques parents ou amis, dans la pauvre petite église d’une cam­pagne soli­taire ou dans l’humble cha­pelle d’un quar­tier ouvrier, ce rite sans éclat ni pompe exté­rieure est un sacre­ment et il se place, par sa digni­té de sacre­ment, à côté des magni­fi­cences de l’or­di­na­tion sacer­do­tale ou de la consé­cra­tion épis­co­pale que l’é­vêque du dio­cèse en per­sonne accom­plit dans la splen­deur des orne­ments pon­ti­fi­caux et dans la majes­té d’une cathé­drale rem­plie de ministres sacrés et de fidèles.

L’ordre et le mariage, vous le savez, occupent une place toute spé­ciale dans l’Eglise : ils ter­minent et cou­ronnent les sept sacre­ments. Pourquoi donc Dieu en a‑t-​il dis­po­sé ain­si ? Sans doute il serait témé­raire de dire au Créateur : Quare hoc fecis­ti ? « Pourquoi avez-​vous fait cela ?» ; il serait témé­raire de lui deman­der les rai­sons de son œuvre et de ses per­fec­tions, si les grands doc­teurs, et en par­ti­cu­lier saint Thomas d’Aquin, ne nous en avaient don­né l’exemple. Marchons sur leurs traces, et il nous sera per­mis de recher­cher et de goû­ter les conve­nances et les har­mo­nies cachées au sein de la pen­sée et des élec­tions divines, pour y pui­ser une plus amou­reuse confiance et nous éle­ver à une plus haute idée de la grâce reçue.

Double paternité.

Lorsque le Fils de Dieu dai­gna s’in­car­ner, la parole du Sauveur de l’hu­ma­ni­té rame­na le lien conju­gal de l’homme et de la femme à sa splen­deur pre­mière. Les pas­sions humaines avaient cau­sé la déchéance de cette noble ins­ti­tu­tion : la Rédemption l’é­le­va à la digni­té de sacre­ment, et à ce sacre­ment l’u­nion du Christ avec son Epouse, notre Mère l’Eglise, que féconde le Sang divin, confère une gran­deur spé­ciale. Le Sang de Jésus nous régé­nère dans la parole de la foi et l’eau du salut et « il donne à ceux qui croient en son nom de deve­nir enfants de Dieu, à eux qui ne naissent ni du sang, ni de la volon­té de la chair, ni de la volon­té de l’homme » (Jn 1,12–13). Ces solen­nelles paroles de saint Jean nous mani­festent une double pater­ni­té : la pater­ni­té de la chair, par la volon­té de l’homme ; et la pater­ni­té de Dieu, par la puis­sance de l’es­prit et de la grâce divine. Ces deux pater­ni­tés, dans le peuple chré­tien, marquent du signe du sacer­doce et du mariage les pères selon l’es­prit, qui com­mu­niquent la vie sur­na­tu­relle, et les pères selon la chair, qui donnent la vie natu­relle ; et c’est pour assu­rer et per­pé­tuer à tra­vers les siècles la géné­ra­tion et la régé­né­ra­tion des fils de Dieu que le Christ a ins­ti­tué en faveur de son Eglise les deux sacre­ments du mariage et de l’ordre. Deux sacre­ments : deux pater­ni­tés, deux pères qui fra­ter­nisent et se com­plètent l’un l’autre dans l’é­du­ca­tion des enfants, fils de Dieu, espé­rance de la famille et de l’Eglise, de la terre et du ciel. Telle est la haute idée que l’Eglise nous donne du sacer­doce et du mariage, l’Eglise, cette Jérusalem nou­velle, la Ville sainte que Jean vit des­cendre des cieux vêtue comme une jeune épouse parée pour son époux (Ap 21,2).

Elle s’é­lève au cours des siècles cette Jérusalem, elle se bâtit de pierres vivantes, les âmes bap­ti­sées et sanc­ti­fiées, chante la sainte litur­gie, jus­qu’au jour de la fin des temps, où elle mon­te­ra s’u­nir au Christ dans les célestes joies des noces éternelles.

Quels sont les ouvriers qui tra­vaillent à la patiente construc­tion de cette Jérusalem nou­velle ? Avant tout les suc­ces­seurs des apôtres, le pape et les évêques avec leurs prêtres ; ensemble ils dis­posent, polissent et cimentent les pierres selon les plans de l’ar­chi­tecte. L’Esprit-​Saint les a éta­blis évêques pour paître l’Eglise du Seigneur (Ac 20,28). Mais que feraient-​ils bien, s’il n’y avait auprès d’eux d’autres ouvriers pour extraire, pour tailler, pour polir les pierres, sui­vant les besoins de l’é­di­fice ? Et qui sont donc ces ouvriers, sinon les époux ? Ce sont les époux qui donnent à l’Eglise ces pierres vivantes et qui les tra­vaillent avec art ; ces ouvriers, bien-​aimés fils et filles, c’est vous-mêmes.

Ministère corporel et spirituel des parents.

Notez donc bien que votre pater­ni­té, votre mater­ni­té, ne devra pas se bor­ner à extraire et à réunir péni­ble­ment les blocs de pierre brute ; il vous fau­dra encore les pré­pa­rer, leur don­ner la forme qui leur per­met­tra d’en­trer pour le mieux dans l’é­di­fice. C’est en vue de ce double office que Dieu a ins­ti­tué le grand sacre­ment de mariage.

Comme l’en­seigne le Docteur angé­lique saint Thomas d’Aquin [1], ce sacre­ment qui a consa­cré votre union, fait de vous « les pro­pa­ga­teurs et les conser­va­teurs de la vie spi­ri­tuelle, selon un minis­tère à la fois cor­po­rel et spi­ri­tuel » qui consiste « à engen­drer les enfants et à les for­mer au culte de Dieu ». Vous êtes, tou­jours sous la conduite des prêtres, les pre­miers et les plus proches édu­ca­teurs et maîtres des enfants que Dieu vous a confiés. Dans l’é­di­fi­ca­tion du temple de l’Eglise, qui ne se com­pose pas de pierres mortes mais d’âmes vivantes pleines d’une vie nou­velle et céleste, vous êtes pour vos enfants des pré­cur­seurs spi­ri­tuels, depuis leur ber­ceau jus­qu’à l’âge d’homme, et vous devez leur mon­trer le ciel.

Epoux chré­tiens, vous n’a­vez pas dans l’Eglise la simple mis­sion d’en­gen­drer des enfants pour les offrir, pierres vivantes, au tra­vail des ministres de Dieu que sont les prêtres. Les grâces si abon­dantes que le sacre­ment de mariage vous com­mu­nique, vous ne les rece­vez pas seule­ment pour res­ter plei­ne­ment et constam­ment fidèles à la loi de Dieu dans l’au­guste moment d’ap­pe­ler vos enfants à la vie, et pour affron­ter et sup­por­ter avec un cou­rage chré­tien les peines, les souf­frances et les pré­oc­cu­pa­tions qui accom­pagnent ce moment et qui le suivent. Ces grâces vous ont été don­nées éga­le­ment pour vous sanc­ti­fier, vous éclai­rer et vous for­ti­fier dans votre minis­tère cor­po­rel et spi­ri­tuel ; car, avec la vie natu­relle, vous avez le devoir, comme ins­tru­ments de Dieu, de conser­ver et de contri­buer à déve­lop­per dans les enfants qu’il vous don­ne­ra la vie spi­ri­tuelle qu’ils reçoivent au baptême.

Mission sacerdotale des parents.

Aux enfants nouveau-​nés, don­nez aus­si « le pur lait spi­ri­tuel » (1P 2,2), afin « qu’il les fasse gran­dir pour le salut » ; faites-​en des pierres vivantes du temple de Dieu, vous qui selon la parole de saint Pierre, for­mez, par la grâce du mariage, « un temple spi­ri­tuel, un sacer­doce saint » (i Pierre, ii, 5). Dans la for­ma­tion chré­tienne des petites âmes que Dieu vous confie­ra, une part vous est réser­vée, un minis­tère dont vous n’a­vez pas le droit de vous dés­in­té­res­ser et où per­sonne ne pour­ra se sub­sti­tuer plei­ne­ment à vous.

Dans cette for­ma­tion, vous irez bien deman­der l’aide de prêtres zélés et de caté­chistes, l’aide aus­si des excel­lents édu­ca­teurs que sont les reli­gieux et les reli­gieuses ; mais cette aide aura beau être grande, pré­cieuse et large, elle ne vous libé­re­ra jamais de votre devoir et de vos res­pon­sa­bi­li­tés. Que de fois les maîtres chré­tiens se plaignent et se lamentent des dif­fi­cul­tés, par­fois même des obs­tacles insur­mon­tables, qu’ils ren­contrent dans l’é­du­ca­tion des enfants confiés à leurs soins : ils doivent remé­dier aux défi­ciences de la famille, sup­pléer par­fois à la famille elle-​même ; ils doivent faire ce qu’elle a mal fait ou ce qu’elle n’a pas fait.

Hors de la famille chrétienne pas d’éducation chrétienne.

Les petits anges que le ciel vous don­ne­ra, conservez-​les pour le Seigneur, pour sa céleste Jérusalem et pour l’Eglise. N’oubliez jamais qu’au­près du ber­ceau doivent se tenir deux pères et maîtres, l’un natu­rel et l’autre spi­ri­tuel. Selon les dis­po­si­tions ordi­naires de la divine pro­vi­dence, les âmes ne peuvent par­ve­nir à une vie chré­tienne et au salut hors de l’Eglise et sans le minis­tère des prêtres que le sacre­ment de l’ordre a pré­pa­rés. De même, ne l’ou­bliez jamais, les enfants ne peuvent pour l’or­di­naire gran­dir dans la vie chré­tienne que dans un foyer domes­tique où les parents, unis et bénits par le sacre­ment de mariage, rem­plissent le minis­tère qui leur est propre.

Chers jeunes époux, daigne notre bon Seigneur et Maître, qui a res­tau­ré l’u­nion conju­gale, daigne le Christ ver­ser dans vos cœurs l’in­tel­li­gence et l’a­mour de la mis­sion que ce sacre­ment vous a confiée dans l’Eglise, et vous don­ner l’é­lan, le cou­rage et la confiance néces­saires pour vous main­te­nir dans une inces­sante fidé­li­té à cette incom­pa­rable mission.

PIE XII, Pape.

Notes de bas de page
  1. Contra Gent., 4, 58.[]