Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

22 novembre 1939

Discours aux jeunes époux

Harmonie et union des âmes

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 22 novembre 1939

Tandis que vos cœurs chantent l’hymne éter­nel et tou­jours nou­veau de l’a­mour chré­tien, l’Eglise célèbre aujourd’­hui la fête d’une jeune Romaine, sainte Cécile, tra­di­tion­nelle patronne de la musique. Une occa­sion pour Nous de vous adres­ser quelques paroles sur l’im­por­tance d’une pro­fonde et constante har­mo­nie entre époux.

Peut-​être penserez-​vous qu’il est inutile de vous recom­man­der l’har­mo­nie en ces jours où l’ac­cord par­fait de vos cœurs ignore jus­qu’aux dis­so­nances. Mais ne savez-​vous pas que l’u­sage désac­corde bien­tôt le meilleur ins­tru­ment de musique et qu’il faut sou­vent le remettre au dia­pa­son ? Il en va de même des volon­tés humaines, dont les bonnes inten­tions sont sujettes au relâchement.

La condi­tion pre­mière de l’har­mo­nie entre époux et de la paix domes­tique est une constante bonne volon­té de part et d’autre. L’expérience de chaque jour enseigne que dans les dis­cus­sions, selon le mot du grand Manzoni, « la rai­son et le tort ne sont jamais tran­chés par une coupe si nette que chaque par­tie ait le tout de l’un ou de l’autre ». Si la Sainte Ecriture com­pare la femme méchante à une paire de bœufs en désac­cord (Si 26, 10), et la femme que­rel­leuse à un toit d’où l’eau dégoutte sans cesse durant l’hi­ver (Pr 27, 15), elle relève éga­le­ment que l’homme empor­té allume les que­relles (Si 28, 11). Regardez autour de vous : l’exemple d’au­trui vous appren­dra que les dis­cordes conju­gales naissent le plus sou­vent du manque réci­proque de confiance, de condes­cen­dance et de pardon.

Vous connaî­trez ain­si la dou­ceur de l’ac­cord entre époux. « Trois choses, disent les Livres saints, plaisent à mon esprit et sont esti­mées de Dieu et des hommes : des frères qui sont unis, des proches qui s’aiment, un mari et une femme qui s’ac­cordent bien » (Si 25, 1). Cette pré­cieuse har­mo­nie, chers époux, vous la gar­de­rez avec soin à l’a­bri des dan­gers inté­rieurs ou exté­rieurs de dis­corde. Nous en rele­vons deux : les méfiances trop promptes à naître, les res­sen­ti­ments trop lents à mourir.

Voici un autre péril : la jalouse méchan­ce­té de tierces per­sonnes, mère de la calom­nie, intro­duit par­fois dans la pai­sible har­mo­nie conju­gale la note trou­blante du soup­çon : « La langue calom­nia­trice a chas­sé de leur foyer des femmes fortes, et les a dépouillées du fruit de leur tra­vaux. Celui qui l’é­coute ne joui­ra pas de la paix » (Si 28, 19–20). La vibra­tion fausse d’un seul ins­tru­ment ne suffit-​elle pas à détruire toute l’har­mo­nie d’un concert ?

Mais les brèves dis­so­nances, qui dans une exé­cu­tion musi­cale blessent ou du moins sur­prennent l’o­reille, deviennent un élé­ment de beau­té, quand par une habile modu­la­tion elles se résolvent en l’ac­cord atten­du. Il en doit être ain­si des heurts ou dis­sen­sions pas­sa­gères, tou­jours pos­sibles entre époux, en rai­son de la fai­blesse humaine. Il faut résoudre sans tar­der ces dis­so­nances, il faut faire réson­ner les modu­la­tions bien­veillantes de cœurs prompts au par­don, et retrou­ver ain­si l’ac­cord, pour un ins­tant com­pro­mis, dans la tona­li­té de paix et d’a­mour chré­tien qui aujourd’­hui enchante vos cœurs.

Le grand apôtre saint Paul vous révé­le­ra le secret de cette har­mo­nie conser­vée ou du moins chaque jour renou­ve­lée en votre foyer domes­tique : « Etes-​vous en colère, dit-​il, ne cédez point à vos sug­ges­tions ; que le soleil ne se couche point sur votre irri­ta­tion » (Ep 4, 26). Quant les pre­mières ombres du soir vous invitent à la réflexion et à la prière, agenouillez-​vous, l’un près de l’autre, devant le Crucifié qui veille la nuit sur votre repos, et répé­tez ensemble d’un cœur sin­cère : « Notre Père, qui êtes aux cieux… pardonnez-​nous… comme nous par­don­nons… ! » Alors les notes fausses de la mau­vaise humeur se tai­ront, les dis­so­nances se résou­dront en une par­faite har­mo­nie, et vos âmes repren­dront ensemble leur can­tique de recon­nais­sance envers Dieu qui vous a don­nés l’un à l’autre.

PIE XII, Pape.