Bulletin du Tiers-Ordre séculier pour les pays de langue française
Editorial du n° 36 d’août 2014 – Aux Sources du Carmel :
Corps eucharistique et Corps mystique, abbé Dubroeucq
Cher frère, Chère sœur,
« Dieu, écrit saint Paul, a constitué le Christ au sommet de tout, Tête pour l’Église, laquelle est son Corps, la Plénitude de Celui qui est rempli, tout en tout [1]. » Toute la doctrine du Corps Mystique du Christ est condensée dans ces paroles. Cette doctrine si profonde a ses racines dans l’enseignement du Sauveur (allégorie de la vigne et des sarments[2] ), repris par l’Apôtre des nations dans plusieurs de ses épitres par la comparaison du corps ; elle a occupé la pensée des Pères et a attiré particulièrement l’attention des théologiens et des Souverains Pontifes du XXème siècle.
Le Pape Pie XII déclarait dans son encyclique Mystici Corporis du 29 juin 1943 que « pour définir, pour décrire cette véritable Église de Jésus-Christ, on ne peut trouver rien de plus beau, de plus excellent, rien enfin de plus divin que cette expression qui la désigne comme le Corps mystique de Jésus-Christ[3]. »
La comparaison avec le corps humain est de saint Paul : « Dans le corps humain il y a plusieurs membres, et cependant un seul corps. L’œil ne peut donc pas dire à la main : je n’ai pas besoin de toi. [….] Un membre souffre-t-il, tous les membres souffrent avec lui. Un membre est-il à l’honneur ? Tous les membres prennent part à sa joie. Or, vous êtes le corps du Christ, et chacun de vous, pour sa part, est un de ses membres [4]. » L’épithète « mystique » a été ajoutée par la Tradition. La précision était nécessaire, pour distinguer du Corps physique de Jésus-Christ.
On voit tout de suite la différence : le pain consacré est le Corps du Christ parce qu’il l’est devenu sacramentellement. L’Église est Corps du Christ parce que mystérieusement elle vit de Lui, comme le corps vit de la tête. Aussi est-elle bien nommée corps « mystique » du Christ, « Corps », elle prolonge le Christ de façon visible. Mais Corps « mystique », elle ne se réduit pas à ce qu’on voit d’elle : « mystique » signifie, en effet, mystérieux, qui cache une réalité invisible et divine. Aussi tout ce que nous voyons de l’Église : la hiérarchie, les simples fidèles, les cérémonies liturgiques, tout cela manifeste autre chose qui est caché : Jésus-Christ communiquant la vie divine aux hommes, les hommes participant à cette vie.
Toutefois, entre le Corps eucharistique du Christ et son Corps mystique qui est l’Église, il y a un rapport très étroit. Aussi saint Paul fait-il le rapprochement : « Le pain que nous rompons n’est-il pas communion au Corps du Christ ? du moment qu’il n’y a qu’un seul pain, nous ne formons à nous tous qu’un seul corps, car nous avons part à ce pain unique [5] ». En mangeant le Pain unique, qui est le Corps du Seigneur, nous sommes unis jusqu’à ne faire entre nous qu’un seul Corps. Par l’Eucharistie, en effet, Jésus vient au milieu des siens. Il se donne à chacun en nourriture ; et chacun, s’unissant à Lui, s’unit en Lui à tous ceux qui comme lui-même Le reçoivent. Dieu a haussé à une perfection surnaturelle l’unité que, par nature, les hommes possèdent entre eux. Désormais, ils sont un dans le Christ, un d’une unité si transcendante qu’ils sont incapables de la réaliser par leurs propres forces. Cette unité nous unit à nous-mêmes, elle nous unit les uns aux autres, elle nous unit chacun et tous ensemble à Dieu, elle nous unit chacun et tous ensemble au Christ. Jésus demeure en nous quand nous Le recevons dans le divin sacrement ; mais aussi nous demeurons en Lui : « in me manet et ego in illo [6]. »
Nous demeurons en Jésus par la foi vive qui Le regarde et qui Le fixe tout le long du jour ; nous demeurons en Lui par les élans continus d’un ardent amour, par les aspirations fréquentes de notre âme et de notre cœur ; d’une manière plus parfaite encore, nous Lui restons unis par le don de contemplation infuse, de cette union mystique d’amour passif qui peut, comme l’enseigne sainte Thérèse [7], se poursuivre même durant les occupations où nous retiennent nos devoirs quotidiens ; oraison mystérieuse, inclination secrète du cœur vers l’objet qui le captive, union d’une âme déjà avancée dans le chemin de la perfection et qui réalise plus complètement la parole du Sauveur : « In me manet et ego in illo. »
Cette unité dans le Corps mystique maintenue par l’action vivifiante du Saint-Esprit est alors lumière pour ceux qui cherchent la Vérité car les hommes qui sont séparés du giron de l’Église, tandis qu’ils voient croître indéfiniment les discordes, les haines et les semences de rivalité, « s’ils jettent leur regards vers l’Église, s’ils contemplent l’unité qu’elle tient de Dieu — et qui rattache au Christ par un lien fraternel les hommes de n’importe quelle descendance —, alors […] seront vraiment forcés d’admirer cette société inspirée par l’amour et […] seront attirés, sous l’impulsion et avec l’aide de la grâce divine, à s’associer eux-mêmes à cette unité et à cette charité [8]. »
L’importance de ce dogme central du christianisme n’a pas échappé au génie de saint Thomas d’Aquin. Comme saint Paul et saint Augustin, saint Thomas ramène tout au Christ pour ramener tout à Dieu : « Vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu [9]. » « Toute l’Église, dit saint Thomas, est un seul Corps mystique […] et le Christ en est la Tête. Or dans la tête nous pouvons considérer trois choses : la place qu’elle occupe, sa perfection et son influence ; sa place : elle est la partie la plus éminente de l’homme […] ; sa perfection : elle renferme tous les sens intérieurs et extérieurs […] ; son influence : d’elle procèdent la force et le mouvement des autres membres et le gouvernement de leur activité. Cette triple prééminence appartient au Christ d’une façon spirituelle [10]. »
La doctrine du Corps mystique est comme le point central de toute la Révélation, le mystère par excellence du christianisme que saint Paul nomme « le mystère caché en Dieu dès l’origine, mais manifesté à présent à ses saints [11] ». C’est le mystère de notre incorporation au Christ, de notre perfection et de notre consommation spirituelle par le Christ Jésus.
Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus vivait en profondeur ce mystère de l’Église. C’est le mystère de l’Amour, dans l’Esprit Saint, qui est le cœur de l’Église. Elle le révèle en particulier dans cet aveu que nous connaissons : « Je compris que si l’Église avait un corps, composé de différents membres, le plus nécessaire, le plus noble de tous ne lui manquait pas, je compris que l’Église avait un Cœur, et que ce Cœur était brûlant d’amour. Je compris que l’Amour seul faisait agir les membres de l’Église, que si l’Amour venait à s’éteindre, les Apôtres n’annonceraient plus l’Évangile, les Martyrs refuseraient de verser leur sang. […] Je compris que l’Amour était tout ; qu’il embrassait tous les temps et tous les lieux […], en un mot qu’il est Éternel ! […] Oui j’ai trouvé ma place dans l’Église et cette place, ô mon Dieu, c’est vous qui me l’avez donnée. […] Dans le Cœur de l’Église, ma Mère, je serai l’Amour [12]. »
Les textes choisis dans ce bulletin ont pour but, chers tertiaires, de vous aider à approfondir cette doctrine, conformément au désir de Pie XII qui invitait « tous les hommes mus par l’Esprit de Dieu à en faire l’objet de leurs réflexions [13]. » Puissions-nous, par la contemplation vécue de ce dogme et la médiation du Cœur immaculé de Marie, hâter le règne universel du Christ Jésus dans les âmes et dans le monde !
† Je vous bénis.
Abbé L.-P. Dubrœucq †
Retraites carmélitaines
Retraites carmélitaines Retraites mixtes (hommes et dames),ouvertes principalement aux tertiaires du carmel mais aussi aux personnes intéressées par la spiritualité du carmel. Inscriptions auprès de M. l’abbé Dubroeucq au prieuré de Gastines tél : 02 41 74 12 78 Tél : au prieuré Saint Louis-Marie Grignon de Montfort, 49380 Faye d’Anjou ou au 06 16 80 63 17 |
- Ms B, 3v°, in Œuvres complètes, Cerf, 1997, p.226. [↩]
- Mystici Corporis, fin del’introduction.[↩]
- I Cor., X, 17.[↩]
- Jn 16,59. [↩]
- Vie, ch. XVII ; Chemin de perfection, ch. XXXII. [↩]
- Pie XII, Mystici Corporis, in Sources de la vie spirituelle, op. cit., p.435. [↩]
- I Cor., 3, 23. [↩]
- IIIa, q.8, a.1, c. [↩]
- Eph., 3, 9 ; Col., 1, 26.[↩]
- Eph.1, 22–23. [↩]
- Jn 15,1–5. [↩]
- Pie XII, Mystici Corporis, 29.06.1943, in P. Cattin, Sources de la vie spirituelle, Éd. St Paul, 1957, t. I, p.439, n°763. [↩]
- I Cor., XII, 14–27. [↩]