Donné à Saint-Malo par Monsieur l’abbé d’Orsanne
« Je vous répondrais qu’il n’est pas difficile non plus d’aimer le Bon Dieu, parce qu’il naturel d’aimer le Bien infini. Mais ce qui est difficile, c’est d’aimer Dieu convenablement, dans l’ordre, tout comme il n’est pas si simple d’aimer ses enfants convenablement, dans l’ordre. Aimer ses enfants dans l’ordre, qu’est-ce quec ela veut dire ? Cela veut dire tout d’abord qu’il est possible de les aimer de façon désordonnée : et ce n’est pas alors de l’amour, mais de la haine. »
Chers Parents,
Lorsque vous quittez vos enfants pour une période scolaire un peu longue, vous ne manquez pas de leur faire des recommandations pour qu’ils deviennent meilleurs, pour qu’ils ne perdent pas les grâces du Bon Dieu. Et vous faites bien. Ces recommandations, vous les faites parfois à nous mêmes, ce qui montre à quel point vous prenez l’éducation de vos enfants au sérieux. C’est bien aussi.
Permettez-moi alors, au moment de quitter ces enfants pour une période plus longue encore, de faire la même chose avec vous. Nous ressentons en effet la même préoccupation : dire en quelques mots l’essentiel, afin que les grâces du Bon Dieu ne soient pas perdues. Mon propos sera centré sur l’amour : l’amour de Dieu et l’amour des enfants.
Lorsque les juifs demandèrent à Notre-Seigneur quel était le commandement le plus important, il leur fut répondu ceci :
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. C’est là le plus grand et le premier commandement. »
On peut donc dire que toute la religion se résume dans l’amour de Dieu. Celui qui aime le Bon Dieu convenablement, celui-là est un bon catholique et même un saint. Hé bien, on peut dire de façon analogique que toute l’éducation se résume dans l’amour des enfants : de même que la religion se résume dans l’amour de Dieu, de même l’éducation se résume dans l’amour des enfants bien compris.
Celui qui aime ses enfants convenablement, celui-là est un bon père, une bonne mère de famille, un bon éducateur. Peut-être me direz-vous qu’il n’est pas difficile d’aimer ses enfants, parce que c’est naturel, et que celui qui n’aime pas ses enfants, ou même ceux des autres, est un dénaturé. Je vous répondrais qu’il n’est pas difficile non plus d’aimer le Bon Dieu, parce qu’il naturel d’aimer le Bien infini. Mais ce qui est difficile, c’est d’aimer Dieu convenablement, dans l’ordre, tout comme il n’est pas si simple d’aimer ses enfants convenablement, dans l’ordre. Aimer ses enfants dans l’ordre, qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire tout d’abord qu’il est possible de les aimer de façon désordonnée : et ce n’est pas alors de l’amour, mais de la haine.
Poursuivons le parallèle avec l’amour du Bon Dieu. Si nous aimons Dieu, ce n’est pas d’abord pour notre propre satisfaction, pour nous remplir les poches ou le ventre. C’est parce que Dieu est infiniment aimable, parce qu’il nous a créés et rachetés. Or certains catholiques raisonnent ainsi, et faussement :
« Si ça ne me sert à rien de prier et d’aller à la messe, alors j’arrête tout ».
Ceux-là veulent alors plutôt se servir de la religion au lieu de la servir. Ils n’aiment pas le Bon Dieu. De la même manière, si nous aimons les enfants, ce ne doit pas être pour en recevoir une certaine satisfaction, de la reconnaissance ou de l’affection (bien que la reconnaissance fasse partie de ce qu’on doit leur apprendre). Si nous les aimons, c’est pour les rendre meilleurs. La mission des parents, c’est d’élever leurs enfants. Alors bien sûr, nous aurons des satisfactions, tout comme nous aurons aussi des déceptions. Mais ce que nous devons chercher en premier, c’est le vrai bien, la sanctification des enfants. Je continue ma petite comparaison.
Notre-Seigneur nous dit :
« Ce ne sont pas ceux qui disent Seigneur ! Seigneur ! qui entreront dans le Royaume des Cieux, mais ceux qui font la volonté de mon Père qui est dans les Cieux ».
Il y a là une grande différence : nos rapports envers Dieu ne sont pas les mêmes que ceux envers les enfants. La Volonté de Dieu est quelque chose d’absolu, qui ne souffre aucune discussion.
Rappelez-vous cette histoire extraordinaire d’Abraham : le Bon Dieu lui demande tout d’un coup de sacrifier son fils Isaac. Voilà qui est invraisemblable : celui qui avait été désiré pendant des années, et obtenu par un miracle, voilà qu’il faut l’égorger. Abraham n’a pas hésité : il a obéi sans discuter, parce que c’était Dieu qui lui demandait, parce que la Volonté de Dieu c’est quelque chose de sacré, ça ne se discute pas. Le Bon Dieu me demande, je fais.
Hé bien, avec les enfants, c’est très différent, justement, parce que les enfants ne sont pas Dieu, ne sont pas des dieux. La volonté d’un enfant n’est pas un absolu. Là c’est une différence : si j’aime le Bon Dieu, je dois faire tout ce qu’il me commande parce que c’est certainement bon ; si j’aime mon enfant, je ne dois pas faire tout ce qu’il me demande, parce ce n’est pas certainement bon. Par conséquent, la meilleure preuve de mon amour de Dieu, c’est de lui dire toujours oui. Et la meilleure preuve de mon amour pour mes enfants, c’est de leur dire parfois non.
À l’inverse, la meilleure preuve de mon manque d’amour de Dieu, c’est de lui dire parfois non. Et la meilleure preuve de mon manque d’amour envers mes enfants, c’est de leur dire toujours oui. Chers parents, ayez le courage de dire non lorsque vos enfants vous demandent des choses mauvaises. Ce n’est pas un manque d’amour, au contraire ; ce n’est pas non plus une méfiance sur la pureté de leurs intentions. C’est de la lucidité sur leur faiblesse et sur la malice des choses mauvaises. Ne dites pas non uniquement quand cela vous ennuie de dire oui, mais uniquement quand ce n’est pas bon pour eux. Ne dites pas oui uniquement quand cela vous coûte de dire non, mais uniquement si c’est bon pour eux.
Après, il y a la manière de dire les choses. Mais si vous aimez vraiment vos enfants, vous saurez leur expliquer pourquoi. Quand on conduit une voiture, on fait des tas de gestes bizarres : qui paraissent bizarres à ceux qui ne savent pas conduire. Mais une fois qu’on a expliqué pourquoi on les fait, personne ne demande plus pourquoi on appuie sur cette pédale à tel moment et surtout pas sur la même à tel autre.
Pour l’obéissance, c’est pareil : on n’est pas tenu de tout expliquer, mais il faut que les enfants comprennent qu’on leur permet certaines choses pour qu’ils aillent droit, et qu’on leur refuse d’autres choses pour qu’ils n’aillent pas au fossé. Et qu’en agissant ainsi on les aime. Je voudrais maintenant m’adresser aux enfants.
Vous avez entendu, chers élèves, à quel point votre éducation nous tient à cœur, et aussi comme ce n’est pas facile pour vos parents, surtout lorsque vous atteignez un certain âge. Or, vous aimez vous aussi vos parents, et vous cherchez à les aimer bien, à les aimer droitement, et pas uniquement en raison des bienfaits qu’ils vous donnent. Je voudrais donc vous demander de leur faciliter la tâche, à propos des permissions. Vous savez très bien qu’il y a des occupations qui leur déplaisent, et si ça leur déplaît, c’est parce que ça vous fait du mal.
Alors n’insistez pas pour aller contre cette volonté.
Par exemple, si vos parents vous interdisent de vous gaver de films, ils font bien : ce sont de bons parents. Alors n’insistez pas pour voir tel ou tel film, dont ils ne se souviennent plus très bien s’il est bon ou pas. Si vous les sentez réticents, n’allez pas plus loin : vous savez très bien qu’il est pénible pour eux de vous dire non, et cependant qu’ils feraient un péché en vous disant oui. Vous les aimez ou pas ? Si vos parents vous demandent de ne pas rester toute une après-midi devant un écran d’ordinateur, ils font bien. Ce sont de bons parents qui savent ce qui est bon et mauvais pour vous.
Alors n’insistez pas ! Ils feraient même mal en vous laissant ainsi. Si vos parents vous demandent de ne pas toucher à Internet en leur absence, ils font leur devoir, ce sont de bons parents. S’ils vous interdisent une fréquentation qui vous paraît anodine, ou une lecture, attention ! N’insistez pas alors pour arracher une permission mauvaise qui les mettraient mal à l’aise devant le Bon Dieu. Et ne me dites pas que toutes les choses dont je viens de vous parler sont sans danger pour vous, même pour les adultes d’ailleurs. Et il y en a bien d’autres, mais ce sont des exemples.
Enfin, n’oublions pas de remercier le Bon Dieu au cours de cette Messe. C’est une Messe d’action de grâces pour tout ce que nous avons reçu pendant cette année scolaire. Que de grâces, que de bons moments aussi, dont il faut rendre grâces. Je terminerai par une prière. Je supplie le Bon Dieu et la Vierge Marie de rester avec vous, spécialement par votre prière, et particulièrement par la prière du Chapelet quotidien.
Les pèlerins d’Emmaüs disaient : Restez avec nous Seigneur !
Gardez à l’esprit cette présence de Dieu qui nous jugera, certes, mais aussi qui nous aime, et , si nous lui demandons, nous envoie tous les jours son secours par amour pour nous.
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.
Ainsi soit-il.
Abé Guillaume d’Orsanne †