Il suffit au disciple d’être comme son maître, et au serviteur comme son seigneur. (Jésus Christ en Mt 10)
Chers Amis du Combat de la Foi,
À partir de cette année, vous pourrez suivre une nouvelle retraite, intitulée Jésus notre modèle. Mais il ne s’agit pas que d’une retraite, car c’est pour tout chrétien et dans toute la vie que Jésus doit être le modèle. Qu’on en juge.
« Le Rédempteur ne se révèle à nous qui le suivons que pour nous ouvrir la voie et nous permettre de l’imiter. Regardons bien par où il passe et mettons nos pas dans les siens en l’imitant, car suivre Jésus, c’est l’imiter. Aussi le Seigneur recommande-t-il : Si quelqu’un veut être mon serviteur, qu’il me suive. » Cet enseignement de saint Grégoire le Grand (hom. 24, 5) n’est que l’application de celui de Jésus-Christ : « Je vous ai donné l’exemple afin que vous aussi fassiez comme j’ai fait. Sachant cela, bienheureux serez-vous si vous le faites. » (Jn 13, 15) Le même Jésus a fait comprendre à saint Paul de façon plus profonde encore : « Ayez en vous les mêmes sentiments qu’a eu le Christ Jésus. » (Ph 2, 5) Dans l’épître aux Romains, saint Paul enseigne que nous devons « devenir conformes à l’image du Fils de Dieu ».
Tous les auteurs spirituels l’affirment : Jésus est notre modèle. C’est pourquoi les premiers mots des Actes des Apôtres mettent ce que Jésus a pratiqué avant ce qu’il a enseigné, pour nous faire comprendre que nous n’aurons Jésus comme maître si nous ne l’avons d’abord comme modèle. Et les mêmes auteurs mettent en garde : beaucoup de chrétiens ont la foi, reçoivent l’enseignement de Jésus-Christ et en goûtent la beauté et la vérité, mais cela n’est rien, affirment-ils, si ces mêmes chrétiens n’imitent pas Notre Seigneur.
Ce danger est particulièrement grand pour les traditionalistes : face au monde sans foi, face aux chrétiens et même aux évêques et au pape modernistes et oecuménistes, ils sont le petit nombre des chrétiens vraiment fidèles. Cela leur suffit-il pour se sauver ? Certes non, si dans leur conduite ils n’imitent pas Jésus-Christ. Saint Grégoire le Grand dit que, dans ce cas, ils seraient semblables à l’homme de la parabole qui avait reçu un talent. Ce talent est unique, car il est élevé et puissant : c’est celui de l’intelligence qui se tourne vers les choses de Dieu. Les traditionalistes ont ce talent. Mais s’ils l’enfouissent dans la terre, c’est-à-dire dans la jouissance des choses d’ici-bas, ce talent précieux leur sera ôté, c’est-à-dire qu’ils perdront même le sens des choses de Dieu, comme on ne le voit que trop chez les chrétiens mondains. Et ce talent sera donné à celui qui en avait cinq. Les cinq talents représentent en effet les multiples occupations de la vie. Or, dit saint Grégoire, celui qui dans ces occupations a cherché à vivre vertueusement en suivant le Christ, double son avoir et reçoit en plus l’intelligence des choses de Dieu. (Homélie 9 sur Mt 25, 14–30)
C’est un grand souci pour les prêtres que de faire comprendre ces vérités élémentaires et humbles qui sont pourtant les plus élevées et les plus nécessaires.
Mgr Lefebvre avait prêché aux séminaristes d’Écône une série de conférences sur le mystère de Jésus et il expliquait que la vie chrétienne se ramène à Jésus tout simplement et qu’il n’existe rien en dehors de lui.
Voyons donc en quoi et comment imiter Jésus, cela nous permettra de voir les fruits qui en sortiront. Quant au premier point, nous devons imiter Jésus dans sa vie intérieure avec son Père, dans sa vie cachée, dans son comportement envers le prochain. Enfin, nous devons l’imiter en portant notre croix.
Imiter la vie intérieure de Jésus envers son Père
Jésus, en tant que Dieu, reçoit tout de son Père, mais ne l’adore pas, puisqu’il est son égal. Mais, en tant qu’homme, il adore son Père. Que serait une nature humaine qui ne rendrait pas au Père le premier hommage que doit toute créature au créateur, celui de l’adoration ? C’est même parce que, depuis le péché, l’homme ne pouvait plus rendre à Dieu cet agréable hommage que Jésus s’est incarné, pour qu’au moins un homme adore dignement son Père comme celui-ci le mérite. Il est donc bien le modèle et, si nous l’imitons, notre adoration, unie à la sienne, sera reçue elle aussi comme un encens d’agréable odeur.
Jésus était reconnaissant envers son Père de tout ce qu’il avait reçu de lui. Essayons de comprendre l’admiration de Jésus pour les œuvres du Père, pour sa propre Incarnation, pour la grâce, la beauté des âmes vertueuses, … Or, à combien plus forte raison devons-nous admirer les œuvres du Père, bien plus élevées au-dessus de notre pauvre nature humaine, faible et pécheresse, qu’au-dessus de la merveilleuse nature humaine de Jésus-Christ. C’est pourquoi il faut, comme Jésus, se retirer régulièrement du monde pour être aux affaires du Père. Telle est l’objet d’une retraite, et c’est la raison pour laquelle nous devons accorder chaque jour du temps à l’oraison.
Jésus était humble. Il ne parle de son Père qu’avec grand respect. « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, » proclame-t-il. Enfin, Jésus priait. L’Évangile nous le rapporte en plusieurs endroits. Il nous rapporte même le contenu détaillé de la prière de Jésus au jardin des oliviers. En priant, Jésus nous montre que toute nature humaine doit prier. Certes, Dieu le Père veut donner ses dons, et avec abondance, mais il veut aussi qu’on les lui demande. Ce n’est pas le lieu, ici, d’expliquer pourquoi, mais de constater que, puisque Jésus priait, nous devons prier nous aussi. Notre prière doit aussi imiter celle de Jésus dans son contenu et dans son mode. Dans son contenu : Jésus ne priait pas pour le monde, mais pour l’union des chrétiens à son Père et à lui, dans la même vie. Ces choses sont trop mystérieuses pour que nous puissions en prendre la mesure d’un coup et, pourtant, il est essentiel de les connaître, sans quoi nous demanderions autre chose que ce que Jésus demandait, et nous serions rejetés.
Imiter Jésus dans sa vie cachée
La vie cachée de Jésus est importante. S’il l’avait voulu, Dieu le Père aurait pu faire paraître son Fils à l’âge adulte sur la terre, comme il créa Adam à l’âge adulte. Or, il choisit au contraire de lui faire vivre durant trente ans une vie extérieurement tout ordinaire, tellement ordinaire que ses contemporains en parleront avec une pointe de mépris : « N’est-il pas le fils du charpentier ? » Ces trente ans sont-ils une simple attente du bon moment pour agir ? Non, ils sont un enseignement : avant de nous sauver par la Croix, Jésus nous enseigne comment vit un chrétien.
Tout d’abord l’obéissance : il était soumis à ses parents. Il n’a pas considéré sa dignité de Fils de Dieu, ni le fait qu’étant le Verbe, c’est lui qui a créé ses parents, qui leur donne la vie et tout le reste. Il a considéré que tout homme est soumis à d’autres hommes et, par conséquent, lui, l’homme parfait, a respecté l’ordre des choses et s’y est soumis.
Ah, si nous savions faire obéir les enfants pour ce seul motif : imiter Jésus ! Et si nous savions, nous aussi adultes, obéir à nos propres supérieurs pour le seul motif d’imiter Jésus !
Remarquons l’obéissance de Jésus même aux prêtres, même à Pilate : « Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné d’en-haut. » Il ne nie pas l’autorité de Pilate, il la reconnaît et il s’y soumet.
Pour revenir à la vie cachée de Jésus, il faut méditer sur ce qu’était son comportement à l’atelier. La tradition nous rapporte que saint Joseph mourut avant la vie publique de Jésus. À moins que ce ne fût la veille du départ de Jésus, il fallut bien que lui et Marie vécussent de leur travail. Jésus devint donc chef d’entreprise à la suite de son père nourricier. Il passa des commandes de bois, il se déplaça chez les clients pour prendre les cotes et pour poser l’ouvrage achevé. Il se fit payer par les client : comment utilisa-t-il cet argent qu’il recevait ? Eh bien, nous devons nous comporter comme il se comportait lui-même en toutes ces occasions.
Il ne nous a pas demandé de choses extraordinaires : traverser des déserts, manger des sauterelles et nous vêtir d’un cilice en poils de chameau, comme saint Jean Baptiste. C’est que la vie chrétienne ne consiste pas en ces choses qui ne sont que des moyens. Elle consiste à travailler sous le regard de Dieu, comme Jésus le faisait parfaitement. Comme le dit saint Pie X dans sa si belle prière à saint Joseph : « Accordez-moi de travailler en esprit de pénitence pour l’expiation de mes nombreux péchés ; de travailler en conscience, mettant le culte du devoir au-dessus de mes inclinations ; de travailler avec reconnaissance et joie, regardant comme un honneur d’employer et de développer par le travail les dons reçus de Dieu ; de travailler avec ordre, paix, modération et patience, sans jamais reculer devant la lassitude et les difficultés ; de travailler surtout avec pureté d’intention et avec détachement de moi-même ayant sans cesse devant les yeux la mort et le compte que je devrai rendre du temps perdu, des talents inutilisés, du bien omis et des vaines complaisances dans le succès, si funeste à l’œuvre de Dieu. »
Il faut également prendre modèle sur la chasteté de Jésus. Toute la sainte Famille vit dans la virginité. Cela ne se justifie pas seulement par le grand respect dû à la divinité de Jésus. Il y a là aussi un modèle de toute vie chrétienne. Et qu’on ne dise pas que ce modèle de virginité ne concerne pas les gens mariés. Un Père de l’Église fait remarquer qu’Abraham fut plus chaste en engendrant que beaucoup de saints ayant conservé la virginité. C’est qu’Abraham était, par la foi, très proche du Christ et qu’il l’imita avec une grande perfection.
Il y a là un programme que nous ne sommes pas prêts d’avoir achevé et je ne connais pas un homme qui puisse dire qu’il imite parfaitement Jésus-Christ dans sa vie cachée et ne s’écarte en rien des vertus que mit Jésus en œuvre et dont il nous montre l’exemple.
Imiter Jésus dans son comportement avec les hommes
Comment Jésus parle-t-il à la Samaritaine de façon à élever son âme sans la froisser ? Comment tient-il compte des secrets désirs de Zachée pour se mettre à sa portée : « Zachée, descend de ton arbre, je m’invite chez toi ».
Il est attentif à emmener ses apôtres à l’écart se reposer (Marc 6, 31). S’il parle avec une certaine rudesse à saint Pierre « Arrière, Satan ! » c’est parce que celui-ci voulait le détourner de la Passion que Jésus venait d’annoncer, mais quelle douceur envers Judas au moment où celui-ci le trahit ! « Judas, mon ami », lui dit-il.
Il a pitié des gens, il est ému de compassion : « Ému de compassion, Jésus toucha leurs yeux, et aussitôt ils recouvrèrent la vue, et ils le suivirent. (Mt 20) Le Seigneur l’ayant vue, fut touché de compassion pour elle, et il lui dit : « Ne pleurez pas. » (Lc 7) » Les exemples sont innombrables, tous les livres de la terre ne pourraient suffire à les contenir.
Il ne se contente pas d’être bon, il prend sur soi les misères des hommes : « Le soir venu, on lui amena quantité de démoniaques, et il chassa d’un mot les esprits et il guérit tous les malades, afin que fût accompli ce qui a été dit par le prophète Isaïe : il a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies. » (Mt 8, 16)
Si, en toutes ces occasions, le comportement de Jésus est parfait, il n’a rien d’extravagant et n’est rien d’autre que ce que devrait être le comportement de tout homme. La leçon mérite d’être méditée, car elle n’est pas naturelle à notre pauvre nature blessée. Mais qui pourra nier qu’il n’y a pas d’autre modèle à lui offrir pour la restaurer ? Il faut donc l’affirmer : la nature humaine ne peut être restaurée qu’en imitant son divin modèle, c’est pourquoi il faut constamment l’avoir sous les yeux et faire régulièrement son examen de conscience pour voir comment on le suit.
Imiter Jésus dans sa Passion et sur la Croix
C’est là le grand mystère, celui qui ne se comprend que lorsqu’on a commencé par en vivre, mais qui, alors, illumine tout : « Je suis la lumière du monde. Celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie. » Rappelons-nous une fois de plus que suivre Jésus, c’est l’imiter. Or, voici comment Jésus nous demande de le suivre :
« Si quelqu’un veut me suivre, qu’il porte sa croix chaque jour et qu’il me suive » (Lc 9, 23), ce qui signifie qu’il ne s’agit pas de porter sa croix dans les quelques occasions de maladie, de deuil et lourdes épreuves. Non. Il faut trouver le moyen de la porter chaque jour, et cela se fait par le renoncement : « si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renonce à soi-même, qu’il porte sa croix et me suive ». Saint Ignace, dans la méditation des deux étendards, montre que les deux premiers renoncements que Jésus demande sont, comme pour lui, la pauvreté et l’amour des opprobres. Quant à la pauvreté, le monde moderne l’a bien compris, puisqu’il fait tout pour noyer les hommes sous une avalanche de biens matériels. Et quant aux opprobres, les traditionalistes sont servis : moqués comme leur maître, mal vus, rejetés comme lui dans la vie sociale et même dans la vie familiale, parce que chrétiens, traditionalistes ou « intégristes », naïfs, pas comme tout le monde, …Plutôt que de rejeter ces opprobres et de chercher à y échapper, il faut y voir une plus parfaite imitation de Jésus-Christ. Il nous faut en être fiers comme du trophée de nos combats.
Imiter Jésus en étant soi-même un exemple
« On n’allume pas la lumière pour la mettre sous le boisseau, mais sur le lampadaire pour qu’elle éclaire tous ceux de la maison. Ainsi, que votre lumière brille devant les hommes pour que, voyant vos bonnes œuvres, ils glorifient votre Père qui est dans les Cieux. » (Mt 5)
Tous les saints ont imité Jésus et, à cause de cela, en les imitant on imite à son tour Jésus. Il doit en être de même pour nous envers ceux avec lesquels nous vivons, plus particulièrement ceux que nous avons la charge de conduire : les parents doivent se rendre imitables par les enfants, les prêtres par leurs fidèles, tout chrétien par son prochain. Sinon, nous sommes « du sel qui ne sale pas et qui est bon à être jeté dehors et foulé par les passants. Inutile et pour la terre et pour le fumier, on le jette dehors. Qui a des oreilles pour entendre entende ! » (Mt 5, Lc 14)
Imiter Jésus dans sa vie extérieure ?
« Regnum Dei intra vos est, le Royaume de Dieu est au-dedans de vous. » Cela signifie qu’il n’est pas nécessaire de se faire charpentier pour imiter Jésus, ce qui compte, c’est d’imiter ses vertus et son comportement. De même il n’est pas nécessaire de porter physiquement une croix de bois pour porter sa croix mais, comme Jésus nous le dit, de nous renoncer à nous-mêmes. Il n’est pas nécessaire de nous rendre en Palestine, car le lieu où nous devons imiter Jésus Christ, c’est celui où la Providence nous a mis.
Au pied de la Croix se tenaient Marie, la sainte par excellence ; Marie-Madeleine, la pénitente ; saint Jean, l’apôtre qui parcourra le monde ; et une simple femme, Marie de Cléophas. Tous ces quatre imitaient Jésus puisqu’ils l’avaient suivi jusqu’au Calvaire. Certes, ils n’étaient pas sur la croix, comme lui, mais leur imitation était cependant bien réelle : ils s’offraient comme lui à Dieu le Père, ils souffraient comme lui intérieurement et pour les mêmes motifs. Ce n’est donc pas tel ou tel état qui donne la ressemblance à Jésus, mais la croix qu’on porte dans cet état.
D’où la nécessité de bien réfléchir pour bien décider : les meilleures actions, les meilleures situations, ce sont celles qui nous permettent, à nous, pas aux autres, de mieux imiter Jésus-Christ.
C’est après une réelle imitation de Jésus que les fruits commenceront à mûrir et à porter de la graine. Voyons ce qu’il en est.
Les fruits de l’imitation de Jésus
Le premier fruit de l’imitation de Jésus-Christ, c’est la joie de lui ressembler et de le suivre. Le deuxième, c’est le Ciel. Le troisième c’est la restauration de notre nature blessée, et le quatrième, c’est la restauration de la société chrétienne.
Il est nécessaire d’insister un peu sur ce quatrième point. La situation de la société est telle qu’on pourrait facilement s’affoler et, tout en pensant bien faire, oublier qu’il y a un modèle de restauration et un seul : Jésus. Cela vaut pour la société comme pour les individus : « Omnia instaurare in Christo, tout restaurer dans le Christ », enseigne l’épître aux Éphésiens. Or, ne nous y trompons pas, il ne s’agit pas de mettre Jésus à la tête de ce monde comme on établit un roi constitutionnel sur une démocratie, il s’agit d’un changement intérieur, profond, de la société, dans son âme pourrait-on dire. Or, s’agissant de l’âme, non seulement Jésus est le seul modèle dans sa personne, mais la méthode qu’il employa pour sauver le monde est elle aussi l’unique modèle que tout restaurateur doit suivre, sous peine de bâtir sur le sable.
Cette méthode est simple : d’abord l’exemple dans la discrétion de la vie cachée, puis l’enseignement, enfin la croix. Tout programme politique qui ne se calque pas sur ce modèle d’action apostolique ne peut être que du vent. Certes, cela suppose de la patience, mais surtout une grande foi. Le manque de foi, non pas en Jésus, mais en sa méthode, est certainement ce qui est le plus notable depuis la seconde guerre mondiale, ce qui a causé le découragement du clergé avant le concile et qui explique le mieux les nouveautés du concile pour prétendre christianiser la société autrement que Jésus ne l’avait fait. À nous de ne pas reproduire les mêmes erreurs et d’être certains que la vie chrétienne et la croix sont des ferments de restauration bien plus puissants que l’agitation humaine.
Abbé François PIVERT
Extrait du combat de la foi n° 160 – Pour vous abonner voir ci-dessous.