Editorial d’octobre 2010 : La Pentecôte – Abbé Patrick Troadec

Monseigneur Lefebvre a été membre et même Supérieur Général de la congré­ga­tion des Pères du Saint-​Esprit. En fon­dant la Fraternité Saint-​Pie X, il a légué à ses membres sa dévo­tion à l’Esprit-Saint.

Ceux qui l’ont connu durant les der­nières années de sa vie ont pu admi­rer sa doci­li­té à l’action du Saint-​Esprit. Ils ont per­çu en lui notam­ment l’effet du don de pié­té, en voyant avec quelle sim­pli­ci­té et quelle onc­tion il leur par­lait de Dieu. Ils ont vu en lui à l’oeuvre le don de conseil dans une déci­sion aus­si déli­cate que celle des sacres de juin 1988. Ils ont per­çu éga­le­ment le don de force dans sa résis­tance aux erreurs modernes devant les membres de la hié­rar­chie de l’Église, mal­gré les quo­li­bets et les sanc­tions qui en découlaient.

Pour que les sémi­na­ristes soient à leur tour fidèles à leur sublime voca­tion, ils ont besoin plus que qui­conque du secours de l’Esprit-Saint. Aussi, puissions- nous en ce mois d’octobre implo­rer pour eux les grâces de l’Esprit-Saint en réci­tant notre rosaire, notam­ment lors de la médi­ta­tion du troi­sième mys­tère glorieux.

Dans son dis­cours après la Cène, Notre-​Seigneur dit à ses Apôtres : « L’Esprit-Saint que le Père vous enver­ra en mon nom vous ensei­gne­ra toutes choses » (Jn 14, 27). Il dit encore : « Le Père vous don­ne­ra le Saint-​Esprit pour qu’il demeure en vous » (Jn 14, 16). Notre-​Seigneur annonce dans l’envoi du Saint- Esprit un don non pas pas­sa­ger, fugi­tif, tran­si­toire, mais durable, per­ma­nent, d’où le terme de demeure. Demeurer, c’est vivre, res­ter, habi­ter. Notre-​Seigneur, une fois remon­té au Ciel, a com­mu­ni­qué avec son Père l’Esprit-Saint aux Apôtres et à tra­vers eux au monde.

La mission de l’Esprit-Saint

Dieu le Père n’envoie pas le Saint-​Esprit en l’homme comme un capi­taine envoie un sol­dat pour accom­plir telle mis­sion. En effet, il n’y a pas d’infériorité dans les trois Personnes divines : elles sont par­fai­te­ment égales entre elles. L’envoi d’une Personne divine par une autre désigne sim­ple­ment la prio­ri­té d’origine. On dit du Père engen­drant son Fils qu’il envoie son Fils. De même, le Saint-​Esprit pro­cé­dant du Père et du Fils, on dit que le Saint-​Esprit est envoyé par le Père et le Fils.

L’envoi du Saint-​Esprit n’implique donc pas une infé­rio­ri­té du Saint-​Esprit par rap­port au Père et au Fils. Il n’implique pas davan­tage une anté­rio­ri­té du Père et du Fils par rap­port à lui, puisque c’est de toute éter­ni­té qu’il pro­cède du Père et du Fils.

L’envoi du Saint-​Esprit en l’homme ne veut pas dire non plus que le Saint- Esprit se déplace puisqu’il est par­tout, ni qu’il se sépare du Père et du Fils, puisque de toute éter­ni­té les trois Personnes divines sont insé­pa­rables. Cela veut dire que le Saint-​Esprit se rend pré­sent dans l’âme humaine d’une façon plus intime.

Quand deux amis se parlent et se disent leur affec­tion mutuelle, c’est pour eux le plus haut degré de pré­sence réci­proque. Or c’est bien ce que fait le Saint-​Esprit en l’homme. Et pour cela, il l’élève au préa­lable à son niveau. En effet, il ne peut pas y avoir d’amitié entre des êtres de nature dif­fé­rente, comme entre un homme et une fleur. Aussi pour nouer avec l’homme un com­merce d’amitié, Dieu l’a éle­vé à l’ordre sur­na­tu­rel, lui per­met­tant de le connaître et de l’aimer comme il se connaît et comme il s’aime.

La transformation opérée au baptême

La trans­for­ma­tion mer­veilleuse de l’âme humaine a lieu par le bap­tême. A ce moment-​là l’homme reçoit la grâce sanc­ti­fiante, qui est une par­ti­ci­pa­tion à la vie même de Dieu, et il reçoit l’Esprit- Saint. Dès lors, Dieu ne se contente pas d’être dans son âme comme un bijou inerte dans son écrin. Il fait bien plus, il agit en elle. Le Saint-​Esprit sanc­ti­fie l’âme par la grâce sanc­ti­fiante, et cette grâce est en l’âme un prin­cipe de vie. Le Saint-​Esprit met dans son intel­li­gence la lumière de la foi, qui est un rayon de la lumière dans laquelle Dieu se connaît lui-​même. Il met dans sa volon­té la cha­ri­té sur­na­tu­relle pour lui per­mettre d’aimer Dieu comme il s’aime. Ainsi, par la grâce, il y a dans l’âme une nou­velle pré­sence de Dieu, la pré­sence de la Sainte Trinité connue et aimée sur­na­tu­rel­le­ment, car le Saint-​Esprit n’est pas seul dans l’âme du juste, il est accom­pa­gné du Père et du Fils.

La mis­sion ou l’envoi du Saint-​Esprit en l’homme, c’est cela : Dieu, déjà pré­sent en lui comme en toute créa­ture, se rend pré­sent en lui au moment du bap­tême sous un autre mode, lui per­met­tant de le connaître et de l’aimer sur­na­tu­rel­le­ment. La Sainte Trinité ne s’est pas dépla­cée. Le Saint-​Esprit ne s’est pas dépla­cé. Les trois Personnes se sont ren­dues pré­sentes dans l’âme d’une manière nou­velle, en se fai­sant connaître et aimer d’une manière sur­na­tu­relle. Cette mis­sion invi­sible du Saint-​Esprit est appe­lée à se renou­ve­ler. Tout accrois­se­ment de fer­veur dans l’âme est le fruit d’une nou­velle mis­sion du Saint-​Esprit en elle. Il ne tient qu’à l’homme d’être récep­tif à cette pré­sence de l’Esprit-Saint, afin de la rendre plus active, plus agis­sante, plus opérante.

L’homme en tant que bap­ti­sé a la pos­si­bi­li­té et la voca­tion d’agir non seule­ment comme homme rai­son­nable, ce qui est déjà bien, mais comme enfant de Dieu, selon ces paroles de saint Paul : « Ceux-​là sont vrai­ment enfants de Dieu qui se laissent conduire par son Esprit » (Rm 8, 14). Agir en enfant de Dieu, pour saint Paul, c’est se lais­ser mou­voir, c’est se lais­ser gui­der par l’Esprit- Saint.

Fontaine vivante

L’action du Saint-​Esprit dans l’âme est sym­bo­li­sée par des signes sen­sibles. Dans le Veni Creator, le Saint-​Esprit est appe­lé fons vivus, « fon­taine vivante ». Le Saint-​Esprit jaillit dans l’âme du bap­ti­sé comme une fon­taine vivante, lorsque l’eau coule sur son front.

L’eau sym­bo­lise la vie. Un trait de la Sainte Écriture le montre. Lorsque les Hébreux étaient au désert, ils se sont retrou­vés sans eau, et leur soif était si ardente qu’ils s’en sont pris à Moïse, leur chef. Devant leur plainte et leur mur­mure, Moïse s’est mis en prière et a fait jaillir d’un rocher une eau mira­cu­leuse en telle abon­dance que tous les Hébreux ont pu boire à satié­té. Cette eau leur a sau­vé la vie.

Saint Jean rap­porte à son tour dans son Évangile qu’un jour, Notre-​Seigneur, fati­gué par un long voyage, s’assit sur la mar­gelle du puits de Jacob. Et là il deman­da à boire à la Samaritaine qui venait y pui­ser de l’eau, puis il lui pro­mit bien­tôt une eau aux pro­prié­tés extroar­di­naires. Or saint Thomas d’Aquin affirme que cette eau dési­gnait l’Esprit-Saint.

Lors du bap­tême de Notre-​Seigneur au Jourdain, le Saint-​Esprit n’est-il pas des­cen­du sur lui sous la forme d’une colombe, mani­fes­tant osten­si­ble­ment le lien entre l’eau du bap­tême et la venue de l’Esprit-Saint ?

Ce que l’eau natu­relle pro­duit sur le corps, le Saint-​Esprit le pro­duit dans l’âme. L’eau a prin­ci­pa­le­ment deux fonc­tions, celle de puri­fier et celle de désal­té­rer. Or la grâce sanc­ti­fiante puri­fie l’âme. Elle a un rôle médi­ci­nal. Elle gué­rit les affec­tions déré­glées, elle rafraî­chit l’âme des ardeurs de la ten­ta­tion. De plus la grâce sanc­ti­fiante désal­tère, elle étanche la soif de ce qui est ter­restre. Notre-​Seigneur l’a dit à la Samaritaine : « Celui qui boi­ra de l’eau que je lui don­ne­rai n’aura plus jamais soif » (Jn 4, 13). La soif d’aimer et d’être aimé est peu à peu assou­vie par le contact vivi­fiant et toni­fiant du Saint-​Esprit. Ainsi c’est à bon droit que le Saint-​Esprit est appe­lé source de vie, fon­taine vivante.

Le feu du Saint-Esprit

Une autre appel­la­tion pour dési­gner l’Esprit-Saint est celle de feu. Le Saint- Esprit est appe­lé du nom de feu dans la même prière du Veni Creator. N’est-il pas appa­ru sous forme de langues de feu au jour de la Pentecôte ? Pourquoi le feu ? Le feu consume, brûle, détruit ce qu’il ren­contre, mais le feu éclaire, réchauffe, embrase éga­le­ment. Or ces pro­prié­tés du feu se retrouvent au plan spi­ri­tuel par l’action du Saint-​Esprit dans l’âme des justes. On voit ici à nou­veau l’action de puri­fi­ca­tion et d’illumination.

De quelle manière le Saint-​Esprit purifie-​t-​il, éclaire-​t-​il, fortifie-​t-​il les âmes ? Il agit en elles par sa seule pré­sence. La pré­sence du Saint-​Esprit ou plus pré­ci­sé­ment de la Sainte Trinité dans l’âme est source de sain­te­té, elle est por­teuse de grâces.

Les dons du Saint-Esprit

Par ailleurs, au-​delà de son action directe sur l’âme, le Saint-​Esprit enno­blit éga­le­ment les facul­tés de l’homme : il éclaire l’intelligence, for­ti­fie la volon­té, cana­lise la sen­si­bi­li­té. Et il agit spé­cia­le­ment par ses dons. Les dons du Saint- Esprit sont des dis­po­si­tions habi­tuelles qui rendent l’âme capable de rece­voir les ins­pi­ra­tions du Saint-​Esprit. Le Saint-​Esprit incite l’âme à avan­cer vers Dieu, et ses dons sont comme des radars qui lui per­mettent de repé­rer, de rece­voir, de cap­ter ses inspirations.

Par exemple, il peut arri­ver qu’un jeune homme équi­li­bré ayant tous les signes de voca­tion n’arrive pas à tran­cher la ques­tion. Et voi­ci que tout à coup, il a une grande cer­ti­tude d’être appe­lé par Dieu. Cette convic­tion lui donne une grande paix dans l’âme et lui com­mu­nique la force de sur­mon­ter tous les obs­tacles pour entrer au sémi­naire. C’est là un effet du don de conseil. Une autre per­sonne qui connaît très bien tel pas­sage de l’Évangile sans en être par­ti­cu­liè­re­ment tou­chée est un jour frap­pée en l’entendant. C’est le don d’intelligence qui vient de l’éclairer. C’est ain­si que le véné­rable Père Chevrier a été ému en enten­dant le prêtre dire dans le der­nier Évangile de la messe : « Et le Verbe s’est fait chair ». Prenant conscience du pro­fond anéan­tis­se­ment de la deuxième Personne de la Sainte Trinité dans le mys­tère de l’Incarnation, il décide sur-​le-​champ de tout quit­ter pour se don­ner à Notre- Seigneur. C’était là le fruit du don d’intelligence.

Ainsi, en rai­son de l’imperfection de nos ver­tus même sur­na­tu­relles, nous avons besoin des dons du Saint-​Esprit pour faire face à toutes nos obligations.

Les sept voiles de notre bateau

Saint Thomas d’Aquin com­pare les dons du Saint-​Esprit aux voiles d’un bateau. De même qu’un bateau, au moyen des voiles, peut être pous­sé par le vent, ain­si notre âme, grâce aux dons, a la capa­ci­té d’être gui­dée par l’Esprit- Saint. Si le marin tend les voiles quand il monte sur son bateau, c’est pour être por­té par le vent.

De même, si Dieu nous a com­mu­ni­qué dès le bap­tême, et plus encore à la confir­ma­tion et à la Pentecôte, les dons du Saint-​Esprit, c’est parce qu’il veut que nous avan­cions non seule­ment par l’exercice des ver­tus, mais encore par le secours de son Esprit-Saint.

Ce serait une erreur de croire que les dons du Saint-​Esprit n’agiraient que chez les saints. Dans le plan de Dieu, si tous les fidèles en état de grâce sont en pos­ses­sion des dons du Saint-​Esprit, c’est parce que ses dons sont néces­saires à notre sanctification.

Mais leur effi­ca­ci­té en notre âme dépend de notre récep­ti­vi­té. Si les dons du Saint-​Esprit sont les voiles de l’âme, nous pou­vons, hélas ! les lais­ser repliées. Elles peuvent res­ter bais­sées par notre égoïsme, par notre amour propre, par l’attache déré­glée de nous-​mêmes ou envers d’autres créatures.

Il ne tient qu’à nous de les déployer en met­tant le bon Dieu au cœur de notre vie. Laissons le Saint-​Esprit enva­hir nos âmes pour qu’il les puri­fie et les sanc­ti­fie. Vivons dans son inti­mi­té afin de com­bler son attente et de répondre à ses des­seins sur nous.

Que la très sainte Vierge, qui a été si docile au Saint-​Esprit durant sa vie, nous com­mu­nique la même dévo­tion envers le Saint-​Esprit, notam­ment durant la réci­ta­tion de notre rosaire, afin que nous puis­sions entrer tou­jours davan­tage dans l’intimité des trois Personnes divines et que nous méri­tions de les contem­pler dans l’éternité bienheureuse.

Abbé Patrick Troadec, Directeur,
le 2 octobre 2010, en la fête des Saints Anges Gardiens

Extrait de la LAB n° 72 d’oc­tobre 2010