Monseigneur Lefebvre a été membre et même Supérieur Général de la congrégation des Pères du Saint-Esprit. En fondant la Fraternité Saint-Pie X, il a légué à ses membres sa dévotion à l’Esprit-Saint.
Ceux qui l’ont connu durant les dernières années de sa vie ont pu admirer sa docilité à l’action du Saint-Esprit. Ils ont perçu en lui notamment l’effet du don de piété, en voyant avec quelle simplicité et quelle onction il leur parlait de Dieu. Ils ont vu en lui à l’oeuvre le don de conseil dans une décision aussi délicate que celle des sacres de juin 1988. Ils ont perçu également le don de force dans sa résistance aux erreurs modernes devant les membres de la hiérarchie de l’Église, malgré les quolibets et les sanctions qui en découlaient.
Pour que les séminaristes soient à leur tour fidèles à leur sublime vocation, ils ont besoin plus que quiconque du secours de l’Esprit-Saint. Aussi, puissions- nous en ce mois d’octobre implorer pour eux les grâces de l’Esprit-Saint en récitant notre rosaire, notamment lors de la méditation du troisième mystère glorieux.
Dans son discours après la Cène, Notre-Seigneur dit à ses Apôtres : « L’Esprit-Saint que le Père vous enverra en mon nom vous enseignera toutes choses » (Jn 14, 27). Il dit encore : « Le Père vous donnera le Saint-Esprit pour qu’il demeure en vous » (Jn 14, 16). Notre-Seigneur annonce dans l’envoi du Saint- Esprit un don non pas passager, fugitif, transitoire, mais durable, permanent, d’où le terme de demeure. Demeurer, c’est vivre, rester, habiter. Notre-Seigneur, une fois remonté au Ciel, a communiqué avec son Père l’Esprit-Saint aux Apôtres et à travers eux au monde.
La mission de l’Esprit-Saint
Dieu le Père n’envoie pas le Saint-Esprit en l’homme comme un capitaine envoie un soldat pour accomplir telle mission. En effet, il n’y a pas d’infériorité dans les trois Personnes divines : elles sont parfaitement égales entre elles. L’envoi d’une Personne divine par une autre désigne simplement la priorité d’origine. On dit du Père engendrant son Fils qu’il envoie son Fils. De même, le Saint-Esprit procédant du Père et du Fils, on dit que le Saint-Esprit est envoyé par le Père et le Fils.
L’envoi du Saint-Esprit n’implique donc pas une infériorité du Saint-Esprit par rapport au Père et au Fils. Il n’implique pas davantage une antériorité du Père et du Fils par rapport à lui, puisque c’est de toute éternité qu’il procède du Père et du Fils.
L’envoi du Saint-Esprit en l’homme ne veut pas dire non plus que le Saint- Esprit se déplace puisqu’il est partout, ni qu’il se sépare du Père et du Fils, puisque de toute éternité les trois Personnes divines sont inséparables. Cela veut dire que le Saint-Esprit se rend présent dans l’âme humaine d’une façon plus intime.
Quand deux amis se parlent et se disent leur affection mutuelle, c’est pour eux le plus haut degré de présence réciproque. Or c’est bien ce que fait le Saint-Esprit en l’homme. Et pour cela, il l’élève au préalable à son niveau. En effet, il ne peut pas y avoir d’amitié entre des êtres de nature différente, comme entre un homme et une fleur. Aussi pour nouer avec l’homme un commerce d’amitié, Dieu l’a élevé à l’ordre surnaturel, lui permettant de le connaître et de l’aimer comme il se connaît et comme il s’aime.
La transformation opérée au baptême
La transformation merveilleuse de l’âme humaine a lieu par le baptême. A ce moment-là l’homme reçoit la grâce sanctifiante, qui est une participation à la vie même de Dieu, et il reçoit l’Esprit- Saint. Dès lors, Dieu ne se contente pas d’être dans son âme comme un bijou inerte dans son écrin. Il fait bien plus, il agit en elle. Le Saint-Esprit sanctifie l’âme par la grâce sanctifiante, et cette grâce est en l’âme un principe de vie. Le Saint-Esprit met dans son intelligence la lumière de la foi, qui est un rayon de la lumière dans laquelle Dieu se connaît lui-même. Il met dans sa volonté la charité surnaturelle pour lui permettre d’aimer Dieu comme il s’aime. Ainsi, par la grâce, il y a dans l’âme une nouvelle présence de Dieu, la présence de la Sainte Trinité connue et aimée surnaturellement, car le Saint-Esprit n’est pas seul dans l’âme du juste, il est accompagné du Père et du Fils.
La mission ou l’envoi du Saint-Esprit en l’homme, c’est cela : Dieu, déjà présent en lui comme en toute créature, se rend présent en lui au moment du baptême sous un autre mode, lui permettant de le connaître et de l’aimer surnaturellement. La Sainte Trinité ne s’est pas déplacée. Le Saint-Esprit ne s’est pas déplacé. Les trois Personnes se sont rendues présentes dans l’âme d’une manière nouvelle, en se faisant connaître et aimer d’une manière surnaturelle. Cette mission invisible du Saint-Esprit est appelée à se renouveler. Tout accroissement de ferveur dans l’âme est le fruit d’une nouvelle mission du Saint-Esprit en elle. Il ne tient qu’à l’homme d’être réceptif à cette présence de l’Esprit-Saint, afin de la rendre plus active, plus agissante, plus opérante.
L’homme en tant que baptisé a la possibilité et la vocation d’agir non seulement comme homme raisonnable, ce qui est déjà bien, mais comme enfant de Dieu, selon ces paroles de saint Paul : « Ceux-là sont vraiment enfants de Dieu qui se laissent conduire par son Esprit » (Rm 8, 14). Agir en enfant de Dieu, pour saint Paul, c’est se laisser mouvoir, c’est se laisser guider par l’Esprit- Saint.
Fontaine vivante
L’action du Saint-Esprit dans l’âme est symbolisée par des signes sensibles. Dans le Veni Creator, le Saint-Esprit est appelé fons vivus, « fontaine vivante ». Le Saint-Esprit jaillit dans l’âme du baptisé comme une fontaine vivante, lorsque l’eau coule sur son front.
L’eau symbolise la vie. Un trait de la Sainte Écriture le montre. Lorsque les Hébreux étaient au désert, ils se sont retrouvés sans eau, et leur soif était si ardente qu’ils s’en sont pris à Moïse, leur chef. Devant leur plainte et leur murmure, Moïse s’est mis en prière et a fait jaillir d’un rocher une eau miraculeuse en telle abondance que tous les Hébreux ont pu boire à satiété. Cette eau leur a sauvé la vie.
Saint Jean rapporte à son tour dans son Évangile qu’un jour, Notre-Seigneur, fatigué par un long voyage, s’assit sur la margelle du puits de Jacob. Et là il demanda à boire à la Samaritaine qui venait y puiser de l’eau, puis il lui promit bientôt une eau aux propriétés extroardinaires. Or saint Thomas d’Aquin affirme que cette eau désignait l’Esprit-Saint.
Lors du baptême de Notre-Seigneur au Jourdain, le Saint-Esprit n’est-il pas descendu sur lui sous la forme d’une colombe, manifestant ostensiblement le lien entre l’eau du baptême et la venue de l’Esprit-Saint ?
Ce que l’eau naturelle produit sur le corps, le Saint-Esprit le produit dans l’âme. L’eau a principalement deux fonctions, celle de purifier et celle de désaltérer. Or la grâce sanctifiante purifie l’âme. Elle a un rôle médicinal. Elle guérit les affections déréglées, elle rafraîchit l’âme des ardeurs de la tentation. De plus la grâce sanctifiante désaltère, elle étanche la soif de ce qui est terrestre. Notre-Seigneur l’a dit à la Samaritaine : « Celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif » (Jn 4, 13). La soif d’aimer et d’être aimé est peu à peu assouvie par le contact vivifiant et tonifiant du Saint-Esprit. Ainsi c’est à bon droit que le Saint-Esprit est appelé source de vie, fontaine vivante.
Le feu du Saint-Esprit
Une autre appellation pour désigner l’Esprit-Saint est celle de feu. Le Saint- Esprit est appelé du nom de feu dans la même prière du Veni Creator. N’est-il pas apparu sous forme de langues de feu au jour de la Pentecôte ? Pourquoi le feu ? Le feu consume, brûle, détruit ce qu’il rencontre, mais le feu éclaire, réchauffe, embrase également. Or ces propriétés du feu se retrouvent au plan spirituel par l’action du Saint-Esprit dans l’âme des justes. On voit ici à nouveau l’action de purification et d’illumination.
De quelle manière le Saint-Esprit purifie-t-il, éclaire-t-il, fortifie-t-il les âmes ? Il agit en elles par sa seule présence. La présence du Saint-Esprit ou plus précisément de la Sainte Trinité dans l’âme est source de sainteté, elle est porteuse de grâces.
Les dons du Saint-Esprit
Par ailleurs, au-delà de son action directe sur l’âme, le Saint-Esprit ennoblit également les facultés de l’homme : il éclaire l’intelligence, fortifie la volonté, canalise la sensibilité. Et il agit spécialement par ses dons. Les dons du Saint- Esprit sont des dispositions habituelles qui rendent l’âme capable de recevoir les inspirations du Saint-Esprit. Le Saint-Esprit incite l’âme à avancer vers Dieu, et ses dons sont comme des radars qui lui permettent de repérer, de recevoir, de capter ses inspirations.
Par exemple, il peut arriver qu’un jeune homme équilibré ayant tous les signes de vocation n’arrive pas à trancher la question. Et voici que tout à coup, il a une grande certitude d’être appelé par Dieu. Cette conviction lui donne une grande paix dans l’âme et lui communique la force de surmonter tous les obstacles pour entrer au séminaire. C’est là un effet du don de conseil. Une autre personne qui connaît très bien tel passage de l’Évangile sans en être particulièrement touchée est un jour frappée en l’entendant. C’est le don d’intelligence qui vient de l’éclairer. C’est ainsi que le vénérable Père Chevrier a été ému en entendant le prêtre dire dans le dernier Évangile de la messe : « Et le Verbe s’est fait chair ». Prenant conscience du profond anéantissement de la deuxième Personne de la Sainte Trinité dans le mystère de l’Incarnation, il décide sur-le-champ de tout quitter pour se donner à Notre- Seigneur. C’était là le fruit du don d’intelligence.
Ainsi, en raison de l’imperfection de nos vertus même surnaturelles, nous avons besoin des dons du Saint-Esprit pour faire face à toutes nos obligations.
Les sept voiles de notre bateau
Saint Thomas d’Aquin compare les dons du Saint-Esprit aux voiles d’un bateau. De même qu’un bateau, au moyen des voiles, peut être poussé par le vent, ainsi notre âme, grâce aux dons, a la capacité d’être guidée par l’Esprit- Saint. Si le marin tend les voiles quand il monte sur son bateau, c’est pour être porté par le vent.
De même, si Dieu nous a communiqué dès le baptême, et plus encore à la confirmation et à la Pentecôte, les dons du Saint-Esprit, c’est parce qu’il veut que nous avancions non seulement par l’exercice des vertus, mais encore par le secours de son Esprit-Saint.
Ce serait une erreur de croire que les dons du Saint-Esprit n’agiraient que chez les saints. Dans le plan de Dieu, si tous les fidèles en état de grâce sont en possession des dons du Saint-Esprit, c’est parce que ses dons sont nécessaires à notre sanctification.
Mais leur efficacité en notre âme dépend de notre réceptivité. Si les dons du Saint-Esprit sont les voiles de l’âme, nous pouvons, hélas ! les laisser repliées. Elles peuvent rester baissées par notre égoïsme, par notre amour propre, par l’attache déréglée de nous-mêmes ou envers d’autres créatures.
Il ne tient qu’à nous de les déployer en mettant le bon Dieu au cœur de notre vie. Laissons le Saint-Esprit envahir nos âmes pour qu’il les purifie et les sanctifie. Vivons dans son intimité afin de combler son attente et de répondre à ses desseins sur nous.
Que la très sainte Vierge, qui a été si docile au Saint-Esprit durant sa vie, nous communique la même dévotion envers le Saint-Esprit, notamment durant la récitation de notre rosaire, afin que nous puissions entrer toujours davantage dans l’intimité des trois Personnes divines et que nous méritions de les contempler dans l’éternité bienheureuse.
Abbé Patrick Troadec, Directeur,
le 2 octobre 2010, en la fête des Saints Anges Gardiens
Extrait de la LAB n° 72 d’octobre 2010