« La mort douce » de l’Eglise contenue dans Amoris laetitia, par Don Elia

Note de la rédac­tion de La Porte Latine :
il est bien enten­du que les com­men­taires repris dans la presse exté­rieure à la FSSPX
ne sont en aucun cas une quel­conque adhé­sion à ce qui y est écrit par ailleurs.

L’exhortation apos­to­lique vue par un prêtre ita­lien intran­si­geant qui tient sous le nom de « don Elia » un blog – las­cu­re­die­lia – dont le titre (scure : la hache, ou la cognée) est ins­pi­ré de Matthieu, 3, 10 : Iam enim secu­ris ad radi­cem arbo­rum posi­ta est (Déjà la cognée est à la racine des arbres [: tout arbre donc qui ne porte pas de bon fruit sera cou­pé et jeté au feu]).

Le titre de son com­men­taire reprend l’eu­phé­misme uti­li­sé par les adeptes de l’eu­tha­na­sie volontaire.

Géniale ruse jésuite. A défaut d’autre chose, il faut lui en don­ner acte. Avec l’ex­hor­ta­tion apos­to­lique sur la famille, il a réus­si à cap­tu­rer, à aiman­ter sur lui-​même l’at­ten­tion uni­ver­selle, y com­pris venant de ceux qui le détestent. Tous rete­nant notre souffle en atten­dant l’heure fati­dique. Jamais la publi­ca­tion d’un docu­ment du Magistère n’a­vait cau­sé tant de sus­pense et n’a­vait été atten­du avec autant d’an­xié­té, mais de signes oppo­sés selon les camps. Qu’on soit d’ac­cord ou pas, une telle anxié­té, à elle seule, a de toute façon don­né au docu­ment une réso­nance énorme au niveau mon­dial, à l’in­té­rieur et à l’ex­té­rieur de l’Église. On ne peut que dire : un nou­veau coup de maître dans la stra­té­gie de mani­pu­la­tion col­lec­tive dont nous sommes tous, incons­ciem­ment ou non, inévi­ta­ble­ment vic­times – peut-​être, comme nous le ver­rons dans les pro­chains mois, le coup le plus dévas­ta­teur des trois der­nières années.

Les com­men­taires, en faveur ou contre, seront obli­ga­toires et vont se mul­ti­plier à l’in­fi­ni sur les sites et publi­ca­tions de toutes orien­ta­tions, gar­dant l’in­té­rêt de tous col­lée sur un texte qui, selon une tech­nique désor­mais éprou­vée, ne contient pas de décla­ra­tions qui contre­disent net­te­ment le dépôt de la foi, mais insi­nue l’hé­ré­sie sous la forme de man­tras obses­sion­nels : accueil, inclu­sion, misé­ri­corde, com­pas­sion, incul­tu­ra­tion, inté­gra­tion, accom­pa­gne­ment, gra­dua­li­té, dis­cer­ne­ment, conscience éclai­rée, dépas­se­ment des modèles rigides ou obso­lètes … Qui peut contes­ter une telle exhor­ta­tion à la cha­ri­té évan­gé­lique (appa­rente), sans pas­ser pour un défen­seur obtus et insen­sible de doc­trines abs­traites, for­mu­lées d’une manière qui n’est plus com­pa­tible avec la situa­tion actuelle ? Si – comme on l’af­firme – le mariage chré­tien (que nos parents, grands-​parents et arrère-​grands-​parents ont vécu nor­ma­le­ment, mal­gré toutes leurs limites et leurs dif­fi­cul­tés) est un idéal vers lequel tendre et non plus la voca­tion ordi­naire des bap­ti­sés, éle­vée et for­ti­fiée par grâce, qui sommes-​nous pour juger les familles bles­sées et les situa­tions complexes ?

A vou­loir « titiller » le texte sur quelque erreur doc­tri­nale spé­ci­fique, d’ailleurs, on a le sen­ti­ment désor­mais fami­lier d’être confron­té à un objet glis­sant et insai­sis­sable qui ne se laisse sai­sir par aucun bout : il n’y a pas une pen­sée arti­cu­lée et cohé­rente, il n’y a pas un déve­lop­pe­ment théo­lo­gique sou­te­nu, mais une répé­ti­tion décon­cer­tante de thèmes récur­rents avec des varia­tions, qui en 325 para­graphes, écrase toute résis­tance men­tale et psy­cho­lo­gique. Le réa­lisme auquel on en appelle avec insis­tance n’est pas celui de l’in­te­rac­tion entre la nature et la grâce, typique de la tra­di­tion catho­lique, mais celui de la socio­lo­gie et de la psy­cha­na­lyse, qui ignorent com­plè­te­ment l’ac­tion de la grâce – si elle n’est pas com­prise dans le sens impropre de confort psy­cho­lo­gique – et consi­dèrent la nature exclu­si­ve­ment dans son inca­pa­ci­té déses­pé­rée à se cor­ri­ger. En consé­quence, la seule solu­tion pos­sible, dans l’i­né­vi­table hôpi­tal de cam­pagne , ce n’est pas de gué­rir la mala­die avec un trai­te­ment appro­prié, mais d” »aider à mou­rir » les patients accueillis, inté­grés et heu­reux de l’être. Que dire ? Euthanasie de l’esprit …

Mélangées à cette recette logor­rhéique et inter­mi­nable, expri­mées sous forme ambi­guë ou inexacte, dans l’avant-​dernier cha­pitre (déci­sif) arrivent enfin les erreurs for­melles, quand le lec­teur épui­sé, endoc­tri­né par les trois cents para­graphes pré­cé­dents, n’est plus en mesure de réagir. Enfin quelque chose à agrip­per pour dénon­cer – ce que, on l’es­père, vont com­men­cer à faire des évêques et des car­di­naux – une dévia­tion doc­tri­nale explicite !

L’erreur la plus grave, dont dérivent les autres, concerne l’im­pu­ta­bi­li­té morale des actions humaines, qui n’est pas tou­jours totale. Ce qui est très vrai pour les actions indi­vi­duelles ; dom­mage que les situa­tions dites irré­gu­lières aient été durables, cor­res­pon­dant à des condi­tions stables dans les­quelles on ne peut tom­ber par fai­blesse ou par inad­ver­tance, rai­son pour laquelle l’ob­ser­va­tion n’est pas per­ti­nente. De cette erreur de pers­pec­tive découle l’o­pi­nion que ceux qui vivent une situa­tion conju­gale irré­gu­lière ne sont pas tous en état de péché mor­tel, pri­vés de la grâce sanc­ti­fiante et de l’as­sis­tance de l’Esprit Saint. Cela peut être vrai uni­que­ment en pré­sence de l’i­gno­rance invin­cible : mais est-​ce une hypo­thèse rece­vable dans ce cas ? Dans cette éven­tua­li­té, le devoir de chaque croyant – et à plus forte rai­son de chaque prêtre – est pré­ci­sé­ment celui d’é­du­quer les igno­rants. Par consé­quent, dire que ceux qui sont en état de péché grave sont des membres vivants de l’Eglise, ne peut qu’être faux : le péché mor­tel se défi­nit jus­te­ment comme la mort de l’âme. Si, sur cette pente, on arrive à affir­mer que l’a­dul­tère per­ma­nent peut être pour le moment, « le don de soi que Dieu lui-​même demande au milieu de la com­plexi­té concrète des limi­ta­tions, même si elle n’atteint pas encore plei­ne­ment l’idéal objec­tif » ( Amoris lae­ti­tia, n.303), nous en sommes au blas­phème. Pour y remé­dier, il ne suf­fit pas d’une cita­tion de saint Thomas, ins­tru­men­ta­li­sée et arra­chée au contexte ; c’est la méthode des Témoins de Jéhovah.

Nous ne sommes pas cha­gri­nés pour ceux qui s’in­gé­nient à tirer le docu­ment d’un côté ou de l’autre pour trou­ver du sou­tien à son orien­ta­tion (nor­ma­liste ou révo­lu­tion­naire); la pire per­fi­die réside dans le fait que même les objec­tions, mal­gré elles, en ren­for­ce­ront la récep­tion : qu’on en parle pour en dire du mal, du moment qu’on en parle … et plus on en par­le­ra, plus le poi­son qu’il contient péné­tre­ra dans la conver­sa­tion quo­ti­dienne, dans les débats télé­vi­sés, dans les pro­jets pas­to­raux, dans la men­ta­li­té et la pra­tique cou­rante. C’est jus­te­ment ain­si que des idées ini­tia­le­ment inac­cep­tables sont trans­for­mées en norme ; c’est exac­te­ment la même tech­nique uti­li­sée par les esprits occultes du nou­vel ordre mon­dial, qui, en l’es­pace de quelques années a conduit la Société et les États à recon­naître et à pri­mer les déviances sexuelles, aupa­ra­vant spon­ta­né­ment et uni­ver­sel­le­ment abhor­rées, et à stig­ma­ti­ser comme enne­mi du genre humain qui­conque les dénonce encore pour ce qu’elles sont. Maintenant, même dans l’Église, avec l’ex­cuse de l’a­dap­ta­tion aux temps et à tra­vers l’é­va­lua­tion des cas indi­vi­duels, délé­gué aux clercs indi­vi­duels, ce qui était inad­mis­sible devien­dra obli­ga­toire – et mal­heur à tous ceux qui ne s’a­daptent pas.

Si vous l’a­vez remar­qué, l’at­taque a été sys­té­ma­ti­que­ment por­tée contre les sacre­ments qui sont les piliers de la vie sociale et chré­tienne : le mariage, fon­de­ment de la famille et de l’é­du­ca­tion à la foi et à la vie ; la confes­sion, fac­teur de dis­cer­ne­ment morale et de cor­rec­tion de la conduite indi­vi­duelle ; l’Eucharistie, prin­cipe de sanc­ti­fi­ca­tion et lien d’ap­par­te­nance ecclé­siale. Le pre­mier a été démo­li avec les nou­velles règles pour les causes de nul­li­té ; le second, vidé de son sens et de sa valeur avec les recom­man­da­tions sans pré­cé­dent aux “mis­sion­naires de la misé­ri­corde”; le troi­sième, réduit à un simple sym­bole en quelques répliques impromp­tue sur l’in­ter­com­mu­nion avec les pro­tes­tants. Félicitations : même Arius et Luther n’a­vaient pas réus­si à faire autant de dégâts avec si peu de res­sources et en si peu de temps. Dans le hit parade des héré­tiques, le Nôtre a atteint les som­mets en un éclair.

En détrui­sant la foi dans les sacre­ments et dans la vie sur­na­tu­relle, on détruit inévi­ta­ble­ment aus­si celle – insé­pa­rable – dans les deux prin­ci­paux mys­tères de la foi chré­tienne : Incarnation, Passion, mort et résur­rec­tion de notre Seigneur Jésus-​Christ ; uni­té et Trinité de Dieu : (..) les sacre­ments, en effet, appliquent aux âmes des fidèles les fruits du mys­tère sal­vi­fique du Christ, ce qui serait impos­sible si Jésus n’é­tait pas le fils de Dieu, un avec le Père et l’Esprit Saint. En fin de compte, donc, ceux qui nient l’ef­fi­ca­ci­té de la grâce sacra­men­telle nient le Dieu de la Révélation ; en d” autres termes, il est apos­tat et athée, parce que dans son dis­cours, seul reste l’homme.

Maintenant, s’il est vrai qu’on ne peut pas évi­ter de lire quelque chose de et sur la der­nière publi­ca­tion du pape, évi­tons de tom­ber dans le piège, en s’en lais­sant cap­ti­ver et intoxi­quer, oubliant ensuite de faire les seules choses réel­le­ment utiles et néces­saires dans la pré­sente conjonc­ture his­to­rique – celles que même le mil­lieu tra­di­tion­nel, hélas, ne pra­tique pas assez, ris­quant de s’ex­té­nuer en exu­toires polé­miques qui, en fin de compte, ne changent rien, sinon notre état émo­tion­nel. Prions, offrons, fai­sons péni­tence (mais sérieu­se­ment, pas en bavar­dages) et, si nous avons le temps et le désir de lire, occupons-​nous de la vraie foi. Ne nous lais­sons pas voler la jouis­sance du tré­sor que nous pos­sé­dons, per­dant la paix, et la séré­ni­té de celui qui connaît la véri­té et cherche à vivre avec l’aide de la grâce et son propre enga­ge­ment personnel.

Etant don­né que l’a­to­mi­sa­tion doc­tri­nale et pas­to­rale de l’Eglise catho­lique, qui, de fait, est en cours depuis des décen­nies, a main­te­nant été offi­ciel­le­ment sanc­tion­née, prions sans cesse pour elle, dont les enne­mis de tou­jours cherchent à saper l’u­ni­té afin de la domi­ner et de la détruire. Divide et impe­ra (divi­ser pour régner) : le « revo­lu­cio­ne­ro » , mal­gré son manque de pré­pa­ra­tion cultu­relle, a au moins appris une chose – et il l’ap­plique à mer­veille, pul­vé­ri­sant la com­mu­nion du peuple de Dieu. Prions aus­si les uns des autres afin de faire un dis­cer­ne­ment cor­rect : les prêtres en charge d’âmes, pour les choix dif­fi­ciles qu’ils seront obli­gés d’ac­com­plir ; les fidèles,pour les com­por­te­ments qu’ils devront tenir dans les « com­mu­nau­tés » parois­siales où l’a­bus et le sacri­lège, s’ils ne sont pas déjà pré­sents, devien­dront pra­tique cou­rante. « Un frère aidé par son frère est comme une ville for­ti­fiée » (Proverbe 18, 19) : je peux vous assu­rer par expé­rience per­son­nelle que le sou­tien de l’in­ter­ces­sion d’au­trui per­met de sup­por­ter les épreuves les plus dures avec une joie inexplicable.

Que le Seigneur récom­pense avec la joie de la fidé­li­té pleine d’a­mour pour Lui tous ceux qui prient pour le pauvre prêtre qui écrit ces lignes.

Don Elia

Sources : lascuredielia/​Traduction de Benoit-et-moi