Les contradictions d’un jubilé qui se termine, par R. de Mattei


Note de la rédac­tion de La Porte Latine :
il est bien enten­du que les com­men­taires repris dans la presse exté­rieure à la FSSPX
ne sont en aucun cas une quel­conque adhé­sion à ce qui y est écrit par ailleurs.


Professeur Roberto de Mattei

Parmi les clés d’interprétation du pon­ti­fi­cat du pape François, se trouve cer­tai­ne­ment son amour de la contra­dic­tion. Cette dis­po­si­tion d’esprit res­sort très clai­re­ment de la lettre apos­to­lique Misericordia et mise­ra, signée en clô­ture du jubi­lé extra­or­di­naire de la misé­ri­corde [Photo ci-dessous].

Dans cette lettre, le pape Bergoglio éta­blit que ceux qui fré­quentent les églises où offi­cient les prêtres de la Fraternité Saint Pie X peuvent rece­voir vali­de­ment et lici­te­ment l’absolution sacra­men­telle. Le pape efface donc ce qui consti­tuait le prin­ci­pal fac­teur d’« irré­gu­la­ri­té » de la Fraternité fon­dée par Mgr Lefebvre : la vali­di­té des confes­sions. Il serait contra­dic­toire d’imaginer qu’une fois les confes­sions recon­nues comme valides et licites, ne soient pas consi­dé­rées comme tout aus­si licites les messes célé­brées par les prêtres de la Fraternité, qui sont en tous cas cer­tai­ne­ment valides. Mais alors on ne com­prend pas pour­quoi un accord entre Rome et la Fraternité fon­dée par Mgr Lefebvre serait néces­saire, étant don­né que la posi­tion de ces prêtres est de fait régu­la­ri­sée et que les pro­blèmes doc­tri­naux qui demeurent n’intéressent que peu le pape, comme on le sait.

Dans cette même lettre, afin qu’ « aucun obs­tacle ne s’interpose entre la demande de récon­ci­lia­tion et le par­don de Dieu », le pape Bergoglio concède, à par­tir de main­te­nant, à « tous les prêtres, en ver­tu de leur minis­tère, la facul­té d’absoudre le péché d’avortement ». En réa­li­té, les prêtres avaient déjà la facul­té de par­don­ner le péché l’avortement en confes­sion. Cependant, selon la pra­tique mul­ti­sé­cu­laire de l’Eglise, l’avortement fait par­tie des péchés graves punis auto­ma­ti­que­ment de la peine d’excommunication. « Qui pro­cure un avor­te­ment, si l’effet s’en suit, encourt l’excommunication latae sen­ten­tiae » dit le Code de Droit Canon de 1983 au canon 1398. Les prêtres avait donc besoin de la per­mis­sion de leur évêque pour lever l’excommunication avant de pou­voir absoudre du péché d’avortement. Maintenant tout prêtre peut absoudre éga­le­ment de l’excommunication, sans avoir à recou­rir à son évêque, ou être délé­gué par lui. L’excommunication de fait tombe et l’avortement perd la gra­vi­té que le droit cano­nique lui attribuait. 

Dans une inter­view accor­dée le 20 novembre à Tv2000, le pape François a affir­mé que « l’avortement reste un péché grave », un « crime hor­rible », parce qu’il « met fin à la vie d’un inno­cent ». Le pape peut-​il igno­rer que sa déci­sion de libé­rer de l’excommunication latae sen­ten­tiae le délit d’avortement rela­ti­vise ce « crime hor­rible » et per­met aux médias de le pré­sen­ter comme un péché que l’Eglise consi­dère moins grave que par le pas­sé et par­donne facilement ? 

Le pape affirme dans sa lettre qu’ « il n’existe aucun péché que ne puisse rejoindre et détruire la misé­ri­corde de Dieu quand elle trouve un cœur contrit qui demande à être récon­ci­lié avec le Père », mais, comme il res­sort de toute évi­dence de ses paroles-​mêmes, la misé­ri­corde est telle parce qu’elle pré­sup­pose l’existence du péché, et donc de la jus­tice. Pourquoi tou­jours par­ler uni­que­ment du Dieu bon et misé­ri­cor­dieux et jamais du Dieu juste, qui récom­pense et punit selon les mérites et les fautes de l’homme ? Les saints, comme on l’a obser­vé, n’ont jamais ces­sé de louer la misé­ri­corde de Dieu, inépui­sable dans ses dons ; mais en même temps de craindre sa jus­tice, rigou­reuse dans ses exi­gences. Il serait contra­dic­toire que Dieu soit capable seule­ment d’aimer et de récom­pen­ser le bien et inca­pable de haïr et punir le mal. 

À moins qu’on pense que la loi divine n’existe pas, mais est abs­traite et impos­sible à mettre en pra­tique, et que la seule chose qui compte est la vie concrète de l’homme, qui est inca­pable de ne pas pécher. Ce qui importe n’est pas l’observance de la loi, mais la confiance aveugle dans le par­don et la misé­ri­corde divine. Pecca for­ti­ter, crede for­tius. Mais c’est là la doc­trine de Luther, non celle de l’Eglise catho­lique.

Pr. Roberto de Mattei

Sources : Il Tempo/​Correspondance Européenne/​Traduction de Marie Perrin /​La Porte Latine du 22 novembre 2016