Saint Louis raconte cet épisode au sire de Joinville :
L’évêque Guillaume de Paris m’a rapporté qu’un jour un grand maître en théologie était venu le voir pour lui parler. Quand le grand maître voulut parler à l’évêque, il commença à pleurer très fort. L’évêque lui dit :
- Maître, parlez, ne perdez pas courage, car personne ne peut tant pécher que Dieu ne puisse lui pardonner davantage.
- Je vous le dis, messire, fit le maître, je n’y peux rien si je pleure ; car je pense ne pas avoir la foi parce que je ne peux pas forcer mon cœur à croire au sacrement de l’autel comme la sainte Eglise l’enseigne. Je sais bien que ce sont là des tentations du diable !
- Maître, dit l’évêque, quand le diable vous envoie cette tentation, vous plaît-elle ?
Et le maître dit :
- Messire, au contraire, elle me pèse autant que chose peut me peser…
- Je vous demande alors, fit l’évêque, si vous accepteriez de l’or ou de l’argent pour professer de votre bouche quoi que ce soit qui fut contre le sacrement de l’autel ou contre les autres saints sacrements de l’Eglise ?
- Moi, Messire, fit le maître, sachez qu’il n’y a quoi que ce soit au monde que je puisse accepter à cette condition, mais j’aimerais mieux qu’on m’arrachât tous les membres du corps plutôt que professer une chose semblable !
- Maintenant je vous dirais autre chose, fit l’évêque, vous savez que le roi de France est en guerre contre le roi d’Angleterre, et vous savez que le château qui est situé le plus exactement à la frontière de l’un et de l’autre, c’est La Rochelle en Poitou. Si le roi vous avait confié la garde de La Rochelle qui est sur la frontière, et qu’il m’avait confié la garde du château de Montlhéry, qui est au cœur de la France et en terre de paix, auquel de nous deux le roi devrait-il être le plus reconnaissant à la fin de sa guerre ?
- Au nom Dieu, messire, fit le maître, à moi qui aurait gardé sans perdre La Rochelle.
- Maître, dit l’évêque, je vous dis que mon cœur est semblable au château de Montlhéry ; car je n’ai aucune tentation ni aucun doute à propos du sacrement de l’autel. Pour une fois que Dieu me sait gré d’y croire fermement et en paix, il vous en saura gré quatre fois, parce que vous lui garder votre cœur au milieu de la guerre et de l’épreuve, et que vous avez envers lui une volonté si bonne que pour rien au monde vous ne l’abandonneriez. Soyez donc tout à fait tranquille, car votre état plaît mieux à Notre-Seigneur en cette affaire que ne le fait le mien.
Quand le maître entendit cela, il s’agenouilla devant l’évêque, et se considéra comme bien satisfait.
D’après les « Chroniques de Joinville »