Quand il ne faisait pas bon être voleur …

Ce récit montre com­ment le roi saint Louis exer­çait les ver­tus de pru­dence et de jus­tice en ne lais­sant ni le vol ni le crime impunis

Le sire de Joinville vit un jour une char­rette char­gée de trois hommes morts, qu’un clerc (non encore prêtre, une sorte de sémi­na­riste de l’é­poque, si l’on veut) avait tués ; on lui dit qu’on les condui­sait au roi.

Lorsque Joinville enten­dit cela, il envoya son écuyer après eux pour savoir com­ment les choses s’é­tait pas­sées. Le pré­vôt (sorte de maire de Paris) lui conta que les trois hommes morts étaient trois de ses ser­gents du Châtelet qui allaient par les rues iso­lées pour détrous­ser les gens.

Une fois arri­vés, le pré­vôt expli­qua la situa­tion au roi :

Ils ont ren­con­tré ce clerc que vous voyez, et ils lui ont pris toutes ces affaires. Le clerc s’en alla en simple che­mise à sa mai­son, il prit son arba­lète et don­na son fau­chon (grand cou­teau de chasse) à por­ter à un enfant. Quand il les vit, il leur cria après et leur dit qu’ils mour­raient. Le clerc ten­dit son arba­lète, tira, et en frap­pa un au cœur. Les deux autres se mirent à fuir, le clerc prit le fau­chon que tenait l’en­fant et les pour­sui­vit à la lumière de la lune, qui était belle et claire.

L’un d’eux essaya d’en­trer dans un jar­din en pas­sant à tra­vers une haie et le clerc le frap­pa avec le fau­chon, dit le pré­vôt, il lui sec­tion­na entiè­re­ment la jambe de telle sorte qu’elle ne tient que par la botte, comme vous le voyez. Le clerc se remit à la pour­suite de l’autre, qui ten­ta de péné­trer dans une mai­son qu’il ne connais­sait pas, où des gens veillaient encore ; le clerc le frap­pa avec le fau­chon à la tête si bien qu’il la lui fen­dit jus­qu’aux dents, comme vous pou­vez le voir.

Sire, dit le pré­vôt, le clerc mon­tra ce qu’il avait fait aux voi­sins de la rue, puis vint se consti­tuer pri­son­nier. Je vous l’a­mène, vous en ferez ce que vous vou­drez, le voici.

Le roi saint Louis prit la parole :

Sire clerc, vous avez per­du la pos­si­bi­li­té d’être prêtre par votre prouesse (pour être ordon­né prêtre il ne faut pas avoir ver­sé de sang), mais, pour votre prouesse, je vous retiens à mes gages et vous vien­drez avec moi outre-​mer (en Croisade). Je vous fais encore savoir cela parce que je veux que mes gens voient que je ne les sou­tien­drais dans aucune de leurs mau­vaises actions.

Quand le peuple qui était assem­blé là enten­dit ces paroles, ils invo­quèrent Notre-​Seigneur et le prièrent pour que Dieu donne bonne et longue vie au roi, et le ramène en joie et en santé.

D’après les « Chroniques de Joinville »