Entretien de Mgr Fellay donné au « Courrier » en date du 26 février 2009

« Faire de la reconnaissance du concile une condition préalable,
c’est mettre la charrue avant les boeufs. »

POLÉMIQUE – Le Vatican exige la recon­nais­sance du concile pour réin­té­grer les lefeb­vristes. C’est « mettre la char­rue avant les boeufs », dénonce Mgr Fellay.
La levée de l’ex­com­mu­ni­ca­tion de quatre évêques de la Fraternité sacer­do­tale Saint-​Pie X (FSSPX) ne signi­fie pas une « inté­gra­tion » dans l’Eglise, mais est une porte ouverte pour le « dia­logue », avait pré­ci­sé la Secrétairie d’Etat, le 4 février, en réac­tion à la polé­mique créée par les pro­pos néga­tion­nistes de l’un des pré­lats réha­bi­li­tés, Mgr Richard Williamson (qui vient de ren­trer en Grande-​Bretagne).
Or Rome pose comme condi­tion de cette inté­gra­tion la « pleine recon­nais­sance du concile Vatican II », ain­si que « du magis­tère des papes Jean XXIII, Paul VI, Jean-​Paul Ier, Jean-​Paul II et de Benoît XVI lui-​même ». Pas de pro­blème pour le second point, mais la fra­ter­ni­té schis­ma­tique campe sur ses posi­tions en ce qui concerne sa dénon­cia­tion viru­lente du concile, au nom de son com­bat pour la « res­tau­ra­tion de la tra­di­tion ». Selon la fra­ter­ni­té, les ren­contres en vue du dia­logue n’ont pas encore été agen­dées, mais les deux par­ties y tra­vaillent.
Entretien avec le supé­rieur de FSSPX Mgr Bernard Fellay – suc­ces­seur de feu l’é­vêque Lefebvre. 

La condi­tion posée par Rome à une réin­té­gra­tion de la Fraternité dans l’Eglise est la recon­nais­sance du concile Vatican II. La Fraternité est-​elle prête à fran­chir ce pas ? 

Non. Le Vatican a recon­nu la néces­si­té d’en­tre­tiens préa­lables afin de trai­ter des ques­tions de fond pro­ve­nant jus­te­ment du concile Vatican II. Faire de la recon­nais­sance du concile une condi­tion préa­lable, c’est mettre la char­rue avant les boeufs. 

Vous avez décla­ré vou­loir, dans les entre­tiens avec les auto­ri­tés romaines en vue d’une réin­té­gra­tion, par­ve­nir à une res­tau­ra­tion solide de l’Eglise. Votre espoir est-​il donc que l’Eglise revienne sur les acquis de Vatican II ?

Oui, car ces acquis sont de pures pertes : les fruits du concile ont été de vider les sémi­naires, les novi­ciats et les églises. Des mil­liers de prêtres ont aban­don­né leur sacer­doce et des mil­lions de fidèles ont ces­sé de pra­ti­quer ou se sont tour­nés vers les sectes. La croyance des fidèles a été déna­tu­rée. Vraiment, ce sont de drôles d’acquis ! 

A ce pro­pos, la fra­ter­ni­té est-​elle tou­jours hos­tile à la liber­té de conscience en matière de reli­gion, à l’oe­cu­mé­nisme et au dia­logue interreligieux ?

Il est bien évident que l’adhé­sion à une reli­gion néces­site un acte libre. Et donc bien sou­vent lorsque l’on dit que la fra­ter­ni­té est contre la liber­té de conscience en matière de reli­gion, on prête à la fra­ter­ni­té une théo­rie qu’elle n’a pas. La conscience est l’ul­time juge­ment sur la bon­té de notre action. Et dans ce sens nul ne peut agir contre sa conscience sans pécher. Reste que la conscience n’est pas un abso­lu, qu’elle dépend du bien et du vrai objec­tifs et que tout homme a par consé­quent le devoir de for­mer, d’é­du­quer droi­te­ment sa conscience. C’est ain­si que l’Eglise se doit d’être une mère res­pon­sable qui éclaire et guide nos intel­li­gences bor­nées et sou­vent enté­né­brées. En ce qui concerne l’oe­cu­mé­nisme ou le dia­logue inter­re­li­gieux, tout dépend de ce que l’on met sous ces mots. Il règne une grande confu­sion dans les esprits à ce sujet. Bien évi­dem­ment, comme tout être humain et pour le bien de la socié­té, nous sou­hai­tons vivre en paix avec tous les hommes, nos sem­blables. Sur le plan reli­gieux, nous sou­hai­tons répondre ardem­ment au désir de Notre Seigneur : « Que tous soient un », afin qu’il n’y ait plus « qu’un seul trou­peau, un seul pas­teur…» Si par oecu­mé­nisme, on entend la pour­suite de ce but très noble, nous sommes évi­dem­ment pour. Si par contre on y voit un che­min qui ne cherche pas cette uni­té fon­da­men­tale, uni­té qui passe for­cé­ment par un regard de véri­té – ce dont l’Eglise catho­lique se dit encore aujourd’­hui le seul pos­ses­seur dans son inté­gra­li­té ! – alors nous protestons. 

En fait, on voit qu’ac­tuel­le­ment l’oe­cu­mé­nisme en reste à un niveau très super­fi­ciel d’en­tente et de vie en socié­té, mais sans aller au fond des choses. 

De quel sta­tut au sein de l’Eglise la fra­ter­ni­té pourrait-​elle bénéficier ?

On ver­ra cela si les dis­cus­sions doc­tri­nales débouchent sur quelque chose de posi­tif. Ce que Dieu veuille ! 

Richars Armanios inLe Courrier