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Abbé Pellabeuf, le 18 février 2009
Ainsi les évêques lefebvristes ont bénéficié d’une mesure venant d’un état d’esprit qu’ils n’aiment guère ! Car il est en quelque sorte la réédition de ce que fit jadis le Pape Paul VI à l’égard du Patriarche Athénagoras : il leva l’excommunication prononcée contre les Orientaux dissidents depuis 1054 ; et cela dans l’esprit de l’ocuménisme conciliaire. Ainsi apparaît la portée juridique de cet acte : la levée des excommunications n’est pas la réintégration des anciens excommuniés, mais une condition à remplir en vue de celle-ci, qu’on espère pas trop lointaine. Mais il y a des différences entre l’acte de Paul VI et celui de Benoît XVI.
Aussi pour comprendre l’originalité du geste de Benoît XVI, il faut comprendre les circonstances précises de l’ordination des quatre évêques par Monseigneur Lefebvre, qui leur valut l’excommunication. Ces circonstances expliquent largement pourquoi cet acte a pu être posé en 1988 : elles tiennent à la fois à la situation de l’Eglise à l’époque, et particulièrement en France, à la place qui y était faite à Monseigneur Lefebvre et ses disciples, et aux valeurs qu’ils défendaient. On verra ainsi que la levée des excommunications est une ouvre de justice, et s’inscrit parfaitement dans la ligne « seizièmo-bénédictine ».
La décadence des catholiques en France.
En cette année 1988, qu’en était-il de l’Eglise de France ? Eh bien justement elle se disait « de France ». Or, s’il existe une Eglise d’Angleterre, et c’est l’Eglise anglicane, l’Eglise gallicane ne correspond à aucune institution juridique et tend à prendre la place de l’Eglise catholique dans notre pays. Il est clair que cette tendance ne vise pas à s’éloigner seulement de Rome, mais en même temps de pans entiers de l’action et de la doctrine de l’Eglise catholique. Rappelons-en quelques exemples, non exhaustifs, choisis à propos des sacrements et du dogme.
Les sacrements malmenés.
Le baptême des petits enfants était clairement contesté. De nombreux prêtres conseillaient à leurs paroissiens d’attendre que leurs enfants soient en âge de choisir eux-mêmes. Et le fait de retarder l’âge de la confirmation à l’adolescence a été souvent perçu comme une revanche de ceux qui n’avaient pu imposer l’abandon du baptême des petits enfants. Car, comme pour le baptême, on a voulu que les jeunes « sachent ce qu’ils font » : mais est-on sûr qu’un enfant soit moins apte qu’un adolescent à s’engager pour Dieu ? Désormais, un prêtre baptisant un enfant peut se demander s’il a le droit d’accepter les engagements inhérents au baptême, alors que celui pour qui on les prend n’aura pas la grâce nécessaire pour affronter les graves tempêtes de l’entrée au collège et de l’adolescence. D’ailleurs certains disaient : « Si nous étions honnêtes, nous ne la ferions pas donner, car nous ne savons pas ce que c’est. »
Quant à l’eucharistie, on sait combien elle était malmenée. La brutalité et l’ampleur de la réforme liturgique en avaient perturbé plus d’un, et avait fait le lit de théories révisionnistes. On niait la doctrine de la transsubstantiation, on diminuait le caractère sacrificiel de la messe, etc. Il s’en est suivi une terrible crise liturgique, qui a provoqué la désaffection des fidèles. En trente ans, le nombre des pratiquants a été divisé par cinq.
On se souvient de ce qui est advenu à la confession, ou réconciliation. La généralisation des absolutions collectives a provoqué une perte du sens du péché, dans un monde qui justement perdait le sens de la responsabilité. Des théories pseudo psychologiques justifiaient ces abandons : une sorte de pendant freudien de la scolastique s’était répandue dans le clergé, hors de laquelle il semblait ne pas y avoir de salut. Pour le mariage, des prêtres prenaient leur parti de la cohabitation avant le sacrement. Il est arrivé qu’on bénisse de tels couples. La conférence épiscopale contredisait le Pape au sujet de l’interdiction de la pilule même sous couvert de la théorie du moindre mal. Beaucoup admettaient à la communion les divorcés remariés : on propose aujourd’hui encore des cérémonies à l’Eglise spécialement pour célébrer leur nouvelle prétendue union.
L’ordre était en plein abandon. Les chiffres des vocations parlent d’eux-mêmes. Ceux des prêtres quittant le ministère aussi. On était imprégné des théories protestantes selon lesquelles le sacerdoce commun des fidèles n’était pas différent de celui des prêtres ordonnés. On estimait que le manque de prêtres était une chance pour que les laïcs prennent dans l’Eglise une place qui leur revenait et le conseil épiscopal d’un diocèse comtois publia ainsi sa conclusion : « Quand un prêtre cesse son ministère, il ne faut pas le remplacer, pour laisser aux laïcs un espace d’initiative » ! Cette attitude explique qu’on ait donné à des laïcs une autorité pastorale sur des prêtres. Le prêtre se comprenait bien souvent comme un animateur psychosociologue. En conséquence, une grave crise, qui est loin d’être résorbée, frappa les séminaires.
Enfin on prétendait faire administrer le sacrement des malades, par ailleurs bien revalorisé au niveau romain, par des laïcs. Dans bien des hôpitaux, les malades peinent à trouver des prêtres pour le leur donner.
La doctrine contestée.
Au niveau de la doctrine, quelques exemples suffiront. La doctrine sociale classique de l’Eglise était rangée parmi les idéologies. Déformée, elle s’inspirait des modèles du monde. De même qu’une scolastique freudienne tenait lieu d’anthropologie à une grande partie du clergé, ainsi une vulgate marxiste leur servait à l’analyse sociale. Et à présent l’idée de la nation comme corps intermédiaire indispensable est battue en brèche par un épiscopat qui, sous influence hégélienne, semble avide qu’advienne une Europe supranationale où les étrangers n’auraient pas spécialement à s’adapter.
Le dogme du péché originel était nettement nié. Les théories évolutionnistes faisaient considérer à certains théologiens que nos premiers parents étaient des sous-hommes : comment, « dans les brumes de leur conscience », auraient-ils pu engager toute leur postérité ? Mais leur conscience, justement, était bien plus éclairée que la nôtre, puisqu’ils vivaient dans l’intimité de Dieu, tandis que nous tâtonnons dans l’obscurité du péché.
Les esprits, âmes et anges, subissaient le même sort qu’aux yeux des Saducéens adversaires de Jésus et de Saint Paul. S’en tenant à certaines obscurités de la doctrine des esprits au début de la révélation de l’Ancien Testament, les prêtres de Jérusalem contestaient l’existence des anges et l’immortalité de l’âme. Une fausse exégèse protestante née en Allemagne au XIXème siècle remit cette imbécillité à l’ordre du jour. Vulgarisée, elle est toujours proposée dans les réunions de formation du clergé.
L’ecclésiologie était dans l’impasse. L’union au Pape n’était plus considérée comme un fondement de l’unité de l’Eglise : on devait s’affranchir de pans entiers de la juridiction romaine, et les non-catholiques pouvaient très bien demeurer en dehors des frontières visibles de l’Eglise catholique. L’efficacité salvifique du baptême était d’ailleurs omise : on affirmait que Dieu avait parlé dans le Coran, ce qui devait dispenser d’évangéliser les musulmans dont le nombre croissait sur notre sol. D’ailleurs on parlait « d’Eglise pécheresse », on niait la justesse de l’expression du credo, très claire pourtant en grec, « Je crois EN l’Eglise ». Toutes ces erreurs, et bien d’autres, se trouvaient vulgarisées dans un catéchisme conçu non comme une instruction chrétienne, mais comme une technique pour « restaurer dans l’enfant un tissu psychologique et social ». A la suite des pédagogues du monde, on avait adopté pour la catéchèse les conclusions de certains psychologues et sociologues sans passer leurs présupposés philosophiques au crible de la Révélation. Le curé d’une cathédrale du Midi notait récemment sans s’en émouvoir que le catéchisme ne produit plus de catholiques pratiquants. Les enfants des familles authentiquement catholiques, mêlés aux non-pratiquants, ne reçoivent plus ce dont ils ont besoin pour persévérer.
Des valeurs légitimes rejetées.
Venons-en aux valeurs que Monseigneur Lefebvre voulait promouvoir, au-delà du maintien de la foi catholique. On lui a reproché d’être royaliste. Et alors ? Le Concile Vatican II n’a-t-il pas proclamé « l’autonomie des réalités temporelles » ? N’a-t-il pas affirmé que les choix pour l’organisation de la société relèvent de la compétence propre des laïcs ? Pourquoi donc les clercs devraient absolument s’abstenir d’examiner sous un angle chrétien des options légitimes qu’ils ont en commun avec certains de leurs fidèles ? Bien sûr, le danger serait de ne plus distinguer ce qui relève de choix contingent de ce qui est doctrine définie. Mais là, Monseigneur Lefebvre fut bien en deçà des confusions entretenues dans les milieux ecclésiastiques gauchisants. Et c’est une chance pour toute l’Eglise d’avoir en son sein des gens sans illusion sur la République avorteuse, soumise aux conséquences ultimes de la révolution de 1989 : les révolutions morale et culturelle.
Dans les valeurs importantes aux yeux de Monseigneur Lefebvre et de ses disciples, il y a le port de la soutane. On le leur a reproché. Le prêtre qui se distingue par un habit qui permet de le reconnaître pour ce qu’il est serait un intégriste : il impose à tous de se souvenir de sa présence. Alors il faut dire que les Lefebvristes sont en bonne compagnie dans ce qui ferait leur intégrisme : Jean-Paul II est avec eux. Il a en effet insisté pour que les prêtres portent un habit ecclésiastique. Ceux qui désobéissent ne sont pas les Lefebvristes, mais leurs adversaires, sur ce point comme sur de nombreux autres. D’ailleurs on n’a jamais entendu ceux qui critiquent cette visibilité des prêtres s’insurger contre les musulmans qui affichent leur appartenance religieuse par leur vêtement.
Ce qui est grave dans cette querelle particulière, c’est qu’elle dénote une crise beaucoup plus importante : l’inefficience du droit canon. La loi de l’Eglise est continuellement bafouée. L’indiscipline est généralisée, nous l’avons vu à propos des normes liturgiques en parlant de l’eucharistie, à propos du mariage avec les bénédictions diverses données à des états de vie contraires aux exigences du Christ.
Monseigneur Lefebvre par ailleurs soutenait une vie sacerdotale proche du type canonial. Les prêtres de la fraternité Saint Pie X vivent en communautés et récitent l’office partiellement en commun. Ce mouvement se fait aussi sentir en bien d’autres lieux ecclésiaux, elle est un don de l’Esprit à l’Eglise de notre temps. Mais les partisans d’autres modes de vie – comme le « partage » cher à la mission de France ou à l’action catholique – s’y opposent, comme s’ils ressentaient dans la résurrection de ce mode de vie traditionnel une marginalisation sinon une condamnation du leur.
Abordons l’usage du latin dans la liturgie. Monseigneur se trompait sur la méthode, pas sur la nature du combat à mener. Beaucoup d’évêques, une majorité probablement, en était arrivée à considérer que l’Eglise s’était fourvoyée en utilisant pour la liturgie une langue différente de celle des autres usages quotidiens. Cela aussi dénote une ecclésiologie déficiente, car traditionnellement on affirmait que l’Eglise est « la société de la louange divine » ; c’est bien vu, même si cela n’épuise pas le mystère de l’Eglise. Alors, si l’Eglise s’est trompée en matière si fondamentale dans sa mission, c’est qu’elle n’est pas vraiment divine, et ce fait dénote une crise extrêmement grave. La bonne méthode est de s’en tenir à ce que dit le Concile sur lequel prétendent s’appuyer les adversaires du latin liturgique. Mais Monseigneur Lefebvre, opposé au Concile, ne pouvait utiliser cet argument, et son combat prenait ainsi un tour marginal. Pourtant c’est lui qui avait raison : il est indispensable que dans l’Eglise de rite romain le latin soit tenu en honneur. Que tous ne l’utilisent pas également, c’est une chose. Qu’on en prêche l’abandon est une absurdité, trop courante encore à présent.
Enfin, il faut étudier la question de l’ancien missel. Force est aujourd’hui de constater que le rôle de Monseigneur Lefebvre a été prophétique. Sans son action, cette forme liturgique aurait disparu. Or, et Benoît XVI l’affirme, elle a encore bien des choses à nous dire. La responsabilité personnelle de Paul VI est effrayante. Il n’a pas fait respecter par les artisans de la réforme liturgique la recommandation fondamentale des Pères de Vatican II que les formes liturgiques nouvelles apparaissent comme en continuité avec les anciennes. Et Jean Guitton lui a prêté cette idée que si l’Eglise permettait le retour à l’ancien missel, elle perdrait toute crédibilité !
Des personnes exclues.
On ne peut passer sous silence la façon indigne dont Monseigneur Lefebvre et ceux qui partageaient ses valeurs ont été traités, même s’ils avaient quitté la fraternité Saint Pie X. Monseigneur Lefebvre avait été archevêque de Dakar, avec une responsabilité de type diplomatique pour toute l’Afrique Occidentale Française. Mal impressionné par ce que le futur président du Sénégal se soit dit chrétien et marxiste, et que l’Union Soviétique soit à l’origine de la façon lamentable dont la décolonisation s’est faite, il prit des positions qui ont conduit à le nommer en France. Or cela prit la tournure d’un désaveu cinglant : on ne lui confia pas un archidiocèse pourtant vacant à l’époque, mais un des diocèses les plus déshérités à l’époque, celui de Tulle. En peu de temps il y fit grand bien. Mais les Spiritains voulurent venger l’affront qui, ayant été fait à l’un des leurs, atteignait du même coup tous les missionnaires en niant leurs compétences : ils élirent Mgr Lefebvre comme supérieur général, et c’est en cette qualité qu’il participa à la fin des travaux du Concile Vatican II.
On n’a sans doute pas assez considéré combien le début du Concile a dû être éprouvant pour lui. Il avait pris une part très active à l’élaboration des schémas qui devaient y être discutés. Or d’emblée, un Cardinal belge les fit écarter pour que l’assemblée détermine elle-même ce dont elle devait parler. Ce n’était pas poli : il aurait pu tout aussi bien faire cette proposition avant que les schémas soient élaborés. C’était contraire à la nature de l’institution conciliaire : Jean XXIII laissa faire, mais normalement dans l’Eglise, c’est celui qui convoque un conseil qui détermine ce sur quoi il a besoin d’avis, restant sauve la possibilité de lui suggérer d’autres questions. Enfin c’était dangereux : certains textes allaient souffrir d’un déficit dans l’élaboration, ce qui allait conduire à des situations épineuses. Ainsi de Gaudium et Spes, qui se voulait un dialogue de l’Eglise avec le monde d’alors : ce texte montre surtout, dans un style grandiloquent, les illusions qu’entretenaient certains intellectuels catholiques sur la bonté d’un monde délivré de l’obscurantisme moyenâgeux ! Mais c’est avant tout Dignitatis Humanae qui allait provoquer l’incompréhension du grand prélat. Il eût fallu que ce texte prenne appui sur les déclarations précédentes au sujet de la liberté religieuse pour bien articuler sa pensée sur elles. Il y eut peut-être une erreur de perspective, en mettant dans l’incipit les mots de “dignité humaine” : celle-ci n’est pas un absolu, elle se fonde sur la capacité qu’a l’homme à l’égard de Dieu, elle se comprend donc en fonction de l’orientation effective du sujet à Dieu. On peut souhaiter qu’une encyclique vienne mettre les points sur les “i” dans ce domaine. Monseigneur fut encore mal traité en 1974. La dissolution de sa fraternité eut toutes les apparences d’un déni de droit. Elle se fondait sur les déclarations du prélat devant une commission cardinalice, dont on ne lui avait jamais dit qu’elle avait une portée juridique. La décision romaine fut prise en même temps que la décision du diocèse de Fribourg en Suisse, où la fraternité avait été canoniquement érigée, ce qui empêchait tout recours pendant lequel on aurait pu s’entendre.
Mais ceux qui avaient des valeurs légitimes en commun avec Monseigneur Lefebvre ne furent pas mieux traités par les sectaires qui faisaient la pluie et le beau temps dans nos évêchés. Un séminariste, qui avait quitté Monseigneur Lefebvre dés 1970 pour rentrer dans son diocèse, parce que, pensait-il, si les textes du concile ou ceux du missel comportaient des erreurs, l’Eglise ne serait plus l’Eglise de Dieu, reçut en 1976 une lettre du responsable des séminaristes lui disant qu’on n’avait rien à lui reprocher, mais qu’on ne voulait pas de lui dans le presbyterium. L’idée était qu’il était un « homme du passé » ; venant de soixante-huitards, cela fait sourire : depuis 1969, l’expression « soixante-huitard attardé » est un pléonasme.
Les séminaristes ayant quitté Ecône après les condamnations des années 1970 eurent un accueil semblable. Il était évident que pour conserver les valeurs légitimes auxquelles ils étaient attachés, ils devaient rester groupés au sein d’une institution stable. On les dispersa.
Jean-Paul II face à la crise.
On comprend ainsi, à la lumière de ce qui précède, comment Monseigneur en vint à douter des promesses qu’on lui faisait à Rome en 1988. Certes, au niveau surnaturel, il aurait dû espérer en l’Eglise. Mais les raisons naturelles de douter de la bonne foi de ses interlocuteurs étaient bien évidentes. Il y avait l’état de l’Eglise en elle-même, il y avait le sectarisme à l’égard d’un certain nombre de valeurs dont le rayonnement était pourtant indispensable à l’équilibre de l’Eglise, il y avait enfin la malhonnêteté dont on usa envers ceux qui tenaient à ces valeurs.
La responsabilité personnelle de Jean-Paul II fut malheureusement grande. Il ne s’agit pas de nier ses immenses qualités. Mais enfin son gouvernement eut des lacunes. Ainsi quand il nommait évêques des clercs qui ne portaient pas l’habit ecclésiastique, il accréditait l’idée que le droit canon est facultatif. Et, ce qui est plus grave, il mettait en place des gens qui allaient persécuter ceux qui obéissaient au droit canon : car si l’on n’obéit pas à la loi, c’est qu’on est opposé à ses motivations. Dans la plupart des diocèses de France, les collaborateurs des évêques étaient recrutés uniquement parmi ceux qui ne portaient pas le col romain, ce qui laissait penser que les prêtres obéissants étaient des marginaux. Et ce n’est là que la partie visible de ce qu’ils eurent à subir. Ceux qui ont trempé dans la nomination de ces évêques répondront devant Dieu des souffrances parfois indicibles des prêtres persécutés, et surtout de la déréliction des fidèles auprès de qui on les a empêchés d’exercer leur apostolat.
Quand Jean-Paul II se contentait d’admonitions romaines sans en exiger l’application sur le terrain, il obéissait à la logique qui était la sienne : il pensait que la persuasion seule devait être utilisée. Lorsque les évêques français se rendirent à la rencontre avec Jean-Paul II lors de sa première visite en France, ils n’étaient pas sans inquiétude. Ils en ressortirent disant que le Pape leur avait « donné une leçon de collégialité ». Mais des mesures coercitives auraient dû appuyer le raisonnement : il est déraisonnable de laisser les fidèles sous la responsabilité de pasteurs qui contrent l’action du Pape. Et déjà Paul VI eût dû tirer les conséquences de l’accueil réservé à Humanae Vitae par les évêques français : il devait cesser de nommer évêques des clercs recommandés par les contestataires.
Jean-Paul II n’a pas pris à temps la mesure de la crise. Il semble toutefois qu’au tournant du millénaire il ait compris certaines choses, comme en témoigne son action autour de l’eucharistie dans ses dernières années. De plus, rien dans sa formation ne lui permettait de saisir la dimension proprement française des questions soulevées. Mais surtout il a trop suivi l’avis des évêques français : beaucoup ne voulaient pas d’une réconciliation. C’est probablement sous cette influence qu’il a omis de publier la conclusion d’une commission cardinalice qu’il avait réunie au milieu des années 1980, disant ce que Benoît XVI a révélé dans le motu proprio Summorum Pontificum : l’ancien missel n’a jamais été abrogé. Un autre aspect de cette influence néfaste des adversaires de la réconciliation fut le choix des émissaires chargés de discuter avec Ecône. Jamais on n’a désigné de personnage qui aurait pu lui inspirer confiance. Ainsi le Cardinal Thiandoum, successeur de Monseigneur Lefebvre à l’archevêché de Dakar, qui savait ce que la chrétienté de son pays lui devait, a fait plusieurs fois le voyage à Ecône pour tenter de persuader Monseigneur Lefebvre de revenir à la pleine communion avec le Saint Père. Il obtenait toujours la réponse suivante : « Mais quel mandat avez-vous pour me dire cela ? Qu’est-ce qui me prouve que ce dont vous m’assurez sera effectivement tenu ?»
Une décision réparatrice.
La levée des excommunications est donc une ouvre de justice et de réparation. Si l’on devait excommunier tous ceux qui doutent de l’Eglise, cela ferait du vide dans bien des milieux. On débarrasserait l’Eglise de ceux qui pensent que sur des questions essentielles elle s’est trompée dans le passé, comme ceux qui pensent qu’elle se trompe aujourd’hui là dessus. D’ailleurs Jean-Paul II voulait qu’en 2000 on demande pardon pour toutes les fautes commises au nom de l’Eglise, au cours de son histoire. Mais il ne put remplir totalement son programme, qui incluait les fautes récentes.
Avec benoît XVI, cette omission commence à être réparée. Allons ! « L’heure est venue d’aimer l’Eglise d’un cour nouveau », disait déjà Paul VI, qui avait aussi parlé des fumées de Satan qui s’y était introduites par quelque fissure.
L’heure est à la réconciliation.
Que tous se souviennent que si Dieu nous a pardonné, nous devons faire de même. Benoît XVI nous y invite, quand il remarque que dans le passé, lors des grandes cassures de l’Eglise, on n’a pas toujours fait tout ce qui était possible pour les éviter. Ce péché ne lui sera pas imputé. Au contraire, en acceptant la levée de leur excommunication, les quatre évêques reconnaissent l’autorité du Saint Père, et lorsqu’il leur fera remarquer qu’il n’y a pas de mal dans la messe qu’il célèbre et le concile qu’il applique selon la tradition, ils seront bien obligés de se rendre !
Ainsi la décision prise par le Saint Père prépare l’avenir. De la réconciliation des personnes dépend la fécondation mutuelle des différentes écoles de spiritualité. Soyons à l’écoute de ce que l’Esprit dit aux Eglises !
Abbé Bernard Pellabeuf, ancien du séminaire Saint Pie X à Fribourg en Suisse de 1969 à 1970.