Cantiques du Père de Montfort à l’usage des paroisses

Le Centre Grégorien Saint Pie X publie aujourd’hui son pre­mier fas­ci­cule de can­tiques en fran­çais à l’usage des paroisses, conformes au Motu Proprio de saint Pie X pour un usage dans la litur­gie. Quelques expli­ca­tions s’imposent.

Le Père de Montfort, “patron” du cantique populaire

Nous pour­rions appe­ler le Père de Montfort, le patron du can­tique popu­laire reli­gieux. En effet, de la même manière que saint Grégoire le Grand a eu une grande part dans la com­po­si­tion du réper­toire litur­gique qui a pris son patro­nage et son nom, la pro­duc­tion de can­tiques du Père de Montfort est consi­dé­rable. Parmi les mul­tiples lettres pré­faces de l’édition des can­tiques par le P. Fradet, on relève que saint Louis-​Marie a com­po­sé près de 24 000 vers en musique.

En effet, le chant était un outil majeur de sa pré­di­ca­tion. Il a pas­sé toute sa vie à chan­ter, de son enfance à son lit de mort, en pas­sant par ses mul­tiples péré­gri­na­tions en France. Il en expose les rai­sons en musique dans le pre­mier can­tique : Dieu aime le chant, les anges chantent, il faut les imi­ter, le chant réchauffe notre amour pour Dieu, il chasse la tris­tesse de notre âme, le chant est pré­vu dans la litur­gie de l’Église, les pre­miers chré­tiens s’encourageaient par le chant, saint Paul les y invi­tait. Je passe quelques-​unes des rai­sons expo­sées dans les 36 strophes de ce can­tique. Toutefois, Montfort sou­haite qu’on chante bien et de bons chants.

C’est pour­quoi les paroles et les mélo­dies sont soi­gneu­se­ment choi­sies. Gastoué, pro­fes­seur à la Schola Cantórum, dans sa lettre pré­face, détaille les ori­gines des mélo­dies. On a sou­vent accu­sé, et dès son époque, saint Louis-​Marie d’avoir uti­li­sé des chan­sons de caba­ret. Gastoué ne voit qu’un seul air emprun­té à ce registre. Pour le reste, ce sont des airs simples et connus, mais nobles d’allure. Il semble qu’il ait com­po­sé lui-​même cer­tains airs, du moins arran­gé cer­tains can­tiques sur les airs de cer­taines hymnes litur­giques (au moins une fois Audi benigne Conditor).

Sa poé­sie éga­le­ment n’est pas vul­gaire, la pro­so­die est très riche, le voca­bu­laire tout aus­si. Si la langue est simple, les rimes sont fortes pour impri­mer cer­taines rela­tions dans l’âme des audi­teurs et chan­teurs. Il ne recule pas devant cer­tains jeux de mots : il signe indu­bi­ta­ble­ment le can­tique bien connu « Je mets ma confiance » dans une de ses strophes : « Je sais qu’il est mon Père, mais vous êtes mon fort. »

L’aspect prin­ci­pal du can­tique Montfortain reste cer­tai­ne­ment l’aspect caté­ché­tique : saint Louis-​Marie fait chan­ter pour ancrer les véri­tés de la foi dans l’esprit des fidèles. C’est pour cela qu’il est un outil indis­pen­sable de la mis­sion. Le chant appelle les habi­tants à la mis­sion, les invite à la confes­sion, leur expose les véri­tés de la foi, les moyens de sanc­ti­fi­ca­tion et leur fait prendre des réso­lu­tions. Un can­tique comme « O l’Auguste Sacrement » est un véri­table caté­chisme, pour ne pas dire un cours de théo­lo­gie, à l’image de la séquence de saint Thomas d’Aquin Lauda Sion.

Monfort applique le Motu Proprio de saint Pie X

L’expression peut sem­bler cho­quante, parce qu’anachronique d’une part, et d’autre part, parce que saint Pie X ne laisse pas de place pour le can­tique en fran­çais dans la litur­gie. Toutefois les prin­cipes qui guident le mis­sion­naire sont ceux que déve­lop­pe­ra ensuite le saint pape litur­giste : le chant reli­gieux doit être saint, beau musi­ca­le­ment, et enfin uni­ver­sel. Bien que le can­tique en fran­çais ne soit pas aus­si uni­ver­sel que le gré­go­rien latin, il garde une cer­taine uni­ver­sa­li­té à l’échelle d’un pays ou d’une région.

Il faut noter d’emblée que saint Louis-​Marie ne pré­ten­dait pas intro­duire ses com­po­si­tions dans les offices litur­giques. Leur usage était réser­vé à la pré­di­ca­tion et aux “pieux exer­cices”, comme dirait l’Instruction de 1958. C’est pour­quoi cer­tains can­tiques devront être réser­vés à la sor­tie de la messe ou aux pro­ces­sions et ne pas s’introduire dans la litur­gie elle-​même parce qu’ils sont moins sacrés. Dans notre pre­mier fas­ci­cule, ce serait le cas du can­tique « Venez à la confession ».

Pour le reste, les carac­té­ris­tiques du bon chant popu­laire reli­gieux, don­nées par le pape Pie XII, qui com­plète saint Pie X, cor­res­pondent aux prin­cipes direc­teurs du Père de Montfort :

  • « Que le can­tique popu­laire soit issu dans son ori­gine du chant litur­gique lui-​même, » demande Pie XII. On com­prend pour­quoi saint Louis-​Marie essaie de com­po­ser des can­tiques sur les hymnes litur­giques ou pour­quoi il imite les textes de la liturgie.
  • « Qu’il soit plei­ne­ment conforme à la doc­trine de la foi chré­tienne, la pré­sen­tant et l’exposant de façon juste, » dit encore Pie XII. On pour­rait recher­cher dans l’œuvre du mis­sion­naire des approxi­ma­tions théo­lo­giques, elles seraient dif­fi­ciles à trou­ver. Au contraire, tout est conforme à la saine théo­lo­gie, si bien qu’un vrai moder­niste ne pour­rait pas conser­ver long­temps ces cantiques.
  • Le pape demande d’« uti­li­ser une langue facile et une musique simple, évi­tant la pro­lixi­té ampou­lée et vaine des paroles ». C’est encore une carac­té­ris­tique de la poé­sie mont­for­taine, expo­sée ci-​dessus. Il est vrai que cer­tains cou­plets peuvent paraître un peu pom­peux aujourd’hui, la langue fran­çaise ayant évo­lué depuis.
  • Le bon can­tique doit « être court et facile ». Saint Louis-​Marie res­pecte plus la 2e condi­tion parce qu’il des­tine ses can­tiques aux pré­di­ca­tions et exer­cices de pié­té. C’est pour­quoi nous n’avons gar­dé que quelques cou­plets pour l’usage liturgique.
  • Enfin, il doit « avoir une cer­taine gra­vi­té reli­gieuse ». La sélec­tion dans les airs popu­laires dont parle Gastoué cor­res­pond bien à cette exi­gence de Pie XII. Il faut pré­ci­ser que le pape rap­pelle ici la pre­mière carac­té­ris­tique don­née par saint Pie X.

Il n’y a donc aucune oppo­si­tion entre les direc­tives strictes du saint pape Pie X et la liber­té du mis­sion­naire. Au contraire, le même esprit les anime : faire prier d’autant plus les fidèles qu’on les fait chan­ter, mais pas n’importe quelle musique parce qu’il faut que « le peuple prie sur de la beauté. »