Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

20 janvier 1958

Discours à la fédération italienne des associations de familles nombreuses

Table des matières

Rome, 20 jan­vier 1958

Parmi les visites les plus agréables à Notre cœur, Nous comp­tons la vôtre, chers fils et filles, diri­geants et repré­sen­tants des Associations de familles nom­breuses de Rome et d’Italie. Vous connais­sez en effet la vive sol­li­ci­tude que Nous nour­ris­sons envers la famille ; Nous ne négli­geons aucune occa­sion d’en illus­trer la digni­té dans ses aspects mul­tiples, d’af­fir­mer et de défendre ses droits, d’in­sis­ter sur ses devoirs, en un mot d’en faire un point fon­da­men­tal de Notre ensei­gne­ment pater­nel. En rai­son de cette sol­li­ci­tude envers la famille, Nous consen­tons volon­tiers, lorsque les occu­pa­tions de Notre charge ne s’y opposent pas, à Nous entre­te­nir, ne fût-​ce que quelques ins­tants, avec les membres de familles qui viennent dans Notre demeure, et même, lorsque c’est le cas, à Nous lais­ser pho­to­gra­phier au milieu d’eux, pour per­pé­tuer en quelque sorte le sou­ve­nir de Notre joie et de la leur. Le Pape au milieu d’une famille ! N’est-​ce donc pas là une place qui lui revient vrai­ment ? N’est-​il pas Lui-​même, en un sens hau­te­ment spi­ri­tuel, le Père de la famille humaine, régé­né­rée dans le Christ et dans l’Eglise ? Et n’est-​ce pas par son inter­mé­diaire de Vicaire du Christ sur la terre, que se réa­lise l’ad­mi­rable des­sein de la Sagesse créa­trice, qui a ordon­né toute pater­ni­té humaine à pré­pa­rer la famille des élus du ciel, où l’a­mour de Dieu, Unique dans la Trinité, l’en­fer­me­ra dans un seul et éter­nel embras­se­ment, en se don­nant Lui-​même en un héri­tage de béatitude ?

Cependant vous ne repré­sen­tez pas seule­ment la famille, mais vous êtes et repré­sen­tez les familles nom­breuses, c’est-​à-​dire celles qui sont bénies davan­tage par Dieu, qui sont ché­ries et esti­mées par l’Eglise comme ses plus pré­cieux tré­sors. De celles-​ci, en effet, elle reçoit plus mani­fes­te­ment un triple témoi­gnage, qui confirme aux yeux du monde la véri­té de sa doc­trine et la jus­tesse de son appli­ca­tion, et qui se révèle aus­si, en ver­tu de l’exemple, d’un grand avan­tage pour toutes les autres familles et pour la socié­té civile elle-​même. Car là où on en ren­contre fré­quem­ment, les familles nom­breuses attestent la san­té phy­sique et morale du peuple chré­tien — la vive foi en Dieu — la sain­te­té féconde et heu­reuse du mariage catholique.

Nous dési­rons vous dire quelques brèves paroles sur cha­cun de ces témoignages.

La santé physique et morale du peuple chrétien – Le contrôle rationnel des naissances.

I. — Il convient de ran­ger par­mi les aber­ra­tions les plus nui­sibles de la socié­té moderne paga­ni­sante l’o­pi­nion de cer­tains qui osent qua­li­fier la fécon­di­té des mariages de « mala­die sociale », dont les nations qui en sont atteintes devraient s’ef­for­cer de gué­rir par tous les moyens. D’où la pro­pa­gande de ce qu’on appelle le « contrôle ration­nel des nais­sances », sou­te­nu par des per­sonnes et des orga­ni­sa­tions, par­fois insignes à d’autres titres, mais en cela mal­heu­reu­se­ment condam­nables. Mais s’il est dou­lou­reux de rele­ver la dif­fu­sion de telles doc­trines et pra­tiques, même dans les milieux tra­di­tion­nel­le­ment sains, il est tou­te­fois récon­for­tant de noter dans votre pays les symp­tômes et les faits d’une saine réac­tion, dans le domaine aus­si bien juri­dique que médi­cal. Comme on le sait, la Constitution actuelle de la République ita­lienne, pour ne citer que cette source, accorde, à l’ar­ticle 31, une « consi­dé­ra­tion par­ti­cu­lière aux familles nom­breuses », et quant à la doc­trine la plus cou­rante des méde­cins ita­liens, elle prend par­ti de plus en plus contre les pra­tiques qui limitent les nais­sances. Il ne faut pas esti­mer pour autant que le péril a ces­sé ni que sont détruits les pré­ju­gés ten­dant à asser­vir le mariage et ses sages normes aux cou­pables égoïsmes indi­vi­duels et sociaux. On doit réprou­ver par­ti­cu­liè­re­ment la presse qui revient de temps en temps sur la ques­tion avec l’in­ten­tion mani­feste de jeter la confu­sion dans l’es­prit du bon peuple et de l’in­duire en erreur par des docu­men­ta­tions ten­dan­cieuses, par des enquêtes dis­cu­tables et même par des décla­ra­tions faus­sées de tel ou tel ecclé­sias­tique. Du côté catho­lique, il faut faire effort pour répandre la convic­tion, basée sur la véri­té, que la san­té phy­sique et morale de la famille et de la socié­té ne se pro­tège qu’en obéis­sant géné­reu­se­ment aux lois de la nature, c’est-​à-​dire du Créateur, et, avant tout, en nour­ris­sant pour elles un intime res­pect sacré. Tout dans cette matière dépend de l’intention.

On pour­ra mul­ti­plier les lois et aug­men­ter les sanc­tions, démon­trer par des preuves irré­fu­tables la sot­tise des théo­ries limi­ta­tives et les maux qui résultent de leur appli­ca­tion ; mais si fait défaut la sin­cère volon­té de lais­ser le Créateur accom­plir libre­ment son œuvre, l’é­goïsme humain sau­ra tou­jours trou­ver de nou­veaux sophismes et expé­dients pour faire taire, si c’est pos­sible, la conscience et per­pé­tuer les abus. Or, le témoi­gnage des parents de familles nom­breuses prend toute sa valeur dans le fait que non seule­ment ils rejettent sans ambages et pra­ti­que­ment tout com­pro­mis inten­tion­nel entre la loi de Dieu et l’é­goïsme de l’homme, mais aus­si qu’ils sont prompts à accep­ter avec joie et recon­nais­sance les dons ines­ti­mables de Dieu, que sont les enfants, aus­si nom­breux qu’il lui plaît. Tout en libé­rant les époux de cau­che­mars et remords into­lé­rables, cette dis­po­si­tion d’es­prit assure, de l’a­vis de méde­cins auto­ri­sés, les pré­misses psy­chiques les plus favo­rables pour un sain déve­lop­pe­ment des fruits propres au mariage, en évi­tant à l’o­ri­gine même des nou­velles vies ces troubles et angoisses, qui se trans­forment en tares phy­siques et psy­chiques, chez la mère comme chez l’en­fant. En effet, en dehors de cas excep­tion­nels sur les­quels Nous avons eu l’oc­ca­sion d’autres fois de par­ler, la loi de la nature est essen­tiel­le­ment har­mo­nie et elle ne crée donc pas de désac­cords ni de contra­dic­tions, si ce n’est dans la mesure où son cours est trou­blé par des cir­cons­tances pour la plu­part anor­males ou par l’op­po­si­tion de la volon­té humaine. Il n’y a pas d’eu­gé­nisme qui sache faire mieux que la nature et il n’est bon que lors­qu’il en res­pecte les lois, après les avoir pro­fon­dé­ment péné­trées, bien que dans cer­tains cas de sujets tarés on conseille de dis­sua­der ceux-​ci de contrac­ter mariage1. Toujours et par­tout, du reste, le bon sens popu­laire a vu dans les familles nom­breuses le signe, la preuve et la source de san­té phy­sique, tan­dis que l’his­toire ne se trompe pas quand elle indique l’al­té­ra­tion des lois du mariage et de la pro­créa­tion comme la pre­mière cause de la déca­dence des peuples.

Les familles nom­breuses, loin d’être la « mala­die sociale », sont la garan­tie de la san­té phy­sique et morale d’un peuple. Dans les foyers où il y a tou­jours un ber­ceau d’où s’é­lèvent des vagis­se­ments, les ver­tus fleu­rissent spon­ta­né­ment, tan­dis que le vice s’é­loigne, comme chas­sé par l’en­fance, qui s’y renou­velle ain­si qu’un souffle frais et vivi­fiant de printemps.

Que les pusil­la­nimes et les égoïstes prennent donc exemple sur vous ; que la patrie vous conserve gra­ti­tude et pré­di­lec­tion pour tant de sacri­fices assu­més en éle­vant et édu­quant ses citoyens ; quant à l’Eglise, elle vous est recon­nais­sante de pou­voir, grâce à vous et avec vous, pré­sen­ter à l’ac­tion sanc­ti­fiante de l’Esprit divin des foules d’âmes de plus en plus saines et nombreuses.

II — Dans le monde civil moderne, la famille nom­breuse vaut en géné­ral, non sans rai­son, comme témoi­gnage de la foi chré­tienne vécue, parce que l’é­goïsme, dont Nous venons de par­ler comme prin­ci­pal obs­tacle à l’ex­pan­sion du noyau fami­lial, ne peut être effi­ca­ce­ment vain­cu qu’en recou­rant aux prin­cipes éthiques et reli­gieux. Récemment encore, on a vu que la fameuse « poli­tique démo­gra­phique » n’ob­tient pas de résul­tats notables, soit parce que presque tou­jours l’é­goïsme indi­vi­duel pré­vaut sur l’é­goïsme col­lec­tif, dont elle est sou­vent l’ex­pres­sion, soit parce que les inten­tions et les méthodes de cette poli­tique avi­lissent la digni­té de la famille et de la per­sonne en les com­pa­rant presque à des espèces infé­rieures. Seule la lumière divine et éter­nelle du chris­tia­nisme illu­mine et vivi­fie la famille de telle sorte que, soit à l’o­ri­gine, soit dans le déve­lop­pe­ment, la famille nom­breuse est sou­vent prise comme syno­nyme de famille chré­tienne. Le res­pect des lois divines lui a don­né l’exu­bé­rance de la vie ; la foi en Dieu four­nit aux parents la force néces­saire pour affron­ter les sacri­fices et les renon­ce­ments qu’exige l’é­du­ca­tion des enfants ; l’es­prit chré­tien de l’a­mour veille sur l’ordre et sur la tran­quilli­té, en même temps qu’il pro­digue pour ain­si dire en les déga­geant de la nature les intimes joies fami­liales, com­munes aux parents, aux enfants, entre frères.

Extérieurement aus­si, une famille nom­breuse bien ordon­née est comme un sanc­tuaire visible : le sacre­ment du bap­tême n’est pas pour elle un évé­ne­ment excep­tion­nel, mais renou­velle plu­sieurs fois la joie et la grâce du Seigneur. La série des joyeux pèle­ri­nages aux fonts bap­tis­maux n’est pas encore ter­mi­née que com­mence, res­plen­dis­sante d’une égale can­deur, celle des confir­ma­tions et des pre­mières com­mu­nions. A peine le plus petit des enfants a‑t-​il dépo­sé son petit vête­ment blanc par­mi les plus chers sou­ve­nirs de sa vie qu’ap­pa­raît déjà le pre­mier voile nup­tial, qui réunit au pied de l’au­tel parents, enfants et nou­veaux parents. Comme des prin­temps renou­ve­lés, d’autres mariages, d’autres bap­têmes, d’autres pre­mières com­mu­nions se suc­cé­de­ront, per­pé­tuant pour ain­si dire dans la mai­son les visites de Dieu et de sa grâce.

Mais Dieu visite aus­si les familles nom­breuses avec les gestes de sa Providence, à laquelle les parents, spé­cia­le­ment ceux qui sont pauvres, rendent un témoi­gnage évident, du fait qu’ils mettent en elle toute leur confiance, au cas où les pos­si­bi­li­tés humaines ne suf­fi­raient pas. Confiance bien fon­dée et nul­le­ment vaine ! La Providence — pour Nous expri­mer avec des concepts et des paroles humaines — n’est pas pro­pre­ment l’en­semble d’actes excep­tion­nels de la clé­mence divine ; mais le résul­tat ordi­naire de l’har­mo­nieuse action de la sagesse du Créateur, de sa bon­té et de sa toute-​puissance infi­nies. Dieu ne refuse pas les moyens de vivre à celui qu’il appelle à la vie. Le divin Maître a expli­ci­te­ment ensei­gné que « la vie vaut plus que la nour­ri­ture et le corps plus que le vête­ment (Mt 6,25). Si des épi­sodes par­ti­cu­liers, petits et grands, semblent par­fois prou­ver le contraire, c’est un signe que quelque empê­che­ment a été oppo­sé par l’homme à l’exé­cu­tion de l’ordre divin, ou bien, dans des cas excep­tion­nels, que pré­valent des des­seins supé­rieurs de bon­té ; mais la Providence est une réa­li­té, elle est exi­gée par le Dieu créa­teur. Sans aucun doute, ce n’est pas du défaut d’har­mo­nie ou de l’i­ner­tie de la Providence, mais du désordre de l’homme — en par­ti­cu­lier de l’é­goïsme et de l’a­va­rice — qu’a sur­gi et demeure encore sans solu­tion le fameux pro­blème du sur­peu­ple­ment de la terre, qui, pour une part existe réel­le­ment, mais qui est, d’autre part, dérai­son­na­ble­ment redou­té comme une catas­trophe immi­nente de la socié­té moderne. Avec le pro­grès de la tech­nique, avec la faci­li­té des trans­ports, avec les nou­velles sources d’éner­gie, dont on a tout juste com­men­cé à recueillir les fruits, la terre peut pro­mettre à tous ceux qu’elle accueille­ra la pros­pé­ri­té, pen­dant long­temps encore.

Le problème du surpeuplement de la terre

Quant au futur, qui peut pré­voir quelles autres res­sources nou­velles et igno­rées ren­ferme notre pla­nète, et quelles sur­prises, en dehors d’elle, réservent peut-​être les admi­rables réa­li­sa­tions de la science, qui viennent à peine de com­men­cer ? Et qui peut assu­rer pour l’a­ve­nir un rythme de pro­créa­tion natu­relle égal à celui d’à pré­sent ? L’intervention d’une loi modé­ra­trice intrin­sèque du rythme d’ex­pan­sion est-​elle donc impos­sible ? La Providence s’est réser­vée l’a­ve­nir du monde. En atten­dant, c’est un fait sin­gu­lier de consta­ter que, tan­dis que la science conver­tit en réa­li­tés utiles ce qui était autre­fois esti­mé comme le fruit d’i­ma­gi­na­tions enflam­mées, la crainte de cer­tains trans­forme les espé­rances fon­dées de pros­pé­ri­té en spectres de catas­trophes. Le sur­peu­ple­ment n’est donc pas une rai­son valable pour dif­fu­ser les méthodes illi­cites du contrôle des nais­sances, mais plu­tôt le pré­texte pour légi­ti­mer l’a­va­rice et l’é­goïsme, soit des nations qui redoutent l’ex­pan­sion des autres comme un dan­ger pour leur propre hégé­mo­nie poli­tique et un risque d’a­bais­se­ment de leur niveau de vie, soit des indi­vi­dus — sur­tout des mieux pour­vus en moyens de for­tune — qui pré­fèrent la plus large jouis­sance des biens de la terre à l’hon­neur et au mérite de sus­ci­ter de nou­velles vies. On en arrive ain­si à vio­ler les lois cer­taines du Créateur sous pré­texte de cor­ri­ger les erreurs ima­gi­naires de la Providence. Il serait bien plus rai­son­nable et utile que la socié­té moderne s’ap­pli­quât plus réso­lu­ment et uni­ver­sel­le­ment à cor­ri­ger sa propre conduite, en sup­pri­mant les causes de la faim dans les « régions sous-​développées » ou sur­peu­plées, par une uti­li­sa­tion plus dili­gente dans des buts de paix des décou­vertes modernes, par une poli­tique plus ouverte de col­la­bo­ra­tion et d’é­change, par une éco­no­mie plus pré­voyante et moins natio­na­liste : sur­tout en réagis­sant contre les sug­ges­tions de l’é­goïsme par la cha­ri­té et de l’a­va­rice par l’ap­pli­ca­tion plus concrète de la jus­tice. Dieu ne deman­de­ra pas compte aux hommes du des­tin géné­ral de l’hu­ma­ni­té, qui est de sa com­pé­tence ; mais des actes indi­vi­duels vou­lus par eux confor­mé­ment ou en oppo­si­tion aux pré­ceptes de la conscience.

Quant à vous, parents et enfants de familles nom­breuses, conti­nuez à don­ner avec une ferme séré­ni­té votre témoi­gnage de confiance en la Providence divine, cer­tains qu’elle ne man­que­ra pas de la récom­pen­ser par le témoi­gnage de son assis­tance quo­ti­dienne et, au besoin, par des inter­ven­tions extra­or­di­naires, dont beau­coup d’entre vous ont une heu­reuse expérience.

La sainteté féconde et heureuse du mariage catholique.

III. — Et main­te­nant, quelques consi­dé­ra­tions sur le troi­sième témoi­gnage, afin de raf­fer­mir les inquiets et d’ac­croître chez vous le cou­rage. Les familles nom­breuses sont les cor­beilles les plus splen­dides du jar­din de l’Eglise, dans les­quelles, comme sur un ter­rain favo­rable, fleu­rit la joie et mûrit la sain­te­té. Tout noyau fami­lial, même le plus res­treint, est dans les inten­tions de Dieu une oasis de séré­ni­té spi­ri­tuelle. Mais il existe de pro­fondes dif­fé­rences : là où le nombre des enfants ne dépasse guère celui de l’en­fant unique, cette séré­ni­té intime, qui a une valeur de vie, com­porte alors en elle quelque chose de mélan­co­lique et de pâle ; elle est de plus brève durée, peut-​être plus incer­taine, sou­vent trou­blée par des craintes et des remords secrets. En revanche, la séré­ni­té d’es­prit est dif­fé­rente chez les parents entou­rés d’une vigou­reuse flo­rai­son de jeunes vies. La joie, fruit de la béné­dic­tion sur­abon­dante de Dieu, se mani­feste de mille manières, par une per­ma­nence stable et sûre. Sur le front de ces pères et mères, bien que lourd de pen­sées, il n’y a pas trace de cette ombre inté­rieure, révé­la­trice d’in­quié­tudes de conscience ou de la crainte d’un retour irré­pa­rable à la soli­tude. Leur jeu­nesse ne semble jamais pas­ser, tant que dure dans la mai­son le par­fum des ber­ceaux, tant que les parois domes­tiques reten­tissent des voix argen­tines des enfants et des petits-​enfants. Les fatigues mul­ti­pliées, les sacri­fices redou­blés, les renon­ce­ments à des diver­tis­se­ments coû­teux sont lar­ge­ment com­pen­sés, même ici-​bas, par l’a­bon­dance inépui­sable d’af­fec­tions et de douces espé­rances, qui assaillent leurs cœurs, sans tou­te­fois les oppri­mer ni les las­ser. Et les espé­rances deviennent bien­tôt des réa­li­tés, au moment où la plus grande des filles com­mence à appor­ter son aide à la mère pour s’oc­cu­per du dernier-​né ; le jour où le fils aîné rentre rayon­nant, pour la pre­mière fois, avec son pre­mier gain. Ce jour-​là sera par­ti­cu­liè­re­ment béni par les parents, qui voient désor­mais conju­ré le spectre d’une vieillesse misé­rable et assu­rée la récom­pense de leurs sacri­fices. De leur côté, les nom­breux enfants ignorent l’en­nui de la soli­tude et le malaise d’être contraints à vivre au milieu des plus grands. Il est vrai que leur nom­breuse com­pa­gnie peut se trans­for­mer par­fois en une viva­ci­té fas­ti­dieuse et leurs dis­putes en tem­pêtes pas­sa­gères ; mais, quand celles-​ci sont super­fi­cielles et de brève durée, elles concourent effi­ca­ce­ment à la for­ma­tion du carac­tère. Les enfants des familles nom­breuses s’é­duquent pour ain­si dire eux-​mêmes à la vigi­lance et à la res­pon­sa­bi­li­té de leurs actes, au res­pect et à l’aide mutuels, à la lar­geur d’es­prit et à la géné­ro­si­té. La famille est pour eux le petit monde où ils s’exercent, avant d’af­fron­ter le monde exté­rieur, plus ardu et plus astreignant.

Tous ces biens et toutes ces valeurs prennent davan­tage de consis­tance, d’in­ten­si­té et de fécon­di­té lorsque la famille nom­breuse prend comme base et comme règle l’es­prit sur­na­tu­rel de l’Evangile, qui élève tout au-​dessus de l’hu­main et l’é­ter­ni­sé. Dans ces cas, aux dons ordi­naires de pro­vi­dence, de joie, de paix, Dieu ajoute sou­vent, comme l’ex­pé­rience le démontre, les appels de pré­di­lec­tion, c’est-​à-​dire les voca­tions au sacer­doce, à la per­fec­tion reli­gieuse et à la sain­te­té même. Plus d’une fois et à juste titre, on a tenu à mettre en relief la pré­ro­ga­tive des familles nom­breuses d’être des ber­ceaux de saints ; on cite, entre autres, celle de saint Louis, roi de France, com­po­sée de dix enfants ; de sainte Catherine de Sienne, de vingt-​cinq ; de saint Robert Bellarmin, de douze ; de saint Pie X, de dix. Toute voca­tion est un secret de la Providence ; mais, pour ce qui est des parents, on peut conclure de ces faits que le nombre des enfants n’empêche pas leur excel­lente et par­faite édu­ca­tion ; que le nombre en cette matière ne tourne pas au désa­van­tage de la qua­li­té, par rap­port aux valeurs aus­si bien phy­siques que spirituelles.

Appel particulier aux Associations italiennes.

Une parole, enfin, pour vous, diri­geants et repré­sen­tants des Associations de familles nom­breuses à Rome et en Italie. Ayez soin d’im­pri­mer un dyna­misme tou­jours plus vigi­lant et effi­cace à l’ac­tion que vous vous pro­po­sez d’ac­com­plir à l’a­van­tage de la digni­té des familles nom­breuses et de leur pro­tec­tion éco­no­mique. Pour le pre­mier but, conformez-​vous aux pré­ceptes de l’Eglise ; pour le second, il faut secouer de sa léthar­gie la par­tie de la socié­té qui n’est pas encore sen­sible aux devoirs sociaux. La Providence est une réa­li­té divine, mais elle aime à se ser­vir de la col­la­bo­ra­tion humaine. D’ordinaire, elle s’é­branle et accourt lors­qu’elle est appe­lée et pour ain­si dire conduite par la main de l’homme ; elle se plaît à se cacher der­rière l’ac­tion humaine. S’il est juste de recon­naître à la légis­la­tion ita­lienne l’hon­neur des posi­tions les plus avan­cées sur le ter­rain de la pro­tec­tion des familles, par­ti­cu­liè­re­ment des familles nom­breuses, il ne faut pas se cacher qu’il en existe encore un grand nombre, qui se débattent, sans que ce soit de leur faute, au milieu de dif­fi­cul­tés et de pri­va­tions. Eh bien ! votre action doit se pro­po­ser d’é­tendre à celles-​ci la pro­tec­tion des lois et, dans les cas urgents, celle de la cha­ri­té. Tout résul­tat posi­tif obte­nu dans ce domaine est comme une pierre solide posée dans l’é­di­fice de la patrie et de l’Eglise ; c’est le mieux que l’on puisse faire comme catho­liques et comme citoyens.

En invo­quant la pro­tec­tion divine sur vos familles et sur celles de toute l’Italie et en les pla­çant encore une fois sous l’é­gide céleste de la Sainte Famille de Jésus, de Marie et de Joseph, Nous vous don­nons de tout cœur Notre pater­nelle Bénédiction apostolique.

PIE XII, Pape.

  1. Cf. Encycl. Casti Connubi, 31. 12. 1930, A. A. S., 22, 1930, p. 565. []