Les problèmes qui concernent la famille, prennent, dans le monde entier, une place de plus en plus grande ; c’est ce qui a été mis en lumière par le Congrès mondial de la Famille et de la Population qui s’est tenu à Paris du 22 au 28 juin 1947, réunissant les représentants de vingt-sept nations. Ce Congrès a décidé la création de l’Union Internationale des Organismes Familiaux (U. I. O. F.). Ce groupe a pour but d’établir — en dehors de toute considération de race et d’opinion — un lien entre tous les organismes qui, dans le monde, travaillent au mieux-être de la famille.
En 1948, le 2e Congrès de l’Union s’est tenu à Genève ; en 1949, le 3e Congrès se tenait à Rome. Les membres de ce Congrès furent reçus en audience par le Pape qui rappela tout d’abord que l’Eglise s’est toujours attachée à la défense de la famille.
Aurions-Nous pu, Messieurs, ne pas accueillir avec une vive satisfaction votre désir de Nous présenter, en même temps que votre déférent hommage, le tableau de vos travaux et de votre activité au service d’une cause que Nous avons tant à cœur, celle de la famille ?
Dès Notre accession au Siège de Pierre, dans Notre Encyclique « Summi Pontificatus » Nous déclarions regarder comme un devoir impérieux de conscience, imposé par Notre ministère Apostolique, la ferme défense des droits propres de la famille.
Depuis plus de dix ans, le monde a entendu Nos cris d’appel, constaté Nos efforts. Si ceux-ci ont été, par certains, méconnus et Nos intentions travesties, il Nous est d’autant plus doux de recevoir de vous, en votre qualité de représentants des organismes familiaux, la preuve que vous avez su comprendre et apprécier l’œuvre du Père commun. Soyez-en remerciés.
La dignité, les droits et les devoirs du foyer familial, établi par Dieu comme cellule vitale de la société, sont par le fait, aussi anciens que l’humanité ; ils sont indépendants du pouvoir de l’Etat (cf. Léon XIII, Enc. Rerum Novarum) ; mais, s’ils sont menacés, celui-ci doit les protéger et les défendre ; droits et devoirs également sacrés à toute époque de l’histoire et sous tous les climats ; plus sacrés encore aux heures tragiques des calamités de guerre, dont la famille est toujours la grande victime, la grande sacrifiée.
Or, précisément parce qu’elle est l’élément organique de la société, tout attentat perpétré contre elle est un attentat contre l’humanité. Dieu a mis au cœur de l’homme et de la femme, comme un instinct inné, l’amour conjugal, l’amour paternel et maternel, l’amour filial. Dès lors, prétendre arracher, paralyser ce triple amour est une proposition qui fait horreur par elle-même et qui mène fatalement à leur ruine la patrie et l’humanité.
On se retranche derrière le fallacieux prétexte de l’impuissance de la famille livrée à ses propres moyens, pour la mettre sous la pleine dépendance de l’Etat et des pouvoirs publics et la faire servir à des fins qui lui sont étrangères. Déplorable désordre, dans l’illusion plus ou moins sincère d’un ordre factice, mais désordre qui conduit logiquement au chaos.
Que la famille réduite à ses seules ressources privées, sans secours et sans appui, isolée, marchant parallèlement à tant d’autres, soit dans les conditions économiques et sociales d’aujourd’hui, hors d’état de se suffire à elle-même, a fortiori, de jouer son rôle de cellule organique et vitale, cela n’est malheureusement que trop vrai. Est-ce une raison pour lui apporter un remède pire que le mal ? Que faire alors ?
Ce que depuis longtemps cherchent à promouvoir les hommes de justice et de cœur ; ce que Nos Prédécesseurs et Nous-même ne cessons de recommander sans relâche et à quoi Nous travaillons selon toute l’étendue de Nos moyens ; ce que vous-mêmes, Messieurs, vous efforcez de réaliser progressivement grâce à l’union des organismes familiaux.
Le programme de cette action tendant à consolider la famille, à élever son potentiel, à l’intégrer dans le mécanisme vivant du monde, peut se ramener à quelques chefs précis ; suppléer à l’insuffisance de la famille, en lui procurant ce qui lui manque pour exercer sa fonction domestique et sociale,… unir entre elles les familles en un front solide, conscient de sa force,… permettre à la famille de faire entendre sa voix dans les affaires de chaque pays, comme de toute la société, de telle sorte qu’elle n’ait jamais à souffrir de leur part, mais au contraire à en bénéficier le plus possible.
Comme les chemins que suivent l’économie et la politique elle-même seraient différents si ce principe fondamental devenait le guide commun de tous les hommes consacrés à la vie publique !
Ainsi donc ce qui importe avant tout, c’est que la famille, — sa nature, sa fin et sa vie, — soient envisagés sous leur véritable aspect, qui est celui de Dieu, de sa loi religieuse et morale.
N’est-ce pas une pitié de voir à quelles solutions des problèmes les plus délicats descend une mentalité matérialiste : désagrégation de la famille par l’indiscipline des mœurs érigée en liberté indiscutable ; épuisement de la famille par l’eugénisme sous toutes ses formes introduit dans la législation ; asservissement matériel ou moral de la famille où, dans l’éducation de leurs enfants, les parents sont réduits peu à peu à la condition de condamnés déchus de la puissance paternelle !
La conception de la famille envisagée du point de vue de Dieu, fera nécessairement revenir à l’unique principe de solution honnête ; user de tous les moyens pour mettre la famille en état de se suffire à elle-même et de porter sa contribution au bien commun.
Les mesures d’assistance à la famille vous sont bien connues : qu’elles soient d’institution publique ou d’initiative privée, elles revêtent des formes très variées. Après la première guerre mondiale, la prévoyance familiale est devenue un secteur des organismes officiels de la santé publique.
Les Papes, dans leurs Messages sociaux, se sont employés fermement en faveur du salaire familial ou social, qui permet à la famille de pourvoir à l’entretien des enfants au fur et à mesure qu’ils grandissent.
Ce qu’il fallait alors et ce qui a été tenté avec un égal courage ici ou là, c’est une politique de grande envergure, qui vide les immeubles où s’encasernent les locataires, et qui crée l’habitation familiale. Aujourd’hui, après la seconde guerre mondiale, cette exigence est passée certainement au premier plan.
Ajoutons aussi la formation d’un sens plus aigu de la responsabilité dans la fondation du foyer, le développement d’une vie de famille plus saine dans une demeure choyée, aussi bienfaisante pour l’esprit que pour le cœur. Nous n’avons pas manqué non plus de mentionner les organismes conçus pour mieux préparer aux charges et aux devoirs du mariage. De quel concours pourraient être la presse, la radio, le cinéma, et combien grave est leur responsabilité à l’égard de la famille ! Le cinéma ne devrait-il pas, au lieu de s’avilir dans les intrigues de divorce et de séparation, se mettre au service de l’unité du mariage, de la fidélité conjugale, de la santé de la famille et du bonheur du foyer ? Le peuple éprouve le besoin d’une conception meilleure et plus haute de la vie domestique. Le succès inattendu de certains films récents en est la preuve suffisante.
Nous voulons également signaler les secours à l’enfance, l’assistance à la jeunesse, les maisons d’accueil et de repos pour les mères, l’organisation si bienfaisante des secours immédiats aux familles surchargées, lorsque par exemple la mère de famille se voit dans l’impossibilité de tenir elle- même sa maison : l’immense champ de travail ouvert aux organisations de prévoyance publique, mais avant tout, la charité privée.
Il convient naturellement de rapporter que des égards plus attentifs sont dus aux familles chargées d’enfants : dégrèvements d’impôts, subsides, allocations, considérés non comme un don purement gratuit, mais plutôt comme une indemnité très modeste due au service social de première valeur que rend la famille, surtout la famille nombreuse.
Très opportunément vous affirmez, dans vos statuts, votre volonté de « renforcer les liens de solidarité entre toutes les familles du monde », condition très favorable à l’accomplissement de leurs fonctions de cellules vitales de la société. Combien de forces morales précieuses viendraient ainsi se rallier pour lutter contre la guerre au service de la paix !
Que toutes les familles du monde s’unissent pour s’entr’aider, pour contenir et maîtriser les forces mauvaises par leur vigueur saine et féconde, c’est fort bien. Un pas encore reste à franchir : établir l’esprit familial chrétien à l’échelon national, international, mondial ! Pas plus qu’une famille particulière n’est le simple rassemblement de ses membres sous un même toit, pas plus la société ne doit être la simple somme des familles qui la constituent. Elle doit vivre de l’esprit familial fondé sur la communauté d’origine et de fin. Quand, entre les branches d’une même famille, les circonstances de la vie font apparaître des inégalités, on s’aide mutuellement. Ainsi devrait-il en être entre membres de la grande famille des nations. Idéal élevé sans doute ! Mais pourquoi ne pas se mettre aussitôt à y travailler, si lointaine que sa réalisation puisse paraître ? Il n’est pas jusqu’aux questions angoissantes de l’économie continentale et mondiale qui, envisagées de ce point de vue, n’en éprouveraient une détente sensible et une aide bienfaisante.
L’œuvre qui reste à accomplir est donc immense, elle ne s’accomplira que par des progrès successifs. Votre zèle s’applique à intensifier et à accélérer ces progrès.
Sur vos si louables efforts Nous appelons de tout cœur, Messieurs, les plus abondantes bénédictions du Père éternel de tous les hommes.
Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Labergerie. – D’après le texte français des A. A. S., XXXXI, 1949, p. 551.