Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

20 septembre 1949

Discours à l'union internationale des organismes familiaux

Unir entre elles les familles en un front solide

Les pro­blèmes qui concernent la famille, prennent, dans le monde entier, une place de plus en plus grande ; c’est ce qui a été mis en lumière par le Congrès mon­dial de la Famille et de la Population qui s’est tenu à Paris du 22 au 28 juin 1947, réunis­sant les repré­sen­tants de vingt-​sept nations. Ce Congrès a déci­dé la créa­tion de l’Union Internationale des Organismes Familiaux (U. I. O. F.). Ce groupe a pour but d’établir — en dehors de toute con­sidération de race et d’opinion — un lien entre tous les orga­nismes qui, dans le monde, tra­vaillent au mieux-​être de la famille.

En 1948, le 2e Congrès de l’Union s’est tenu à Genève ; en 1949, le 3e Congrès se tenait à Rome. Les membres de ce Congrès furent reçus en audience par le Pape qui rap­pe­la tout d’abord que l’Eglise s’est tou­jours atta­chée à la défense de la famille.

Aurions-​Nous pu, Messieurs, ne pas accueillir avec une vive satis­fac­tion votre désir de Nous pré­sen­ter, en même temps que votre défé­rent hom­mage, le tableau de vos tra­vaux et de votre acti­vi­té au ser­vice d’une cause que Nous avons tant à cœur, celle de la famille ?

Dès Notre acces­sion au Siège de Pierre, dans Notre Encyclique « Summi Pontificatus » Nous décla­rions regar­der comme un devoir impé­rieux de conscience, impo­sé par Notre minis­tère Apostolique, la ferme défense des droits propres de la famille.

Depuis plus de dix ans, le monde a enten­du Nos cris d’appel, consta­té Nos efforts. Si ceux-​ci ont été, par cer­tains, mécon­nus et Nos inten­tions tra­ves­ties, il Nous est d’autant plus doux de rece­voir de vous, en votre qua­li­té de repré­sen­tants des orga­nismes fami­liaux, la preuve que vous avez su com­prendre et appré­cier l’œuvre du Père com­mun. Soyez-​en remerciés.

La digni­té, les droits et les devoirs du foyer fami­lial, éta­bli par Dieu comme cel­lule vitale de la socié­té, sont par le fait, aus­si anciens que l’humanité ; ils sont indé­pen­dants du pou­voir de l’Etat (cf. Léon XIII, Enc. Rerum Novarum) ; mais, s’ils sont mena­cés, celui-​ci doit les pro­té­ger et les dé­fendre ; droits et devoirs éga­le­ment sacrés à toute époque de l’histoire et sous tous les cli­mats ; plus sacrés encore aux heures tra­giques des cala­mi­tés de guerre, dont la famille est tou­jours la grande vic­time, la grande sacrifiée.

Or, pré­ci­sé­ment parce qu’elle est l’élément orga­nique de la socié­té, tout atten­tat per­pé­tré contre elle est un atten­tat contre l’humanité. Dieu a mis au cœur de l’homme et de la femme, comme un ins­tinct inné, l’amour conju­gal, l’amour pater­nel et mater­nel, l’amour filial. Dès lors, pré­tendre arra­cher, para­ly­ser ce triple amour est une propo­sition qui fait hor­reur par elle-​même et qui mène fata­le­ment à leur ruine la patrie et l’humanité.

On se retranche der­rière le fal­la­cieux pré­texte de l’im­puissance de la famille livrée à ses propres moyens, pour la mettre sous la pleine dépen­dance de l’Etat et des pou­voirs publics et la faire ser­vir à des fins qui lui sont étran­gères. Déplorable désordre, dans l’illusion plus ou moins sin­cère d’un ordre fac­tice, mais désordre qui conduit lo­giquement au chaos.

Que la famille réduite à ses seules res­sources pri­vées, sans secours et sans appui, iso­lée, mar­chant paral­lè­le­ment à tant d’autres, soit dans les condi­tions éco­no­miques et sociales d’aujourd’hui, hors d’état de se suf­fire à elle-​même, a for­tio­ri, de jouer son rôle de cel­lule orga­nique et vitale, cela n’est mal­heu­reu­se­ment que trop vrai. Est-​ce une rai­son pour lui appor­ter un remède pire que le mal ? Que faire alors ?

Ce que depuis long­temps cherchent à pro­mou­voir les hommes de jus­tice et de cœur ; ce que Nos Prédécesseurs et Nous-​même ne ces­sons de recom­man­der sans relâche et à quoi Nous tra­vaillons selon toute l’étendue de Nos moyens ; ce que vous-​mêmes, Messieurs, vous effor­cez de réa­li­ser pro­gressivement grâce à l’union des orga­nismes familiaux.

Le pro­gramme de cette action ten­dant à conso­li­der la famille, à éle­ver son poten­tiel, à l’intégrer dans le méca­nisme vivant du monde, peut se rame­ner à quelques chefs pré­cis ; sup­pléer à l’insuffisance de la famille, en lui pro­curant ce qui lui manque pour exer­cer sa fonc­tion domes­tique et sociale,… unir entre elles les familles en un front solide, conscient de sa force,… per­mettre à la famille de faire entendre sa voix dans les affaires de chaque pays, comme de toute la socié­té, de telle sorte qu’elle n’ait jamais à souf­frir de leur part, mais au contraire à en béné­fi­cier le plus possible.

Comme les che­mins que suivent l’économie et la poli­tique elle-​même seraient dif­fé­rents si ce prin­cipe fondamen­tal deve­nait le guide com­mun de tous les hommes consa­crés à la vie publique !

Ainsi donc ce qui importe avant tout, c’est que la famille, — sa nature, sa fin et sa vie, — soient envi­sa­gés sous leur véri­table aspect, qui est celui de Dieu, de sa loi reli­gieuse et morale.

N’est-ce pas une pitié de voir à quelles solu­tions des pro­blèmes les plus déli­cats des­cend une men­ta­li­té maté­rialiste : désa­gré­ga­tion de la famille par l’indiscipline des mœurs éri­gée en liber­té indis­cu­table ; épui­se­ment de la famille par l’eugénisme sous toutes ses formes intro­duit dans la légis­la­tion ; asser­vis­se­ment maté­riel ou moral de la famille où, dans l’éducation de leurs enfants, les parents sont réduits peu à peu à la condi­tion de condam­nés déchus de la puis­sance paternelle !

La concep­tion de la famille envi­sa­gée du point de vue de Dieu, fera néces­sai­re­ment reve­nir à l’unique prin­cipe de solu­tion hon­nête ; user de tous les moyens pour mettre la fa­mille en état de se suf­fire à elle-​même et de por­ter sa contri­bution au bien commun.

Les mesures d’assistance à la famille vous sont bien connues : qu’elles soient d’institution publique ou d’initiative pri­vée, elles revêtent des formes très variées. Après la pre­mière guerre mon­diale, la pré­voyance fami­liale est deve­nue un sec­teur des orga­nismes offi­ciels de la san­té publique.

Les Papes, dans leurs Messages sociaux, se sont em­ployés fer­me­ment en faveur du salaire fami­lial ou social, qui per­met à la famille de pour­voir à l’entretien des enfants au fur et à mesure qu’ils grandissent.

Ce qu’il fal­lait alors et ce qui a été ten­té avec un égal cou­rage ici ou là, c’est une poli­tique de grande enver­gure, qui vide les immeubles où s’encasernent les loca­taires, et qui crée l’habitation fami­liale. Aujourd’hui, après la se­conde guerre mon­diale, cette exi­gence est pas­sée certaine­ment au pre­mier plan.

Ajoutons aus­si la for­ma­tion d’un sens plus aigu de la res­pon­sa­bi­li­té dans la fon­da­tion du foyer, le déve­lop­pe­ment d’une vie de famille plus saine dans une demeure choyée, aus­si bien­fai­sante pour l’esprit que pour le cœur. Nous n’avons pas man­qué non plus de men­tion­ner les orga­nismes conçus pour mieux pré­pa­rer aux charges et aux devoirs du mariage. De quel concours pour­raient être la presse, la radio, le ciné­ma, et com­bien grave est leur res­pon­sa­bi­li­té à l’égard de la famille ! Le ciné­ma ne devrait-​il pas, au lieu de s’avilir dans les intrigues de divorce et de sépa­ra­tion, se mettre au ser­vice de l’unité du mariage, de la fidé­li­té conju­gale, de la san­té de la famille et du bon­heur du foyer ? Le peuple éprouve le besoin d’une concep­tion meilleure et plus haute de la vie domes­tique. Le suc­cès inat­ten­du de cer­tains films récents en est la preuve suffisante.

Nous vou­lons éga­le­ment signa­ler les secours à l’enfance, l’assistance à la jeu­nesse, les mai­sons d’accueil et de repos pour les mères, l’organisation si bien­fai­sante des secours immé­diats aux familles sur­char­gées, lorsque par exemple la mère de famille se voit dans l’impossibilité de tenir elle- même sa mai­son : l’immense champ de tra­vail ouvert aux orga­ni­sa­tions de pré­voyance publique, mais avant tout, la cha­ri­té privée.

Il convient natu­rel­le­ment de rap­por­ter que des égards plus atten­tifs sont dus aux familles char­gées d’enfants : dégrè­ve­ments d’impôts, sub­sides, allo­ca­tions, consi­dé­rés non comme un don pure­ment gra­tuit, mais plu­tôt comme une indem­ni­té très modeste due au ser­vice social de pre­mière valeur que rend la famille, sur­tout la famille nombreuse.

Très oppor­tu­né­ment vous affir­mez, dans vos sta­tuts, votre volon­té de « ren­for­cer les liens de soli­da­ri­té entre toutes les familles du monde », condi­tion très favo­rable à l’accom­plissement de leurs fonc­tions de cel­lules vitales de la socié­té. Combien de forces morales pré­cieuses vien­draient ain­si se ral­lier pour lut­ter contre la guerre au ser­vice de la paix !

Que toutes les familles du monde s’unissent pour s’entr’aider, pour conte­nir et maî­tri­ser les forces mau­vaises par leur vigueur saine et féconde, c’est fort bien. Un pas encore reste à fran­chir : éta­blir l’esprit fami­lial chré­tien à l’échelon natio­nal, inter­na­tio­nal, mon­dial ! Pas plus qu’une famille par­ti­cu­lière n’est le simple ras­sem­ble­ment de ses membres sous un même toit, pas plus la socié­té ne doit être la simple somme des familles qui la consti­tuent. Elle doit vivre de l’esprit fami­lial fon­dé sur la com­mu­nau­té d’origine et de fin. Quand, entre les branches d’une même famille, les cir­cons­tances de la vie font appa­raître des inéga­li­tés, on s’aide mutuel­le­ment. Ainsi devrait-​il en être entre membres de la grande famille des nations. Idéal éle­vé sans doute ! Mais pour­quoi ne pas se mettre aus­si­tôt à y tra­vailler, si loin­taine que sa réa­li­sa­tion puisse paraître ? Il n’est pas jus­qu’aux ques­tions angois­santes de l’économie conti­nen­tale et mon­diale qui, envi­sa­gées de ce point de vue, n’en éprou­veraient une détente sen­sible et une aide bienfaisante.

L’œuvre qui reste à accom­plir est donc immense, elle ne s’accomplira que par des pro­grès suc­ces­sifs. Votre zèle s’applique à inten­si­fier et à accé­lé­rer ces progrès.

Sur vos si louables efforts Nous appe­lons de tout cœur, Messieurs, les plus abon­dantes béné­dic­tions du Père éter­nel de tous les hommes.

Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Labergerie. – D’après le texte fran­çais des A. A. S., XXXXI, 1949, p. 551.