Salle du Consistoire – Samedi 15 juillet 1950
Dans Notre souhait de bienvenue et dans l’expression de Notre joie à vous recevoir, ne voyez pas seulement, Messieurs, la sincère mais commune manifestation de Notre bienveillance. Vous y avez un titre tout spécial en tant que représentants éminents de la science et de la pratique juridiques.
Qui pourrait, pour peu qu’il ait feuilleté l’histoire de la civilisation et qu’il ait réfléchi sur la nature du droit, sur son rôle et sur sa fonction dans la vie de la société humaine, s’étonner de l’intérêt que n’a cessé de lui porter l’Église ?
Dans une formule, dont la vigoureuse concision porte le coin de son génie, Platon fixe en ces termes la pensée latente dans l’esprit de toute l’antiquité : o dè zeòs emìn pànton cremàton mètron an eie màlista, kai polù màllon e pù tis, o fasin, àntropos [1] : Dieu est pour nous en première ligne la juste mesure de toutes choses, beaucoup plus qu’aucun homme ne peut l’être. Cette pensée même, l’Église l’enseigne aussi, mais dans toute la plénitude et la profondeur de sa vérité, lorsque, déclarant avec saint Paul que toute paternité dérive de Dieu : pàsa patrià en ouranòis kai epì ghès (Eph. 3, 15), elle affirme en conséquence que, pour régler les rapports mutuels au sein de la grande famille humaine, tout droit a sa racine en Dieu.
Voilà pourquoi l’Église, rejetant le positivisme juridique extrémiste qui attribue au droit sa « sainteté » propre et comme autonome, auréole celui-ci d’une plus sublime et réelle sainteté, obligeant, en dernière analyse, à la fidélité envers la loi tout catholique et aussi tout homme convaincu de l’existence et de la souveraineté d’un Dieu personnel.
Quant à l’Église, étant elle-même un grand organisme social, une communauté supranationale solidement bâtie, pourrait-elle subsister sans un droit déterminé et précis ? Outre cette considération d’une logique incontestable, d’ordre purement naturel pourtant, elle a conscience d’avoir été constituée par son divin Fondateur comme une société visible pourvue d’un ordre juridique ; et la base de cet ordre, de ce statut juridique n’est donc autre que le droit divin positif. La fin de toute la vie de l’Église, sa fonction de conduire les hommes à Dieu, de promouvoir leur union à Dieu, se trouve, il est vrai, dans le champ de l’ultraterrestre, du surnaturel ; elle est, en fin de compte, quelque chose qui se joue, immédiatement, personnellement entre Dieu et l’homme. Oui, mais le long de la route où s’exerce cette fonction et qui tend à cette fin, chaque fidèle chemine comme membre de la communauté ecclésiastique, sous la conduite de l’Église, à travers les conditions particulières et concrètes de l’existence. Or, qui dit communauté et direction d’une autorité, dit par le fait même puissance du droit et de la loi.
À vous, Messieurs, qui connaissez assez bien le droit canonique, point n’est besoin de souligner, pour vous la faire apprécier, la valeur de ces connexions intimes.
Mais pour en venir à votre Institut, Nous voulons rendre un témoignage de la haute estime dans laquelle Nous tenons et son rôle et son travail. Un simple coup d’œil sur l’objet du droit international privé et sur son histoire suffit à faire entrevoir la difficulté de la coordination des différents droits. C’est que le domaine où s’applique votre tâche excède en extension et dépasse en profondeur celui du droit international privé. Il ne vise à rien moins qu’à préparer graduellement une législation de droit privé uniforme. Entreprise d’un grand courage assurément ; mais entreprise opportune, urgente.
Les générations précédentes auraient-elles jamais cru réalisable, auraient-elles même pu simplement songer au progrès technique des communications qui a, en si peu de temps, rapproché tous les hommes au point de rendre exacte à la lettre cette expression familière que « le monde est devenu bien petit ? » Il le devient et le deviendra toujours davantage.
En outre l’idée paneuropéenne, le Conseil d’Europe et d’autres mouvements encore sont une manifestation de la nécessité où l’on se trouve de briser ou du moins d’assouplir, en politique et en économie, la rigidité des vieux cadres de frontières géographiques, de former entre pays de grands groupes de vie et d’action communes. Bon gré, mal gré, on aura beau faire abstraction de toutes ces considération pratiques ; du fait des conséquences inéluctables de la guerre et sous la pression des événements, la surpopulation de certaines région et le chômage qui en résulte, entraînent, par l’émigration et l’immigration, tout un brassage démographique qui, au cours du prochain demi-siècle, dépassera probablement de beaucoup en importance les expatriations vers les deux Amériques au cours des derniers cent cinquante ans. De quelle utilité sera alors de coordination du droit privé !
Sera-t-il cependant toujours possible de l’étendre à tout son domaine, fût-ce seulement pour un groupe déterminé d’États ? Une parification radicale sera-t-elle vraiment partout avantageuse ? Il serait malaisé de le dire dès maintenant. Il peut se faire, en effet, que, malgré tout, les conditions économiques, sociales ou de culture générale demeurent dans certains pays si différentes qu’une uniformité embrassant toutes les nations et tout l’ensemble du droit privé ne corresponde pas tout à fait aux exigences du bien commun.
Quoi qu’il en soit, Nous vous demandons d’avoir toujours présents à l’esprit les trois points suivants. D’abord, la protection sans cesse plus attentive et plus efficace de tous ceux qui en ont un plus grand besoin, spécialement des enfants abandonnés et des femmes seules ; c’est à leur égard surtout que le législateur devrait régler sa conduite sur le modèle du père et de la mère de famille. En second lieu, simplification du régime juridique de ceux que leur situation contraint de passer fréquemment et même périodiquement d’un pays à l’autre. Enfin, reconnaissance et réalisation directe et indirecte des droits innés de l’homme, qui, en tant qu’inhérents à la nature humaine, sont toujours conformes à l’intérêt commun ; bien plus, ce sont eux qui doivent être pris comme éléments essentiels de ce bien commun ; d’où il suit que le devoir de l’État est de les protéger, de les promouvoir et que, en aucun cas, ils ne peuvent être sacrifiés à une prétendue raison d’État.
Avec la plus vive et la plus sympathique attention, Nous suivons, Messieurs, et vos travaux et le développement de votre Institut, sur lequel Nous appelons de tout Notre cœur, ainsi que sur vous et sur vos familles, la divine assistance et la bénédiction de Dieu.
PIE XII, Pape.
- Nomoi l. IV n. 716 C.[↩]