Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

15 juillet 1950

Discours Dans notre souhait

Discours aux membres de l'Institut International pour l'Unification du Droit Privé

Salle du Consistoire – Samedi 15 juillet 1950

Dans Notre sou­hait de bien­ve­nue et dans l’ex­pres­sion de Notre joie à vous rece­voir, ne voyez pas seule­ment, Messieurs, la sin­cère mais com­mune mani­fes­ta­tion de Notre bien­veillance. Vous y avez un titre tout spé­cial en tant que repré­sen­tants émi­nents de la science et de la pra­tique juridiques.

Qui pour­rait, pour peu qu’il ait feuille­té l’his­toire de la civi­li­sa­tion et qu’il ait réflé­chi sur la nature du droit, sur son rôle et sur sa fonc­tion dans la vie de la socié­té humaine, s’é­ton­ner de l’in­té­rêt que n’a ces­sé de lui por­ter l’Église ?

Dans une for­mule, dont la vigou­reuse conci­sion porte le coin de son génie, Platon fixe en ces termes la pen­sée latente dans l’es­prit de toute l’an­ti­qui­té : o dè zeòs emìn pàn­ton cremà­ton mètron an eie màlis­ta, kai polù màl­lon e pù tis, o fasin, àntro­pos [1] : Dieu est pour nous en pre­mière ligne la juste mesure de toutes choses, beau­coup plus qu’au­cun homme ne peut l’être. Cette pen­sée même, l’Église l’en­seigne aus­si, mais dans toute la plé­ni­tude et la pro­fon­deur de sa véri­té, lorsque, décla­rant avec saint Paul que toute pater­ni­té dérive de Dieu : pàsa patrià en ouranòis kai epì ghès (Eph. 3, 15), elle affirme en consé­quence que, pour régler les rap­ports mutuels au sein de la grande famille humaine, tout droit a sa racine en Dieu.

Voilà pour­quoi l’Église, reje­tant le posi­ti­visme juri­dique extré­miste qui attri­bue au droit sa « sain­te­té » propre et comme auto­nome, auréole celui-​ci d’une plus sublime et réelle sain­te­té, obli­geant, en der­nière ana­lyse, à la fidé­li­té envers la loi tout catho­lique et aus­si tout homme convain­cu de l’exis­tence et de la sou­ve­rai­ne­té d’un Dieu personnel.

Quant à l’Église, étant elle-​même un grand orga­nisme social, une com­mu­nau­té supra­na­tio­nale soli­de­ment bâtie, pourrait-​elle sub­sis­ter sans un droit déter­mi­né et pré­cis ? Outre cette consi­dé­ra­tion d’une logique incon­tes­table, d’ordre pure­ment natu­rel pour­tant, elle a conscience d’a­voir été consti­tuée par son divin Fondateur comme une socié­té visible pour­vue d’un ordre juri­dique ; et la base de cet ordre, de ce sta­tut juri­dique n’est donc autre que le droit divin posi­tif. La fin de toute la vie de l’Église, sa fonc­tion de conduire les hommes à Dieu, de pro­mou­voir leur union à Dieu, se trouve, il est vrai, dans le champ de l’ul­tra­ter­restre, du sur­na­tu­rel ; elle est, en fin de compte, quelque chose qui se joue, immé­dia­te­ment, per­son­nel­le­ment entre Dieu et l’homme. Oui, mais le long de la route où s’exerce cette fonc­tion et qui tend à cette fin, chaque fidèle che­mine comme membre de la com­mu­nau­té ecclé­sias­tique, sous la conduite de l’Église, à tra­vers les condi­tions par­ti­cu­lières et concrètes de l’exis­tence. Or, qui dit com­mu­nau­té et direc­tion d’une auto­ri­té, dit par le fait même puis­sance du droit et de la loi.

À vous, Messieurs, qui connais­sez assez bien le droit cano­nique, point n’est besoin de sou­li­gner, pour vous la faire appré­cier, la valeur de ces connexions intimes.

Mais pour en venir à votre Institut, Nous vou­lons rendre un témoi­gnage de la haute estime dans laquelle Nous tenons et son rôle et son tra­vail. Un simple coup d’œil sur l’ob­jet du droit inter­na­tio­nal pri­vé et sur son his­toire suf­fit à faire entre­voir la dif­fi­cul­té de la coor­di­na­tion des dif­fé­rents droits. C’est que le domaine où s’ap­plique votre tâche excède en exten­sion et dépasse en pro­fon­deur celui du droit inter­na­tio­nal pri­vé. Il ne vise à rien moins qu’à pré­pa­rer gra­duel­le­ment une légis­la­tion de droit pri­vé uni­forme. Entreprise d’un grand cou­rage assu­ré­ment ; mais entre­prise oppor­tune, urgente.

Les géné­ra­tions pré­cé­dentes auraient-​elles jamais cru réa­li­sable, auraient-​elles même pu sim­ple­ment son­ger au pro­grès tech­nique des com­mu­ni­ca­tions qui a, en si peu de temps, rap­pro­ché tous les hommes au point de rendre exacte à la lettre cette expres­sion fami­lière que « le monde est deve­nu bien petit ? » Il le devient et le devien­dra tou­jours davantage.

En outre l’i­dée paneu­ro­péenne, le Conseil d’Europe et d’autres mou­ve­ments encore sont une mani­fes­ta­tion de la néces­si­té où l’on se trouve de bri­ser ou du moins d’as­sou­plir, en poli­tique et en éco­no­mie, la rigi­di­té des vieux cadres de fron­tières géo­gra­phiques, de for­mer entre pays de grands groupes de vie et d’ac­tion com­munes. Bon gré, mal gré, on aura beau faire abs­trac­tion de toutes ces consi­dé­ra­tion pra­tiques ; du fait des consé­quences iné­luc­tables de la guerre et sous la pres­sion des évé­ne­ments, la sur­po­pu­la­tion de cer­taines région et le chô­mage qui en résulte, entraînent, par l’é­mi­gra­tion et l’im­mi­gra­tion, tout un bras­sage démo­gra­phique qui, au cours du pro­chain demi-​siècle, dépas­se­ra pro­ba­ble­ment de beau­coup en impor­tance les expa­tria­tions vers les deux Amériques au cours des der­niers cent cin­quante ans. De quelle uti­li­té sera alors de coor­di­na­tion du droit privé !

Sera-​t-​il cepen­dant tou­jours pos­sible de l’é­tendre à tout son domaine, fût-​ce seule­ment pour un groupe déter­mi­né d’États ? Une pari­fi­ca­tion radi­cale sera-​t-​elle vrai­ment par­tout avan­ta­geuse ? Il serait mal­ai­sé de le dire dès main­te­nant. Il peut se faire, en effet, que, mal­gré tout, les condi­tions éco­no­miques, sociales ou de culture géné­rale demeurent dans cer­tains pays si dif­fé­rentes qu’une uni­for­mi­té embras­sant toutes les nations et tout l’en­semble du droit pri­vé ne cor­res­ponde pas tout à fait aux exi­gences du bien commun.

Quoi qu’il en soit, Nous vous deman­dons d’a­voir tou­jours pré­sents à l’es­prit les trois points sui­vants. D’abord, la pro­tec­tion sans cesse plus atten­tive et plus effi­cace de tous ceux qui en ont un plus grand besoin, spé­cia­le­ment des enfants aban­don­nés et des femmes seules ; c’est à leur égard sur­tout que le légis­la­teur devrait régler sa conduite sur le modèle du père et de la mère de famille. En second lieu, sim­pli­fi­ca­tion du régime juri­dique de ceux que leur situa­tion contraint de pas­ser fré­quem­ment et même pério­di­que­ment d’un pays à l’autre. Enfin, recon­nais­sance et réa­li­sa­tion directe et indi­recte des droits innés de l’homme, qui, en tant qu’in­hé­rents à la nature humaine, sont tou­jours conformes à l’in­té­rêt com­mun ; bien plus, ce sont eux qui doivent être pris comme élé­ments essen­tiels de ce bien com­mun ; d’où il suit que le devoir de l’État est de les pro­té­ger, de les pro­mou­voir et que, en aucun cas, ils ne peuvent être sacri­fiés à une pré­ten­due rai­son d’État.

Avec la plus vive et la plus sym­pa­thique atten­tion, Nous sui­vons, Messieurs, et vos tra­vaux et le déve­lop­pe­ment de votre Institut, sur lequel Nous appe­lons de tout Notre cœur, ain­si que sur vous et sur vos familles, la divine assis­tance et la béné­dic­tion de Dieu.

PIE XII, Pape.

Notes de bas de page
  1. Nomoi l. IV n. 716 C.[]