29 mai 1985

Réponse du cardinal Ratzinger à Mgr Lefebvre du 29 mai 1985

Excellence,

Monseigneur le Nonce Apostolique en Suisse m’a bien fait par­ve­nir votre lettre datée du 17 avril der­nier. Je vous en remer­cie. J’en ai pris connais­sance avec la plus grande atten­tion, la consi­dé­rant comme le pro­lon­ge­ment de notre entre­tien du 20 jan­vier 1985.

Dans la der­nière par­tie de cette lettre, vous pré­sen­tez cinq pro­po­si­tions concrètes pour régu­la­ri­ser la situa­tion cano­nique de la Fraternité Saint-​Pie‑X. Il s’agit là assu­ré­ment d’un objec­tif sou­hai­table et diverses fois envi­sa­gé dans le pas­sé. Préalablement, il serait bon que la situa­tion pré­sente (implan­ta­tion des mai­sons, caté­go­ries et nombre des membres, etc.) soit mieux connue du Saint-​siège, et donc sou­hai­table que vous puis­siez me faire don­ner sur ce point des indi­ca­tions précises.

Mais cette régu­la­ri­sa­tion sup­pose aus­si la condi­tion préa­lable que connais­sez bien d’une décla­ra­tion signée par vous-​même et par les membres de votre Fraternité. Dans votre lettre du 17 avril, page 1, vous en pro­po­sez une ver­sion extrê­me­ment brève, qui serait de soi accep­table, mais qui ne l’est mal­heu­reu­se­ment plus avec l’adjonction des remarques de la page 2, qui selon vous en découlent et l’explicitent.

En effet, le pre­mier point déclare « accep­ter les textes du Concile selon le cri­tère de la Tradition, c’est-à-dire selon le Magistère tra­di­tion­nel de l’Église ». Mais les remarques demandent non seule­ment des révi­sions notables de plu­sieurs docu­ments conci­liaires, mais encore une « révi­sion totale » de la Déclaration sur la Liberté reli­gieuse, consi­dé­rée comme « contraire au Magistère de l’Église ». Je ne puis ici que répé­ter ce que je vous écri­vais au nom du Saint-​Père dans ma lettre du 20 juillet 1983 (page 3) : « vous pou­vez expri­mer le désir d’une décla­ra­tion ou d’un déve­lop­pe­ment expli­ca­tif sur tel ou tel point. Mais vous ne pou­vez pas affir­mer l’incompatibilité des textes conci­liaires – qui sont des textes magis­té­riels – avec le Magistère et la Tradition ». La même chose vaut à pro­pos de l’accusation nou­velle et par­ti­cu­liè­re­ment grave que vous por­tez contre le nou­veau Code de Droit Canonique publié dans la plé­ni­tude de son auto­ri­té par le Pape Jean-​Paul II.

Dans le second point, vous décla­rez ne pas affir­mer « que le Nouvel Ordo Missæ, célé­bré selon le rite indi­qué dans la publi­ca­tion romaine, est de soi inva­lide ou héré­tique ». Néanmoins, votre seconde remarque main­tient des accu­sa­tions consi­dé­rables à l’égard de la Réforme Liturgique, qui consti­tue­rait « un dan­ger très grave pour la foi catho­lique ». Là encore, je ne puis que vous rap­pe­ler ce que je vous ai écrit dans la lettre déjà citée (p. 1 et 2), et notam­ment ceci : « (…) l’expression du désir d’une nou­velle révi­sion est pos­sible (…). Mais ceci à condi­tion que la cri­tique n’empêche pas et ne détruise pas l’obéissance, et qu’elle ne mette pas en dis­cus­sion la légi­ti­mi­té de la litur­gie de l’Église ».

Excellence, j’aurais sou­hai­té pou­voir vous don­ner dès main­te­nant, et de la part du Souverain Pontife, une réponse plus favo­rable, et envi­sa­ger sans plus de retard la mise en œuvre d’un pro­ces­sus de régu­la­ri­sa­tion bien des fois évo­qué entre nous ora­le­ment et par écrit. Avec regret, je constate que ce n’est pas encore pos­sible. En conscience, je dois vous invi­ter à une réflexion ulté­rieure en pré­sence du Seigneur Jésus et de la Vierge Marie, Mère de l’Église.

Soyez du moins assu­ré qu’à cette inten­tion toute spé­ciale j’unis ma prière à la vôtre. Et veuillez agréer l’expression de mes sen­ti­ments de reli­gieux et très res­pec­tueux dévouement.

Joseph card. RATZINGER