Léon XIII

256ᵉ pape ; de 1878 à 1903

24 décembre 1883

Bref Salutaris ille Spiritus precum

Sur la récitation du rosaire

Ce salu­taire esprit de prière, don et gage à la fois de la divine misé­ri­corde, que Dieu pro­mit autre­fois de répandre sur la mai­son de David et sur les habi­tants de Jérusalem, ne manque jamais dans l’Eglise catho­lique. Toutefois, il semble exci­ter plus vive­ment les âmes, alors que les hommes redoutent, comme mena­çant ou déjà arri­vé, quelque grand péril pour l’Eglise ou l’Etat. Car la foi et la pié­té envers Dieu ont cou­tume de gran­dir dans les dan­gers, parce que moins on voit de res­sources dans les choses humaines, mieux on com­prend la néces­si­té du secours céleste.

Nous en avons eu des preuves récentes lorsque, ému par les longues épreuves de l’Eglise et par la dif­fi­cul­té géné­rale des temps, Nous avons fait appel, par notre Lettre ency­clique, à la pié­té des chré­tiens, et Nous avons décré­té que la Vierge Marie serait hono­rée et implo­rée, pen­dant tout le mois d’octobre, par la très sainte pra­tique du Rosaire. Nous avons appris en effet, que l’on avait obéi à Notre volon­té avec autant de zèle et d’empressement que la sain­te­té et l’importance de la chose le deman­daient. Car, non seule­ment dans notre Italie, mais dans toutes les contrées de la terre, on a prié pour la reli­gion catho­lique et pour le salut public ; l’autorité des Evêques, l’exemple et le zèle du cler­gé don­nant l’impulsion, on a hono­ré à l’envi l’auguste Mère de Dieu.

Les témoi­gnages mul­tiples par les­quels s’est mani­fes­tée la pié­té Nous ont mer­veilleu­se­ment réjoui : les églises ornées avec plus de magni­fi­cence, les pro­ces­sions solen­nelles, par­tout l’affluence consi­dé­rable du peuple aux ser­mons, aux réunions, aux prières quo­ti­diennes du Rosaire. Nous ne vou­lons pas omettre non plus les nou­velles que nous avons reçues avec une joie pro­fonde de cer­tains pays plus cruel­le­ment bat­tus par la tem­pête et où la fer­veur de la pié­té a été si grande, que les par­ti­cu­liers ont mieux aimé sup­pléer par leur propre minis­tère, dans la mesure où ils le pou­vaient, à la disette des prêtres, que de souf­frir que dans leurs églises, les prières pres­crites n’eussent pas lieu.

C’est pour­quoi, en même temps que l’espérance en la bon­té et la misé­ri­corde divine Nous console des maux pré­sents, Nous com­pre­nons la néces­si­té d’inculquer dans le cœur de tous les fidèles cette véri­té, que les saints Livres en divers endroits pro­clament ouver­te­ment, savoir que dans la prière, comme en toute autre ver­tu, ce qui importe par des­sus tout, c’est la per­pé­tui­té et la constance. Dieu se laisse, en effet, flé­chir et apai­ser par la prière ; mais il veut que ce soit le fruit, non pas seule­ment de sa bon­té, mais aus­si de notre persévérance.

Cette per­sé­vé­rance dans la prière est encore bien plus néces­saire aujourd’hui où nous envi­ronnent de toute part, comme nous l’avons dit bien sou­vent, tant et de si grands périls qui ne peuvent être sur­mon­tés sans le secours spé­cial de Dieu. Un trop grand nombre d’hommes, en effet, haïssent tout ce qui rap­pelle le nom et le culte de Dieu : l’Eglise n’est pas seule­ment l’objet d’attaques pri­vées, mais elle est très sou­vent com­bat­tue par les consti­tu­tions et les lois civiles ; de mons­trueuses nou­veau­tés d’opinions s’élèvent contre la sagesse chré­tienne, à tel point que cha­cun doit lut­ter, et pour son propre salut et pour le salut public contre des enne­mis achar­nés, qui ont juré d’épuiser jusqu’à leurs der­nières forces. Considérant donc par la pen­sée l’étendue et la fureur de ce com­bat, Nous esti­mons que c’est sur­tout le moment de se tour­ner vers Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, qui, pour nous apprendre à l’imiter, dans son ago­nie priait plus longuement.

Or, par­mi les for­mules et les modes de prières pieux et salu­taires, usi­tés dans l’Eglise catho­lique, celui qui est dési­gné par le nom de Rosaire de Marie est recom­man­dable à beau­coup de titres ; par­ti­cu­liè­re­ment comme nous l’avons rap­pe­lé dans Notre Lettre ency­clique, à ce titre prin­ci­pal que le Rosaire a été sur­tout ins­ti­tué pour implo­rer l’aide de la Mère de Dieu contre les enne­mis de la reli­gion catho­lique ; et, à ce point de vue, per­sonne n’ignore qu’il a été sou­vent d’un puis­sant secours pour écar­ter les cala­mi­tés de l’Eglise. Il convient donc par­fai­te­ment, non seule­ment à la pié­té des par­ti­cu­liers, mais à la condi­tion publique des temps, de réta­blir cette forme de prière dans le degré d’honneur qu’elle a long­temps occu­pé, alors que chaque famille chré­tienne n’eût pas vou­lu lais­ser pas­ser un seul jour sans réci­ter le Rosaire.

Pour ces mêmes motifs, Nous exhor­tons tous les fidèles et Nous les conju­rons de prendre et de conser­ver la pieuse habi­tude de la réci­ta­tion quo­ti­dienne du Rosaire : en même temps Nous décla­rons qu’il est dans Notre désir que le Rosaire soit réci­té tous les jours dans l’Eglise prin­ci­pale de chaque dio­cèse, et chaque jour de fête dans les églises parois­siales. Pour l’établissement et le main­tien de cet exer­cice de pié­té, les Ordres reli­gieux pour­ront être d’une grande uti­li­té et prin­ci­pa­le­ment, comme par droit per­son­nel, l’Ordre des Dominicains : Nous sommes cer­tains que nul d’entre eux ne man­que­ra à une si utile et si noble mission.

Nous donc, pour hono­rer l’auguste Marie, Mère de Dieu ; pour consa­crer à per­pé­tui­té le sou­ve­nir du secours implo­ré de son Cœur très pur, sur toute la sur­face de la terre, pen­dant le mois d’octobre ; pour conser­ver le per­pé­tuel témoi­gnage de l’espérance sans bornes que Nous pla­çons en notre très tendre Mère ; pour sol­li­ci­ter de plus en plus sa faveur et son aide, Nous vou­lons et Nous décré­tons que, dans les Litanies de Lorette, après l’invocation Reine conçue sans la tache ori­gi­nelle, soit ajou­tée cette autre invo­ca­tion : Reine du très saint Rosaire, priez pour nous.

Nous vou­lons que ces Lettres demeurent dans la pos­té­ri­té confir­mées et rati­fiées, comme elles le sont pré­sen­te­ment : Nous décla­rons nul et sans effet tout ce qui pour­rait être atten­té contre elles : non­obs­tant toutes choses contraires.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, sous l’anneau du Pécheur, le 24 décembre 1883, sixième de Notre pontificat.

LEON XIII, Pape.