Ce salutaire esprit de prière, don et gage à la fois de la divine miséricorde, que Dieu promit autrefois de répandre sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem, ne manque jamais dans l’Eglise catholique. Toutefois, il semble exciter plus vivement les âmes, alors que les hommes redoutent, comme menaçant ou déjà arrivé, quelque grand péril pour l’Eglise ou l’Etat. Car la foi et la piété envers Dieu ont coutume de grandir dans les dangers, parce que moins on voit de ressources dans les choses humaines, mieux on comprend la nécessité du secours céleste.
Nous en avons eu des preuves récentes lorsque, ému par les longues épreuves de l’Eglise et par la difficulté générale des temps, Nous avons fait appel, par notre Lettre encyclique, à la piété des chrétiens, et Nous avons décrété que la Vierge Marie serait honorée et implorée, pendant tout le mois d’octobre, par la très sainte pratique du Rosaire. Nous avons appris en effet, que l’on avait obéi à Notre volonté avec autant de zèle et d’empressement que la sainteté et l’importance de la chose le demandaient. Car, non seulement dans notre Italie, mais dans toutes les contrées de la terre, on a prié pour la religion catholique et pour le salut public ; l’autorité des Evêques, l’exemple et le zèle du clergé donnant l’impulsion, on a honoré à l’envi l’auguste Mère de Dieu.
Les témoignages multiples par lesquels s’est manifestée la piété Nous ont merveilleusement réjoui : les églises ornées avec plus de magnificence, les processions solennelles, partout l’affluence considérable du peuple aux sermons, aux réunions, aux prières quotidiennes du Rosaire. Nous ne voulons pas omettre non plus les nouvelles que nous avons reçues avec une joie profonde de certains pays plus cruellement battus par la tempête et où la ferveur de la piété a été si grande, que les particuliers ont mieux aimé suppléer par leur propre ministère, dans la mesure où ils le pouvaient, à la disette des prêtres, que de souffrir que dans leurs églises, les prières prescrites n’eussent pas lieu.
C’est pourquoi, en même temps que l’espérance en la bonté et la miséricorde divine Nous console des maux présents, Nous comprenons la nécessité d’inculquer dans le cœur de tous les fidèles cette vérité, que les saints Livres en divers endroits proclament ouvertement, savoir que dans la prière, comme en toute autre vertu, ce qui importe par dessus tout, c’est la perpétuité et la constance. Dieu se laisse, en effet, fléchir et apaiser par la prière ; mais il veut que ce soit le fruit, non pas seulement de sa bonté, mais aussi de notre persévérance.
Cette persévérance dans la prière est encore bien plus nécessaire aujourd’hui où nous environnent de toute part, comme nous l’avons dit bien souvent, tant et de si grands périls qui ne peuvent être surmontés sans le secours spécial de Dieu. Un trop grand nombre d’hommes, en effet, haïssent tout ce qui rappelle le nom et le culte de Dieu : l’Eglise n’est pas seulement l’objet d’attaques privées, mais elle est très souvent combattue par les constitutions et les lois civiles ; de monstrueuses nouveautés d’opinions s’élèvent contre la sagesse chrétienne, à tel point que chacun doit lutter, et pour son propre salut et pour le salut public contre des ennemis acharnés, qui ont juré d’épuiser jusqu’à leurs dernières forces. Considérant donc par la pensée l’étendue et la fureur de ce combat, Nous estimons que c’est surtout le moment de se tourner vers Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui, pour nous apprendre à l’imiter, dans son agonie priait plus longuement.
Or, parmi les formules et les modes de prières pieux et salutaires, usités dans l’Eglise catholique, celui qui est désigné par le nom de Rosaire de Marie est recommandable à beaucoup de titres ; particulièrement comme nous l’avons rappelé dans Notre Lettre encyclique, à ce titre principal que le Rosaire a été surtout institué pour implorer l’aide de la Mère de Dieu contre les ennemis de la religion catholique ; et, à ce point de vue, personne n’ignore qu’il a été souvent d’un puissant secours pour écarter les calamités de l’Eglise. Il convient donc parfaitement, non seulement à la piété des particuliers, mais à la condition publique des temps, de rétablir cette forme de prière dans le degré d’honneur qu’elle a longtemps occupé, alors que chaque famille chrétienne n’eût pas voulu laisser passer un seul jour sans réciter le Rosaire.
Pour ces mêmes motifs, Nous exhortons tous les fidèles et Nous les conjurons de prendre et de conserver la pieuse habitude de la récitation quotidienne du Rosaire : en même temps Nous déclarons qu’il est dans Notre désir que le Rosaire soit récité tous les jours dans l’Eglise principale de chaque diocèse, et chaque jour de fête dans les églises paroissiales. Pour l’établissement et le maintien de cet exercice de piété, les Ordres religieux pourront être d’une grande utilité et principalement, comme par droit personnel, l’Ordre des Dominicains : Nous sommes certains que nul d’entre eux ne manquera à une si utile et si noble mission.
Nous donc, pour honorer l’auguste Marie, Mère de Dieu ; pour consacrer à perpétuité le souvenir du secours imploré de son Cœur très pur, sur toute la surface de la terre, pendant le mois d’octobre ; pour conserver le perpétuel témoignage de l’espérance sans bornes que Nous plaçons en notre très tendre Mère ; pour solliciter de plus en plus sa faveur et son aide, Nous voulons et Nous décrétons que, dans les Litanies de Lorette, après l’invocation Reine conçue sans la tache originelle, soit ajoutée cette autre invocation : Reine du très saint Rosaire, priez pour nous.
Nous voulons que ces Lettres demeurent dans la postérité confirmées et ratifiées, comme elles le sont présentement : Nous déclarons nul et sans effet tout ce qui pourrait être attenté contre elles : nonobstant toutes choses contraires.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, sous l’anneau du Pécheur, le 24 décembre 1883, sixième de Notre pontificat.
LEON XIII, Pape.