Léon XIII

256ᵉ pape ; de 1878 à 1903

20 septembre 1887

Lettre encyclique Vi è ben noto

Accroitre le culte de Notre-Dame du Rosaire

Aux évêques d’Italie.
Léon XIII, Pape

Vénérables frères,

Vous savez com­bien, au milieu des cala­mi­tés actuelles, nous avons mis de confiance dans la glo­rieuse Vierge du Rosaire pour le salut et la pros­pé­ri­té du peuple chré­tien, pour la paix et la tran­quilli­té de l’Église. Conscients, d’une part, que dans les grandes détresses les pas­teurs et les fidèles ont tou­jours eu l’ha­bi­tude de se tour­ner avec confiance vers la grande Mère de Dieu, secours le plus puis­sant des chré­tiens, entre les mains de laquelle sont pla­cées toutes les grâces ; convain­cus, d’autre part, que la dévo­tion à Notre-​Dame sous le titre de Rosaire est très oppor­tune pour les besoins très par­ti­cu­liers de notre temps, nous avons sou­hai­té que cette dévo­tion soit par­tout ravi­vée, et tou­jours plus lar­ge­ment éta­blie par­mi les fidèles du monde entier. Déjà à plu­sieurs reprises, en incul­quant la pieuse pra­tique du mois d’oc­tobre en l’hon­neur de la Vierge, Nous avons indi­qué les rai­sons, les espé­rances et le che­min : et toute l’Église, dans toutes les par­ties de la terre, docile à Notre voix, a tou­jours répon­du par des mani­fes­ta­tions de pié­té sin­gu­lière à Notre invi­ta­tion : et main­te­nant encore, pen­dant un mois entier, l’Église se pré­pare à payer à Marie Très Sainte le tri­but quo­ti­dien de dévo­tion qui Lui est si agréable. Dans ce saint et noble concours, l’Italie n’est pas res­tée en arrière, où la pié­té envers la Vierge est si pro­fon­dé­ment enra­ci­née et si uni­ver­sel­le­ment res­sen­tie ; nous ne dou­tons pas non plus que, cette année encore, l’Italie ne donne de belles preuves de son amour pour la grande Mère de Dieu, et ne nous four­nisse de nou­veaux motifs de conso­la­tion et de récon­fort. Nous ne pou­vons cepen­dant pas nous dis­pen­ser de vous adres­ser, Vénérables Frères, une parole d’ex­hor­ta­tion spé­ciale, afin que le mois dédié à Marie Très Sainte du Rosaire soit sanc­ti­fié avec un enga­ge­ment nou­veau et sin­gu­lier dans tous les dio­cèses italiens.

Il est facile de com­prendre les rai­sons par­ti­cu­lières qui nous poussent à cette fin. Depuis que Dieu Nous a appe­lés à diri­ger son Église sur la terre, Nous nous sommes effor­cés de mettre en œuvre tous les moyens qui sont en notre pou­voir et que Nous avons cru les plus propres à la sanc­ti­fi­ca­tion des âmes et à l’ex­pan­sion du royaume de Jésus-​Christ. Nous n’a­vons exclu de Notre sol­li­ci­tude quo­ti­dienne aucune nation ni aucun peuple, sachant per­ti­nem­ment que pour tous le Rédempteur a ver­sé Son pré­cieux sang sur la croix, et qu’à tous s’est ouvert le royaume de la grâce et de la gloire. Personne, cepen­dant, ne peut être sur­pris si nous consi­dé­rons le peuple ita­lien avec une sin­gu­lière pré­di­lec­tion : car même le divin Maître, Jésus-​Christ, de toutes les par­ties du monde, a choi­si l’Italie pour être le siège de son Vicaire sur la terre, et dans les conseils de sa pro­vi­dence, il a dis­po­sé que Rome devienne la capi­tale du monde catho­lique. Le peuple ita­lien est ain­si appe­lé à vivre dans une plus grande proxi­mi­té avec le grand Père de la famille chré­tienne, et à par­ta­ger plus spé­cia­le­ment ses joies et ses peines. Et mal­heu­reu­se­ment, dans notre Italie, les rai­sons sérieuses de l’a­mer­tume de nos âmes ne manquent pas à l’heure actuelle. La foi et la morale chré­tiennes, l’hé­ri­tage le plus pré­cieux que nous ont trans­mis nos ancêtres, et qui de tout temps ont fait la gloire de notre pays et des grands Italiens, sont soit insi­dieu­se­ment et presque secrè­te­ment, soit ouver­te­ment et avec un cynisme répu­gnant, assaillies par les mains d’hommes, qui cherchent à arra­cher aux autres la foi et la morale qu’ils ont per­dues. Il est facile d’en­tre­voir dans tout cela, plus que toute autre chose, l’œuvre des sectes, et de ceux qui sont des ins­tru­ments plus ou moins dociles entre leurs mains. C’est donc ici, à Rome, où le Vicaire du Christ a son Siège, que les efforts de ces sectes se concentrent de pré­fé­rence aux autres, et que leurs inten­tions sata­niques se mani­festent dans toute leur obs­ti­née férocité.

Nous n’a­vons pas besoin de vous dire, Vénérables Frères, avec quelle amer­tume Notre âme est rem­plie de voir les âmes de tant de Nos chers enfants expo­sées à de si graves dan­gers. Et cette amer­tume gran­dit en Nous voyant pla­cés dans l’im­pos­si­bi­li­té d’op­po­ser à ces grands maux l’ef­fi­ca­ci­té salu­taire que Nous vou­drions, et même que Nous aurions le droit d’a­voir : car les condi­tions de vie aux­quelles nous sommes réduits vous sont connues, Vénérables Frères, et sont connues du monde entier. Pour ces rai­sons, nous res­sen­tons un plus grand besoin d’in­vo­quer l’aide de Dieu et la pro­tec­tion de la grande Vierge Mère. Que les bons Italiens prient avec fer­veur pour leurs frères éga­rés, et qu’ils prient pour le Père com­mun de tous, le Pontife Romain, afin que Dieu, dans son infi­nie misé­ri­corde, accepte et accom­plisse les vœux com­muns de ses enfants et de son Père. Et à cet égard aus­si, Nos espoirs les plus vifs et les plus fermes sont pla­cés dans la très glo­rieuse Reine du Rosaire, qui, depuis qu’elle a com­men­cé à être invo­quée sous ce titre, s’est mon­trée volon­tiers utile aux besoins de l’Église et du peuple chré­tien. Nous avons déjà rap­pe­lé ces gloires et les triomphes écla­tants qu’elle a rem­por­tés contre les Albigeois et d’autres puis­sants enne­mis ; gloires et triomphes qui pro­fitent tou­jours non seule­ment à l’Église per­sé­cu­tée et affli­gée, mais aus­si à la pros­pé­ri­té tem­po­relle des peuples et des nations. Pourquoi les mêmes pro­diges de puis­sance et de bon­té de la part de la grande Vierge ne pourraient-​ils pas se renou­ve­ler dans les besoins actuels, au pro­fit de l’Église et de son chef et de tout le monde chré­tien, si les fidèles étaient capables de renou­ve­ler de leur côté les splen­dides exemples de pié­té don­nés dans des cir­cons­tances sem­blables par leurs aînés ? C’est pour­quoi, afin que cette Reine très puis­sante Nous soit d’au­tant plus favo­rable, Nous enten­dons l’ho­no­rer de plus en plus sous l’in­vo­ca­tion du Rosaire et accroître son culte. C’est pour­quoi, à par­tir de l’an­née en cours, Nous avons déci­dé d’é­le­ver la solen­ni­té du Rosaire au rang de rite double de deuxième classe pour toute l’Église. Et dans le même but, nous dési­rons ardem­ment que le peuple catho­lique ita­lien, avec un élan par­ti­cu­lier de dévo­tion, se tourne tou­jours, mais par­ti­cu­liè­re­ment au mois d’oc­tobre pro­chain, vers cette grande Vierge, et fasse une douce vio­lence au cœur de sa Mère, en la priant pour l’exal­ta­tion de l’Église et du Siège Apostolique, pour la liber­té du Vicaire de Jésus-​Christ sur la terre, pour la paix et la pros­pé­ri­té publiques. Et comme l’ef­fet des prières sera d’au­tant plus grand et plus sûr, que les dis­po­si­tions de ceux qui prient seront meilleures, nous vous exhor­tons ins­tam­ment, Vénérables Frères, à vous effor­cer, par tous les efforts de votre zèle, d’é­veiller dans les peuples qui vous sont confiés une foi vigou­reuse, vivante et opé­rante, et de les appe­ler par la péni­tence à la grâce et à l’ac­com­plis­se­ment fidèle de tous les devoirs chré­tiens. Parmi les­quelles, en rai­son des condi­tions de l’é­poque, il convient de consi­dé­rer comme la plus impor­tante la pro­fes­sion franche et sin­cère de la foi et de la morale du Christ, pour laquelle tout res­pect humain est dépas­sé et les inté­rêts de la reli­gion et le salut éter­nel des âmes sont pla­cés avant tout. Car il ne faut pas se cacher que, bien que par la misé­ri­corde divine le sen­ti­ment reli­gieux soit encore vivant et lar­ge­ment répan­du par­mi le peuple ita­lien, même par­mi lui, par l’in­fluence néfaste des hommes et des temps, l’in­dif­fé­ren­tisme reli­gieux a com­men­cé à se répandre ; d’où la dimi­nu­tion de la révé­rence pra­tique et de l’a­mour filial pour l’Église, qui étaient la gloire et la noble fier­té des plus grands. Que ce soit par votre tra­vail, Vénérables Frères, que le sen­ti­ment chré­tien, l’in­té­rêt pour la cause catho­lique, la confiance dans la pro­tec­tion de la Vierge, et l’es­prit de prière puissent être puis­sam­ment éveillés dans votre peuple. Il n’est pas à dou­ter que la Reine invain­cue, invo­quée par tant d’en­fants et avec de si heu­reuses dis­po­si­tions, ne réponde avec bien­veillance à leurs voix, ne console Notre afflic­tion et ne cou­ronne Nos efforts pour le bien de l’Église et de l’Italie, condui­sant à des jours meilleurs pour l’une et l’autre.

C’est avec ces sen­ti­ments que Nous vous accor­dons, Vénérables Frères, au cler­gé et au peuple confié aux soins de cha­cun de vous, la Bénédiction apos­to­lique, gage des grâces et des faveurs les plus recom­man­dables du Ciel.

Du Vatican, le 20 sep­tembre 1887.

Source : Traduit de l’i­ta­lien avec l’aide de dee​pl​.com. Relu et cor­ri­gé par nos soins.