Pie VII

251ᵉ Pape ; de 1800 à 1823

7 août 1814

Bulle pontificale Sollicitudo Omnium Ecclesiarum

Décrétant le rétablissement de la Compagnie de Jésus

Donné à Rome, à Sainte-​Marie-​Majeure, l’an de l’Incarnation de
Notre-​Seigneur mil huit cent-​quatorze, le sept du mois d’août

A tous nos véné­rables frères les Patriarches, les Primats, les Archevêques et Evêques, en grâce et com­mu­nion avec le Siège Apostolique.

Vénérables Frères,
Salut et Bénédiction Apostolique.

La sol­li­ci­tude de toutes les Églises confiées par la grâce de Dieu à notre fai­blesse, mal­gré la dis­pro­por­tion de nos mérites, nous impose le devoir de mettre en œuvre tous les moyens qui sont en notre pou­voir et que la divine pro­vi­dence, dans sa misé­ri­corde, daigne nous accor­der, pour sub­ve­nir à pro­pos et sans aucune accep­tion de peuple, aux besoins spi­ri­tuels de l’u­ni­vers chré­tien, autant que le per­mettent les vicis­si­tudes mul­ti­pliées des temps et des lieux.

Désirant satis­faire à ce que notre charge pas­to­rale demande de nous, il n’est pas plu­tôt venu à notre connais­sance que Kareu et d’autres prêtres sécu­liers éta­blis depuis plu­sieurs années dans l’im­mense empire de Russie, et autre­fois atta­chés à la com­pa­gnie de Jésus, sup­pri­mée par notre pré­dé­ces­seur Clément XIV d’heu­reuse mémoire, nous sup­pliaient de leur don­ner, par notre auto­ri­té, le pou­voir de se réunir en corps, afin d’être en état, en ver­tu des lois par­ti­cu­lières à leur ins­ti­tut, d’é­le­ver la jeu­nesse dans les prin­cipes de la foi et de la for­mer aux bonnes mœurs, de s’a­don­ner à la pré­di­ca­tion, de s’ap­pli­quer à entendre les confes­sions et à l’ad­mi­nis­tra­tion des autres sacre­ments, que nous avons cru devoir écou­ter leur prière. Nous l’a­vons fait d’au­tant plus volon­tiers que l’empereur Paul Ier, qui régnait alors, nous avait ins­tam­ment recom­man­dé ces mêmes prêtres par des lettres qui étaient l’ex­pres­sion de son estime et de sa bien­veillance pour eux, et qu’il nous adres­sa, le 11 août de l’an du Seigneur 1800, des lettres par les­quelles il lui serait très-​agréable que, pour le bien des catho­liques de son empire, la com­pa­gnie de Jésus y fût éta­blie par notre autorité.

C’est pour­quoi, consi­dé­rant l’ex­trême uti­li­té qui en pro­vien­drait dans ces vastes régions, presque entiè­re­ment des­ti­tuées d’ou­vriers évan­gé­liques, réflé­chis­sant quel avan­tage ines­ti­mable de tels ecclé­sias­tiques, dont les mœurs avaient été la matière de tant d’é­loges, pou­vaient pro­cu­rer à la reli­gion par leurs tra­vaux infa­ti­gables, par l’ar­deur de leur zèle pour le salut des âmes et par leur appli­ca­tion conti­nuelle à la pré­di­ca­tion de la parole de Dieu, nous avons pen­sé qu’il était rai­son­nable de secon­der les vues d’un prince si puis­sant et si bien­fai­sant. En consé­quence, par nos lettres don­nées en forme de bref, le 7 mai de l’an de Notre-​Seigneur 1801, nous accor­dâmes au sus­dit François Kareu, à ses com­pa­gnons éta­blis dans l’empire russe, et à tous ceux qui pour­raient s’y trans­por­ter, la facul­té de se réunir en corps ou congré­ga­tion, sous le nom de la com­pa­gnie de Jésus, en une ou plu­sieurs mai­sons, à la volon­té du supé­rieur, et seule­ment dans les limites de l’empire de Russie ; et de notre bon plai­sir et de celui du siège apos­to­lique, nous dépu­tâmes, en qua­li­té de supé­rieur géné­ral de ladite com­pa­gnie, ledit François Kareu, avec le pou­voir et les facul­tés néces­saires et conve­nables pour suivre et main­te­nir la règle de saint Ignace de Loyola, approu­vée et confir­mée par notre pré­dé­ces­seur Paul III d’heu­reuse mémoire, en ver­tu de ses consti­tu­tions apos­to­liques ; et afin qu’é­tant ain­si asso­ciés et réunis en congré­ga­tion reli­gieuse, ils pussent don­ner leurs soins à l’é­du­ca­tion de la jeu­nesse dans la reli­gion et les sciences, au gou­ver­ne­ment des sémi­naires et des col­lèges, et, avec l’ap­pro­ba­tion et le consen­te­ment des ordi­naires des lieux, au minis­tère de la confes­sion et de la parole sainte, et de l’ad­mi­nis­tra­tion des sacre­ments, nous reçûmes la congré­ga­tion de la com­pa­gnie de Jésus sous notre pro­tec­tion et la sou­mis­sion immé­diate au siège apos­to­lique, et nous réser­vâmes à nous et à nos suc­ces­seurs, de régler et d’or­don­ner ce qui, avec l’as­sis­tance du Seigneur, serait trou­vé expé­dient pour munir et affer­mir ladite congré­ga­tion, et pour en cor­ri­ger les abus s’il s’y en intro­dui­sait : et à cet effet, nous déro­geâmes expres­sé­ment aux consti­tu­tions apos­to­liques, sta­tuts, cou­tumes, pri­vi­lèges et indults accor­dés et confir­més de quelque manière que ce fût, qui se trou­ve­raient contraires aux dis­po­si­tions pré­cé­dentes, nom­mé­ment aux lettres apos­to­liques de Clément XIV, notre pré­dé­ces­seur, qui com­men­çaient par ces mots : Dominus ac Redemptor nos­ter, mais seule­ment en ce qui serait contraire à nos­dites lettres en forme de bref, qui com­men­çaient par le mot Catholicæ, et qui étaient don­nées seule­ment pour l’empire de Russie.

Peu de temps après avoir décré­té ces mesures pour l’empire de Russie, nous crûmes devoir les étendre au royaume des Deux-​Siciles, à la prière de notre très-​cher fils en Jésus-​Christ le roi Ferdinand, qui nous deman­da que la com­pa­gnie de Jésus fût réta­blie dans ses États, comme elle l’a­vait été par nous dans le sus­dit empire, parce que, dans des temps si mal­heu­reux, il lui parais­sait de la plus haute impor­tance de se ser­vir des clercs de la com­pa­gnie de Jésus pour for­mer la jeu­nesse à la pié­té chré­tienne et à la crainte du Seigneur, qui est le com­men­ce­ment de la sagesse, et pour l’ins­truire dans ce qui regarde la doc­trine et les sciences, prin­ci­pa­le­ment dans les col­lèges et les écoles publiques. Nous, par le devoir de notre charge, ayant à cœur de répondre aux pieux dési­rs d’un si illustre prince, qui n’a­vait en vue que la plus grande gloire de Dieu et le salut des âmes, avons éten­du nos lettres don­nées pour l’empire de Russie au royaume des Deux-​Siciles, par de nou­velles lettres en forme de bref, com­men­çant par les mots Per alias, expé­diées le 30 juillet, l’an du Seigneur 1804.

Les vœux una­nimes de presque tout l’u­ni­vers chré­tien pour le réta­blis­se­ment de la même com­pa­gnie de Jésus, nous attirent tous les jours des demandes vives et pres­santes de la part de nos véné­rables frères les arche­vêques et évêques, et des per­sonnes les plus dis­tin­guées de tous les ordres, sur­tout depuis que la renom­mée a publié de tous côtés l’a­bon­dance des fruits que cette com­pa­gnie pro­dui­sait dans les régions qu’elle occu­pait, et sa fécon­di­té dans la pro­duc­tion de reje­tons qui pro­mettent d’é­tendre et d’or­ner de toutes parts le champ du Seigneur.

La dis­per­sion même des pierres du sanc­tuaire cau­sée par les cala­mi­tés récentes, et des revers qu’il faut plu­tôt pleu­rer que rap­pe­ler à la mémoire, l’a­néan­tis­se­ment des ordres régu­liers (de ces ordres la gloire et l’or­ne­ment de la reli­gion et de l’Église), dont la réunion et le réta­blis­se­ment sont l’ob­jet de nos pen­sées et de nos soins conti­nuels, exigent que nous don­nions notre assen­ti­ment à des vœux si una­nimes et si justes. Nous nous croi­rions cou­pables devant Dieu d’une faute très-​grave, si, au milieu des besoins pres­sants qu’é­prouve la chose publique, nous négli­gions de lui prê­ter ce secours salu­taire que Dieu, par une pro­vi­dence sin­gu­lière, met entre nos mains, et si, pla­cé dans la nacelle de saint Pierre sans cesse agi­tée par les flots, nous reje­tions les rameurs robustes et expé­ri­men­tés qui s’offrent à nous pour rompre la force des vagues qui menacent à tout ins­tant de nous englou­tir dans un nau­frage inévitable.

Entraîné par des rai­sons si fortes et de si puis­sants motifs, nous avons réso­lu d’exé­cu­ter ce que nous dési­rions le plus ardem­ment dès le com­men­ce­ment de notre pon­ti­fi­cat. A ces causes, après avoir implo­ré le secours divin par de fer­ventes prières, et recueilli les suf­frages et les avis de plu­sieurs de nos véné­rables frères les car­di­naux de la sainte Église romaine, de notre science cer­taine, et en ver­tu de la plé­ni­tude du pou­voir apos­to­lique, nous avons réso­lu d’or­don­ner et de sta­tuer, comme en effet nous ordon­nons et sta­tuons, par cette pré­sente et irré­vo­cable consti­tu­tion éma­née de nous, que toutes les conces­sions faites et les facul­tés accor­dées par nous uni­que­ment pour l’empire de Russie et le royaume des Deux-​Siciles, soient, dès ce moment, éten­dues et regar­dées comme telles, comme de fait nous les éten­dons à toutes les par­ties de notre État ecclé­sias­tique ain­si qu’à tous les autres États et domaines.

C’est pour­quoi nous concé­dons et accor­dons à notre cher fils Thaddée Brozozowski, supé­rieur géné­ral de la com­pa­gnie de Jésus, et à ceux qui seront légi­ti­me­ment dépu­tés par lui, toutes les facul­tés néces­saires et conve­nables selon notre bon plai­sir et celui du siège apos­to­lique, pour pou­voir libre­ment et lici­te­ment, dans tous les États et domaines ci-​dessus men­tion­nés, admettre et rece­voir tous ceux qui deman­de­ront d’être admis et reçus dans l’ordre régu­lier de la com­pa­gnie de Jésus, les­quels réunis dans une ou plu­sieurs mai­sons, dans un ou plu­sieurs col­lèges, dans une ou plu­sieurs pro­vinces, sous l’o­béis­sance du supé­rieur géné­ral en exer­cice, et dis­tri­bués selon l’exi­gence des cas, confor­me­ront leur manière de vivre aux dis­po­si­tions de la règle de saint Ignace de Loyola approu­vée et confir­mée par les consti­tu­tions apos­to­liques de Paul III. Nous per­met­tons aus­si, et vou­lons qu’ils aient la facul­té de don­ner leurs soins à l’é­du­ca­tion de la jeu­nesse catho­lique dans les prin­cipes de la reli­gion, et l’at­ta­che­ment aux bonnes mœurs, ain­si que de gou­ver­ner des sémi­naires et des col­lèges, et avec le consen­te­ment et l’ap­pro­ba­tion des ordi­naires des lieux, dans les­quels ils pour­ront être deman­dés, d’en­tendre les confes­sions, de prê­cher la parole de Dieu, et d’ad­mi­nis­trer les sacre­ments libre­ment et lici­te­ment. Nous rece­vons dès à pré­sent les mai­sons, les pro­vinces et les membres de ladite com­pa­gnie ain­si que ceux qui pour­ront à l’a­ve­nir s’y asso­cier et s’y agré­ger, sous notre garde, sous notre pro­tec­tion et obéis­sance, et celle du siège apos­to­lique ; nous réser­vant et à nos suc­ces­seurs les pon­tifes romains, de sta­tuer et pres­crire ce que nous croi­rons expé­dient pour éta­blir et affer­mir plus en plus ladite com­pa­gnie, et répri­mer les abus, si (ce qu’à Dieu ne plaise) il s’y en introduisait.

Nous aver­tis­sons et exhor­tons de tout notre pou­voir, tous et cha­cun des supé­rieurs, pré­po­sés, rec­teurs, asso­ciés et élèves quel­conques de cette com­pa­gnie réta­blie, de se mon­trer constam­ment et en tout lieu les dignes enfants et imi­ta­teurs de leur digne père, et d’un si grand ins­ti­tu­teur ; à obser­ver avec soin la règle qu’il leur a don­née et pres­crite, et à s’ef­for­cer de tout leur pou­voir de mettre en pra­tique les avis utiles et les conseils qu’il a don­nés à ses enfants.

Enfin, nous recom­man­dons dans le Seigneur à nos chers fils, les per­sonnes nobles et illustres, aux princes et sei­gneurs tem­po­rels, ain­si qu’à nos véné­rables frères les arche­vêques et évêques, et à toutes per­sonnes consti­tuées en digni­té, la com­pa­gnie de Jésus et cha­cun de ses membres ; et nous les exhor­tons et prions de ne pas per­mettre ni de souf­frir que per­sonne les inquiète, mais de les rece­voir avec bon­té et charité.

Voulons que les pré­sentes lettres et tout leur conte­nu demeurent per­pé­tuel­le­ment fermes, valides et effi­caces, qu’elles aient et sor­tissent leur plein et entier effet, et soient invio­la­ble­ment obser­vées en tout temps et par tous ceux à qui il appar­tien­dra, et qu’il soit jugé et sta­tué confor­mé­ment à icelles par tout juge revê­tu d’un pou­voir quel­conque ; décla­rons nul et de nul effet tout acte à ce contraire, de quelque auto­ri­té qu’il émane, sciem­ment ou par ignorance.

Nonobstant toutes consti­tu­tions et ordon­nances apos­to­liques, et notam­ment les lettres sus­dites, en forme de bref, de Clément XIV d’heu­reuse mémoire, com­men­çant par ces mots : Dominus ac Redemptor nos­ter, expé­diées sous l’an­neau du pêcheur, le 21e jour de juillet de l’an du Seigneur 1773, aux­quelles comme à toutes autres contraires nous déro­geons expres­sé­ment à l’ef­fet des présentes.

Voulons tou­te­fois que la même foi soit ajou­tée soit en jus­tice, soit ailleurs, aux copies col­la­tion­nées ou impri­mées, sous­crites par un notaire public, et revê­tues du sceau d’une per­sonne consti­tuée en digni­té ecclé­sias­tique, qu’aux pré­sentes mêmes, si elles étaient exhi­bées ou montrées.

Qu’il ne soit donc per­mis à per­sonne d’en­freindre ou de contre­dire, par une entre­prise témé­raire, la teneur de notre ordon­nance, sta­tut, exten­sion, conces­sion, indult, décla­ra­tion, facul­té, réserve, avis, exhor­ta­tion, décret et déro­ga­tion ; et si quel­qu’un ose le ten­ter, qu’il sache qu’il encour­ra l’in­di­gna­tion du Dieu tout-​puissant et des bien­heu­reux apôtres saint Pierre et saint Paul.

Donné à Rome, à Sainte-​Marie-​Majeure, l’an de l’Incarnation de Notre-​Seigneur mil huit cent-​quatorze, le sept du mois d’août, et de notre pon­ti­fi­cat la quin­zième année.

Pie VII, Pape