Donné à Rome, à Sainte-Marie-Majeure, l’an de l’Incarnation de
Notre-Seigneur mil huit cent-quatorze, le sept du mois d’aoûtA tous nos vénérables frères les Patriarches, les Primats, les Archevêques et Evêques, en grâce et communion avec le Siège Apostolique.
Vénérables Frères,
Salut et Bénédiction Apostolique.
La sollicitude de toutes les Églises confiées par la grâce de Dieu à notre faiblesse, malgré la disproportion de nos mérites, nous impose le devoir de mettre en œuvre tous les moyens qui sont en notre pouvoir et que la divine providence, dans sa miséricorde, daigne nous accorder, pour subvenir à propos et sans aucune acception de peuple, aux besoins spirituels de l’univers chrétien, autant que le permettent les vicissitudes multipliées des temps et des lieux.
Désirant satisfaire à ce que notre charge pastorale demande de nous, il n’est pas plutôt venu à notre connaissance que Kareu et d’autres prêtres séculiers établis depuis plusieurs années dans l’immense empire de Russie, et autrefois attachés à la compagnie de Jésus, supprimée par notre prédécesseur Clément XIV d’heureuse mémoire, nous suppliaient de leur donner, par notre autorité, le pouvoir de se réunir en corps, afin d’être en état, en vertu des lois particulières à leur institut, d’élever la jeunesse dans les principes de la foi et de la former aux bonnes mœurs, de s’adonner à la prédication, de s’appliquer à entendre les confessions et à l’administration des autres sacrements, que nous avons cru devoir écouter leur prière. Nous l’avons fait d’autant plus volontiers que l’empereur Paul Ier, qui régnait alors, nous avait instamment recommandé ces mêmes prêtres par des lettres qui étaient l’expression de son estime et de sa bienveillance pour eux, et qu’il nous adressa, le 11 août de l’an du Seigneur 1800, des lettres par lesquelles il lui serait très-agréable que, pour le bien des catholiques de son empire, la compagnie de Jésus y fût établie par notre autorité.
C’est pourquoi, considérant l’extrême utilité qui en proviendrait dans ces vastes régions, presque entièrement destituées d’ouvriers évangéliques, réfléchissant quel avantage inestimable de tels ecclésiastiques, dont les mœurs avaient été la matière de tant d’éloges, pouvaient procurer à la religion par leurs travaux infatigables, par l’ardeur de leur zèle pour le salut des âmes et par leur application continuelle à la prédication de la parole de Dieu, nous avons pensé qu’il était raisonnable de seconder les vues d’un prince si puissant et si bienfaisant. En conséquence, par nos lettres données en forme de bref, le 7 mai de l’an de Notre-Seigneur 1801, nous accordâmes au susdit François Kareu, à ses compagnons établis dans l’empire russe, et à tous ceux qui pourraient s’y transporter, la faculté de se réunir en corps ou congrégation, sous le nom de la compagnie de Jésus, en une ou plusieurs maisons, à la volonté du supérieur, et seulement dans les limites de l’empire de Russie ; et de notre bon plaisir et de celui du siège apostolique, nous députâmes, en qualité de supérieur général de ladite compagnie, ledit François Kareu, avec le pouvoir et les facultés nécessaires et convenables pour suivre et maintenir la règle de saint Ignace de Loyola, approuvée et confirmée par notre prédécesseur Paul III d’heureuse mémoire, en vertu de ses constitutions apostoliques ; et afin qu’étant ainsi associés et réunis en congrégation religieuse, ils pussent donner leurs soins à l’éducation de la jeunesse dans la religion et les sciences, au gouvernement des séminaires et des collèges, et, avec l’approbation et le consentement des ordinaires des lieux, au ministère de la confession et de la parole sainte, et de l’administration des sacrements, nous reçûmes la congrégation de la compagnie de Jésus sous notre protection et la soumission immédiate au siège apostolique, et nous réservâmes à nous et à nos successeurs, de régler et d’ordonner ce qui, avec l’assistance du Seigneur, serait trouvé expédient pour munir et affermir ladite congrégation, et pour en corriger les abus s’il s’y en introduisait : et à cet effet, nous dérogeâmes expressément aux constitutions apostoliques, statuts, coutumes, privilèges et indults accordés et confirmés de quelque manière que ce fût, qui se trouveraient contraires aux dispositions précédentes, nommément aux lettres apostoliques de Clément XIV, notre prédécesseur, qui commençaient par ces mots : Dominus ac Redemptor noster, mais seulement en ce qui serait contraire à nosdites lettres en forme de bref, qui commençaient par le mot Catholicæ, et qui étaient données seulement pour l’empire de Russie.
Peu de temps après avoir décrété ces mesures pour l’empire de Russie, nous crûmes devoir les étendre au royaume des Deux-Siciles, à la prière de notre très-cher fils en Jésus-Christ le roi Ferdinand, qui nous demanda que la compagnie de Jésus fût rétablie dans ses États, comme elle l’avait été par nous dans le susdit empire, parce que, dans des temps si malheureux, il lui paraissait de la plus haute importance de se servir des clercs de la compagnie de Jésus pour former la jeunesse à la piété chrétienne et à la crainte du Seigneur, qui est le commencement de la sagesse, et pour l’instruire dans ce qui regarde la doctrine et les sciences, principalement dans les collèges et les écoles publiques. Nous, par le devoir de notre charge, ayant à cœur de répondre aux pieux désirs d’un si illustre prince, qui n’avait en vue que la plus grande gloire de Dieu et le salut des âmes, avons étendu nos lettres données pour l’empire de Russie au royaume des Deux-Siciles, par de nouvelles lettres en forme de bref, commençant par les mots Per alias, expédiées le 30 juillet, l’an du Seigneur 1804.
Les vœux unanimes de presque tout l’univers chrétien pour le rétablissement de la même compagnie de Jésus, nous attirent tous les jours des demandes vives et pressantes de la part de nos vénérables frères les archevêques et évêques, et des personnes les plus distinguées de tous les ordres, surtout depuis que la renommée a publié de tous côtés l’abondance des fruits que cette compagnie produisait dans les régions qu’elle occupait, et sa fécondité dans la production de rejetons qui promettent d’étendre et d’orner de toutes parts le champ du Seigneur.
La dispersion même des pierres du sanctuaire causée par les calamités récentes, et des revers qu’il faut plutôt pleurer que rappeler à la mémoire, l’anéantissement des ordres réguliers (de ces ordres la gloire et l’ornement de la religion et de l’Église), dont la réunion et le rétablissement sont l’objet de nos pensées et de nos soins continuels, exigent que nous donnions notre assentiment à des vœux si unanimes et si justes. Nous nous croirions coupables devant Dieu d’une faute très-grave, si, au milieu des besoins pressants qu’éprouve la chose publique, nous négligions de lui prêter ce secours salutaire que Dieu, par une providence singulière, met entre nos mains, et si, placé dans la nacelle de saint Pierre sans cesse agitée par les flots, nous rejetions les rameurs robustes et expérimentés qui s’offrent à nous pour rompre la force des vagues qui menacent à tout instant de nous engloutir dans un naufrage inévitable.
Entraîné par des raisons si fortes et de si puissants motifs, nous avons résolu d’exécuter ce que nous désirions le plus ardemment dès le commencement de notre pontificat. A ces causes, après avoir imploré le secours divin par de ferventes prières, et recueilli les suffrages et les avis de plusieurs de nos vénérables frères les cardinaux de la sainte Église romaine, de notre science certaine, et en vertu de la plénitude du pouvoir apostolique, nous avons résolu d’ordonner et de statuer, comme en effet nous ordonnons et statuons, par cette présente et irrévocable constitution émanée de nous, que toutes les concessions faites et les facultés accordées par nous uniquement pour l’empire de Russie et le royaume des Deux-Siciles, soient, dès ce moment, étendues et regardées comme telles, comme de fait nous les étendons à toutes les parties de notre État ecclésiastique ainsi qu’à tous les autres États et domaines.
C’est pourquoi nous concédons et accordons à notre cher fils Thaddée Brozozowski, supérieur général de la compagnie de Jésus, et à ceux qui seront légitimement députés par lui, toutes les facultés nécessaires et convenables selon notre bon plaisir et celui du siège apostolique, pour pouvoir librement et licitement, dans tous les États et domaines ci-dessus mentionnés, admettre et recevoir tous ceux qui demanderont d’être admis et reçus dans l’ordre régulier de la compagnie de Jésus, lesquels réunis dans une ou plusieurs maisons, dans un ou plusieurs collèges, dans une ou plusieurs provinces, sous l’obéissance du supérieur général en exercice, et distribués selon l’exigence des cas, conformeront leur manière de vivre aux dispositions de la règle de saint Ignace de Loyola approuvée et confirmée par les constitutions apostoliques de Paul III. Nous permettons aussi, et voulons qu’ils aient la faculté de donner leurs soins à l’éducation de la jeunesse catholique dans les principes de la religion, et l’attachement aux bonnes mœurs, ainsi que de gouverner des séminaires et des collèges, et avec le consentement et l’approbation des ordinaires des lieux, dans lesquels ils pourront être demandés, d’entendre les confessions, de prêcher la parole de Dieu, et d’administrer les sacrements librement et licitement. Nous recevons dès à présent les maisons, les provinces et les membres de ladite compagnie ainsi que ceux qui pourront à l’avenir s’y associer et s’y agréger, sous notre garde, sous notre protection et obéissance, et celle du siège apostolique ; nous réservant et à nos successeurs les pontifes romains, de statuer et prescrire ce que nous croirons expédient pour établir et affermir plus en plus ladite compagnie, et réprimer les abus, si (ce qu’à Dieu ne plaise) il s’y en introduisait.
Nous avertissons et exhortons de tout notre pouvoir, tous et chacun des supérieurs, préposés, recteurs, associés et élèves quelconques de cette compagnie rétablie, de se montrer constamment et en tout lieu les dignes enfants et imitateurs de leur digne père, et d’un si grand instituteur ; à observer avec soin la règle qu’il leur a donnée et prescrite, et à s’efforcer de tout leur pouvoir de mettre en pratique les avis utiles et les conseils qu’il a donnés à ses enfants.
Enfin, nous recommandons dans le Seigneur à nos chers fils, les personnes nobles et illustres, aux princes et seigneurs temporels, ainsi qu’à nos vénérables frères les archevêques et évêques, et à toutes personnes constituées en dignité, la compagnie de Jésus et chacun de ses membres ; et nous les exhortons et prions de ne pas permettre ni de souffrir que personne les inquiète, mais de les recevoir avec bonté et charité.
Voulons que les présentes lettres et tout leur contenu demeurent perpétuellement fermes, valides et efficaces, qu’elles aient et sortissent leur plein et entier effet, et soient inviolablement observées en tout temps et par tous ceux à qui il appartiendra, et qu’il soit jugé et statué conformément à icelles par tout juge revêtu d’un pouvoir quelconque ; déclarons nul et de nul effet tout acte à ce contraire, de quelque autorité qu’il émane, sciemment ou par ignorance.
Nonobstant toutes constitutions et ordonnances apostoliques, et notamment les lettres susdites, en forme de bref, de Clément XIV d’heureuse mémoire, commençant par ces mots : Dominus ac Redemptor noster, expédiées sous l’anneau du pêcheur, le 21e jour de juillet de l’an du Seigneur 1773, auxquelles comme à toutes autres contraires nous dérogeons expressément à l’effet des présentes.
Voulons toutefois que la même foi soit ajoutée soit en justice, soit ailleurs, aux copies collationnées ou imprimées, souscrites par un notaire public, et revêtues du sceau d’une personne constituée en dignité ecclésiastique, qu’aux présentes mêmes, si elles étaient exhibées ou montrées.
Qu’il ne soit donc permis à personne d’enfreindre ou de contredire, par une entreprise téméraire, la teneur de notre ordonnance, statut, extension, concession, indult, déclaration, faculté, réserve, avis, exhortation, décret et dérogation ; et si quelqu’un ose le tenter, qu’il sache qu’il encourra l’indignation du Dieu tout-puissant et des bienheureux apôtres saint Pierre et saint Paul.
Donné à Rome, à Sainte-Marie-Majeure, l’an de l’Incarnation de Notre-Seigneur mil huit cent-quatorze, le sept du mois d’août, et de notre pontificat la quinzième année.
Pie VII, Pape