Donné à Venise, du monastère de Saint-Georges-le-Majeur, le 15 mai 1800
A tous nos vénérables frères les Patriarches, les Primats, les Archevêques et Évêques, en grâce et communion avec le Siège Apostolique.
Vénérables Frères,
Salut et Bénédiction Apostolique.
Il Nous semble que Nous avons assez tardé à vous adresser la parole. Deux mois déjà se sont écoulés, et ils n’ont manqué ni de souci ni de labeur, depuis que Dieu a chargé notre faiblesse de cet incomparable fardeau, le gouvernement de toute son Église. Il est juste de céder enfin, moins à une coutume qui date des temps les plus reculés, qu’à un sentiment de véritable affection, sentiment produit depuis longtemps par les liens de la hiérarchie, mais aujourd’hui accru sans mesure et parvenu à son comble. Aussi rien ne Nous est-il plus doux et plus agréable que de Nous épancher avec vous au moins par cette encyclique. Nous y sommes d’ailleurs vivement sollicité par cette obligation qui Nous est propre, et la principale même de toutes nos obligations, consignée et déclarée dans ces paroles : Confirme tes frères. Car à cette époque de profondes misères et d’horribles tempêtes, Satan n’a pas moins désiré, qu’à toute autre époque antérieure, de nous passer tous au crible comme le froment.
Mais aussi qui pourrait être assez aveuglé par l’ignorance ou par les passions antireligieuses, pour ne pas comprendre et ne pas voir en quelque sorte des yeux mêmes du corps, ce fait éclatant, que, dans cette situation presque désespérée, Jésus-Christ, selon sa promesse, a de nouveau prié pour Pierre, afin que la foi de Pierre ne défaillît point ? [1] Oui, la postérité admirera la sagesse, la fermeté, la magnanimité de Pie VI. Héritier de son autorité, puissions-Nous l’être également de ce courage, que ni la violence des tempêtes ni l’accumulation des calamités n’ont pu abattre ou ébranler ! Digne successeur de cet illustre Martin, qui donna jadis tant de lustre à Notre Siège, il Nous en retraça d’abord la foi par l’affirmation et la défense de la vérité, puis la force dans le support de la fatigue et de l’adversité. Chassé de son siège avec la dernière cruauté ; dépouillé de pouvoir, d’honneur, de toute fortune ; ne trouvant par hasard un abri que pour s’en voir à l’instant même arraché ; puis, bien que l’âge et l’infirmité lui ôtassent l’usage de ses pieds, traîné au loin, avec la menace souvent réitérée d’un exil encore plus amer ; n’ayant pour se sustenter, lui et sa faible suite, que les secours de la piété et de la charité : cependant, lorsque chaque jour venait tendre de nouveaux pièges à cet isolement et à cette faiblesse, jamais il ne se démentit : nulle embûche ne put le tromper, nulle crainte le déconcerter, nulle espérance l’éblouir, nulle affliction, nul danger le briser. Ses ennemis ne purent tirer de lui un mot de vive voix ou par écrit, qui ne fût pour tous la preuve, que jusqu’à l’heure présente Pierre est toujours dans ses successeurs vivant et exerçant l’autorité : vérité que déjà au concile d’Éphèse une voix imposante proclamait indubitable à tous les esprits, et de notoriété publique à toutes les époques. [2]
Mais (ô nouveau sujet d’admiration et de reconnaissance !), le moment où Pie VI se voit, je ne veux pas dire enlevé à la vie, mais favorisé de la mort, se trouve être justement celui où cesse tout obstacle à la tenue du conclave qui doit lui donner un successeur. Rappelez-vous, Vénérables Frères, quelles étaient nos sollicitudes et nos anxiétés lorsque les Cardinaux de la sainte Église Romaine, chassés eux aussi de leurs sièges, les uns emprisonnés, ou menacés même de la mort, d’autres, en grand nombre, forcés de traverser la mer au cœur de l’hiver, tous dans l’indigence et le dénuement, la plupart séparés des autres par de grandes distances, puis réduits par un ennemi maître de toutes les communications à ne pouvoir ni s’écrire ni se transporter là où les appelaient le cœur et le devoir. Quel espoir restait-il, qu’au jour où arriverait la mort de Pie VI, mort que les nouvelles journalières donnaient comme très-prochaine, ils pussent remédier selon les règles au veuvage de l’Église ? Dans une telle détresse, dans une situation si déplorable, celui qui n’aurait compté que sur la sagesse et l’appui de l’homme eût-il jamais osé se promettre ce qui fut l’effet d’un plan admirable de la volonté divine ? Ce plan était que Pie VI ne cesserait de vivre qu’après avoir arrêté lui-même la forme du conclave qui devait suivre sa mort, et quand, l’Italie presque entièrement pacifiée, tout étant disposé, les Cardinaux se rencontreraient à Venise en nombre considérable, prêts à donner leur suffrage, sous la garde et la tutelle de Notre très-cher Fils en J. C., François, roi apostolique de Hongrie„ roi illustre de Bohême, élu Empereur des Romains. En faut-il davantage pour reconnaître que vainement on s’efforce de renverser la maison de Dieu, c’est-à-dire l’Église bâtie sur Pierre, pierre non-seulement de nom, mais en réalité ; Église contre laquelle ne prévaudront point les portes de l’Enfer [3], par cette raison qu’elle est fondée sur la pierre [4]. La Religion chrétienne n’a jamais eu d’ennemi qui n’ait en même temps déclaré une guerre impie à la Chaire de Pierre, parce que, celle-ci debout, celle-là ne saurait jamais tomber ou chanceler. En effet, comme le déclare solennellement saint Irénée, « c’est par la légitime succession des Pontifes Romains que dans l’Église se transmet des Apôtres jusqu’à nous la tradition et la prédication de la vérité, et c’est encore cette succession qui démontre pleinement que la foi qui vivifie aujourd’hui l’Église est réellement et identiquement la foi même des Apôtres. » [5] Pouvaient-ils suivre une autre tactique ces sophistes de nos jours qui se liguèrent pour substituer je ne sais quelle peste, quel monstre de fausse philosophie, à cette vraie philosophie (car c’est le nom plein de justesse donné à la doctrine chrétienne par les Pères, et surtout par les Pères grecs), à cette auguste philosophie, que le Fils de Dieu, la Sagesse même éternelle, a apportée du ciel pour être distribuée aux hommes ? Mais il est écrit (et quelle plus juste application peut-on faire de ces paroles de saint Paul ?) : « Je détruirai la sagesse des sages, et je rejetterai la science des savants. Que sont devenus les sages ? que sont devenus les docteurs de la loi ? que sont devenus les savants du siècle ? Dieu n’a-t-il pas convaincu de folie la sagesse de ce monde ? » [6]
Toutes ces choses, Vénérables Frères, nous aimons d’autant plus à les rappeler qu’elles ont une force admirable pour ranimer, raffermir, enflammer à n’éviter aucun travail, aucune lutte pour cette Église de J. C., qui, contrairement non-seulement à nos désirs, mais à toutes nos prévisions, ou plutôt malgré notre effroi, il Nous a lui-même chargé de régir, garder, orner, étendre. Sans nul doute, il saura « faire de Nous de dignes ministres de la nouvelle alliance, afin que notre perfection vienne de Dieu, et non de Nous. » C’est pourquoi, ô Vénérables Frères, qui avez chacun votre part dans ce soin et cette sollicitude, « j’excite maintenant vos âmes sincères par mes avertissements, » afin qu’unis d’esprit et de cœur avec Nous, vous apportiez à cette œuvre votre part de zèle, de diligence et de travail. Ne perdez jamais de vue la prière de J. C. : « Père saint, conservez-les pour votre nom…, afin qu’ils soient un comme nous… Je ne prie pas seulement pour eux (c’est-à-dire les Apôtres), mais encore pour ceux qui doivent croire en moi par leur parole, afin que tous ils soient un, comme vous, mon Père, en moi, et moi en vous : qu’ils soient de même un en nous. » [7] « Or, c’est surtout à Nous, dit saint Cyprien [8], qu’il incombe de maintenir fermement et de sauvegarder cette unité, en sorte qu’à cette vue le monde, frappé d’admiration, croie (poursuit J. C. dans sa prière) que c’est vous, ô mon Père, qui m’avez envoyé. »
Appuyés donc sur le secours de ce divin Chef, toujours prêt à Nous secourir, toujours présent à nos côtés, qui d’ailleurs Nous rassure par ces paroles : Que votre cœur ne se trouble ni s’effraie ; vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi [9] ; appuyés, dis-je, sur son secours, n’ayons tous qu’un même zèle, qu’une même ardeur pour le salut de tous. Voilà tant d’années déjà que villes de tout ordre, campagnes, républiques, provinces, royaumes, nations, du fond de leurs misères et de leur détresse, de leurs ruines et de leurs bouleversements, réclament, avec un peu de soulagement, le remède véritable à leurs maux. Mais ce remède, où le chercher, où l’espérer, sinon dans la doctrine du Christ ? A ceux qui s’obstinent dans leur hostilité contre cette doctrine, nous pouvons bien porter ce défi porté autrefois à leurs semblables par saint Augustin, et avec plus d’assurance qu’il ne le faisait lui-même : « Qu’ils viennent donc nous donner des soldats et des citoyens, des maris et des épouses, des parents et des enfants, des maîtres et des serviteurs, des rois et des juges, des contribuables et des percepteurs, tels que les exige la doctrine chrétienne ; et dans l’impossibilité où ils sont de le faire, qu’ils aient la bonne foi d’avouer que, si la religion chrétienne était suivie, ce serait pour les États la source d’une grande prospérité. » [10]
C’est donc un devoir de notre charge, Vénérables Frères, de secourir dans leur détresse et les individus et les nations ; de détourner de toutes les têtes des maux dont la pensée arrache des larmes, maux du présent et maux de l’avenir. « Car c’est J. C. même qui a donné des pasteurs et des docteurs, afin qu’ils travaillent les uns et les autres à la perfection des saints, aux fonctions de leur ministère, à l’édification de son corps, jusqu’à ce que nous parvenions tous à l’unité d’une même foi et d’une même connaissance du Fils de Dieu. » [11] Si un seul d’entre nous venait à montrer pour une telle entreprise de l’éloignement, de la mollesse, de la temporisation, quelle honte pour lui ! quel poids sur sa conscience ! Vous donc, avant tous les autres, Vénérables Frères, Nous vous prions, Nous vous conjurons, Nous vous exhortons, Nous vous avertissons, enfin Nous vous commandons de ne rien laisser désirer en fait de vigilance, d’empressement, d’application et de fatigue pour garder le dépôt de la doctrine du Christ, dépôt contre lequel vous savez quelle conjuration a été formée, et par qui. N’admettez personne à la cléricature, ne confiez à personne la dispensation des mystères de Dieu, ne laissez personne confesser ou prêcher, ne conférez à personne ou charge d’âmes ou tout autre emploi, sans examen et contrôle sérieux, sans vous être dûment assurés si l’esprit qui se manifeste vient de Dieu. Plût à Dieu que l’expérience Nous permît d’ignorer quelle fut la triste fécondité de notre époque en « faux apôtres, ouvriers d’iniquité se transfigurant en apôtres du Christ ! Faute d’y prendre garde, de même que le serpent séduisit Ève par ses artifices, ainsi les esprits des fidèles se corrompront et dégénéreront de la simplicité chrétienne. » [12]
Sans doute votre zèle doit embrasser « tout le troupeau sur lequel le Saint-Esprit vous a établis évêques. » Il est cependant une portion de ce troupeau qui, plus que toutes les autres, réclame tout ce que votre tendresse paternelle peut vous inspirer d’attention, d’application, d’intérêt et d’activité : c’est le jeune âge, que J. C. nous a tant recommandé par ses exemples comme par ses discours [13]. Pour corrompre et empoisonner ces tendres âmes, rien n’a été oublié de la part de ces esprits pervers qui ont juré la ruine de tout le bien privé et public, l’anéantissement de tous les droits divins et humains : là gisait le principal espoir de leurs horribles complots. Pouvaient-ils ignorer en effet que cet âge est une cire molle et maniable, aussi facile à recevoir toute espèce de forme que l’âge suivant est obstiné à garder celle qu’il a une fois prise, et revêche à toute autre forme ? De là ce proverbe, qui des Livres saints a passé sur toutes les lèvres : « Le jeune homme suit sa première voie ; dans sa vieillesse même il ne la quittera point. » [14] Gardez-vous donc bien, Vénérables Frères, de laisser aux enfants du siècle à leur point de vue l’avantage de la prudence sur les enfants de lumière. Quels sont les supérieurs qui dans les séminaires et les collèges reçoivent sous leur responsabilité l’enfance ou la jeunesse ? quelles leçons y donne-t-on, quel est le choix des maîtres ? quelles classes y sont établies ? Autant de points qui doivent attirer toutes vos observations, toutes vos investigations, toute votre sagacité ; ayez l’œil ouvert sur tout. Excluez, repoussez au loin ces « loups ravisseurs qui n’épargneraient point ce troupeau » d’agneaux innocents. S’il s’en glisse, chassez-les au plus tôt sans pitié, « en vertu de la puissance que le Seigneur vous a donnée pour l’édification. » [15]
Mais cette même puissance, que ne fera-t-elle pas pour l’extinction d’une autre peste, la plus pernicieuse de toutes, celle des mauvais livres ? Ah ! c’est ici que toute son énergie est réclamée par le salut même de l’Église et de la société, des chefs d’État et de tous les mortels, salut que nous devons mettre bien au-dessus de notre propre vie. Vous pouvez voir ce grave sujet traité avec tout le soin et toute l’étendue qu’il mérite dans les Lettres apostoliques que Notre prédécesseur d’heureuse mémoire Clément XIII adressait, en forme de bref, à tout l’épiscopat le 25 novembre 1766. Les livres que Nous voulons voir arracher de toutes les mains, écartés de tous les yeux, anéantis par les flammes, ce ne sont pas seulement ceux qui attaquent ouvertement la doctrine de J. C., mais aussi et bien plus encore ceux dont l’attaque est plus cachée et procède par la ruse. Pour les reconnaître il n’est pas besoin, dit saint Cyprien (de unit. Ecclesiæ), d’une longue discussion ni de raisonnements subtils. Dans l’intérêt de la vérité Notre-Seigneur en a rendu l’examen très-facile par ces simples mots adressés à Pierre : « Pais mes brebis. », Telle est donc la sorte de pâturage que la brebis de J. C. doit se croire salutaire, qu’elle doit rechercher, dont elle doit se nourrir. C’est celui où l’enverra la voix et l’autorité de Pierre. Ceux dont la même voix l’éloigne et la détourne, elle les doit absolument tenir pour des poisons mortels, et s’en écarter avec la plus vive horreur, insensible aux apparences même les plus séduisantes. Sans cette docilité, on ne peut être compté parmi les brebis de J. C. En telle matière, Nos Frères, Nous ne pouvons ni conniver, ni dissimuler, ni mollir. Car si l’on n’arrête, si l’on n’étouffe une si grande licence de pensées, de paroles, d’écrits et de lectures, nous pourrons bien, grâce aux efforts combinés de rois et de capitaines pleins de la science politique ou militaire, grâce aux bataillons et aux expédients, nous pourrons paraître un instant soulagés du mal qui nous travaille ; mais, faute d’en arracher la racine, d’en détruire la semence (je frissonne de le dire, mais il faut le dire), le mal ira crossant, se fortifiant, étreindra tout le globe de la terre ; et alors pour l’anéantir ou le conjurer, ce ne sera plus assez ni des cadres d’armée, ni des garnisons, ni des yeux de la police, ni des remparts des villes ou des barrières des empires.
Ah ! Nos Frères, qui de nous resterait froid et insensible à ce que Dieu nous signifie par le prophète Ezéchiel : « Fils de l’homme, je t’ai donné pour sentinelle à la maison d’Israël. Tu écouteras la parole de ma bouche, et tu la leur porteras de ma part. Si, lorsque je dirai à l’impie : TU SERAS PUNI DE MORT, tu ne le lui annonces pas…, l’impie mourra dans son iniquité ; mais je te redemanderai son sang. » [16] Pour moi je l’avoue, cette parole me poursuit, me perce de son aiguillon et le jour et la nuit, jamais elle ne me permettra d’être lâche ou timide dans l’exercice de ma charge ; et je vous promets, je vous garantis que vous m’aurez toujours non-seulement pour aide et appui, mais aussi pour chef et pour guide.
Il est encore, Nos Frères, un autre dépôt confié à notre garde, et qui réclame pour sa défense beaucoup de force d’âme et de persévérance. C’est le dépôt des saintes lois de l’Église, lois par lesquelles elle a elle-même, comme en ayant seule le pouvoir, établi sa propre discipline, lois qui font immanquablement fleurir la piété et la vertu, rendent l’Épouse de J. C., « terrible comme une armée rangée en bataille », dont la plupart même, pour nous servir des expressions de Notre prédécesseur saint Zosime, « sont comme le fondement destiné à porter les constructions de la foi. » (Epist.) Rien ne saurait être plus avantageux ni plus glorieux aux rois et aux chefs d’État que si, comme l’écrivait à l’empereur Zénon un autre de nos prédécesseurs, le sage et courageux saint Félix, « ils laissent l’Église catholique vivre de ses propres lois, et ne permettent à qui que ce soit de gêner sa liberté. Car il est certain qu’ils agissent conformément à leurs propres intérêts, lorsque dans les choses de Dieu, ils s’attachent, selon que lui-même l’a réglé, à soumettre et non à préférer leur volonté royale aux prêtres de J. C. »
Quant au dépôt des biens Ecclésiastiques, qui, suivant les expressions, les déclarations des Pères, des conciles et des divines Écritures, sont véritablement « des objets voués à Dieu ; les ressources, le trésor sacré, la subsistance des saints, la propriété de Dieu » : que vous prescrirons-Nous, Nos Frères, au moment où l’Église se voit misérablement dépouillée et dénuée de tout ? Une seule chose : travaillez à faire entrer dans tous les esprits et dans tous les cœurs ce qu’un concile d’Aix-la-Chapelle renferma autrefois dans cette sentence, qui en peu de mots dit beaucoup et le dit bien clairement : « Quiconque enlèvera, ou s’efforcera d’enlever ce que d’autres fidèles, en vue du soulagement de leurs âmes, auront donné à Dieu, de leurs possessions héréditaires, pour l’honneur et l’ornement de son Église, ainsi que pour les besoins de ses ministres, celui-là sans nul doute fait tourner les dons d’autrui au péril de son âme. » [17] Oui certes, avec non moins de confiance que notre prédécesseur saint Agapit, Nous pouvons l’affirmer à tous et de tout point, « ce n’est ni l’attache aux biens de ce monde, ni aucune vue d’intérêt terrestre ; mais l’unique considération du jugement divin, qui Nous porte à revendiquer ce dont Nous avons charge d’être les dispensateurs fidèles et prudents. » [18]
Du moins ne laisseront-ils aucune place à nos prières, à nos exhortations, à nos avertissements, à nos procédures, ces rois et princes chrétiens, qui savent parfaitement qu’ils ont été appelés par Isaïe « nourriciers de l’Église, » [19] et qui se font gloire de l’être ? Leur foi, leur piété, leur équité, leur sagesse, leur religion Nous sont de sûrs garants qu’ils se hâteront de faire rendre à Dieu ce qui est à Dieu, et ne s’exposeront pas à ce que leurs oreilles retentissent de ces plaintes divines : « Vous avez enlevé mon or, mon argent, tout ce que j’avais de plus précieux et de plus beau. » [20] Ils imiteront ces grands empereurs, Constantin et Charlemagne, qui se sont principalement illustrés par leur libéralité envers l’Église, dont l’un déclara même « qu’il connaissait beaucoup de royaumes tombés avec leurs rois pour l’avoir dépouillée. » Aussi avec quel poids et quelle solennité, s’adressant à ses enfants et à leurs successeurs : « Autant qu’il est en nous de pouvoir et d’autorité, de par Dieu, et par tous les mérites des saints, nous leur défendons d’imiter de tels actes ou d’approuver ceux qui en auraient le dessein ; loin de là, nous les adjurons de se montrer selon leurs forces les défenseurs de l’Église et des serviteurs de Dieu. » [21]
Au terme de cette Encyclique, il ne faut pas vous cacher, Nos Frères, « qu’une profonde tristesse, une douleur continuelle remplit mon cœur » pour mes fils les peuples des Gaules et autres encore en proie au même délire. Que pourrait-il m’arriver de plus conforme à mes désirs que de sacrifier pour eux ma vie, si leur salut pouvait s’acheter par ma mort ? Nous ne nions pas, au contraire Nous avouons hautement, que l’amertume de notre deuil est considérablement adoucie et diminuée par la force invincible qu’ont déployée beaucoup d’entre vous, et qu’ont si admirablement imitée des personnes de tout rang, de tout âge et de toute condition. Il se représente journellement à Notre esprit ce courage qui leur a fait endurer toute sorte d’injustices, de périls, de sacrifices, et voler à la mort même comme à un triomphe, plutôt que de se souiller et lier la conscience par un serment illicite et criminel, plutôt que de transgresser les décrets et les sentiments du Saint-Siège. Oui, vraiment notre âge a vu se renouveler au même degré et la vertu et la cruauté des premiers siècles. Au reste, il n’est pas de nation sous le soleil que n’embrasse mon cœur paternel par ses pensées, ses affections, ses sollicitudes : il n’en est pas qui, séparée de Nous et de la vérité, ne cause à ce cœur une affliction et un tourment inexprimables, et à laquelle je ne brûle de porter secours. Unissez donc vos prières aux Nôtres, afin qu’après cette longue tempête « l’Église jouisse de cette paix » qui lui est nécessaire « pour s’édifier en marchant dans la crainte du Seigneur et la consolation du Saint-Esprit, » et qu’il n’y ait plus d’obstacle à l’union de toutes les nations « en un seul bercail sous un seul pasteur. » En attendant ce bonheur, à vous qui êtes si bien déterminés, si prêts à l’action, et au troupeau que vous présidez, Nous donnons avec la plus vive affection la bénédiction apostolique.
Donné à Venise, du monastère de Saint-Georges-le-Majeur, le quinzième jour de mai, l’an mil huit cent, premier de Notre Pontificat.
Pie VII, Pape
- Luc. XXII.[↩]
- Actio 1, n. 11.[↩]
- Matth. XVI[↩]
- Matth. VII[↩]
- Adv. hæres. l. III, cap. III.[↩]
- Corint. I, c. I, v. 19, 20.[↩]
- Joan. 17.[↩]
- de unitate Ecclesiæ[↩]
- Joan. 14[↩]
- Lib. 83, Quæst.[↩]
- Ephes. IV, v. 12.[↩]
- II Cor. XI.[↩]
- Matth. XIX ; Marc. X ; Luc. XVIII[↩]
- Prov. XII.[↩]
- II Cor. XIII.[↩]
- Ezech. III, v. 17–18.[↩]
- Cap. XXXVII, t. IV Conc. Harduin. Coll. 1423.[↩]
- Ep. 4 ad Cæsar. ep. Arelat. Bull. Rom. Tom. XI, f. 59.[↩]
- XLIX. 23[↩]
- Joel. III.[↩]
- Ap. Baluz. Capit. l. I, cap. III.[↩]