Préambule
L’éternel pasteur et gardien de nos âmes [1], pour perpétuer l’œuvre salutaire de la Rédemption, a décidé d’édifier la sainte Église dans laquelle, comme en la maison du Dieu vivant, tous les fidèles seraient rassemblés par le lien d’une seule foi et d’une seule charité. C’est pourquoi, avant d’être glorifié, « il pria son Père », non seulement pour les Apôtres, « mais aussi pour ceux qui croiraient en lui, à cause de leur parole, pour que tous soient un, comme le Fils et le Père sont un » [2]. De même qu’il « envoya » les Apôtres qu’il s’était choisis dans le monde, « comme lui-même avait été envoyé par le Père » [3], de même il voulut qu’il y eût en son Église des pasteurs et des docteurs « jusqu’à la fin du monde » [4].
Pour que l’épiscopat fût un et non-divisé, pour que, grâce à l’union étroite et réciproque des pontifes, la multitude entière des croyants fût gardée dans l’unité de la foi et de la communion, plaçant le bienheureux Pierre au-dessus des autres Apôtres, il établit en sa personne le principe durable et le fondement visible de cette double unité. Sur sa solidité se bâtirait le temple éternel et sur la fermeté de cette foi s’élèverait l’Église dont la grandeur doit toucher le ciel [5]. Parce que les portes de l’enfer se dressent de toutes parts avec une haine de jour en jour croissante contre ce fondement établi par Dieu, pour renverser, s’il se pouvait, l’Église, Nous jugeons nécessaire pour la protection, la sauvegarde et l’accroissement du troupeau catholique, avec l’approbation du saint concile, de proposer à tous les fidèles la doctrine qu’ils doivent croire et tenir sur l’institution, la perpétuité et la nature de la primauté du Siège apostolique, sur lequel repose la force et la solidité de l’Église, conformément à la foi antique et constante de l’Église universelle, et aussi de proscrire et de condamner les erreurs contraires, si pernicieuses pour le troupeau du Seigneur.
Ch. 1. L’institution de la primauté apostolique dans le bienheureux Pierre
Nous enseignons donc et nous déclarons, suivant les témoignages de l’Évangile, que la primauté de juridiction sur toute l’Église de Dieu a été promise et donnée immédiatement et directement au bienheureux Apôtre Pierre par le Christ notre Seigneur. C’est, en effet, au seul Simon, auquel il avait déjà été dit : « Tu t’appelleras Céphas » [6], après que celui-ci l’avait confessé en ces termes : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant », que le Seigneur adressa ces paroles solennelles : « Bienheureux es-tu, Simon, fils de Jona, car ce n’est ni la chair ni le sang qui te l’ont révélé, mais mon Père qui est dans les cieux ; et moi, je te dis que tu es Pierre et que sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle. Je te donnerai les clefs du royaume des Cieux. Et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel » [7]. Et c’est au seul Simon Pierre que Jésus, après sa résurrection, conféra la juridiction de souverain pasteur et de chef suprême sur tout son troupeau en disant : « Pais mes agneaux, pais mes brebis » [8].
Cette doctrine si claire des saintes Écritures se voit opposer ouvertement l’opinion fausse de ceux qui, pervertissant la forme de gouvernement instituée par le Christ notre Seigneur, nient que Pierre seul se voit vu doté par le Christ d’une primauté de juridiction véritable et proprement dite, de préférence aux autres Apôtres, pris soit isolément soit tous ensemble, ou de ceux qui affirment que cette primauté n’a pas été conférée directement et immédiatement au bienheureux Pierre, mais à l’Église et, par celle-ci, à Pierre comme à son ministre.
Si quelqu’un donc dit que le bienheureux Apôtre Pierre n’a pas été établi par le Christ notre Seigneur chef de tous les Apôtres et tête visible de toute l’Église militante ; ou que ce même Apôtre n’a reçu directement et immédiatement du Christ notre Seigneur qu’une primauté d’honneur et non une primauté de juridiction véritable et proprement dite, qu’il soit anathème.
Ch. 2. La perpétuité de la primauté du bienheureux Pierre dans les Pontifes romains
Ce que le Christ notre Seigneur, chef des pasteurs, pasteur suprême des brebis, a institué pour le salut éternel et le bien perpétuel de l’Église doit nécessairement, par cette même autorité, durer toujours dans l’Église, qui, fondée sur la pierre, subsistera ferme jusqu’à la fin des siècles. » Personne ne doute, et tous les siècles savent que le saint et très bienheureux Pierre, chef et tête des Apôtres, colonne de la foi, fondement de l’Église catholique, a reçu les clés du Royaume de notre Seigneur Jésus-Christ, Sauveur et Rédempteur du genre humain : jusqu’à maintenant et toujours, c’est lui qui, dans la personne de ses successeurs « , les évêques du Saint-Siège de Rome, fondé par lui et consacré par son sang, » vit « , préside « et exerce le pouvoir de juger » [9].
Dès lors, quiconque succède à Pierre en cette chaire reçoit, de par l’institution du Christ lui-même, la primauté de Pierre sur toute l’Église. « Ainsi demeure ce qu’ordonna la vérité, et le bienheureux Pierre, gardant toujours cette solidité de pierre qu’il a reçue, n’a pas laissé le gouvernail de l’Église » [10]. Voilà pourquoi c’est vers l’Église romaine, « par suite de son origine supérieure » [11], qu’il a toujours été nécessaire que chaque Église, c’est-à-dire les fidèles de partout, se tournent, afin qu’ils ne fassent qu’un en ce Saint-Siège, d’où découlent sur tous « les droits de la vénérable communion » [12], comme des membres unis à la tête dans l’assemblage d’un seul corps.
Si donc quelqu’un dit que ce n’est pas par l’institution du Christ ou de droit divin que le bienheureux Pierre a des successeurs dans sa primauté sur l’Église universelle, ou que le Pontife romain n’est pas le successeur du bienheureux Pierre en cette primauté, qu’il soit anathème.
Chapitre 3 – Pouvoir et nature de la primauté du Pontife romain
C’est pourquoi, Nous fondant sur le témoignage évident des saintes Lettres et suivant les décrets explicitement définis de nos prédécesseurs, les Pontifes romains, comme des conciles généraux, nous renouvelons la définition du concile œcuménique de Florence, qui impose aux fidèles de croire que « le Saint-Siège apostolique et le Pontife romain possèdent la primauté sur toute la terre ; que ce Pontife romain est le successeur du bienheureux Pierre, le chef des Apôtres et le vrai vicaire du Christ, la tête de toute l’Église, le père et le docteur de tous les chrétiens ; qu’à lui, dans la personne du bienheureux Pierre, a été confié par notre Seigneur Jésus-Christ plein pouvoir de paître, de régir et de gouverner toute l’Église comme le disent les actes des conciles œcuméniques et les saints canons » [13].
En conséquence, Nous enseignons et déclarons que l’Église romaine possède sur toutes les autres, par disposition du Seigneur, une primauté de pouvoir ordinaire, et que ce pouvoir de juridiction du Pontife romain, vraiment épiscopal, est immédiat. Les pasteurs de tout rang et de tout rite et les fidèles, chacun séparément ou tous ensemble, sont tenus au devoir de subordination hiérarchique et de vraie obéissance, non seulement dans les questions qui concernent la foi et les mœurs, mais aussi dans celles qui touchent à la discipline et au gouvernement de l’Église répandue dans le monde entier. Ainsi, en gardant l’unit de communion et de profession de foi avec le Pontife romain, l’Église est un seul troupeau sous un seul pasteur. Telle est la doctrine de la vérité catholique, dont personne ne peut s’écarter sans danger pour sa foi et son salut.
Ce pouvoir du Souverain Pontife ne fait nullement obstacle au pouvoir de juridiction épiscopal ordinaire et immédiat, par lequel les évêques, établis par l’Esprit Saint [14] successeurs des Ap6tres, paissent et gouvernent en vrais pasteurs chacun le troupeau à lui confié. Au contraire, ce pouvoir est affirmé, affermi et défendu par le pasteur suprême et universel, comme le dit saint Grégoire le Grand : « Mon honneur est l’honneur de l’Église universelle. Mon honneur est la force solide de mes frères. Lorsqu’on rend à chacun l’honneur qui lui est dû, alors je suis honoré » [15].
Dès lors, de ce pouvoir suprême qu’a le Pontife romain de gouverner toute l’Église résulte pour lui le droit de communiquer librement, dans l’exercice de sa charge, avec les pasteurs et les troupeaux de toute l’Église, pour pouvoir les enseigner et les gouverner dans la voie du salut. C’est pourquoi nous condamnons et réprouvons les opinions de ceux qui disent qu’on peut légitimement empêcher cette communication du chef suprême avec les pasteurs et les troupeaux, ou qui l’assujettissent au pouvoir civil, en prétendant que ce qui est décidé par le Siège apostolique ou par son autorité pour le gouvernement de l’Église n’a de force ni de valeur que si le placet du pouvoir civil le confirme.
Parce que le droit divin de la primauté apostolique place le Pontife romain au-dessus de toute l’Église, nous enseignons et déclarons encore qu’il est le juge suprême des fidèles et que, dans toutes les causes qui touchent à la juridiction ecclésiastique, on peut faire recours à son jugement. Le jugement du Siège apostolique, auquel aucune autorité n’est supérieure, ne doit être remis en question par personne, et personne n’a le droit de juger ses décisions. C’est pourquoi ceux qui affirment qu’il est permis d’en appeler des jugements du Pontife romain au concile œcuménique comme à une autorité supérieure à ce Pontife, s’écartent du chemin de la vérité.
Si donc quelqu’un dit que le Pontife romain n’a qu’une charge d’inspection ou de direction et non un pouvoir plénier et souverain de juridiction sur toute l’Église, non seulement en ce qui touche à la foi et aux mœurs, mais encore en ce qui touche à la discipline et au gouvernement de l’Église répandue dans le monde entier, ou qu’il n’a qu’une part plus importante et non la plénitude totale de ce pouvoir suprême ; ou que son pouvoir n’est pas ordinaire ni immédiat sur toutes et chacune des églises comme sur tous et chacun des pasteurs et des fidèles, qu’il soit anathème.
Chapitre 4 – Le magistère infaillible du Pontife romain
La primauté apostolique que le Pontife romain, en tant que successeur de Pierre, chef des Apôtres, possède dans l’Église universelle, comprend aussi le pouvoir suprême du magistère : le Saint-Siège l’a toujours tenu, l’usage perpétuel des Églises le prouve, et les conciles œcuméniques, surtout ceux où l’Orient se rencontrait avec l’Occident dans l’union de la foi et de la charité, l’ont déclaré.
Les Pères du IVe concile de Constantinople, suivant les traces de leurs ancêtres, émirent cette solennelle profession de foi : « La condition première du salut est de garder la règle de la foi orthodoxe… On ne peut, en effet, négliger la parole de notre Seigneur Jésus-Christ qui dit : “Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église” [16]. Cette affirmation se vérifie dans les faits, car la religion catholique a toujours été gardée sans tache dans le Siège apostolique. Désireux de ne nous séparer en rien de sa foi et de sa doctrine… nous espérons mériter de demeurer unis en cette communion que prêche le Siège apostolique, en qui réside, entière et vraie, la solidité de la religion chrétienne » [17].
Avec l’approbation du IIe concile de Lyon, les Grecs ont professé : « La sainte Église romaine possède aussi la primauté souveraine et l’autorité entière sur l’ensemble de l’Église catholique. Elle reconnaît sincèrement et humblement l’avoir reçue, avec la plénitude du pouvoir, du Seigneur lui-même, en la personne du bienheureux Pierre, chef ou tête des Apôtres, dont le Pontife romain est le successeur. Et comme elle doit, par-dessus tout, défendre la vérité de la foi, ainsi les questions qui surgiraient à propos de la foi doivent être définies par son jugement » [18].
Enfin, le concile de Florence a défini : « Le Pontife romain est le vrai vicaire du Christ, la tête de toute l’Église, le père et le docteur de tous les chrétiens ; à lui, dans la personne du bienheureux Pierre, a été confié par notre Seigneur Jésus-Christ plein pouvoir de paître, de régir et de gouverner toute l’Église » [19].
Pour s’acquitter de leur charge pastorale, nos prédécesseurs ont travaillé infatigablement à la propagation de la doctrine salutaire du Christ parmi tous les peuples de la terre, et ils ont veillé avec un soin égal à sa conservation authentique et pure, là où elle avait été reçue. C’est pourquoi les évêques du monde entier, tantôt individuellement, tantôt réunis en synodes, en suivant la longue coutume des églises et les formes de la règle antique, ont communiqué au Siège apostolique les dangers particuliers qui surgissaient en matière de foi, pour que les dommages causés à la foi fussent réparés là où elle ne saurait subir de défaillance. Les Pontifes romains, selon que l’exigeaient les conditions des temps et des choses, tantôt convoquèrent des conciles œcuméniques ou sondèrent l’opinion de l’Église répandue sur la terre, tantôt par des synodes particuliers, tantôt grâce à des moyens que leur fournissait la Providence, ont défini qu’on devait tenir ce qu’ils reconnaissaient, avec l’aide de Dieu, comme conforme aux saintes Lettres et aux traditions apostoliques.
Car le Saint Esprit n’a pas été promis aux successeurs de Pierre pour qu’ils fassent connaître, sous sa révélation, une nouvelle doctrine, mais pour qu’avec son assistance ils gardent saintement et exposent fidèlement la révélation transmise par les Apôtres, c’est-à-dire le dépôt de la foi.
Leur doctrine apostolique a été reçue par tous les Pères vénérés, révérée et suivie par les saints docteurs orthodoxes. Ils savaient parfaitement que ce siège de Pierre demeurait pur de toute erreur, aux termes de la promesse divine de notre Seigneur et Sauveur au chef de ses disciples : « J’ai prié pour toi, pour que ta foi ne défaille pas ; et quand tu seras revenu, affermis tes frères » [20].
Ce charisme de vérité et de foi à jamais indéfectible a été accordé par Dieu à Pierre et à ses successeurs en cette chaire, afin qu’ils remplissent leur haute charge pour le salut de tous, afin que le troupeau universel du Christ, écarté des nourritures empoisonnées de l’erreur, soit nourri de l’aliment de la doctrine céleste, afin que, toute occasion de schisme étant supprimée, l’Église soit conservée tout entière dans l’unité et qu’établie sur son fondement elle tienne ferme contre les portes de l’enfer.
Mais comme en ce temps, qui exige au plus haut point l’efficacité salutaire de la charge apostolique, il ne manque pas d’hommes qui en contestent l’autorité, Nous avons jugé absolument nécessaire d’affirmer solennellement la prérogative que le Fils unique de Dieu a daigné joindre à la fonction pastorale suprême.
C’est pourquoi, nous attachant fidèlement à la tradition reçue dès l’origine de la foi chrétienne, pour la gloire de Dieu notre Sauveur, pour l’exaltation de la religion catholique et le salut des peuples chrétiens, avec l’approbation du saint concile, nous enseignons et définissons comme un dogme révélé de Dieu :
Le Pontife romain, lorsqu’il parle ex cathedra, c’est-à-dire lorsque, remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, il définit, en vertu de sa suprême autorité apostolique, qu’une doctrine sur la foi ou les mœurs doit être tenue par toute l’Église, jouit, par l’assistance divine à lui promise en la personne de saint Pierre, de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que fût pourvue son Église, lorsqu’elle définit la doctrine sur la foi et les mœurs. Par conséquent, ces définitions du Pontife romain sont irréformables par elles-mêmes et non en vertu du consentement de l’Église.
Si quelqu’un, ce qu’à Dieu ne plaise, avait la présomption de contredire notre définition, qu’il soit anathème.
- 1 P 2, 26[↩]
- Jn 17, 20 sv.[↩]
- Jn 20, 21[↩]
- Mt 28, 20[↩]
- LÉON LE GRAND, Sermo 4, 2 : PL 54, 150 C.[↩]
- Jn 1,42[↩]
- Mt 16, 16 sv.[↩]
- Jn 21,15 sv.[↩]
- Concile d’Éphèse (IIIe œcuménique), 3e session (11 juillet 431), discours du prêtre Philippe.[↩]
- LÉON LE GRAND, Sermo 4, 3 : PL 54, 164 B.[↩]
- IRÉNÉE DE LYON, Adversus haereses, l. 3, c. 3, 1 : PG 7, 849 A.[↩]
- AMBROISE DE MILAN, Epist. 11, c. 4 : PL 16, 946 A.[↩]
- Concile de Florence (XVIIe œcuménique), Bulle Lætentur Cœli d’Eugène IV, 6 juillet 1439, décret pour les Grecs.[↩]
- Ac 20, 28[↩]
- GRÉGOIRE LE GRAND, Epist. ad Eulogium Alexandrinum, l. 8, c. 30 : PL 77, 983 C.[↩]
- Mt 16, 18[↩]
- En fait, ce texte reprend, en l’abrégeant, la formule du pape Hormisdas (11 août 515), dont le IVe concile de Constantinople ne citait que la fin[↩]
- IIe concile de Lyon, (XIVe œcuménique), 4e session (6 juillet 1274), profession de foi de Michel Paléologue.[↩]
- Concile de Florence (XVIIe œcuménique), Bulle Laetentur Coeli d’Eugène IV, 6 juillet 1439, décret pour les Grecs.[↩]
- Lc 22, 32[↩]