Le saint concile de Trente, ayant en vue les ineffables trésors de grâces que les fidèles retirent de la réception de la très sainte Eucharistie, dit : Le très saint Concile souhaiterait qu’à chaque messe les fidèles qui y assistent ne se contentent pas de communier spirituellement, mais reçoivent encore réellement le sacrement eucharistique [1]. Ces paroles montrent assez clairement combien l’Eglise désire que tous les fidèles s’approchent chaque jour de ce banquet céleste et en retirent des effets plus abondants de sanctification.
Volonté du Christ et de l’Eglise
Ces souhaits sont conformes au désir qui animait Notre-Seigneur Jésus-Christ lorsqu’Il a institué ce divin sacrement. Il a en effet insisté Lui-même, à plusieurs reprises et en termes clairs, sur la nécessité de se nourrir souvent de sa chair et de boire son sang, particulièrement lorsqu’Il dit : Ceci est le pain descendu du ciel, ce n’est pas comme la manne que vos pères ont mangée dans le désert, après quoi ils sont morts : celui qui mange ce pain vivra éternellement (Jn 6, 59). Par cette comparaison de la nourriture angélique avec le pain et la manne, les disciples pouvaient comprendre aisément que, le pain étant la nourriture quotidienne du corps et la manne ayant été l’aliment quotidien des Hébreux dans le désert, de la même façon l’âme chrétienne pourrait se nourrir chaque jour du pain céleste et en recevoir un réconfort. De plus, quand Il nous ordonne de demander dans l’Oraison dominicale notre pain quotidien, il faut entendre par là, comme presque tous les Pères de l’Eglise l’enseignent, non pas tant le pain matériel, la nourriture du corps, que le pain eucharistique qui doit être reçu chaque jour.
Or, Jésus-Christ et l’Eglise désirent que tous les fidèles s’approchent chaque jour du banquet sacré, surtout afin qu’étant unis à Dieu par ce sacrement ils en reçoivent la force de réprimer leurs passions, qu’ils s’y purifient des fautes légères qui peuvent se présenter chaque jour, et qu’ils puissent éviter les fautes graves auxquelles est exposée la fragilité humaine : ce n’est donc pas principalement pour rendre gloire à Dieu, ni comme une sorte de faveur et de récompense pour les vertus de ceux qui s’en approchent [2]. Aussi le saint Concile de Trente appelle-t-il l’Eucharistie l’antidote qui nous délivre des fautes quotidiennes et nous préserve des péchés mortels [3].
Evolution historique
Les premiers chrétiens, comprenant bien cette volonté divine, accouraient chaque jour au banquet de vie et de force. Ils persévéraient dans la doctrine des apôtres, dans la communion de la fraction du pain (Ac 2, 42).
La même chose eut lieu dans les siècles suivants, comme le rapportent les saints Pères et les écrivains ecclésiastiques, au grand profit de la perfection et de la sainteté.
Cependant la piété s’étant affaiblie et plus tard surtout le venin du jansénisme s’étant répandu partout, on commença à discuter sur les dispositions qu’il fallait apporter pour s’approcher de la communion fréquente et quotidienne ; c’était à qui en réclamerait comme nécessaires de plus grandes et de plus difficiles.
Il en résulta que très peu de personnes furent jugées dignes de recevoir chaque jour la sainte Eucharistie et de puiser dans ce sacrement si salutaire des effets plus abondants : les autres devaient se contenter de communier une fois par an, ou tous les mois, ou tout au plus chaque semaine. On en vint même à une sévérité telle que des catégories entières de personnes, comme les marchands ou les gens mariés, furent exclues de la fréquentation de la sainte Table.
D’autres cependant se jetèrent dans le sentiment contraire.
Jugeant que la communion quotidienne est de précepte divin, pour qu’aucun jour ne se passât sans qu’on reçût la sainte Communion, ils étaient d’avis, entre autres choses contraires à la coutume de l’Eglise, qu’il fallait recevoir la sainte Eucharistie même le Vendredi saint et ils la distribuaient ce jour-là.
Le Saint-Siège sur ce point ne manqua pas à son devoir.
En effet, dans un décret de cette sainte Congrégation qui commence ainsi : Cum ad aures, du 12 février 1679, décret approuvé par le pape Innocent XI, elle condamna les erreurs de ce genre et réprima les abus, déclarant en même temps que toutes les classes de personnes, y compris les marchands et les gens mariés, pouvaient être admises à la communion fréquente, suivant la piété de chacun et le jugement du confesseur.
Puis, le 7 décembre 1690, par le décret Sanctissimus Dominus noster, le pape Alexandre VIII condamnait la proposition de Baïus, qui réclamait le plus pur amour de Dieu sans aucun mélange de défauts de la part de ceux qui voulaient s’approcher de la sainte Table.
Toutefois, le venin du jansénisme qui s’était introduit même parmi les bons, sous prétexte d’honneur et de vénération dus à l’Eucharistie, ne disparut pas complètement.
Discussions sur les dispositions nécessaires pour recevoir fréquemment la communion
Même après les déclarations du Saint-Siège, les discussions sur les dispositions qu’il faut avoir pour bien recevoir fréquemment la sainte Communion ont continué ; il arriva que certains théologiens, même de bonne marque, ont pensé qu’il ne fallait permettre la communion fréquente que rarement et sous de nombreuses conditions.
D’autre part il ne manqua pas d’hommes savants et pieux qui facilitèrent cet usage salutaire et si agréable à Dieu, et qui enseignèrent, en s’appuyant sur les Pères, qu’il n’y a aucun précepte de l’Eglise réclamant de ceux qui font la communion quotidienne des dispositions plus grandes que celles demandées pour la communion hebdomadaire et mensuelle ; quant aux fruits qu’on en retire, ils sont bien plus abondants dans la communion quotidienne que dans la communion hebdomadaire ou mensuelle.
Les discussions sur ce sujet ont augmenté de nos jours et n’ont pas été sans une certaine aigreur ; elles ont porté le trouble dans l’esprit des confesseurs et la conscience des fidèles, au grand détriment de la piété et de la ferveur chrétienne. C’est pourquoi des hommes très remarquables et des pasteurs d’âmes ont adressé des suppliques ardentes à Notre Saint-Père le Pape Pie X afin qu’il daignât, dans son autorité suprême, trancher la question des dispositions qu’il faut avoir pour recevoir tous les jours l’Eucharistie, de telle sorte que cette coutume, très salutaire et très agréable à Dieu, non seulement n’aille pas en s’affaiblissant parmi les fidèles, mais qu’au contraire elle grandisse et se répande partout, de nos jours surtout où la religion et la foi catholiques sont attaquées de toutes parts et où l’amour de Dieu et la vraie piété laissent beaucoup à désirer.
Aussi Sa Sainteté, dans la sollicitude et le zèle qui l’animent, ayant grandement à cœur que le peuple chrétien soit poussé à communier très fréquemment et même tous les jours, et qu’il jouisse ainsi des fruits les plus abondants, a chargé cette sainte Congrégation d’examiner et de définir la susdite question.
Décision romaine
La sainte Congrégation du Concile, dans sa séance générale du 16 décembre 1905, a soumis cette question à un examen très attentif et, après avoir pesé avec une maturité diligente les raisons apportées de part et d’autre, elle a établi et décrété ce qui suit :
- I. La communion fréquente et quotidienne, étant souverainement désirée par Notre-Seigneur Jésus-Christ et par l’Eglise catholique, doit être rendue accessible à tous les fidèles chrétiens de quelque classe et de quelque condition qu’ils soient, en sorte que nul, s’il est en état de grâce et s’il s’approche de la sainte Table avec une intention droite, ne puisse en être écarté.
- II. L’intention droite consiste à s’approcher de la sainte Table, non par habitude, ou par vanité, ou pour des raisons humaines, mais pour satisfaire à la volonté de Dieu, s’unir à Lui plus intimement par la charité et, grâce à ce divin remède, combattre ses défauts et ses infirmités.
- III. Bien qu’il soit très désirable que ceux qui usent de la communion fréquente et quotidienne soient exempts de péchés véniels au moins délibérés et qu’ils n’y aient aucune affection, il suffit néanmoins qu’ils n’aient aucune faute mortelle, avec le ferme propos de ne plus pécher à l’avenir : étant donné ce ferme propos sincère de l’âme, il n’est pas possible que ceux qui communient chaque jour ne se corrigent pas également des péchés véniels et peu à peu de leur affection à ces péchés.
- IV. Quoique les sacrements de la nouvelle loi produisent leur effet ex opere operato (par eux-mêmes), cet effet néanmoins est d’autant plus grand que les dispositions de ceux qui les reçoivent sont plus parfaites. Il faut donc veiller à faire précéder la sainte communion d’une préparation diligente et à la faire suivre d’une action de grâces convenable, suivant les forces, la condition et les devoirs de chacun.
- V. Afin que la communion fréquente et quotidienne se fasse avec plus de prudence et un plus grand mérite, il importe de demander conseil à son confesseur. Que les confesseurs cependant se gardent de priver de la communion fréquente et quotidienne une personne qui est en état de grâce et qui s’en approche avec une intention droite.
- VI. Comme il est évident que la communion fréquente et quotidienne augmente l’union avec Jésus-Christ, alimente avec plus de force la vie spirituelle, embellit l’âme des plus abondantes vertus et nous donne un gage encore plus ferme de la vie éternelle, les curés, les confesseurs et les prédicateurs, suivant la doctrine approuvée du Catéchisme romain (part. II, chap. LXIII), devront exhorter, dans de fréquents avis et avec un zèle empressé, le peuple chrétien à cette pratique si pieuse et si salutaire.
- VII. La communion fréquente et quotidienne doit être favorisée spécialement dans les Instituts religieux de toutes catégories ; néanmoins, on y observera le décret Quemadmodum du 17 décembre 1890, rendu par la sainte Congrégation des évêques et réguliers. Elle doit être encouragée aussi d’une façon toute spéciale dans les séminaires dont les élèves se consacrent au service de l’autel, comme aussi dans tous les autres collèges chrétiens.
- VIII. S’il y a des Instituts soit à vœux solennels, soit à vœux simples, dont les règles, les constitutions ou aussi les calendriers fixent et imposent des communions à des jours déterminés, il faut donner à ces règles une valeur purement « directive », mais non « préceptive ». Le nombre des communions prescrit y doit être considéré comme un « minimum » pour la piété des religieux. Par, conséquent, ils seront toujours libres d’aller à la sainte Table plus fréquemment et même tous les jours, selon les indications données plus haut. Afin que les religieux de l’un et l’autre sexe puissent connaître exactement les dispositions du présent décret, les supérieurs de chaque maison auront soin de le faire lire chaque année dans la communauté en langue vulgaire pendant l’octave de la fête du saint Sacrement.
- IX. Enfin, après la promulgation de ce décret, les écrivains ecclésiastiques auront soin de s’abstenir de toute discussion litigieuse touchant les dispositions qu’il faut apporter à la communion fréquente et quotidienne.
Donné à Rome, le 20 décembre 1905.
Vincent, card. év. de Palestrina, Préfet.
Cajetan de Lai, secrétaire.
Source : Actes de S.S. Pie X, tome 2, La Bonne Presse – AAS, vol. XXXVIII (1905–06), pp. 8–10.