Saint Pie X

257ᵉ pape ; de 1903 à 1914

16 juillet 1905

Motu proprio Sacra Tridentina synodus

Sur la réception quotidienne de la Très Sainte Eucharistie

Table des matières

Le saint concile de Trente, ayant en vue les inef­fables tré­sors de grâces que les fidèles retirent de la récep­tion de la très sainte Eucharistie, dit : Le très saint Concile sou­hai­te­rait qu’à chaque messe les fidèles qui y assistent ne se contentent pas de com­mu­nier spi­ri­tuel­le­ment, mais reçoivent encore réel­le­ment le sacre­ment eucha­ris­tique [1]. Ces paroles montrent assez clai­re­ment com­bien l’Eglise désire que tous les fidèles s’ap­prochent chaque jour de ce ban­quet céleste et en retirent des effets plus abon­dants de sanctification.

Volonté du Christ et de l’Eglise

Ces sou­haits sont conformes au désir qui ani­mait Notre-​Seigneur Jésus-​Christ lorsqu’Il a ins­ti­tué ce divin sacre­ment. Il a en effet insis­té Lui-​même, à plu­sieurs reprises et en termes clairs, sur la néces­si­té de se nour­rir sou­vent de sa chair et de boire son sang, par­ti­cu­liè­re­ment lorsqu’Il dit : Ceci est le pain des­cen­du du ciel, ce n’est pas comme la manne que vos pères ont man­gée dans le désert, après quoi ils sont morts : celui qui mange ce pain vivra éter­nel­le­ment (Jn 6, 59). Par cette com­pa­rai­son de la nour­ri­ture angé­lique avec le pain et la manne, les dis­ciples pou­vaient com­prendre aisé­ment que, le pain étant la nour­ri­ture quo­ti­dienne du corps et la manne ayant été l’a­li­ment quo­ti­dien des Hébreux dans le désert, de la même façon l’âme chré­tienne pour­rait se nour­rir chaque jour du pain céleste et en rece­voir un récon­fort. De plus, quand Il nous ordonne de deman­der dans l’Oraison domi­ni­cale notre pain quo­ti­dien, il faut entendre par là, comme presque tous les Pères de l’Eglise l’en­seignent, non pas tant le pain maté­riel, la nour­ri­ture du corps, que le pain eucha­ris­tique qui doit être reçu chaque jour.

Or, Jésus-​Christ et l’Eglise dési­rent que tous les fidèles s’ap­prochent chaque jour du ban­quet sacré, sur­tout afin qu’é­tant unis à Dieu par ce sacre­ment ils en reçoivent la force de répri­mer leurs pas­sions, qu’ils s’y puri­fient des fautes légères qui peuvent se pré­sen­ter chaque jour, et qu’ils puissent évi­ter les fautes graves aux­quelles est expo­sée la fra­gi­li­té humaine : ce n’est donc pas prin­ci­pa­le­ment pour rendre gloire à Dieu, ni comme une sorte de faveur et de récom­pense pour les ver­tus de ceux qui s’en approchent [2]. Aussi le saint Concile de Trente appelle-​t-​il l’Eucharistie l’an­ti­dote qui nous délivre des fautes quo­ti­diennes et nous pré­serve des péchés mor­tels [3].

Evolution historique

Les pre­miers chré­tiens, com­pre­nant bien cette volon­té divine, accou­raient chaque jour au ban­quet de vie et de force. Ils per­sé­vé­raient dans la doc­trine des apôtres, dans la com­mu­nion de la frac­tion du pain (Ac 2, 42). 

La même chose eut lieu dans les siècles sui­vants, comme le rap­portent les saints Pères et les écri­vains ecclé­sias­tiques, au grand pro­fit de la per­fec­tion et de la sainteté.

Cependant la pié­té s’é­tant affai­blie et plus tard sur­tout le venin du jan­sé­nisme s’é­tant répan­du par­tout, on com­men­ça à dis­cu­ter sur les dis­po­si­tions qu’il fal­lait appor­ter pour s’ap­pro­cher de la com­mu­nion fré­quente et quo­ti­dienne ; c’é­tait à qui en récla­me­rait comme néces­saires de plus grandes et de plus difficiles. 

Il en résul­ta que très peu de per­sonnes furent jugées dignes de rece­voir chaque jour la sainte Eucharistie et de pui­ser dans ce sacre­ment si salu­taire des effets plus abon­dants : les autres devaient se conten­ter de com­mu­nier une fois par an, ou tous les mois, ou tout au plus chaque semaine. On en vint même à une sévé­ri­té telle que des caté­go­ries entières de per­sonnes, comme les mar­chands ou les gens mariés, furent exclues de la fré­quen­ta­tion de la sainte Table.

D’autres cepen­dant se jetèrent dans le sen­ti­ment contraire.

Jugeant que la com­mu­nion quo­ti­dienne est de pré­cepte divin, pour qu’au­cun jour ne se pas­sât sans qu’on reçût la sainte Communion, ils étaient d’a­vis, entre autres choses contraires à la cou­tume de l’Eglise, qu’il fal­lait rece­voir la sainte Eucharistie même le Vendredi saint et ils la dis­tri­buaient ce jour-là.

Le Saint-​Siège sur ce point ne man­qua pas à son devoir.

En effet, dans un décret de cette sainte Congrégation qui com­mence ain­si : Cum ad aures, du 12 février 1679, décret approu­vé par le pape Innocent XI, elle condam­na les erreurs de ce genre et répri­ma les abus, décla­rant en même temps que toutes les classes de per­sonnes, y com­pris les mar­chands et les gens mariés, pou­vaient être admises à la com­mu­nion fré­quente, sui­vant la pié­té de cha­cun et le juge­ment du confesseur.

Puis, le 7 décembre 1690, par le décret Sanctissimus Dominus nos­ter, le pape Alexandre VIII condam­nait la pro­po­si­tion de Baïus, qui récla­mait le plus pur amour de Dieu sans aucun mélange de défauts de la part de ceux qui vou­laient s’ap­pro­cher de la sainte Table.

Toutefois, le venin du jan­sé­nisme qui s’é­tait intro­duit même par­mi les bons, sous pré­texte d’hon­neur et de véné­ra­tion dus à l’Eucharistie, ne dis­pa­rut pas complètement.

Discussions sur les dispositions nécessaires pour recevoir fréquemment la communion

Même après les décla­ra­tions du Saint-​Siège, les dis­cus­sions sur les dis­po­si­tions qu’il faut avoir pour bien rece­voir fré­quem­ment la sainte Communion ont conti­nué ; il arri­va que cer­tains théo­lo­giens, même de bonne marque, ont pen­sé qu’il ne fal­lait per­mettre la com­mu­nion fré­quente que rare­ment et sous de nom­breuses conditions.

D’autre part il ne man­qua pas d’hommes savants et pieux qui faci­li­tèrent cet usage salu­taire et si agréable à Dieu, et qui ensei­gnèrent, en s’ap­puyant sur les Pères, qu’il n’y a aucun pré­cepte de l’Eglise récla­mant de ceux qui font la com­mu­nion quo­ti­dienne des dis­po­si­tions plus grandes que celles deman­dées pour la com­mu­nion heb­do­ma­daire et men­suelle ; quant aux fruits qu’on en retire, ils sont bien plus abon­dants dans la com­mu­nion quo­ti­dienne que dans la com­mu­nion heb­do­ma­daire ou mensuelle.

Les dis­cus­sions sur ce sujet ont aug­men­té de nos jours et n’ont pas été sans une cer­taine aigreur ; elles ont por­té le trouble dans l’es­prit des confes­seurs et la conscience des fidèles, au grand détri­ment de la pié­té et de la fer­veur chré­tienne. C’est pour­quoi des hommes très remar­quables et des pas­teurs d’âmes ont adres­sé des sup­pliques ardentes à Notre Saint-​Père le Pape Pie X afin qu’il dai­gnât, dans son auto­ri­té suprême, tran­cher la ques­tion des dis­po­si­tions qu’il faut avoir pour rece­voir tous les jours l’Eucharistie, de telle sorte que cette cou­tume, très salu­taire et très agréable à Dieu, non seule­ment n’aille pas en s’af­fai­blis­sant par­mi les fidèles, mais qu’au contraire elle gran­disse et se répande par­tout, de nos jours sur­tout où la reli­gion et la foi catho­liques sont atta­quées de toutes parts et où l’a­mour de Dieu et la vraie pié­té laissent beau­coup à désirer.

Aussi Sa Sainteté, dans la sol­li­ci­tude et le zèle qui l’a­niment, ayant gran­de­ment à cœur que le peuple chré­tien soit pous­sé à com­mu­nier très fré­quem­ment et même tous les jours, et qu’il jouisse ain­si des fruits les plus abon­dants, a char­gé cette sainte Congrégation d’exa­mi­ner et de défi­nir la sus­dite question.

Décision romaine

La sainte Congrégation du Concile, dans sa séance géné­rale du 16 décembre 1905, a sou­mis cette ques­tion à un exa­men très atten­tif et, après avoir pesé avec une matu­ri­té dili­gente les rai­sons appor­tées de part et d’autre, elle a éta­bli et décré­té ce qui suit :

  • I. La com­mu­nion fré­quente et quo­ti­dienne, étant sou­ve­rai­ne­ment dési­rée par Notre-​Seigneur Jésus-​Christ et par l’Eglise catho­lique, doit être ren­due acces­sible à tous les fidèles chré­tiens de quelque classe et de quelque condi­tion qu’ils soient, en sorte que nul, s’il est en état de grâce et s’il s’ap­proche de la sainte Table avec une inten­tion droite, ne puisse en être écarté.
  • II. L’intention droite consiste à s’ap­pro­cher de la sainte Table, non par habi­tude, ou par vani­té, ou pour des rai­sons humaines, mais pour satis­faire à la volon­té de Dieu, s’u­nir à Lui plus inti­me­ment par la cha­ri­té et, grâce à ce divin remède, com­battre ses défauts et ses infirmités.
  • III. Bien qu’il soit très dési­rable que ceux qui usent de la com­mu­nion fré­quente et quo­ti­dienne soient exempts de péchés véniels au moins déli­bé­rés et qu’ils n’y aient aucune affec­tion, il suf­fit néan­moins qu’ils n’aient aucune faute mor­telle, avec le ferme pro­pos de ne plus pécher à l’a­ve­nir : étant don­né ce ferme pro­pos sin­cère de l’âme, il n’est pas pos­sible que ceux qui com­mu­nient chaque jour ne se cor­rigent pas éga­le­ment des péchés véniels et peu à peu de leur affec­tion à ces péchés.
  • IV. Quoique les sacre­ments de la nou­velle loi pro­duisent leur effet ex opere ope­ra­to (par eux-​mêmes), cet effet néan­moins est d’au­tant plus grand que les dis­po­si­tions de ceux qui les reçoivent sont plus par­faites. Il faut donc veiller à faire pré­cé­der la sainte com­mu­nion d’une pré­pa­ra­tion dili­gente et à la faire suivre d’une action de grâces conve­nable, sui­vant les forces, la condi­tion et les devoirs de chacun.
  • V. Afin que la com­mu­nion fré­quente et quo­ti­dienne se fasse avec plus de pru­dence et un plus grand mérite, il importe de deman­der conseil à son confes­seur. Que les confes­seurs cepen­dant se gardent de pri­ver de la com­mu­nion fré­quente et quo­ti­dienne une per­sonne qui est en état de grâce et qui s’en approche avec une inten­tion droite.
  • VI. Comme il est évident que la com­mu­nion fré­quente et quo­ti­dienne aug­mente l’u­nion avec Jésus-​Christ, ali­mente avec plus de force la vie spi­ri­tuelle, embel­lit l’âme des plus abon­dantes ver­tus et nous donne un gage encore plus ferme de la vie éter­nelle, les curés, les confes­seurs et les pré­di­ca­teurs, sui­vant la doc­trine approu­vée du Catéchisme romain (part. II, chap. LXIII), devront exhor­ter, dans de fré­quents avis et avec un zèle empres­sé, le peuple chré­tien à cette pra­tique si pieuse et si salutaire.
  • VII. La com­mu­nion fré­quente et quo­ti­dienne doit être favo­ri­sée spé­cia­le­ment dans les Instituts reli­gieux de toutes caté­go­ries ; néan­moins, on y obser­ve­ra le décret Quemadmodum du 17 décembre 1890, ren­du par la sainte Congrégation des évêques et régu­liers. Elle doit être encou­ra­gée aus­si d’une façon toute spé­ciale dans les sémi­naires dont les élèves se consacrent au ser­vice de l’au­tel, comme aus­si dans tous les autres col­lèges chrétiens.
  • VIII. S’il y a des Instituts soit à vœux solen­nels, soit à vœux simples, dont les règles, les consti­tu­tions ou aus­si les calen­driers fixent et imposent des com­mu­nions à des jours déter­mi­nés, il faut don­ner à ces règles une valeur pure­ment « direc­tive », mais non « pré­cep­tive ». Le nombre des com­mu­nions pres­crit y doit être consi­dé­ré comme un « mini­mum » pour la pié­té des reli­gieux. Par, consé­quent, ils seront tou­jours libres d’al­ler à la sainte Table plus fré­quem­ment et même tous les jours, selon les indi­ca­tions don­nées plus haut. Afin que les reli­gieux de l’un et l’autre sexe puissent connaître exac­te­ment les dis­po­si­tions du pré­sent décret, les supé­rieurs de chaque mai­son auront soin de le faire lire chaque année dans la com­mu­nau­té en langue vul­gaire pen­dant l’oc­tave de la fête du saint Sacrement.
  • IX. Enfin, après la pro­mul­ga­tion de ce décret, les écri­vains ecclé­sias­tiques auront soin de s’abs­te­nir de toute dis­cus­sion liti­gieuse tou­chant les dis­po­si­tions qu’il faut appor­ter à la com­mu­nion fré­quente et quotidienne.

Donné à Rome, le 20 décembre 1905.

Vincent, card. év. de Palestrina, Préfet.
Cajetan de Lai, secré­taire.

Source : Actes de S.S. Pie X, tome 2, La Bonne Presse – AAS, vol. XXXVIII (1905–06), pp. 8–10.

Notes de bas de page
  1. ses­sion 22, chap. VI[]
  2. s. Augustin, ser­mon LVII sur saint Matthieu, De l’Oraison domi­ni­cale V, 7[]
  3. ses­sion 13, chap. II[]