Pie XI

259ᵉ pape ; de 1922 à 1939

21 avril 1936

Discours prononcé à l'audience donnée à la Fédération internationale de la presse cinématographique

Table des matières

Le Saint-​Père a reçu en audience spé­ciale, dans la salle du Consistoire, la pré­si­dence et un groupe de délé­gués du Congres inter­na­tio­nal de la presse ciné­ma­to­gra­phique, tenu ces jours-​là à Rome. Parmi les assis­tants qu’ac­com­pa­gnait le com­man­deur Menighini, rédac­teur de la page ciné­ma­to­gra­phique de l’Osservatore Romano, se trou­vaient le pré­sident de la Fédération, Dr Chataigner (France) ; le vice-​président M.Duwaerts ; le secré­taire tré­so­rier, M. Widy, et M.Piron (Belgique) ; le com­man­deur Fontana et le Dr Dal Fabbro (Italie), ain­si que les repré­sen­tants de l’Autriche, de la Hongrie, de l’Allemagne, de la Pologne, de la Tchécoslovaquie, de la Hollande.

Sa Sainteté déclare qu’elle doit tout d’a­bord remer­cier ces chers mes­sieurs, ces chers Fils et Filles de la pen­sée qu’ils ont eue de faire visite au Père com­mun, dans sa mai­son qui, à juste titre, est dite la mai­son de toutes les âmes, des croyants, des catho­liques en par­ti­cu­lier. Le Saint-​Père les remer­cie d’a­voir tenu à lui faire une visite si agréable, car il s’a­git d’une audience qu’il n’hé­site pas à ran­ger par­mi les plus impor­tantes, non seu­lement en rai­son des per­son­na­li­tés pré­sentes si dis­tin­guées et si dignes, mais sur­tout en rai­son de ce qu’elles repré­sentent : la Fédération inter­na­tio­nale de la presse cinématographique.

Contrôle de la presse et de la production cinématographiques.

Voilà quelque chose de très impor­tant, et cela sous divers, aspects. Le Saint-​Père dit qu’il doit expri­mer sa recon­nais­sance, en rap­pe­lant une pro­messe de la Fédération – pro­messe que lui firent le pré­sident et le secré­taire géné­ral à l’oc­ca­sion d’une autre audience, en août 1934, – à Castel-​Gandolfo, – sui­vant laquelle le Pape, à Rome même, aurait lieu de faire des consta­tations conso­lantes sur la presse ciné­ma­to­gra­phique et sur la ciné­ma­to­gra­phie en géné­ral. En effet, Sa Sainteté doit féli­ci­ter ces chers Fils de ce que, pour autant qu’il a pu suivre les infor­mations et les com­mu­ni­qués rela­tifs à leur Congrès, il y a quelques conso­lantes consta­ta­tions que l’on peut faire, que l’on doit faire.

Le Pape veut d’a­bord féli­ci­ter S. Exc. Alfieri, qui, au Congrès, a pré­ci­sé­ment rele­vé le fait sui­vant : en géné­ral, on peut noter quelques pro­grès – spé­cia­le­ment en Italie, et le Pape en est par­ti­cu­liè­re­ment satis­fait – sur­tout en ce qui concerne le contrôle de la presse ciné­ma­to­gra­phique, de la pro­duc­tion ciné­ma­to­gra­phique. Sur ce point, S. Exc. Alfieri a atti­ré d’une façon toute spé­ciale l’at­ten­tion du Congrès. C’est là une belle et pré­cieuse consta­ta­tion, car – dit Sa Sainteté – le contrôle est une des plus grandes néces­si­tés, c’est le grand moyen – mais il ne fau­drait certes pas négli­ger d’en recher­cher d’autres, – l’un des moyens les plus effi­caces pour cana­li­ser toute la grande pro­duc­tion du ciné­ma­to­graphe et la main­te­nir dans les lignes où elle doit res­ter, sous peine d’é­norme et grave culpa­bi­li­té. Non moins d’ac­cord est le Pasteur suprême avec ceux qui disent que tous les catho­liques de tous les pays col­la­borent au relè­ve­ment du ciné­ma­to­graphe. C’est ce qu’ont fait (et Sa Sainteté ne sau­rait assez les en louer) les femmes suisses, ain­si que les évêques, les catho­liques et les hon­nêtes gens des Etats-Unis.

Revenant au contrôle, le Saint-​Père déclare qu’il requiert une atten­tion toute par­ti­cu­lière ; oui, il demande, il appelle un soin tout spé­cial sur­tout en ce qui concerne son exten­sion et sa pro­fondeur.

Le contrôle doit se faire en exten­sion ; on sait fort bien, en effet, et l’on doit mal­heu­reu­se­ment consta­ter qu’une grande par­tie de la pro­duc­tion ciné­ma­to­gra­phique échappe à ce contrôle. Les pro­duc­tions ciné­ma­to­gra­phiques arrivent de par­tout, mais il n’en est que trop qui échappent à toute sur­veillance et par­viennent direc­te­ment au public sans pas­ser par le contrôle : de là la néces­sité iné­luc­table d’é­tendre la bien­fai­sante effi­ca­ci­té du contrôle.

Le contrôle doit se faire en pro­fon­deur, car il y a évi­dem­ment contrôle et contrôle : il y a le contrôle sévère et le contrôle trop sévère ; au contraire, il y a le contrôle bénin, bien­veillant, trop bénin et trop bien­veillant. Un pro­verbe ita­lien bien connu dit : Il trop­po stor­pia (le trop estro­pie) ; le contrôle doit être juste, il doit être jus­te­ment sévère ; quel immense mal­heur, en effet, si dans ce domaine la règle juste n’est pas obser­vée ! Quelle grande misère si le contrôle est insuf­fi­sant, aus­si bien en quan­tité qu’en qua­li­té, aus­si bien en exten­sion qu’en pro­fon­deur et en sévé­ri­té ! Que se passe-​t-​il quand il est ain­si défec­tueux ? C’est triste à dire : dans ce cas, le contrôle sert de pas­se­port pour toute pro­duc­tion, même la plus déplo­rable ; c’est la poudre à sécher dis­si­mu­lant l’é­cri­ture, c’est le droit de pas­sage, le facile accès à toute présentation.

Compétence et dilettantisme.

Sa Sainteté a vu, en outre – par les comptes ren­dus som­maires du Congrès, – que celui-​ci s’est occu­pé d’un cer­tain dilet­tan­tisme, d’un dilet­tan­tisme en ciné­ma, concer­nant soit la presse ciné­ma­to­gra­phique, soit la pro­duc­tion cinématographique.

Il peut, en effet, y avoir un dilet­tan­tisme en pro­duc­tion, mais plus facile est le dilet­tan­tisme dans la presse. Il semble à Sa Sainteté que le Congrès se soit pro­non­cé contre cette forme de dilet­tan­tisme, c’est-​à-​dire contre l’ha­bi­tude de prendre les choses trop faci­le­ment. A ce pro­pos, le Saint-​Père rap­pelle, pour mieux expri­mer sa pen­sée, une expé­rience per­son­nelle. Il y a envi­ron trente ans et peut-​être davan­tage – le Pape signale en sou­riant ce pri­vi­lège de pou­voir comp­ter ses propres années par tren­taines, – beau­coup se croyaient écri­vains ou cri­tiques d’art : c’était un dilet­tan­tisme tout à fait à la mode et le Pape lui- même se sou­vient avoir reçu un grand nombre de cartes de visites de per­sonnes qui se qua­li­fiaient d’écrivains d’art, de cri­tiques d’art. La lit­té­ra­ture sem­blait comme inon­dée et enva­hie par ces appel­la­tions. C’était évi­dem­ment déplo­rable, car tous se croyaient deve­nus com­pé­tents en matière d’art, de presse, de lit­té­ra­ture d’art, d’où il résul­ta alors un ensemble de ‑vraies misères ! Misères pas­sées, bien qu’il y en ait encore quelque sur­vivance, bien que plus d’un se consi­dère encore, sans l’être, écri­vain et cri­tique d’art. Et cela se com­prend, car il est tou­jours plus facile de faire le dilet­tante que d’être com­pé­tent. Traitant du dilet­tan­tisme en matière de ciné­ma, .les congres­sistes font sou­ve­nir à Sa Sainteté d’un bon livre publié il y a qua­rante ans envi­ron par un savant fran­çais, l’abbé Klein, inti­tu­lé préci­sément Autour du dilet­tan­tisme ; il trai­tait du dilet­tan­tisme tel qu’il se pré­sen­tait dans tous les domaines, car cette mode vou­lait péné­trer un peu par­tout, même dans l’art de la parole. Maintenant, Sa Sainteté exprime de tout son cœur le vœu que le dilet­tan­tisme n’entre pas dans les lignes du ciné­ma­to­graphe ; car il n’a jamais rien appor­té de bon, le dilet­tan­tisme – répète le Saint-​Père, – atten­du qu’il est, sauf de rares excep­tions, syno­nyme d’incompétence.

Relever le niveau de la presse cinématographique.

L’auguste Pontife dit avoir fait une autre consta­ta­tion à la suite des tra­vaux du Congrès. Il se hâte de féli­ci­ter M. Fontana, chef de la délé­ga­tion ita­lienne, pour avoir par­lé fort à pro­pos en signa­lant la néces­si­té d’une élé­va­tion du niveau de la presse ciné­ma­to­gra­phique, en met­tant en relief la néces­si­té de rendre cette presse indé­pen­dante des mai­sons de pro­duc­tion. Constata­tion pra­tique, évi­dente et salu­taire : on ne sau­rait, en effet, son­ger à une presse digne de ce nom qui ne juge­rait pas comme on doit juger, qui ne serait pas indé­pen­dante. Pour la même rai­son, le Saint-​Père veut féli­ci­ter le chef de la délé­ga­tion fran­çaise, M. Chataigner, qui a asso­cié sa voix à celle de la délé­ga­tion ita­lienne, et a par­ti­cu­liè­re­ment invi­té les jour­naux, les jour­na­listes, la grande presse à contri­buer au relè­ve­ment, soit artis­tique, soit moral, aus­si bien de la presse que de la pro­duc­tion cinéma­tographique. Tels sont les vœux – ajoute Sa Sainteté – que le Pape ne peut pas ne pas dési­rer voir accueillis par­tout et par­tout réa­li­sés ; il ne peut, en effet, pen­ser à ces hommes émi­nents qui lui repré­sentent la presse ciné­ma­to­gra­phique et le ciné­ma, sans que lui vienne à l’esprit un fait que se réa­lise tou­jours, c’est-à-dire sans pen­ser à ces mil­lions – d’après les sta­tis­tiques pério­diques qui sont publiées, – oui, à ces mil­lions, non seule­ment d’hommes mûrs, mais de jeunes gens, de jeunes filles, d’a­do­les­cents, de petits enfants, qui passent devant les ciné­mas pour y voir bien sou­vent s’ex­hi­ber, de la façon la plus attrayante, tout ce qui, trop sou­vent, n’est qu’un véri­table outrage, une véri­table insulte à l’a­dresse de tout ce qu’il y a de plus beau, de plus déli­cat, de plus digne de res­pect dans les âmes, dans les jeunes âmes.

Ravages causés par le cinéma.

Quand Nous pen­sons à cela – conti­nue le Saint-​Père, – il y a de quoi pleu­rer ; c’est ter­rible. La peine du Pape – il est vrai – doit être plus grande, parce que c’est Dieu qui lui a confié pré­ci­sé­ment la pater­ni­té uni­ver­selle de toutes les âmes. Mais tout homme d’in­tel­li­gence, de cœur, de sen­ti­ment, doit pleu­rer avec lui. Le Pape, en effet, ne parle pas seule­ment au nom de la reli­gion ; ce n’est pas seule­ment au nom de cet idéal éle­vé qu’il entend faire appel aux fidèles ; c’est moins du point de vue reli­gieux que du point de vue de tout ce qui consti­tue le sen­ti­ment fami­lial, social, natio­nal, que doit être enten­due et res­sen­tie cette pré­oc­cu­pa­tion. La sainte reli­gion catho­lique pos­sède, en effet, des pro­messes de Dieu, des pro­messes divines, donc infaillibles ; aus­si ce n’est pas l’a­ve­nir de la reli­gion ni celui de l’Eglise qui angoissent le Pape. Assurément, dans ce domaine sur­tout, il doit prendre des dis­po­si­tions ; mais la reli­gion, l’Eglise ont des pro­messes que les Etats, les nations, les peuples n’ont pas. C’est pour­quoi il est arri­vé ce que l’his­toire elle-​même nous enseigne : la reli­gion catho­lique, l’Église, depuis vingt siècles, vivent et ne mani­festent aucune fatigue après un par­cours si impor­tant ; mais com­bien de familles, com­bien de peuples, com­bien d’États sont res­tés le long du che­min, ont comp­té de véri­tables et propres désastres, si graves par­fois qu’ils ont failli les faire dis­pa­raître ! Il est impos­sible de ne pas réflé­chir à ce pro­grès de véri­table et propre intoxi­ca­tion des âmes et des intel­li­gences qui a pré­ci­sé­ment son ori­gine dans ces ‑exhi­bitions ciné­ma­to­gra­phiques devant les­quelles passent des mil­lions d’in­di­vi­dus chaque année, chaque mois, chaque jour, où ils sont inévi­ta­ble­ment vic­times d’une intoxi­ca­tion spi­ri­tuelle, d’un obs­cur­cis­se­ment de toutes leurs pures et nobles idées : véri­table atten­tat à la volon­té, à la pauvre volon­té humaine qui sou­vent doit sou­te­nir tant de luttes pour res­ter fidèle au devoir, lequel n’est pas tou­jours syno­nyme de plaisir.

Responsabilités terribles.

Tout cela incite le Saint-​Père à répé­ter ce qu’il a déjà eu l’oc­ca­sion de dire à l’au­dience de Castel-​Gandolfo, quand il a rap­pe­lé l’im­mense res­pon­sa­bi­li­té de ceux dont dépend cet extraor­dinaire moyen, ou d’ins­truc­tion – car il va de soi que le ciné­matographe peut ser­vir, avec ses très rapides pro­cé­dés, à la for­ma­tion de tant d’intelligences – ou de for­ma­tion et, par con­séquent, de construc­tion humaine, de construc­tion sociale, de construc­tion natio­nale, ou, au contraire, de totale et redou­table des­truc­tion. Ce sont là des res­pon­sa­bi­li­tés qui s’ajoutent en der­nière heure à l’histoire de l’humanité, et elles sont, certes, les plus graves et les plus formidables.

Le devoir de la presse.

A ces chers Fils, à ces dis­tin­gués mes­sieurs, le Pape adresse donc une ins­tante recom­man­da­tion qui, il le sait bien, rece­vra une excel­lente place dans leurs intel­li­gences et dans leurs cœurs, et à laquelle il demande qu’on fasse bon accueil et donne bonne suite. Le Saint-​Père se réjouit de ce qu’ils ont pu faire dans le domaine de la presse ciné­ma­to­gra­phique ; assu­ré­ment – et c’est là la consi­dé­ra­tion par­ti­cu­lière qu’il doit faire, – le ciné­matographe ne serait pas ce qu’il est si la presse l’avait tou­jours sui­vi, dès le début, d’une façon néces­sai­re­ment vigi­lante et sévère ; si la presse ciné­ma­to­gra­phique, ain­si qu’on l’appelle, s’était tou­jours acquit­té de sa mis­sion, avait rem­pli son devoir, confor­mé­ment à la ver­tu, confor­mé­ment à la véri­té, confor­mé­ment à la jus­tice, en dis­tri­buant, pré­ci­sé­ment d’après ces prin­cipes et ces élé­ments indis­pen­sables, l’éloge et le blâme. S’il en avait tou­jours été ain­si, cer­tai­ne­ment beau­coup de bien se serait fait et beau­coup de mal aurait été évi­té ; et s’il en est ain­si dans l’a­ve­nir, c’est-à-dire si la presse ciné­ma­to­gra­phique se règle sur ces indis­pen­sables direc­tives, un grand nombre de désastres moraux pour­ront être désor­mais écartés.

C’est pour­quoi le Saint-​Père tient cor­dia­le­ment à mani­fes­ter, à mettre dans les intel­li­gences et dans les cœurs de ces chers Fils sa confiance et ses pré­vi­sions opti­mistes pour l’avenir. Et c’est avec cette pen­sée et cet espoir qu’il va don­ner aux per­sonnes pré­sentes sa pater­nelle et affec­tueuse Bénédiction.

Source : Actes de S. S. Pie XI, t. XIV, La Bonne Presse – Traduit de l’i­ta­lien et publié par l’Osservatore Romano (23 avril 36)

15 août 1936
Que doivent observer les tribunaux diocésains chargés de juger les actions en nullité de mariage.
  • Sacrée Congrégation de la Discipline des Sacrements
  • /Pie XI
19 mai 1935
Prononcée à la Messe pontificale solennelle, après l'Evan­gile, le jour de la Canonisation des bienheureux mar­tyrs Jean Fisher et Thomas More
  • Pie XI