Cette lettre rappelle que l’Eglise n’a pas en son pouvoir de modifier l’essence des sacrements et en conséquence, ne pourra jamais ordonner des femmes prêtres. Le caractère traditionnel et irréformable de cette conclusion ne fait aucun doute. S’agit-il pour autant d’une déclaration ex cathedra infaillible en tant que telle ? Les termes employés auraient semblé l’affirmer nettement, mais le cardinal Ratzinger a étrangement affirmé le contraire dans un commentaire [1], puis dans une réponse de la CDF en 1995 où il qualifie cette lettre d” »acte du Magistère pontifical ordinaire, en soi non infaillible » [2]. Le même cardinal admet que la doctrine exposée ici soit irréformable mais pas au titre de l’infaillibilité du pape.
Du Vatican, le 22 mai 1994, solennité de la Pentecôte, en la seizième année de mon pontificat.
Vénérables Frères dans l’épiscopat,
1. L’ordination sacerdotale, par laquelle est transmise la charge, confiée par le Christ à ses Apôtres, d’enseigner, de sanctifier et de gouverner les fidèles, a toujours été, dans l’Église catholique depuis l’origine, exclusivement réservée à des hommes. Les Églises d’Orient ont, elles aussi, fidèlement conservé cette tradition.
Lorsque, dans la Communion anglicane, fut soulevée la question de l’ordination des femmes, le Pape Paul VI, fidèle à sa charge de gardien de la Tradition apostolique et désireux de lever un nouvel obstacle placé sur le chemin qui mène à l’unité des chrétiens, rappela à ses frères anglicans la position de l’Église catholique : « Celle-ci tient que l’ordination sacerdotale des femmes ne saurait être acceptée, pour des raisons tout à fait fondamentales. Ces raisons sont notamment : l’exemple, rapporté par la Sainte Écriture, du Christ qui a choisi ses Apôtres uniquement parmi les hommes ; la pratique constante de l’Église qui a imité le Christ en ne choisissant que des hommes ; et son magistère vivant qui, de manière continue, a soutenu que l’exclusion des femmes du sacerdoce est en accord avec le plan de Dieu sur l’Église »[3].
Mais, la question ayant été débattue même parmi les théologiens et dans certains milieux catholiques, le Pape Paul VI demanda à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi d’exposer et de clarifier la doctrine de l’Église sur ce point. Ce fut l’objet de la Déclaration Inter insigniores, que le Pape lui-même approuva et ordonna de publier[4].
2. La Déclaration reprend et développe les fondements de cette doctrine, exposés par Paul VI, et conclut que l’Église « ne se considère pas autorisée à admettre les femmes à l’ordination sacerdotale »[5]. À ces raisons fondamentales, le même document ajoute d’autres raisons théologiques qui mettent en lumière la convenance de cette disposition divine et il montre clairement que la pratique suivie par le Christ n’obéissait pas à des motivations sociologiques ou culturelles propres à son temps. Comme le précisa plus tard le Pape Paul VI, « la véritable raison est que le Christ en a disposé ainsi lorsqu’il a donné à l’Église sa constitution fondamentale et l’anthropologie théologique qui a toujours été observée ensuite par la Tradition de cette même Église »[6].
Dans la Lettre apostolique Mulieris dignitatem, j’ai moi-même écrit à ce sujet : « En n’appelant que des hommes à être ses Apôtres, le Christ a agi d’une manière totalement libre et souveraine. Il l’a fait dans la liberté même avec laquelle il a mis en valeur la dignité et la vocation de la femme par tout son comportement, sans se conformer aux usages qui prévalaient ni aux traditions que sanctionnait la législation de son époque »[7].
En effet, les Évangiles et les Actes des Apôtres montrent bien que cet appel s’est fait selon le dessein éternel de Dieu : le Christ a choisi ceux qu’il voulait (cf. Mc 3,13–14 ; Jn 6,70) et il l’a fait en union avec le Père, « par l’Esprit Saint » (Ac 1,2), après avoir passé la nuit en prière (cf. Lc 6,12). C’est pourquoi, pour l’admission au sacerdoce ministériel[8], l’Église a toujours reconnu comme norme constante la manière d’agir de son Seigneur dans le choix des douze hommes dont il a fait le fondement de son Église (cf. Ap 21,14). Et ceux-ci n’ont pas seulement reçu une fonction qui aurait pu ensuite être exercée par n’importe quel membre de l’Église, mais ils ont été spécialement et intimement associés à la mission du Verbe incarné lui-même (cf. Mt 10,1.7–8 ; 28,16–20 ; Mc 3,13–16 ; 16,14–15). Les Apôtres ont fait de même lorsqu’ils ont choisi leurs collaborateurs[9], qui devaient leur succéder dans le ministère[10]. Dans ce choix se trouvaient inclus ceux qui, dans le temps de l’Église, continueraient la mission confiée aux Apôtres de représenter le Christ Seigneur et Rédempteur[11].
3. D’autre part, le fait que la très sainte Vierge Marie, Mère de Dieu et Mère de l’Église, n’ait reçu ni la mission spécifique des Apôtres ni le sacerdoce ministériel montre clairement que la non-admission des femmes à l’ordination sacerdotale ne peut pas signifier qu’elles auraient une dignité moindre ni qu’elles seraient l’objet d’une discrimination ; mais c’est l’observance fidèle d’une disposition qu’il faut attribuer à la sagesse du Seigneur de l’univers.
La présence et le rôle de la femme dans la vie et dans la mission de l’Église, bien que non liés au sacerdoce ministériel, demeurent absolument nécessaires et irremplaçables. Comme l’a observé la Déclaration Inter insigniores, « l’Église souhaite que les femmes chrétiennes prennent pleinement conscience de la grandeur de leur mission : leur rôle sera capital aujourd’hui, aussi bien pour le renouvellement et l’humanisation de la société que pour la redécouverte, parmi les croyants, du vrai visage de l’Église »[12]. Le Nouveau Testament et l’ensemble de l’histoire de l’Église montre abondamment la présence, dans l’Église, de femmes qui furent de véritables disciples et témoins du Christ, dans leurs familles et dans leurs professions civiles, ainsi que dans la consécration totale au service de Dieu et de l’Évangile. « L’Église, en effet, en défendant la dignité de la femme et sa vocation, a manifesté de la gratitude à celles qui, fidèles à l’Évangile, ont participé en tout temps à la mission apostolique de tout le Peuple de Dieu, et elle les a honorées. Il s’agit de saintes martyres, de vierges, de mères de famille qui ont témoigné de leur foi avec courage et qui, par l’éducation de leurs enfants dans l’esprit de l’Évangile, ont transmis la foi et la tradition de l’Église »[13].
D’autre part, c’est à la sainteté des fidèles que se trouve totalement ordonnée la structure hiérarchique de l’Église. Voilà pourquoi, rappelle la Déclaration Inter insigniores, « le seul charisme supérieur, qui peut et doit être désiré, c’est la charité (cf. 1 Co 12–13). Les plus grands dans le Royaume des Cieux, ce ne sont pas les ministres, mais les saints »[14].
4. Bien que la doctrine sur l’ordination sacerdotale exclusivement réservée aux hommes ait été conservée par la Tradition constante et universelle de l’Église et qu’elle soit fermement enseignée par le Magistère dans les documents les plus récents, de nos jours, elle est toutefois considérée de différents côtés comme ouverte au débat, ou même on attribue une valeur purement disciplinaire à la position prise par l’Église de ne pas admettre les femmes à l’ordination sacerdotale.
C’est pourquoi, afin qu’il ne subsiste aucun doute sur une question de grande importance qui concerne la constitution divine elle-même de l’Église, je déclare, en vertu de ma mission de confirmer mes frères (cf. Lc 22,32), que l’Église n’a en aucune manière le pouvoir de conférer l’ordination sacerdotale à des femmes et que cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de l’Église.
Priant pour vous, Vénérables Frères, et pour tout le peuple chrétien, afin que vous receviez constamment l’aide divine, j’accorde à tous la Bénédiction apostolique.
Du Vatican, le 22 mai 1994, solennité de la Pentecôte, en la seizième année de mon pontificat.
Jean-Paul II
- « En présence d’un texte magistériel du poids de cette Lettre apostolique se pose aussi inévitablement la question : quel est le caractère obligatoire de ce Document ? Il est dit expressément que ce qu’il affirme doit être tenu d’une manière définitive dans l’Église et que cette question est désormais soustraite au jeu des opinions fluctuantes. Cet acte est-il donc un acte de « dogmatisation » ? À cet égard, il faut répondre que le Pape ne propose aucune nouvelle formule dogmatique, mais confirme une certitude qui a été constamment vécue et affirmée dans l’Église. En langage technique, on devrait dire : il s’agit d’un acte du Magistère authentique ordinaire du Souverain Pontife, donc d’un acte qui n’entend pas définir quelque chose, ni d’un texte solennel « ex cathedra », même si l’objet de cet acte est la déclaration d’une doctrine enseignée comme définitive et donc non réformable. Cela veut dire – comme le souligne la Note de présentation du Document – qu’elle est proposée non comme un enseignement prudentiel ni comme une hypothèse la plus probable, ni comme un conseil pour l’action, ni comme une simple disposition disciplinaire, mais bien comme une doctrine certainement vraie. Le « proprium » de la nouvelle intervention magistérielle ne concerne donc pas l’explicitation du contenu de la doctrine proposée, mais seulement sa structure formelle et gnoséologique, en ce sens que l’autorité apostolique du Saint-Père rend explicite une certitude qui a toujours existé dans l’Église et qui est maintenant mise en doute par certains ; on lui donne une forme concrète, qui intègre sous une forme contraignante ce qui a toujours été vécu auparavant, tout comme l’on capture l’eau d’une source qui, de cette manière, n’est pas altérée mais protégée contre une éventuelle dispersion ou un ensablement. » (Documentation catholique n° 2097 du 3 juillet 1994, pp. 614) [↩]
- Réponse à un doute sur la doctrine de la lettre apostolique « Ordinatio Sacerdotalis »[↩]
- Cf. PAUL VI, Réponse à la lettre de Sa Grâce le Très Révérend Dr Frederick Donald Coggan, Archevêque de Cantorbery, sur le ministère sacerdotal des femmes, 30 novembre 1975 : AAS 68 (1976), pp. 599–600 : « Your Grace is of course well aware of the Catholic Church’s position on this question. She holds that it is not admissible to ordain women to the priesthood, for very fundamental reasons. These reasons include : the example recorded in the Sacred Scriptures of Christ choosing his Apostles only from among men ; the constant practice of the Church, which has imitated Christ in choosing only men ; and her living teaching authority which has consistently held that the exclusion of women from the priesthood is in accordance with God’s plan for his Church » (p. 599).[↩]
- Cf. CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Déclaration Inter insigniores sur la question de l’admission des femmes au sacerdoce ministériel, 15 octobre 1976 : AAS 69 (1977), pp. 98–116.[↩]
- Ibid., p. 100.[↩]
- PAUL VI, Allocution Il ruolo della donna nel disegno di Dio, 30 janvier 1977 : Insegnamenti, vol. XV, 1977, p. 111. Cf. aussi JEAN-PAUL II, Exhortation apostolique Christifideles laici, 30 décembre 1988, n. 51 : AAS 81 (1989), pp. 393–521 ; Catéchisme de l’Église catholique, n. 1577.[↩]
- Lettre apostolique Mulieris dignitatem, 15 août 1988, n. 26 : AAS 80 (1988), p. 1715[↩]
- Cf. Const. dogm. Lumen gentium, n. 28 ; Décret Presbyterorum ordinis, n. 2.[↩]
- Cf. 1 Tm 3,1–13 ; 2 Tm 1,6 ; Tt 1,5–9.[↩]
- Cf. Catéchisme de l’Église catholique, n. 1577.[↩]
- Cf. Const. dogm. Lumen gentium, nn. 20–21.[↩]
- CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Déclaration Inter insigniores, n. 6 : AAS 69 (1977), pp. 115–116[↩]
- Lettre apostolique Mulieris dignitatem, n. 27 : AAS 80 (1988), p. 1719[↩]
- CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Déclaration Inter insigniores, n. 6 : AAS 69 (1977), p. 115[↩]